Stephan Oliva, Sébastien Boisseau : sortie d’album et autres sons de cloches
Hier 19 novembre au 19, rue Paul Fort, Hélène Aziza accueillait le duo de Stéphan Oliva et Sébastien Boisseau pour célébrer la sortie de “Hubble Dreams” chez Vision Fugitive.
L’incipit. Comment commencer. Comment commencer un roman. Comment commencer un concert. Un disque. Un solo. Cette chronique d’un concert de présentation d’un disque auquel je n’avais pas encore pris le temps de prêter l’oreille. Au lieu de quoi, dans le métro qui m’amenait vers le 19 rue Paul Fort où Stéphan Oliva et Sébastien Boisseau célébraient ce nouvel album “Hubble Dreams”, j’entamais la lecture de Tango de Satan de László Krasznahorkai, lecture dans une traduction française n’ayant toujours pas trouvé le temps d’apprendre le hongrois, moi qui ne serais pas même capable de commander une pinte dans un bar londonien. J’étais néanmoins saisi par la musicalité dramatique de la longue phrase d’ouverture : « Un matin, à la fin du mois d’octobre, peu avant que les premières gouttes des longues et impitoyables pluies d’automne commencent à tomber sur le sol craquelé, à l’ouest de l’exploitation (et qu’une mer de boue putride rende les chemins vicinaux impraticables et la ville inaccessible jusqu’aux premières gelées), Futaki fut réveillé par le son des cloches. » Et j’interrompais aussitôt ma lecture, songeur, bercé par cette longue sinuosité du temps (« Un matin… « ) précédant le fait (« Futaki fut réveillé par le son des cloches. ») Et m’abandonnant à ma rêverie, laissant venir soudain un désir profond, de voir le concert de ce soir commencer ainsi, je réentendis mentalement le début du solo de Dave Liebman sur Down Sunday (du trompettiste John McNeil sur un album de son quintette, “Faun” dont j’ai par ailleurs tout oublié). Je crois que c’est le saxophoniste Charles Schneider qui me l’avait fait remarquer du temps où nous nous croisions au CIM, il y une quarantaine d’années : quatre mesures durant lesquelles le premier chorus de ténor prend un élan de quatre mesures en forme de spirale ascendante où l’on perd le sens du temps sur un chemin rendu impraticable par la boue sonore que répandent Buster Williams et Billy Hart sous les pas du soliste, jusqu’à ce que Richard Beirach pose l’accord sur le premier temps : « le son des cloches qu’entend Futaki ». L’histoire peut commencer. David Liebman reprend sa respiration et peut lancer son solo.
L’incipit du concert de Stéphan Oliva et Sébastien Boisseau fut différent, d’emblée « le son des cloches », deux notes alternées par le contrebassiste, reprises à toute volée en ostinato (un peu comme sur Contact, la première plage du disque), puis amplifiées par le piano, développées, comme s’ouvre le bouton d’une fleur, de plusieurs fleurs en buisson s’épanouissant l’une après l’autre, jusqu’à une sorte d’écoulement fluide et collectif auquel vint s’enchaîner un authentique solo de piano, d’abord sans basse si mes souvenirs sont bons, un vrai-faux rubato où le pianiste semblait faire venir ses idées comme de loin, s’efforçant de retenir le vrai-faux tempo, et que vint conclure – la basse revenue – un semblant de chanson inachevée.
Sébastien Boisseau prit alors le temps de présenter le programme, celui du disque célébré et celui de la soirée. Premier album du duo depuis qu’il s’est établi pendant la période du covid et la défection du batteur Tom Rainey, leur comparse habituel au sein du trio Orbit, “Hubbles Dream” fut enregistré avec pour seule consigne l’improvisation libre. Plus, ponctuant un album de 15 plages, quelques thèmes dont ce que j’identifiais hier : Sometimes I Feel Like a White Dwarf variations sur un gospel bien connu que je nommais confusément – péché véniel – Summertime ; et un autre emprunt au vieux fond du afro-américain de spirituals, des hollers et du proto-blues (Where Flamingo Fly, à moins qu’il ne se soit s’agi du fort apparenté Dead Man de Neil Young figurant sur l’album).
Pour leur prestation publique, qui eut pour rappel Law Years d’Ornette Coleman (également revisité sur le disque), Boisseau et Oliva ont pris le parti de réécouter leurs impromptus publiés sur disque et d’en tirer des fragments susceptibles de structurer leur programme et lui assurer une sorte de pérennité pour les concerts à venir. C’est ce sentiment d’avenir dont nous étions nous-mêmes assurés hier en quittant le 19 de la rue Paul Fort, où la mécène Hélène Aziza reçoit expositions et concerts de jazz ou de musique classique. Dès ce samedi 23 novembre : le quatuor à cordes Talea pour un programme à dominante nordique (Edvar Grieg, Jean Sibelius, Arvo Pärt, Hildegard von Bingen, Anna Thorsvaldsdottir, Jean Cras).
Franck Bergerot