Studio de l’Ermitage: Philippe Mouratoglou, guitare et son au naturel
« Je sais, je dois m’accorder souvent, cela crée des intermèdes un peu long » Philippe Moratoglou justifie ces temps morts répétés entre les morceaux. Avant d’ajouter non sans malice « Une méchante langue a dit à propos des guitaristes : ils passent la moitié du temps à s’accorder; et l’autre moitié à jouer…faux »
Philippe Moratoglou (g),Bruno Chevillon (b), Ramon Lopez (dm)
Studio de l’Ermitage, Paris, 14 juin
Dans ce trio, incontestablement il y a un son. Celui qui se dégage de la guitare d’abord, acoustique, empreint d’une clarté marquant chaque note dans un singulier effet de réverbération naturelle. Les mélodies déroulent dès lors une sorte de serpentin de notes enchainées sans effort apparent (L’échelle de l’évasion) Donnant l’impression d’un jeu sans injection forcée de virtuosité. A ce type d’échos on songe à Ralph Towner, aux découpes savantes d’Egberto Gismonti également « C’est vrai j’ai beaucoup écouté le guitariste brésilien. Il est un des rares à improviser uniquement avec une guitare acoustique » Le jeu de Philippe Moratoglou vise à dégager des espaces. Sur des tempos moyens, certaines séquences de passages d’accords très coulés paraissent vouloir éviter les ruptures, rechercher une sorte d’apaisement, apportant surtout du liant. Comme l’on découvre un horizon marin un matin calme. Sans vent (Voiles) A l’inverse d’autres moments très intenses dégagent une musique marquée par les coups. En réponse aux accords frappés sur les cordes graves de la guitare, aux harmoniques jaillies en saillies d’aigües éclatantes, les frappes de Ramon Lopez, génèrent illico des pics d’intensités.
Construisant ainsi des reliefs très forts. Très accentués. Et comment dire ? Dans ce contexte de sonorités plutôt acoustiques, de courants d’airs quelques peu ascensionnels, le batteur natif d’Alicante laisse sa marque dans des touches de couleurs toujours appropriées. Il fait partie des batteurs percussionnistes qui, en toutes occasions, au delà du seul drumming produit de la musique. Rien moins « J’ai tenté le coup avec d’autres batteurs, sans succès. Avec Ramon ça a tout de suite marché » raconte Moratoglou. Des coups donc, des impacts (Hydra, morceau plutôt « rock and roll » question cadence) des accentuations appropriées, des sillons rythmiques précisément tracés, Bruno Chevillon bien sur s’en régale également. Et lorsqu’en duo avec la guitare il aborde deux blues de Robert Johnson (Malted milk, Preaching blues) on entend alors une basse qui allie dans le phrasé tradition et modernité. La scène, dans des contrastes certes plus accentués, volume sonore oblige, confirme la qualité, l’originalité du son de l’album récemment paru (Univers-Solitude, Vision Fugitive/ L’autre distribution, Choc Jazz Magazine)
Le blues, justement. Et Robert Johnson plus spécifiquement. Comment et pourquoi un guitariste formé dans le cheminement classique en vient-il à croiser l’univers du légendaire bluesman de Clarksdale ? « J’ai eu l’occasion d’écouter un de ses disques. J’ai découvert alors cette façon singulière d’accorder sa guitare en open tuning, J’ai adopté cette technique particulière. Elle m’a ouvert des horizons nouveaux question jeu de guitare. Y compris dans le domaine de la composition » Cette singularité de son et de formes créées, forgée d’abord dans le jeu de guitare, Philippe Moratoglou la cultive désormais au sein de ce trio de par le choix judicieux des musiciens recrutés. Dommage simplement que sur la scène de l’Ermitage ce soir là, elle n’ait pas été prolongée quelques minutes supplémentaires dans la version épurée du Lonely Woman d’Ornette Coleman qui figure dans les titres de l’album pré-cité…
Robert Latxague