Sur France Musique, Shelly Manne invite Lee Konitz !
C’était le 11 novembre 1977, à Saint-Quentin-en-Yvelines où s’était déporté cette année-là le festival Newport à Paris. André Francis y avait aussi emmené ses micros et Jérôme Badini nous fera entendre ce soir et demain ce qu’il avait enregistré ce soir-là.
Ce soir 13 juin, peut-être avez-vous comme moi, loupé ces deux heures consacrées au jazz vivant par France Musique tous les samedis. À 18h, dans le cadre des Légendes du jazz, on pouvait y entendre le quartette de Shelly Manne featuring Lee Konitz, suivi à 19h, dans le Jazz Club, le String Project de John Surman avec Chris Lawrence à la contrebasse et le Transf4rmation String Quartet tel qu’il s’était produit en février dernier dans le cadre des concerts Jazz sur le Vif d’Arnaud Merlin. Rien n’est perdu, car tout ceci est podcastable sur le site de France Musique, mais bien plus, la suite du concert de Shelly Manne est retransmise demain dimanche 14 juin à 18h.
Des bandes de Radio-France enregistrées lors de ce concert de novembre en Yvelines, aujourd’hui archivées par l’INA, un disque avait été tiré deux ans plus tard sur Galaxy Records sous le nom de Shelly Manne Quartet Featuring Lee Konitz “French Concert”. Le batteur et l’altiste se connaissaient du temps ou Shelly Manne était encore new-yorkais et l’on peut encore les entendre sous label Prestige en 1949 au sein du Lennie Tristano Quartette (c’est la première version de Subsconscious-Lee), puis ils se retrouvèrent ensemble en 1956 à Los Angeles autour de Jimmy Rowles et Leroy Vinnegar (“Worhtwhile Konitz”, une combinaison renouvelée en 1978 à Turin, mais avec Red Mitchell à la basse, si l’on en croit les archives de Philology Records), et à Gênes en 1981 en quintette avec Art Farmer.
À Saint-Quentin, ils étaient entourés du pianiste Mike Wofford que Shelly Manne fréquentait depuis dix ans et qui se montre ici très billevansien, et de Chuck Dominaco, bassiste polyvalent entre les rôles de contrebassiste de jazz et de bassiste électrique de fusion chez A&M, Blue Note et Flying Dutchman. Ouverture en trio sur Softly as in a Morning Sunrise que Mike Wofford relie par une admirable transition vers un splendide Body and Soul toujours en trio. Arrive Lee Konitz qui nous conduit seul, comme il sait si bien le faire, puis en duo avec son hôte vers l’exposé de What Is This Thing Called Love où ils sont rejoints pas les deux autres. Et non seulement ce sens de la variation qu’ils partagent sur cette introduction laisse pantois, mais ce mélange de soutien et de libre contrepoint qu’assure le batteur derrière le saxophoniste est un régal.
Lorsque l’on retourne le disque, c’est Mike Wofford qui introduit What’s New, rejoint par Lee Konitz pour un duo vagabond que Domanico et Manne rejoindront l’un après l’autre, et il y a chez Manne un réjouissant mélange de délicatesse dans son soutien au soliste et d’impertinence dans le bonheur qu’il prend à lui donner la réplique. Cette fois-ci, c’est Lee Konitz qui assure une transition très ludique vers Stella by Starlight dont Mike Wofford prend l’exposé en main avant de s’imposer sur une première série de chorus décidément très evansienne, Konitz entamant la seconde série en un contrepoint sax-batterie qui rappelle les solos à deux saxophones de l’altiste avec son co-disciple Warne Marsh, si ce n’est que le rôle du second saxophone est ici endossé par la batterie. La face B se termine par un haletant Take the Coltrane de Duke Ellington qui est l’occasion pour Shelly Manne de présenter ses complices.
Je vous raconte ça comme si j’y étais… mais j’y étais. À l’annonce du concert, j’avais chargé ceux de mes copains qui le méritaient dans ma 2cv et en route vers Saint-Quentin, où je crus bien ne jamais trouver le théâtre. Ç’aurait été dommage.
Laurent Godet qui chroniqua ce concert dans Jazz Hot avait relevé dans son compte rendu que Shelly Manne et Lee Konitz y avait encore joué Lover Man, Solar, Dearly Beloved, All Blues et Yesterdays. On devrait entendre tout ça demain. Alors, comme disait Jean-Christophe Averty : « À vos cassettes ! ». Franck Bergerot