Une soirée particulière dans le programme du festival Sons d’Hiver : elle se déroule dans ce haut lieu des musiques expérimentales qu’est La Muse en circuit, à Alfortville. Le chroniqueur est en avance, et heureusement. Car arrivé par le métro à la station ‘École vétérinaire de Maisons-Alfort’, il confond l‘Avenue du Général de Gaulle à Maisons-Alfort avec la rue Charles de Gaulle à Alfortville (artère sur laquelle donne la rue Berthelot où il se rend). Vingt bonnes minutes d’errance et d’errements, avant qu’une âme charitable n’attire son attention sur la funeste confusion
Arrivé à bon port je vais enfin pouvoir écouter ce groupe mystérieux : un sextette à l’identité apocryphe de quintette, et dont le noyau dur est le trio qui, déjà sous l’intitulé ‘MILESDAVISQUINTET !’, puis ‘IN LOVE WITH’, rassemblait depuis près de dix ans le batteur Sylvain Darrifourcq, le violoncelliste Valentin Ceccaldi et le pianiste Xavier Camarasa. Dans le chapitre 11 de son livre sobrement intitulé 20 00 Mots (Hector, Coopérative Full Rhizome), et consacré à son parcours artistique, le batteur s’interrogeait sur les mécanismes de synchronisation et de désynchronisation rythmique au sein d’un groupe musical. Ce qui avait déjà abouti à des contacts avec des chercheurs en science cognitive qui se penchent sur ces questions dans la pratique musicale en groupe. Ce sont Clément Canonne (CNRS-IRCAM) et Thomas Wolf (Central European University, en Autriche). Il en résultera un documentaire expérimental de Romain Allard, qui sera projeté juste après le concert, et avant une rencontre-débat avec Sylvain Darrifoucq et Clément Canonne
MILESDAVISQUINTETORCHESTRA !
Sylvain Darrifourcq (batterie), Valentin Ceccaldi (violoncelle), Xavier Camarasa (piano), Christine Abdelnour (saxophone alto), Emilie Skrijelj (accordéon), Michael Thieke (clarinette)
Alfortville, La Muse en Circuit, 1er février 2024, 19h45
Les trois artistes qui complètent le trio initial que l’on appelait ‘milesdavisquintet !’ (j’espère que vous me suivez….) sont issus de l’univers de l’improvisation que l’on peut croiser aux Instants Chavirés de Montreuil comme au festival Météo de Mulhouse. La musique commence par un vrai-faux continuum de batterie, progressivement peuplé d’interventions discrètes, isolées puis plus collectives, des autres instrumentistes. On pourrait croire que l’on est en territoire de musique répétitive-minimaliste. En fait c’est autre chose. Dans ces musiques on guetterait les micro-variations de segments mélodiques, de dynamique ou de timbre : ici va prévaloir la perception des décalages, de la désynchronisation-resynchronisation des rythmes dans le déroulement de la musique. C’est un peu hypnotique et pourtant cela tient fortement nos sens en éveil. Et beaucoup d’événements discrets vont alimenter notre perception, et notre réceptivité (sensation, émotion, réflexion : on a le choix). Le public est attentif, concentré, presque captif. Après 40 minutes de ce voyage mystérieux, la musique s’interrompt : fin du concert et chaleureux applaudissements. Le temps de dévoiler l’écran et c’est la projection du documentaire D_Phase de Romain Allard, qui nous révèle le processus à la fois musical et scientifique de la démarche : très intense et assez passionnant
Un aperçu du documentaire
Puis ce sera la rencontre-débat, avec Sylvain Darrifourcq et Clément Canonne. Chacun d’eux explicite sa démarche, et le processus artistique s’éclaire encore
Se révèlent ainsi la perspective, et les hypothèses : confirmées ou infirmées par l’expérimentation, les mesures des actions ou réactions des instrumentistes par des capteurs sur les parties de leur corps en action. L’auditoire est toujours très attentif et concentré. Mais pour le chroniqueur c’est le rituel coup de gong qui frappe en son for intérieur : on vient de dépasser 21h30. Dans moins d’une heure le dernier RER ‘E’ quittera Magenta-Gare du Nord. Le manquer serait s’exposer à une aventure incertaine, via le métro ligne 5, un bus qui arrive (ou pas) après une demi-heure dans le froid, ou un tramway qui me laisserait à plus de 2 km de mon logis. Il faut se hâter vers le métro (sans confondre cette fois l’Avenue du Général de Gaulle et la Rue Charles de Gaulle….), puis un autre métro, et enfin le Graal : l’ultime RER, à 22h32. Comme toujours, frustration de l’amateur banlieusard qui doit quitter un concert, ou ses suites, avant leur terme. Mais comme toujours plaisir d’un moment de musique et de découverte.
Xavier Prévost
La vidéo du concert, des coulisses & de la rencontre-débat