Sophia Domancich et l’Orchestre des Jeunes de l’ONJ revisite Didier Levallet

Ce 9 mars 2025, dans le cadre de Jazz de mars, festival itinérant en Eure-et-Loir, le Conservatoire de l’Agglo de Dreux accueillait en résidence l’Orchestre des jeunes de l’ONJ conduit par Sophia Domancich.
En première partie, de jeunes musicien·nes présentaient le résultat d’un travail de découverte du jazz en orchestre, sous la direction de la nouvelle cheffe de l’ONJ, Sylvaine Hélary : un travail prudemment audacieux pour une belle initiation, sur deux pièces empruntées au dernier quintette de Didier Levallet, comme pour préparer le public à la prestation de l’Orchestre des jeunes de l’ONJ dans sa 6ème mouture consacrée au programme de l’ONJ-Levallet en 1997-2000. Une musique de “confluence” (c’était le nom du sextette de Levallet de la seconde moitié des seventies) aux moult ramifications esthétiques, la seconde pièce (Antigone’s Choice) de cette appéritif musical évoquant de façon allusive l’affluence sud-africaine que le contrebassiste fréquenta auprès de Chris McGregor.
À Hélary succède ensuite Sophia Domancich, pianiste de l’ONJ du temps où Levallet en était le chef. Deux femmes donc à l’affiche de ce concert… et d’autres encore derrière les pupitres. Voyez le personnel ci-dessous !
Un début timide, en dépit d’un joli solo de cor de Jan Erdos planqué derrière son pupitre. Il faut que les solistes se lèvent, se montrent, montrent leurs instruments ! C’est si beau un cor d’harmonie… « Oui, vous avez raison confie Sophia Domancich en sortie de concert, il le faut. Dans le cas que vous mentionnez, un problème de dernière minute concernant la position du micro contraignait le corniste à rester assis. On va vite résoudre ça. »
« C’est le premier “vrai” concert, continue Sophia Domancich, et pour le moment, je joue avec les sections, la distribution des rôles, la répartition des solos, j’essaie des choses, tel ce duo trompette – trombone que j’ai ordonné aujourd’hui au dernier moment pour faire transition entre deux morceaux. Thimothé Lantoine et Jules Regard était un peu surpris. » Et quel dommage s’ils n’avaient osé s’y lancer avec cette flamme dont ils ont fait montre ! Auparavant, il y avait eu une sorte de dégel soudain de ce début un peu dans les chaussettes, lorsque la saxophoniste alto Adriana Calvo s’est levée pour prendre un solo très étonnant, une manière d’emboucher et de phraser pas très orthodoxe, mais avec une force de conviction très émouvante.
Sophia Domancich reste discrète – elle ne prendra la parole qu’en fin de concert, notamment pour dédier le concert à Éric Barret qui contribua à la création de ce répertoire il y a un quart de siècle et aux obsèques duquel elle se rendra dès demain à Manosque. Discrète certes, mais son piano est “là”, pas en vedette, mais “dans” la musique, jusqu’à ce prodigieux duo avec le ténor Baptiste Stanek (qui fait aussi office de chef d’orchestre) : soudain, comme pour se solidariser avec les suraigus et doubles sons du soufflant, elle tire de son piano d’étranges harmoniques qui laissent à penser qu’elle a “préparé” le piano, ce qui n’est pas réaliste, puisqu’elle passe d’une sonorité à l’autre sans intervenir dans les cordes, et que ces sonorités semblent se déplacer avec ses doigts sur le clavier. « Non, pas de préparation, juste un jeu sur la pédale, sur son enfoncement à mi-course. » Et pendant ce solo, et d’autres interventions à mentionner (telle celle de la contrebassiste Jenny Pillet qui ,à la sortie d’une profonde version de Vashkar de Carla Bley, évoque le souvenir de Charlie Haden; telles les interventions du charismatique batteur Émile Rameau), on sent une communauté de musicien·nes, venu·es des quatre coins de l’Europe et ravi·es d’être là, ensemble, admiratif·ves les un·es des autres et solidaires, pour cette aventure orchestrale qui n’en est qu’à son début. On ne qualifiera pas chacun·e d’elleux et c’est grande injustice, mais apprendre le métier c’est aussi apprendre à faire avec la critique injuste, négative, indifférente, mais aussi positive, encourageante, franchement laudative, éclairée… ou carrément incompétente (jusque dans l’enthousiasme) ou simplement inattentive voire ensommeillée par un dîner d’avant-concert trop arrosé… Profitez-en bien, avant que les imperfections de la critique ne soient définitivement remplacées par des algorithmes indiscutables. Franck Bergerot – Photo de Maxim François

Ci-dessus de gauche à droite (debout) : Baptiste Stanek (ts, fl), Garance Baltardive (tb), Alban Esteba (bars, bcl), Jenny Pillet (b), Émile Rameau (dm), Adriana Calvo (as), Clemens Köhler (ts, fl) Paolo Rezze (cello), Jules Regard (tb).
(assis) : Mila Sher (son), Thimothé Lantoine (tp), Jan Erdos (cor), Sophia Domancich (p, dir), Hans Wohlfarth (dm), Heehyun Lee (elg).
À suivre: le 20 avril au conservatoire d’Orléans, le 18 mai au Petit Faucheux de Tours.