Sons d’Hiver : Kris Davis Trio ; Researching Has No Limits

Soirée de découverte pour le chroniqueur, qui a écouté Kris Davis maintes fois sur disque, mais jamais sur scène. Quant au groupe qui ouvre la soirée, c’est pour moi une absolue révélation. J’ai pu écouter deux de ses membres dans un autre contexte mais ce sextette est, pour moi (et je crois pour la plupart des personnes présentes), une nouveauté.

RESEARCHING HAS NO LIMITS

Pierre Borel & Lyam Szymonik (saxophones altos), Andrès Coll (marimba électrique & piano), Thibault Cellier & Antonio Borghini (contrebasses), Émile Rameau (batterie)

Arcueil, Espace Jean Vilar, 28 janvier 2024, 20h

Ce groupe est né de la rencontre de Thibault Cellier avec le pianiste Joachim Kühn, et de la confiance du pianiste envers le contrebassiste, auquel il a confié des partitions inédites d’Ornette Coleman. En effet à la fin des années 90, Joachim a joué avec Ornette, sur scène et au disque, et il a abondamment pratiqué l’univers musical très singulier du saxophoniste américain. Ce sextette est un double trio en somme (2 sax, 2 basse, 2 percussions) : une sorte de clin d’œil au double quartette d’Ornette. Le nom du groupe (qui avait connu une préfiguration en trio l’été dernier au festival d’Uzeste sous le nom de ‘Tribute to Ornette’) est le titre d’une composition du saxophoniste que Kühn a enregistrée à plusieurs reprises. Dès l’abord on sait que les thèmes sont d’Ornette : segmentation, emballement du tempo, bifurcations anguleuses, avec aussi ces unissons un peu relâchés qui sont la marque d’une époque. L’énergie est incandescente, et les dialogues se multiplient, avec des riffs presque obsessionnels qui resurgissent pendant un solo, pour attiser des braises qui ne demandent qu’à s’enflammer. Avec parfois des insertions de thèmes presque chantants, processionnels comme des hymnes, et qui s’épanouissent dans un lyrisme exacerbé. Des dialogues transversaux, entre les 2 basses, ou les deux sax ; des ruptures, des rebonds, et de soudain jaillissements ; on n’est pas dans la problématique de l’esprit ou de la lettre, mais au-delà, dans l’énergie pure : toute une vie intense qui remue assurément le public, chroniqueur inclus, et que saluent de très chaleureux applaudissements.

KRIS DAVIS TRIO

Kris Davis (piano, piano préparé), Robert Hurst (contrebasse), Johnathan Blake (batterie)

Arcueil, Espace Jean Vilar, 28 janvier 2024, 21h30

Avec le trio de Kris Davis, on est dans un autre univers, une autre pratique aussi : des éclats, et des nuances, des dialogues qui se nouent en parallèle, des échappées virtuoses qui paraissent autant de répliques idoines, de propos incontournables. Après quelques problèmes de sonorisation pendant les premières minutes, la partie se joue dans une connivence de tous les instants. La batterie déplie une sorte de solo accompagné, exempt d’ostentation mais plein de multiples finesses qui dialoguent avec la basse et le piano, qui font bien plus que d’accompagner ou de stimuler : chaque membre du groupe paraît se donner la mission de magnifier ce que font ses partenaires, dans un parti pris collectif qui jamais ne baisse la garde. Et thème après thème, cette combinaison d’initiatives individuelles et d’esprit communautaire va capter l’attention de l’auditoire jusqu’à le captiver. Après une composition qui va porter loin l’effervescence, le programme va se terminer dans un thème sinueux, nuancé, où les balais de la batterie vont porter une tension retenue, mais bien perceptible. Pendant une fraction de seconde, nous nous retenons d’applaudir, de crainte de rompre le vertige d’un instant suspendu. Belle fin, à mille lieux de l’éclat immodeste. En rappel, une composition de Bob Hurst lui permettra, en usant d’effets électroniques, d’étendre encore la force de son jeu, toujours dans cet incessant échange avec ses partenaires : ultime manifestation d’une beauté que l’on croyait furtive, et qui accompagnera le public bien après la fin du concert.

Xavier Prévost