Sons d’Hiver: Portal Humair Chevillon sur le vif
« Nous représentons cent soixante ans de jazz ! » galége Humair vis à vis de Portal assis à ses côtés dans les coulisses du POC d’Alfortville. Ironiques, mordants ils évoquent rigolards des épisodes vécus tels « la tomate jetée au visage de Carla Bley à Chateauvallon » où le cri « Portal traître, salaud » lancé par une inconnue en plein solo de ténor free à Antibes…
Mike Reed’s « Flesh Bones » : Mike Reed (dm), Greg Ward (as), Tim dHaldeman (ts), Jason Stein (bcl), Ben Lamar Gay (tp), Jason Roebke (b), Marvin Tate (voc), Kim Alpert (
MIchel Portal (bcl, ss), Bruno Chevillon (b), Daniel Humair (dm)
Sons d’Hiver, Pôle Culturel d’Alfortville (94140), 2 février
Quatre souffles mis en commun. Le son de l’orchestre Flesh and Bones se colore, évolue en fonction du rôle attribué par la partition aux trois cuivre et aux tonalités bois de la clarinette basse. Des séries d’unissons en gage de plénitude, des duos sax trompette pour un plus de reliefs, des soli livrés tour à tour par chacun des musicien: la force dégagée donne à la musique offerte une sensation orchestrale à la limite du big band. De la richesse par les thèmes, de l’intensité par l’addition des instruments mis en branle, des nuances aussi de par les combinaisons tentées. Dans ce programme Mike Reed, batteur de Chicago se dit inspiré par un épisode de sa carrière, une manifestation raciste à son encontre de musicien noir, en 2009 en République Tchèque «Je cherche par la musique à évoquer les problèmes de race, d’altérité, de liberté d’être . Si je n’avais pas créé à partir d’une telle expérience je ne pourrais pas me comme un artiste digne de ce nom » A cet égard sans doute n’est ce pas un hasard si la musique de ce groupe, de par sa sonorité globale, sa référence à l’histoire du jazz, sa dimension fait écho au travail d’un Charlie Mingus voire à quelques échos de l’écriture précise, brillante de Duke Ellington pour certains de ses orchestres.
Octogénaires sûrement, créatifs toujours, plein d’envie de jouer à l’évidence encore: Michel Portal et Daniel Humair sont en forme ce soir. Et le prouvent par l’engagement dans leur jeu, l’expression instrumentale. Témoin cette façon de démontrer côté batteur l’efficience de l’utilisation de mailloches qui paraissent’ dans ses mains rouler sur le temps. C’est simple, propre, net mais ça sonne diablement. Daniel Humair sur ses caisses ou cymbales (singulière cette façon qu’il a de déclencher l’illusion d’un chant de gouttes de pluie de par ses frappes sur le dôme des cymbales) au delà du rythme, fait toujours de la musique. Et comme chez Portal, incontestablement, le jeu, la jouissance ludique, reste un terme approprié. On entend du jazz vivant. Une musique qui coule claire sans que l’on ressente le besoin d’en identifier les sources. MIchel Portal qu’on sait apte à chouiner de par une manie d’exigence personnelle aiguë, se plaignait quelques heures auparavant : « lorsqu’on me sollicite dans un orchestre, on ne le laisse pas forcément jouer les mélodies que j’ai travaillées… » Bingo cette fois Mister Portal: la formule du trio offre à l’évidence un plus d’espace, de perspective de réalisation de cette envie avouée. La clarinette basse en profite et le public avec qui manifeste son contentement de ces lignes graves tour à tour flattées découpées, servies avec la manière. Avec du brio. Vient une nouveauté baptisée Perdus « On la joue pour la première fois… » annonce le musicien bayonnais en saisissant son sax soprano. Poussé par la rythmique qui monte en tension, la musique devient dès lors dans une version métal, cuivrée, plus expressive encore. Lorsqu’il reprend la clarinette basse on imagine aisément l’impression d’une prolongation naturelle d’un souffle, un chant. On n’oublie pas bien entendu la place centrale occupée par Bruno Chevillon. L’élan permanent donné au trio, le lien assuré entre deux personnalités, figures éruptives. Une telle qualité de son de basse figure sans doute parmi les plus évidentes dans le jazz actuel, n’ayons pas peur de le dire. Lorsqu’arrive le moment, la séquence tango incontournable avec Portal, du bandonéon, c’est déjà gagné question acclamation, signe dans la salle d’un plaisir partagé. Les deux hommages made in USA, version courte du Jean Pierre, composition phare de Miles, puis un goûteux Judy Garland – « Ce morceau je l’ai composé à Minneapolis à partir d’un métronome… » confie Portal d’un ton badin »- ne sont que de simples desserts proposés à la carte. Hors menu proposé par Sons dHiver.
Robert Latxague
Sons d’Hiver
Dimanche 4 février, Sylvain Luc et les frères Chemirani
Théâtre Claude Levy Strauss, Musée du Quai Branly, Paris