Sons d’hiver: S. Luc + Chemirani(s), jazz et lettres persanes
Sons d’hiver a décidé cette année de situer un de ses moments de musique…au Musée. Pas n’importe lequel, celui portant le patronyme de Jacques Chirac, certes. Mais surtout celui du Quai Branly ouvert sur les traces du « vaste Monde » pour une rencontre de guitare et percussions.
Sylvain Luc (g, elg), Keyvan Chemirani (perc, saz), Bijan Chemirani (perc)
Sons d’Hiver, Théâtre Claude Lévi-Strauss/Musée Quai Branly, Paris 4 février
Et si c’était ça le secret d’une musique naturellement enrichie ? Non pas un de ces croisements vulgus pecus fomenté à la va-vite afin d’instiller de la dite « world » -dans ce cas, d’autres produits ailleurs- dans les veines note bleue du jazz histoire d’en faire une musique du monde numérique aisément accessible -donc apte à tout commerce- par piquouze dopante intentionnellement préparée à cet effet. C’est un fait vérifiable car vérifié in situ: la musique envoyée un dimanche après midi sur la scène de l’auditorium du Musée Jacques Chirac, Quai Branly se déguste en mode de douceurs. Pas affadie, non, mais ourléee d’une dose de délicatesse, tramée de couleurs judicieuses sous une gestuelle instrumentale ciblée et maîtrisée côté guitare autant que percussions. Et n’allez pas croire qu’à la simple écoute on risque l’ennui faute de reliefs. Au contraire. On se trouve très vite pris par le beat, accroché par le swing subtil de drôles de percus, voire un peu étourdi par les savants effets répétitifs de loop, notes et accords complexes mis en boucle (sur 16 mesures, précisément svp ) par Sylvain Luc à partir d’une guitare électrique bleue azur, couleurs de l’Aviron Bayonnais, club de sa ville natale, laquelle lui donne des allures de guitare héros de série ou BD fantastique (Messat) Vous me direz : normal, rien d’exceptionnel: ce Sylvain Luc un brin inclassable et capable de dérision aime à parcourir des sentiers de musiques aux senteurs diverses sinon baroques. Ce qui fait, au passage, que d’aucuns ne le reconnaissent pas comme un guitariste de (certifié) jazz. Ce dont il se fout d’ailleurs comme de son premier tee-shirt des fêtes de Bayonne. Mais passons.
Choisir de se mesurer à deux percussionnistes de l’école persane ne représente pas forcément un gage de réussite à priori. Sauf que dans le cas précis de ce concert, la capacité d’écoute partagée par les trois musiciens, leur envie manifeste de découverte mutuelle fait son effet. Sur scène comme dans le public. Et surtout le matériau traité porte à conséquence. Sur une base de séquences rythmiques de saz -version iranienne de l’oud en quelque sorte- en complément d’accentuations douces du tambour ou tambourin, peaux frottées du bout des doigts, le phrasé coulé, les attaques soft sur les cordes nylon du guitariste dessinent un tableau à dominante pastel (Saz de sécurité) Sylvain Luc, de ses doigts lâchés sur le terrain du manche, cela se voit, dit des phrases, trouve dans son inspiration du moment des histoires à raconter. L’on sent même tout au long du récit dans l’environnement tel que vécu ce jour -est ce le fruit du seul hasard?- au Musée du Quai Branly la réminiscence riche de saveurs suaves mais plutôt épicées question modes ou intervalles. De quoi évidemment nourrir le discours des frangins Chemirani, percussionnistes certes si l’on s’en réfère au seul CV, mais musiciens avant tout. Données sur les surfaces de peau des multiples tambours, sur les différentes matières de leurs instruments, bois, terre, métal, via un traitement soft de frappes ou caresses, le doigté de chacun aboutit tout aussi bien en accords majeurs ou mineurs. Selon le besoin ressenti (Élégance Fazzani, danse tunisienne) Et l’on perçoit souvent dans ces moments d’échange intensif à trois le plaisir du jeu, de petits défis l’un l’autre, des besoins de décalage, de quelques échappées aussi « On improvise beaucoup en fait même si les gens ne s’en rendent pas forcément compte. Voilà le vrai lien avec l’esprit du jazz » assure le guitariste. « Les échanges nous laissent beaucoup d’espace de liberté » confirme Keyvan Chemirani. Pour ajouter aussitôt en mode de respect « Mais attention: pour autant sur les reprises de thème ou les ponts, avec Sylvain il faut être à l’heure ! Pas question de perdre le rythme…»
Avec ce trio en veine de jazz et de lettre persane, Sons d’Hiver n’a pas révolutionné l’univers de l’improvisation. Le festival a pour lui cependant d’avoir fait aboutir un métissage musical inédit sans recours au sponsoring mode pièces jaunes. Et rempli la salle pour l’occasion.
Robert Latxague
(photos Jean Jacques Filippi)