Sons d’eté 2, Palmer: Pianos fortiches !
Chaque soir avant l’ouverture de la soirée du festival, elle ou elles à deux voix, entrent en scène masquées comme il se doit. On ne connaît ni leur nom ni leur fonction mais elles lisent leur texte revendicatif d’un ton calme qui contraste avec le contenu « Nous, représentantes d’Occupation Bordeaux 21 collectif dé précaires du secteur culturel mais pas que… » Le groupe de militant(e)s bordelais(es) qui a occupé un théâtre de la ville neuf mois durant à l’image d’autres actions similaires dans des villes françaises dénonce la réforme de l’assurance chômage promulguée bientôt par le gouvernement en dépit d’une décision contraire du Conseil d’Etat. Et exige par là même «…un vrai plan de relance du secteur culturel » action qui serait le signe symbole d’une attention légitime portée « aux droits sociaux, aux droits des vivants, aux droits de la personne… »
Crawfish Wallet: Amandine (Voc, washboard), Gaetan ((tb), JeanMichel (banjo), Fred (b)
Pianoforte: Baptiste Trotignon, Éric Legnini, Pierre de Bethman, Bojan Z (p, elp)
Un orchestre bordelais qu’on devine devoir exercer purement façon New Orleans au regard du washboard et du banjo notamment. Mais voilà qu’il sonne différemment par séquences. Et pour cause: À son flanc gauche vibrent trois violoncelles à l’unisson voire en contrechants divers. Défilent ainsi des chansons timbrées des rues de la capitale ou des bayous de la Louisiane.
Plus un air des Beatles, une histoire en noir et blanc signée Tom Waits, du blues…le tout joué avec beaucoup d’entrain, porté par une voix ferme, portante, un trombone libre ou bouché, une musique de second line au naturel sans besoin du décor des rues de la Nouvelle Orléans. Mais enrichie vraiment par les arrangements judicieux prescrits aux cordes des violoncelles invitées.
On en compte quatre alignés de gauche à droite de la grand scène de la salle majeure du Rocher de Palmer. Deux Steinways noirs luisants de part et d’autre, claviers tournés vers l’avant, ventres adossés au rideau de fond. Deux Fender Rhodes électriques gris et plus replets couplés au centre face public, touches cachées en arrière plan. Les quatre pianistes s’installent sur leurs sièges dans le silence. Un thème part à droite sur le piano acoustique, notes détachées, mélodie légère: Éric Legnini. Un premier solo jaillit alors au centre, filet de notes tranchantes, fil électrique musical à couper les notes: Pierre de Bethman. Des touches acoustiques lancées drues en mini feu d’artifice embrayent dès lors à gauche: Baptiste Trotignon. La balle des accords plaqués revient au centre in fine, graves, rebondissantes, amplifiés d’un zeste de saturation: on reconnaît aussitôt la patte de Bojan Z, éternel trafiqueur de sons.
Mais oui, oui, c’est une surprise. Elle s’avère inédite pour beaucoup dans la salle du Rocher cette occasion de découvrir une pareille multiplication de pianos comme par miracle, jouant de concert, c’est le cas de le dire, sur le même morceau, à l’unisson puis en décalages. En appel, en réponse, en échange quoique il arrive. Ils jouent au sens premier du terme, ils s’écoutent, s’attendent, se titillent, se relancent. Improvisent à foison. Aux sourires perçus, ils se régalent du menu comme de la carte. Le public aussi, bien sûr.
Défilent ainsi des thèmes signés des uns et des autres, autant d’occasions d’échanges supplémentaires. Plus une visite de Caravan de Duke et Tisol, puis Chorinho morceau sucre à la brésilienne signé Lyle Mays pianiste fidèle de Pat Metheny. Et même le hit iconique de Queen We are the champions. Tous morceaux livrés en qualité de boissons fraîches bues à même les quatre claviers comme à la régalade.
Alors, bon on peut s’arrêter une minute sur deux faces à face. Les deux joués en mode acoustique uniquement svp. L’un en mano a mano serré sur une mélodie de Carlos Jobim entre Bojan Z et Baptiste Trotignon, type art prononcé des découpes mélodiques, couleurs nettes, toujours lancées sur le fil de la part du premier. En circonvolutions savantes, volubilité garantie et caractéristique pour le compte du second. Autre schéma, autres résonances via Eric Legnini versus Pierre de Bethman. Sensibilité, richesses harmoniques déroulées à chaque mesure. Et ce méli-mélo de citations de collègues passés dans la petite histoire des pianistes de jazz. Le tout donné en partage.
Pour le reste ? Non n’en demandez pas plus por favor. Trop de notes, trop de richesses d’accords, trop d’or à débarquer de un, deux, trois, quatre pianos galions de musiques !
Mieux vaut imaginer carrément la fin de ce voyage en pianos vaisseaux…
Michel Portal (bcl), Bojan Z (p, keyb), Samuel Glaser (tb), Bruno Chevillon (b), Pierre-François « Titi » Dufour (dm)
Sons d’été, Le Rocher de Palmer, 16 juillet, Cenon (33l150)
Les thèmes écrits de la plume de Michel Portal possèdent ça de particulier qu’il semblerait qu’on les ait entendus de toujours. Et qu’ils déclenchent des images, des sentiments…Cette hypothèse posée en pure subjectivité, le musicien bayonnais aujourd’hui fermement octogénaire s’y connaît via l’expérience et le talent à exposer des climats différents, à les étayer, à les fixer par mélodies et rythmiques interposées. En couleurs contrastées. En images sonores polychromes. Prenez ces montées en tension, ces vrilles fraisées à trois instruments convoqués pour solos contigus -trombone, clarinette basse, batterie- dans une structure musicale plutôt complexe. Une difficulté qui n’obère en rien la volonté d’improviser pour les dits solistes. Ni, le morceau suivant (Armenia) de revenir toujours à trois voix sur le fil d’une mélodie simple, épurée, toute de douceur tissée, le filet feutré dans l’aigu de la clarinette basse émergeant des accords clairs enchaînés plein cadre sous les doigts de Bojan Z. Le pianiste de Belgrade demeure toujours le chef de chœur inspiré des orchestres portaliens.
De la belle ouvrage donc sur une clarinette basse, seul instrument honoré cette nuit de juillet à la douceur enfin retrouvée en ce concert bordelais. Mais bon il a l’air un peu inquiet ce soir Michel Portal. Deux musiciens du groupe pris en remplacement par rapport au personnel de MP 85 le dernier en date de ses albums (Label Bleu) pour cause de déplacements entravés de musiciens étrangers. Question de nature de climat actuel, on se répète, sans doute. Lequel pèse encore et encore sur des musiciens ayant pensé en être délivrés question droit d’expression.
Rien à voir bien sûr stricto sensu, mais le morceau suivant s’intitule Mister Pharmacy, et sonne un peu tel un blues lent aux lignes harmoniques enrichies de nombre d’unissons.
Et comme il revient à Michel Portal de terminer par un air -au sens de chanson qu’on n’oublie pas- qui lui est cher, les belles vibrations des cordes de basse de Bruno Chevillon le lancent sur Euskal Kantua, chant basque imprégné d’un tantinet de mélancolie.
Robert Latxague
Photo couverture: Alain Pelletier/ BlueBox