SOPHIA DOMANCICH, en direct du Studio Sextan sur France Musique
Concert à huis clos pour l’émission ‘Jazz Club’ de France Musique. Un concert qui marque la (re)naissance du label Pee Wee !, qui prend la suite de Pee Wee Music, lequel avait publié, dans la seconde moitié des années 90, une belle brochette de disques marquants, entre jazz et musiques d’ailleurs. Pour fêter la parution prochaine, le 28 mai 2021, de la première référence du nouveau label, un disque en solo de Sophia Domancich intitulé «Le grand jour», le Studio Sextan a organisé un concert sans public, diffusé en direct sur France Musique dans l’émission ‘Jazz Club’ d’Yvan Amar.
SOHIA DOMANCICH (piano, piano électrique)
Studio Sextan, Malakoff, 8 mai 2021, 19h
Outre l’équipe technique et de production de France Musique pour le direct, sont installées quelques personnes avec qui je partage le privilège de ce concert privé rendu public par la voie des ondes : Vincent Mahey, du Studio Sextan, et le groupe qui l’a rejoint pour l’aventure de ce label renaissant : Simon Goubert, Virginie Crouail, et quelques autres…. À l’approche de l’heure du direct, Sophia s’installe devant les deux claviers, et le moment venu Yvan Amar prend l’antenne pour présenter brièvement le rendez-vous du jour.
La pianiste commence au piano électrique, avec des harmonies tendues, un son un peu saturé, et un leitmotiv que fracturent des rythmes sporadiques. Le piano rejoint l’autre instrument avec des sons clairs. Mais la musique respire le mystère, la pénombre, et la persistance des leitmotive crée une dramatisation, et structure une forme en mouvement, qui produit des images pour nous qui écoutons. Ce ne sont que deux pianos, mais la pianiste en fait un univers qui suggère un art total. Est-ce à cause du leitmotiv, mais je pense à Wagner (le genre musical n’a rien à voir, et c’est un peu plus digeste….), peut-être parce que ce concert intime déploie, par la musique seule, des fastes de spectacle. Je suis victime de mon imagination, et certains pensent que ma tendance à la surinterprétation est maladive. C’est probable, mais qu’ils se rassurent, je me soigne ! Du piano acoustique et de ses motifs récurrents surgissent soudain des bribes de Django, merveilleux thème de John Lewis, traité avec une liberté et une inventivité qui en font une œuvre en soi : le jazz, autrement dit. Et les motifs hypnotiques sont de retour, avec une belle fermeté, presque une violence, qui sera conclusive. Applaudissements nourris des happy few conviés à la cérémonie, puis commence au piano une déambulation mélodico-harmonique ravivant en moi le souvenir de Goobye Porkpie Hat (phantasme d’auditeur nostalgique, et ce ne sera pas le dernier), puis le musique s’emballe avec une liberté folle qui nous entraîne loin de nos repères. Je crois reconnaître un fragment du thème Le grand Jour, qui donne son titre à l’album imminent, mais il serait vain de chercher l’identique dans cette musique en perpétuel mouvement. La ligne claire s’assombrit, vers des accords d’une densité presque mystique.
La séquence suivante commence dans l’aigu, comme des chants d’oiseaux (Messiaen n’est pas loin ? ), mais c’est un oiseau sans cage (avec une minuscule, pas d’allusion onomastique….), comme la pianiste. Un instant le piano paraît chanter, avant de s’engouffrer provisoirement dans des turbulences. C’est ensuite une sorte de chant confidentiel fait d’ombre et de lumière, dans lequel le piano électrique va rentrer avec deux notes graves, évasives (issues du titre Le Grand Jour ?), notes qu’une boucle va installer pour un dialogue avec le piano acoustique, puis avec le piano électrique. Magie du leitmotiv minimaliste dans l’édification d’un imaginaire…. Et maintenant ce sont des fragments jetés avec force, des mises en suspens, des brisures rythmiques et des lignes affranchies de la tonalité, qui vont soudain se résoudre dans un accord presque académique, pour s’évader vers le jazz, comme sur une grille harmonique et un phrasé que l’on malmène de manière féconde selon la tradition de cette musique. Je crois entendre rôder une référence à ‘Round About Midnight (encore un phantasme d’amateur chenu….). Puis la main droite entame avec la gauche un dialogue contrapuntique vertigineux : on frissonne de bonheur. Et la pianiste enchaîne, nous laissant à peine le temps d’exprimer notre joie : piano électrique sombre et clair, comme un jeu de couleurs, avant de se mettre en boucle pour permettre un dialogue avec l’autre instrument. La fin du direct radio approche, Yvan Amar s’approche de la pianiste en montrant cinq doigts pour autant de minutes, puis quatre. Absorbée par la musique, elle finit par prendre conscience de sa présence et conclut. Il reste deux minutes avant le fin du concert pour un court dialogue.
Sophia explique comment elle construit son concert pas à pas, sans programme établi, «à l’oreille et aux doigts», dit-elle. Seul le choix de commencer au piano électrique était préétabli. Nous venons d’assister à un moment exceptionnel d’une création plus que vivante. Vous pouvez le vivre (ou le revivre) en suivant ci-dessous le lien de réécoute sur le site de France Musique.
Xavier Prévost
https://www.francemusique.fr/emissions/jazz-club/direct-sophia-domancich-a-malakoff-94701