Surprises parties pour Bernard Vitet
Même pas 20 heures (je suis toujours en avance !). Au fond d’une petite galerie commerciale, derrière une porte sombre, un double escalier qui débouche sur un bar, prélude (interlude ou postlude) à des rangées de sièges et une scène. Debout, théorisant avec le multi-souffleur Etienne Brunet sur le thème “Musique et acouphène” (cf. la plaquette brunetienne), le grand (au jugé 1,85 mètre) Jean-Louis Chautemps, élégamment hâlé, qui me rappelle avec son obsolète (depuis les dernières élections présidentielles) formule de bienvenue que “Carles a bruni”. A côté, Hélène Bass, qui n’a pas besoin de nous rappeler que son patronyme correspond à sa spécialité instrumentale : elle joue du violon basse (oui, comme l’autre grand, Didier Petit), au risque de provoquer un Drame Musical.
Pour Bernard Vitet
Paris, La Java, 16 septembre.
Dans l’ordre : Francis Gorgé (elg, voc), Dominique Meens (textes), Denis Colin (bcl, voc), Vincent Segal (cello), Geneviève Cabannes (b, voc) – Jean-Louis Chautemps (ts), Christophe Salinier (bs) – Jean-Jacques Birgé (cla, ordinateur, tp), Antonin-Tri Hoang (as), Benoît Delbecq (p, cla, tp), Vincent Segal (cello) – Norbert Aboudarham (mélodica à boutons), Luc Saint-James (p) – François Tusques (p), Isabel Juanpera (voc) – Elsa Birgé (voc), Michèle Buirette (accordéon, voc), Hervé Legeay (elg), Max Robin (g) – Michel Portal (bcl), Vincent Segal (cello) – Françoise Achard, Dominique Fonfrède (voc), Claude Parle (accordéon), Jouk Minor (sarrussophone), Hélène Bass (cello) – Sylvain Kassap (bcl), Didier Petit (cello, voc), Gérard Siracusa (dm, voc) – Etienne Brunet, Jean-Brice Godet (bcl) – Jac Berrocal (tp), Gilbert Artman (dm, électro).
Qui eût dit – sans doute pas le héros prétexte de cet événement parisien – qu’une foule (à l’aune de cette Java située entre les stations de métro Belleville et Goncourt) aussi gaiement hétérogène emplirait plus que l’espace prévu ? Compte tenu des inexorables et sélectives amnésies du “bon peuple” (même celui qu’on dit ou croit jazzophile), on pouvait craindre que le public se limite à des retrouvailles (certes émues et émouvantes) sous la rubrique “rencontres du troisième âge”, l’artiste célébré ce soir-là étant entré dans sa quatre-vingtième année et n’ayant jamais été cité dans le moindre “hit parade”. (Le moins étonnant n’est pas l’absence quasi totale de photographes professionnels, en dépit des rencontres programmées, rares, de styles et de générations…)
Au chapitre “generations gap” : la discrétion omniprésente et précise du juvénile pluri-anchiste Antonin Tri Hoang (bientôt démobilisé de l’ONJ d’Yvinec) et, bon sang ne saurait mentir, l’apparente et émouvante fragilité du chant d’Elsa Birgé qui évoqua les jours où elle voudrait mourir (ou vivre) avec une perverse légèreté. Un corollaire de quelque Drame Instantané ?
Il s’appelait Bernard Vitet (même s’il devait, depuis certaines cruautés scolaires, traîner le surnom “Babar”, pourtant vite devenu désuet, parmi ses plus proches confrères) et, comme le souligna en intro son ami Jean-Jacques Birgé, n’a pas “disparu” : quelque quatre heures de bruits et silences infiniment contrastés d’une élégante et intelligente concision (synonyme : densité) allaient offrir à la mémoire de cet homme, connu (ou non !) pour ses inventions phonogènes et ses silences souvent teintés d’ironie, un miroir d’une luxuriante fidélité. Quant à la moyenne d’âge des spectateurs, elle déjoua d’emblée les premières craintes : si les vétérans (et donc ses contemporains) ne manquèrent pas à l’appel, non seulement ils ne furent pas, au fil des interventions, les moins turbulents et créatifs, mais dans la salle, au bar et sur scène, les juniors firent montre d’une réjouissante et respectueuse réactivité.
“Babar” le pertinent impertinent taiseux, donc, se serait tu ? Réécoutez “Le K”, souvenez-vous des bruits et mots qu’il peaufinait, et profitez des voix inattendues de Siracusa le percussionniste, entre comptine et scat onomatopéique, des hurlements de Didier Petit prolongeant les stries de ses cordes, des voix exquises, diaphanes ou rugueuses, et puis, délicieusement-malicieusement (adverbe inhérent à leur artisanat vocal) dispersé en diverses phases du programme, le charme irrésistible du trio Pied de Poule (Michèle Buirette, Dominique Fonfrède, Geneviève Cabannes) dont les très divers éclats n’étaient pas sans évoquer, pour les presque hypermnésiques, les lueurs toujours vives d’étoiles éteintes, celles-ci pouvant être contemplées comme de gais satellites du DMI.
Au “fil”, oui, car le déroulement de la soirée ressembla fort à un chapelet baroque de perles et d’objets sonores de petite durée : performance inattendue à la lecture du “programme” assez virtuel pour intégrer les moindres surprises. Comme me disait une vieille amie, « l’imprévu est la seule certitude », et ici et ce soir-là plus que jamais.
En ouverture, en forme de méditatif prélude, une Gnossienne (dont le dessin m’était à ce point familier que, sans l’aide de Daniel Soutif, je la confondis avec je ne sais quel “standard” !) amoureusement distillée-distendue par la guitare de Francis Gorgé et la clarinette basse de Denis Colin, tandis qu’à la façon d’une tresse, plusieurs textes de l’Audomarois autoproclamé “diplômé de nulle part” Dominique Meens allaient à la fois épicer et velouter la mixture.
Faisceau d’exquis paradoxes, que ne manqua pas d’évoquer le rougeoyant (grâce à une sacrée tenue de scène !) maître de cérémonie Birgé : l’instrument majoritaire du programme ne fut pas la trompette mais la clarinette basse, magnifiquement représentée par Denis Colin, Sylvain Kassap, le duo Etienne Brunet/Jean-Brice Godet et, autre contemporain de Vitet, Michel Portal dont l’explosive perfection fit merveille, en compagnie du violoncelliste Vincent Segal – et tant pis si, pour nombre de benjamins enthousiastes, une telle association ne pouvait évoquer celle du souffleur avec le très oublié Léon Francioli à Châteauvallon en 1972 (No no but it may be). Qu’importe : le disque et les photos sont toujours accessibles, qui témoignent de ce moment où Portal et Vitet animaient un historique Unit.
Du coup, on pouvait en une muette parenthèse s’interroger sur nombre d’absences : Tamia, Pierre Favre, François Jeanneau, Daniel Humair, Aldo Romano, et tant d’autres qui croisèrent les aventures et galères de notre irrésistible anti-héros.
Mais la trompette alors (d’autant que toutes les biographies et discographies la placent en tête de la panoplie instrumentale de “Babar”) ? Elégamment et subtilement allusive entre les mains et sous les lèvres de Benoît Delbecq et Jean-Jacques Birgé, elle ne devait s’impose
r qu’à la façon d’une déchirante signature grâce à Jac Berrocal, manière d’un pénultième et superstitieux (comme dans la tradition mexicaine) hommage, juste avant l’ultime minute de silence proposée par le rouge Birgé, seule offrande possible à la mémoire du multi-instrumentiste qui venait de réunir, autour d’une trentaine (voir ci-dessus) de ses admirateurs, condisciples, collègues, zélotes, un troupeau d’invités à cette inespérée “Surprise-partie avec Bernard Vitet” (titre d’un disque microsillon dans lequel celui-ci, déjà, avait remplacé la trompette par un trombone à pistons) bienheureusement ressuscitée par Birgé et, entre autres complices, Gérard Terronès et l’hospitalière Java.
Coda – Brièveté de quelques longs hululements de trompette berrocalienne fusant du côté jardin de la scène, comme habitée d’une pénombre quasi désertique, répondant telle a distant trumpet aux ponctuations bruitistes de Gilbert Artman, ou le fantôme et le rêve d’une trompette désormais virtuelle pour pallier un vide.
Salut Bernard (Vite et fort, pour reprendre le jeu de mots du “doyen” de la nuit Jean-Louis Chautemps, qui – comme pour ironiser sur l’absence de musiciens étatsuniens – présenta son duo avec un parodique accent amerloque et joua « sans préservatif », c’est-à-dire sans micro).
Philippe Carles
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Même pas 20 heures (je suis toujours en avance !). Au fond d’une petite galerie commerciale, derrière une porte sombre, un double escalier qui débouche sur un bar, prélude (interlude ou postlude) à des rangées de sièges et une scène. Debout, théorisant avec le multi-souffleur Etienne Brunet sur le thème “Musique et acouphène” (cf. la plaquette brunetienne), le grand (au jugé 1,85 mètre) Jean-Louis Chautemps, élégamment hâlé, qui me rappelle avec son obsolète (depuis les dernières élections présidentielles) formule de bienvenue que “Carles a bruni”. A côté, Hélène Bass, qui n’a pas besoin de nous rappeler que son patronyme correspond à sa spécialité instrumentale : elle joue du violon basse (oui, comme l’autre grand, Didier Petit), au risque de provoquer un Drame Musical.
Pour Bernard Vitet
Paris, La Java, 16 septembre.
Dans l’ordre : Francis Gorgé (elg, voc), Dominique Meens (textes), Denis Colin (bcl, voc), Vincent Segal (cello), Geneviève Cabannes (b, voc) – Jean-Louis Chautemps (ts), Christophe Salinier (bs) – Jean-Jacques Birgé (cla, ordinateur, tp), Antonin-Tri Hoang (as), Benoît Delbecq (p, cla, tp), Vincent Segal (cello) – Norbert Aboudarham (mélodica à boutons), Luc Saint-James (p) – François Tusques (p), Isabel Juanpera (voc) – Elsa Birgé (voc), Michèle Buirette (accordéon, voc), Hervé Legeay (elg), Max Robin (g) – Michel Portal (bcl), Vincent Segal (cello) – Françoise Achard, Dominique Fonfrède (voc), Claude Parle (accordéon), Jouk Minor (sarrussophone), Hélène Bass (cello) – Sylvain Kassap (bcl), Didier Petit (cello, voc), Gérard Siracusa (dm, voc) – Etienne Brunet, Jean-Brice Godet (bcl) – Jac Berrocal (tp), Gilbert Artman (dm, électro).
Qui eût dit – sans doute pas le héros prétexte de cet événement parisien – qu’une foule (à l’aune de cette Java située entre les stations de métro Belleville et Goncourt) aussi gaiement hétérogène emplirait plus que l’espace prévu ? Compte tenu des inexorables et sélectives amnésies du “bon peuple” (même celui qu’on dit ou croit jazzophile), on pouvait craindre que le public se limite à des retrouvailles (certes émues et émouvantes) sous la rubrique “rencontres du troisième âge”, l’artiste célébré ce soir-là étant entré dans sa quatre-vingtième année et n’ayant jamais été cité dans le moindre “hit parade”. (Le moins étonnant n’est pas l’absence quasi totale de photographes professionnels, en dépit des rencontres programmées, rares, de styles et de générations…)
Au chapitre “generations gap” : la discrétion omniprésente et précise du juvénile pluri-anchiste Antonin Tri Hoang (bientôt démobilisé de l’ONJ d’Yvinec) et, bon sang ne saurait mentir, l’apparente et émouvante fragilité du chant d’Elsa Birgé qui évoqua les jours où elle voudrait mourir (ou vivre) avec une perverse légèreté. Un corollaire de quelque Drame Instantané ?
Il s’appelait Bernard Vitet (même s’il devait, depuis certaines cruautés scolaires, traîner le surnom “Babar”, pourtant vite devenu désuet, parmi ses plus proches confrères) et, comme le souligna en intro son ami Jean-Jacques Birgé, n’a pas “disparu” : quelque quatre heures de bruits et silences infiniment contrastés d’une élégante et intelligente concision (synonyme : densité) allaient offrir à la mémoire de cet homme, connu (ou non !) pour ses inventions phonogènes et ses silences souvent teintés d’ironie, un miroir d’une luxuriante fidélité. Quant à la moyenne d’âge des spectateurs, elle déjoua d’emblée les premières craintes : si les vétérans (et donc ses contemporains) ne manquèrent pas à l’appel, non seulement ils ne furent pas, au fil des interventions, les moins turbulents et créatifs, mais dans la salle, au bar et sur scène, les juniors firent montre d’une réjouissante et respectueuse réactivité.
“Babar” le pertinent impertinent taiseux, donc, se serait tu ? Réécoutez “Le K”, souvenez-vous des bruits et mots qu’il peaufinait, et profitez des voix inattendues de Siracusa le percussionniste, entre comptine et scat onomatopéique, des hurlements de Didier Petit prolongeant les stries de ses cordes, des voix exquises, diaphanes ou rugueuses, et puis, délicieusement-malicieusement (adverbe inhérent à leur artisanat vocal) dispersé en diverses phases du programme, le charme irrésistible du trio Pied de Poule (Michèle Buirette, Dominique Fonfrède, Geneviève Cabannes) dont les très divers éclats n’étaient pas sans évoquer, pour les presque hypermnésiques, les lueurs toujours vives d’étoiles éteintes, celles-ci pouvant être contemplées comme de gais satellites du DMI.
Au “fil”, oui, car le déroulement de la soirée ressembla fort à un chapelet baroque de perles et d’objets sonores de petite durée : performance inattendue à la lecture du “programme” assez virtuel pour intégrer les moindres surprises. Comme me disait une vieille amie, « l’imprévu est la seule certitude », et ici et ce soir-là plus que jamais.
En ouverture, en forme de méditatif prélude, une Gnossienne (dont le dessin m’était à ce point familier que, sans l’aide de Daniel Soutif, je la confondis avec je ne sais quel “standard” !) amoureusement distillée-distendue par la guitare de Francis Gorgé et la clarinette basse de Denis Colin, tandis qu’à la façon d’une tresse, plusieurs textes de l’Audomarois autoproclamé “diplômé de nulle part” Dominique Meens allaient à la fois épicer et velouter la mixture.
Faisceau d’exquis paradoxes, que ne manqua pas d’évoquer le rougeoyant (grâce à une sacrée tenue de scène !) maître de cérémonie Birgé : l’instrument majoritaire du programme ne fut pas la trompette mais la clarinette basse, magnifiquement représentée par Denis Colin, Sylvain Kassap, le duo Etienne Brunet/Jean-Brice Godet et, autre contemporain de Vitet, Michel Portal dont l’explosive perfection fit merveille, en compagnie du violoncelliste Vincent Segal – et tant pis si, pour nombre de benjamins enthousiastes, une telle association ne pouvait évoquer celle du souffleur avec le très oublié Léon Francioli à Châteauvallon en 1972 (No no but it may be). Qu’importe : le disque et les photos sont toujours accessibles, qui témoignent de ce moment où Portal et Vitet animaient un historique Unit.
Du coup, on pouvait en une muette parenthèse s’interroger sur nombre d’absences : Tamia, Pierre Favre, François Jeanneau, Daniel Humair, Aldo Romano, et tant d’autres qui croisèrent les aventures et galères de notre irrésistible anti-héros.
Mais la trompette alors (d’autant que toutes les biographies et discographies la placent en tête de la panoplie instrumentale de “Babar”) ? Elégamment et subtilement allusive entre les mains et sous les lèvres de Benoît Delbecq et Jean-Jacques Birgé, elle ne devait s’impose
r qu’à la façon d’une déchirante signature grâce à Jac Berrocal, manière d’un pénultième et superstitieux (comme dans la tradition mexicaine) hommage, juste avant l’ultime minute de silence proposée par le rouge Birgé, seule offrande possible à la mémoire du multi-instrumentiste qui venait de réunir, autour d’une trentaine (voir ci-dessus) de ses admirateurs, condisciples, collègues, zélotes, un troupeau d’invités à cette inespérée “Surprise-partie avec Bernard Vitet” (titre d’un disque microsillon dans lequel celui-ci, déjà, avait remplacé la trompette par un trombone à pistons) bienheureusement ressuscitée par Birgé et, entre autres complices, Gérard Terronès et l’hospitalière Java.
Coda – Brièveté de quelques longs hululements de trompette berrocalienne fusant du côté jardin de la scène, comme habitée d’une pénombre quasi désertique, répondant telle a distant trumpet aux ponctuations bruitistes de Gilbert Artman, ou le fantôme et le rêve d’une trompette désormais virtuelle pour pallier un vide.
Salut Bernard (Vite et fort, pour reprendre le jeu de mots du “doyen” de la nuit Jean-Louis Chautemps, qui – comme pour ironiser sur l’absence de musiciens étatsuniens – présenta son duo avec un parodique accent amerloque et joua « sans préservatif », c’est-à-dire sans micro).
Philippe Carles
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Même pas 20 heures (je suis toujours en avance !). Au fond d’une petite galerie commerciale, derrière une porte sombre, un double escalier qui débouche sur un bar, prélude (interlude ou postlude) à des rangées de sièges et une scène. Debout, théorisant avec le multi-souffleur Etienne Brunet sur le thème “Musique et acouphène” (cf. la plaquette brunetienne), le grand (au jugé 1,85 mètre) Jean-Louis Chautemps, élégamment hâlé, qui me rappelle avec son obsolète (depuis les dernières élections présidentielles) formule de bienvenue que “Carles a bruni”. A côté, Hélène Bass, qui n’a pas besoin de nous rappeler que son patronyme correspond à sa spécialité instrumentale : elle joue du violon basse (oui, comme l’autre grand, Didier Petit), au risque de provoquer un Drame Musical.
Pour Bernard Vitet
Paris, La Java, 16 septembre.
Dans l’ordre : Francis Gorgé (elg, voc), Dominique Meens (textes), Denis Colin (bcl, voc), Vincent Segal (cello), Geneviève Cabannes (b, voc) – Jean-Louis Chautemps (ts), Christophe Salinier (bs) – Jean-Jacques Birgé (cla, ordinateur, tp), Antonin-Tri Hoang (as), Benoît Delbecq (p, cla, tp), Vincent Segal (cello) – Norbert Aboudarham (mélodica à boutons), Luc Saint-James (p) – François Tusques (p), Isabel Juanpera (voc) – Elsa Birgé (voc), Michèle Buirette (accordéon, voc), Hervé Legeay (elg), Max Robin (g) – Michel Portal (bcl), Vincent Segal (cello) – Françoise Achard, Dominique Fonfrède (voc), Claude Parle (accordéon), Jouk Minor (sarrussophone), Hélène Bass (cello) – Sylvain Kassap (bcl), Didier Petit (cello, voc), Gérard Siracusa (dm, voc) – Etienne Brunet, Jean-Brice Godet (bcl) – Jac Berrocal (tp), Gilbert Artman (dm, électro).
Qui eût dit – sans doute pas le héros prétexte de cet événement parisien – qu’une foule (à l’aune de cette Java située entre les stations de métro Belleville et Goncourt) aussi gaiement hétérogène emplirait plus que l’espace prévu ? Compte tenu des inexorables et sélectives amnésies du “bon peuple” (même celui qu’on dit ou croit jazzophile), on pouvait craindre que le public se limite à des retrouvailles (certes émues et émouvantes) sous la rubrique “rencontres du troisième âge”, l’artiste célébré ce soir-là étant entré dans sa quatre-vingtième année et n’ayant jamais été cité dans le moindre “hit parade”. (Le moins étonnant n’est pas l’absence quasi totale de photographes professionnels, en dépit des rencontres programmées, rares, de styles et de générations…)
Au chapitre “generations gap” : la discrétion omniprésente et précise du juvénile pluri-anchiste Antonin Tri Hoang (bientôt démobilisé de l’ONJ d’Yvinec) et, bon sang ne saurait mentir, l’apparente et émouvante fragilité du chant d’Elsa Birgé qui évoqua les jours où elle voudrait mourir (ou vivre) avec une perverse légèreté. Un corollaire de quelque Drame Instantané ?
Il s’appelait Bernard Vitet (même s’il devait, depuis certaines cruautés scolaires, traîner le surnom “Babar”, pourtant vite devenu désuet, parmi ses plus proches confrères) et, comme le souligna en intro son ami Jean-Jacques Birgé, n’a pas “disparu” : quelque quatre heures de bruits et silences infiniment contrastés d’une élégante et intelligente concision (synonyme : densité) allaient offrir à la mémoire de cet homme, connu (ou non !) pour ses inventions phonogènes et ses silences souvent teintés d’ironie, un miroir d’une luxuriante fidélité. Quant à la moyenne d’âge des spectateurs, elle déjoua d’emblée les premières craintes : si les vétérans (et donc ses contemporains) ne manquèrent pas à l’appel, non seulement ils ne furent pas, au fil des interventions, les moins turbulents et créatifs, mais dans la salle, au bar et sur scène, les juniors firent montre d’une réjouissante et respectueuse réactivité.
“Babar” le pertinent impertinent taiseux, donc, se serait tu ? Réécoutez “Le K”, souvenez-vous des bruits et mots qu’il peaufinait, et profitez des voix inattendues de Siracusa le percussionniste, entre comptine et scat onomatopéique, des hurlements de Didier Petit prolongeant les stries de ses cordes, des voix exquises, diaphanes ou rugueuses, et puis, délicieusement-malicieusement (adverbe inhérent à leur artisanat vocal) dispersé en diverses phases du programme, le charme irrésistible du trio Pied de Poule (Michèle Buirette, Dominique Fonfrède, Geneviève Cabannes) dont les très divers éclats n’étaient pas sans évoquer, pour les presque hypermnésiques, les lueurs toujours vives d’étoiles éteintes, celles-ci pouvant être contemplées comme de gais satellites du DMI.
Au “fil”, oui, car le déroulement de la soirée ressembla fort à un chapelet baroque de perles et d’objets sonores de petite durée : performance inattendue à la lecture du “programme” assez virtuel pour intégrer les moindres surprises. Comme me disait une vieille amie, « l’imprévu est la seule certitude », et ici et ce soir-là plus que jamais.
En ouverture, en forme de méditatif prélude, une Gnossienne (dont le dessin m’était à ce point familier que, sans l’aide de Daniel Soutif, je la confondis avec je ne sais quel “standard” !) amoureusement distillée-distendue par la guitare de Francis Gorgé et la clarinette basse de Denis Colin, tandis qu’à la façon d’une tresse, plusieurs textes de l’Audomarois autoproclamé “diplômé de nulle part” Dominique Meens allaient à la fois épicer et velouter la mixture.
Faisceau d’exquis paradoxes, que ne manqua pas d’évoquer le rougeoyant (grâce à une sacrée tenue de scène !) maître de cérémonie Birgé : l’instrument majoritaire du programme ne fut pas la trompette mais la clarinette basse, magnifiquement représentée par Denis Colin, Sylvain Kassap, le duo Etienne Brunet/Jean-Brice Godet et, autre contemporain de Vitet, Michel Portal dont l’explosive perfection fit merveille, en compagnie du violoncelliste Vincent Segal – et tant pis si, pour nombre de benjamins enthousiastes, une telle association ne pouvait évoquer celle du souffleur avec le très oublié Léon Francioli à Châteauvallon en 1972 (No no but it may be). Qu’importe : le disque et les photos sont toujours accessibles, qui témoignent de ce moment où Portal et Vitet animaient un historique Unit.
Du coup, on pouvait en une muette parenthèse s’interroger sur nombre d’absences : Tamia, Pierre Favre, François Jeanneau, Daniel Humair, Aldo Romano, et tant d’autres qui croisèrent les aventures et galères de notre irrésistible anti-héros.
Mais la trompette alors (d’autant que toutes les biographies et discographies la placent en tête de la panoplie instrumentale de “Babar”) ? Elégamment et subtilement allusive entre les mains et sous les lèvres de Benoît Delbecq et Jean-Jacques Birgé, elle ne devait s’impose
r qu’à la façon d’une déchirante signature grâce à Jac Berrocal, manière d’un pénultième et superstitieux (comme dans la tradition mexicaine) hommage, juste avant l’ultime minute de silence proposée par le rouge Birgé, seule offrande possible à la mémoire du multi-instrumentiste qui venait de réunir, autour d’une trentaine (voir ci-dessus) de ses admirateurs, condisciples, collègues, zélotes, un troupeau d’invités à cette inespérée “Surprise-partie avec Bernard Vitet” (titre d’un disque microsillon dans lequel celui-ci, déjà, avait remplacé la trompette par un trombone à pistons) bienheureusement ressuscitée par Birgé et, entre autres complices, Gérard Terronès et l’hospitalière Java.
Coda – Brièveté de quelques longs hululements de trompette berrocalienne fusant du côté jardin de la scène, comme habitée d’une pénombre quasi désertique, répondant telle a distant trumpet aux ponctuations bruitistes de Gilbert Artman, ou le fantôme et le rêve d’une trompette désormais virtuelle pour pallier un vide.
Salut Bernard (Vite et fort, pour reprendre le jeu de mots du “doyen” de la nuit Jean-Louis Chautemps, qui – comme pour ironiser sur l’absence de musiciens étatsuniens – présenta son duo avec un parodique accent amerloque et joua « sans préservatif », c’est-à-dire sans micro).
Philippe Carles
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Même pas 20 heures (je suis toujours en avance !). Au fond d’une petite galerie commerciale, derrière une porte sombre, un double escalier qui débouche sur un bar, prélude (interlude ou postlude) à des rangées de sièges et une scène. Debout, théorisant avec le multi-souffleur Etienne Brunet sur le thème “Musique et acouphène” (cf. la plaquette brunetienne), le grand (au jugé 1,85 mètre) Jean-Louis Chautemps, élégamment hâlé, qui me rappelle avec son obsolète (depuis les dernières élections présidentielles) formule de bienvenue que “Carles a bruni”. A côté, Hélène Bass, qui n’a pas besoin de nous rappeler que son patronyme correspond à sa spécialité instrumentale : elle joue du violon basse (oui, comme l’autre grand, Didier Petit), au risque de provoquer un Drame Musical.
Pour Bernard Vitet
Paris, La Java, 16 septembre.
Dans l’ordre : Francis Gorgé (elg, voc), Dominique Meens (textes), Denis Colin (bcl, voc), Vincent Segal (cello), Geneviève Cabannes (b, voc) – Jean-Louis Chautemps (ts), Christophe Salinier (bs) – Jean-Jacques Birgé (cla, ordinateur, tp), Antonin-Tri Hoang (as), Benoît Delbecq (p, cla, tp), Vincent Segal (cello) – Norbert Aboudarham (mélodica à boutons), Luc Saint-James (p) – François Tusques (p), Isabel Juanpera (voc) – Elsa Birgé (voc), Michèle Buirette (accordéon, voc), Hervé Legeay (elg), Max Robin (g) – Michel Portal (bcl), Vincent Segal (cello) – Françoise Achard, Dominique Fonfrède (voc), Claude Parle (accordéon), Jouk Minor (sarrussophone), Hélène Bass (cello) – Sylvain Kassap (bcl), Didier Petit (cello, voc), Gérard Siracusa (dm, voc) – Etienne Brunet, Jean-Brice Godet (bcl) – Jac Berrocal (tp), Gilbert Artman (dm, électro).
Qui eût dit – sans doute pas le héros prétexte de cet événement parisien – qu’une foule (à l’aune de cette Java située entre les stations de métro Belleville et Goncourt) aussi gaiement hétérogène emplirait plus que l’espace prévu ? Compte tenu des inexorables et sélectives amnésies du “bon peuple” (même celui qu’on dit ou croit jazzophile), on pouvait craindre que le public se limite à des retrouvailles (certes émues et émouvantes) sous la rubrique “rencontres du troisième âge”, l’artiste célébré ce soir-là étant entré dans sa quatre-vingtième année et n’ayant jamais été cité dans le moindre “hit parade”. (Le moins étonnant n’est pas l’absence quasi totale de photographes professionnels, en dépit des rencontres programmées, rares, de styles et de générations…)
Au chapitre “generations gap” : la discrétion omniprésente et précise du juvénile pluri-anchiste Antonin Tri Hoang (bientôt démobilisé de l’ONJ d’Yvinec) et, bon sang ne saurait mentir, l’apparente et émouvante fragilité du chant d’Elsa Birgé qui évoqua les jours où elle voudrait mourir (ou vivre) avec une perverse légèreté. Un corollaire de quelque Drame Instantané ?
Il s’appelait Bernard Vitet (même s’il devait, depuis certaines cruautés scolaires, traîner le surnom “Babar”, pourtant vite devenu désuet, parmi ses plus proches confrères) et, comme le souligna en intro son ami Jean-Jacques Birgé, n’a pas “disparu” : quelque quatre heures de bruits et silences infiniment contrastés d’une élégante et intelligente concision (synonyme : densité) allaient offrir à la mémoire de cet homme, connu (ou non !) pour ses inventions phonogènes et ses silences souvent teintés d’ironie, un miroir d’une luxuriante fidélité. Quant à la moyenne d’âge des spectateurs, elle déjoua d’emblée les premières craintes : si les vétérans (et donc ses contemporains) ne manquèrent pas à l’appel, non seulement ils ne furent pas, au fil des interventions, les moins turbulents et créatifs, mais dans la salle, au bar et sur scène, les juniors firent montre d’une réjouissante et respectueuse réactivité.
“Babar” le pertinent impertinent taiseux, donc, se serait tu ? Réécoutez “Le K”, souvenez-vous des bruits et mots qu’il peaufinait, et profitez des voix inattendues de Siracusa le percussionniste, entre comptine et scat onomatopéique, des hurlements de Didier Petit prolongeant les stries de ses cordes, des voix exquises, diaphanes ou rugueuses, et puis, délicieusement-malicieusement (adverbe inhérent à leur artisanat vocal) dispersé en diverses phases du programme, le charme irrésistible du trio Pied de Poule (Michèle Buirette, Dominique Fonfrède, Geneviève Cabannes) dont les très divers éclats n’étaient pas sans évoquer, pour les presque hypermnésiques, les lueurs toujours vives d’étoiles éteintes, celles-ci pouvant être contemplées comme de gais satellites du DMI.
Au “fil”, oui, car le déroulement de la soirée ressembla fort à un chapelet baroque de perles et d’objets sonores de petite durée : performance inattendue à la lecture du “programme” assez virtuel pour intégrer les moindres surprises. Comme me disait une vieille amie, « l’imprévu est la seule certitude », et ici et ce soir-là plus que jamais.
En ouverture, en forme de méditatif prélude, une Gnossienne (dont le dessin m’était à ce point familier que, sans l’aide de Daniel Soutif, je la confondis avec je ne sais quel “standard” !) amoureusement distillée-distendue par la guitare de Francis Gorgé et la clarinette basse de Denis Colin, tandis qu’à la façon d’une tresse, plusieurs textes de l’Audomarois autoproclamé “diplômé de nulle part” Dominique Meens allaient à la fois épicer et velouter la mixture.
Faisceau d’exquis paradoxes, que ne manqua pas d’évoquer le rougeoyant (grâce à une sacrée tenue de scène !) maître de cérémonie Birgé : l’instrument majoritaire du programme ne fut pas la trompette mais la clarinette basse, magnifiquement représentée par Denis Colin, Sylvain Kassap, le duo Etienne Brunet/Jean-Brice Godet et, autre contemporain de Vitet, Michel Portal dont l’explosive perfection fit merveille, en compagnie du violoncelliste Vincent Segal – et tant pis si, pour nombre de benjamins enthousiastes, une telle association ne pouvait évoquer celle du souffleur avec le très oublié Léon Francioli à Châteauvallon en 1972 (No no but it may be). Qu’importe : le disque et les photos sont toujours accessibles, qui témoignent de ce moment où Portal et Vitet animaient un historique Unit.
Du coup, on pouvait en une muette parenthèse s’interroger sur nombre d’absences : Tamia, Pierre Favre, François Jeanneau, Daniel Humair, Aldo Romano, et tant d’autres qui croisèrent les aventures et galères de notre irrésistible anti-héros.
Mais la trompette alors (d’autant que toutes les biographies et discographies la placent en tête de la panoplie instrumentale de “Babar”) ? Elégamment et subtilement allusive entre les mains et sous les lèvres de Benoît Delbecq et Jean-Jacques Birgé, elle ne devait s’impose
r qu’à la façon d’une déchirante signature grâce à Jac Berrocal, manière d’un pénultième et superstitieux (comme dans la tradition mexicaine) hommage, juste avant l’ultime minute de silence proposée par le rouge Birgé, seule offrande possible à la mémoire du multi-instrumentiste qui venait de réunir, autour d’une trentaine (voir ci-dessus) de ses admirateurs, condisciples, collègues, zélotes, un troupeau d’invités à cette inespérée “Surprise-partie avec Bernard Vitet” (titre d’un disque microsillon dans lequel celui-ci, déjà, avait remplacé la trompette par un trombone à pistons) bienheureusement ressuscitée par Birgé et, entre autres complices, Gérard Terronès et l’hospitalière Java.
Coda – Brièveté de quelques longs hululements de trompette berrocalienne fusant du côté jardin de la scène, comme habitée d’une pénombre quasi désertique, répondant telle a distant trumpet aux ponctuations bruitistes de Gilbert Artman, ou le fantôme et le rêve d’une trompette désormais virtuelle pour pallier un vide.
Salut Bernard (Vite et fort, pour reprendre le jeu de mots du “doyen” de la nuit Jean-Louis Chautemps, qui – comme pour ironiser sur l’absence de musiciens étatsuniens – présenta son duo avec un parodique accent amerloque et joua « sans préservatif », c’est-à-dire sans micro).
Philippe Carles