Sylvain Cathala, Pierre Durand, Aloïs Benoît et Franck Vaillant ou l’espèce de divination
Hier, je me suis régalé au Triton du quartette de Sylvain Cathala, Pierre Durand, Aloïs Benoît et Franck Vaillant. Mais vu l’amphigourisme de mon compte rendu, peut-être mieux vaut-il mieux se rendre directement sur le site du Triton où le film du concert peut être visionné.
Dans les transports en communs qui me ramenaient hier soir du Triton vers ma banlieue, je terminais hier la lecture de l’étude consacrée par Henri Guillemin à Claudel et son art d’écriture – et tant pis si ce nom de Paul Claudel suscite en ce XIXème siècle regards incrédules, consternés, désapprobateurs ou purs ricanements – je lisais ceci sous la plume de l’écrivain justifiant ses excès : « Il y a toujours deux espèces d’artistes, les inspirés et les fabricants. Les inspirés font leur œuvre plus ou moins à tâtons, par une espèce de divination qui ne les préserve pas toujours des faux pas. Les fabricants et les virtuoses plaisent au public par la sûreté mécanique de leur exécution. » Ce n’est pas ce qu’on peut lire de plus génial chez cet auteur que l’on aimera plutôt pour cet enthousiasme sonore et quasi musical qui est le moteur de son écriture, mais ça me donnait à penser ce que je venais d’entendre et son amont dans l’œuvre de Sylvain Cathala, en ce que j’en trouvais la répartie quelques pages plus loin : « Le bon sens, le discernement, la fine et forte appréciation de l’objet, la domination de soi-même, la volonté et la raison toujours présente, fût-ce au sein de l’ouragan. », toujours sous la plume de Claudel revendiquant un « état suprême de vigilance ».
Quelques beaux ouragans traversèrent hier le saxophone de Sylvain Cathala qui semblait cependant en maîtriser le cours dans cet “état suprême de vigilance”. Fabricant ? Certainement. Qui plaît au public ? Ce n’est pas son souci premier, sa visibilité sur la scène française dût-elle en souffrir. Un artisan qui, longtemps en partenariat avec son compère Stéphane Payen au sein du quartette Print, travailla patiemment la matière rythmique et harmonique qui nous fut révélée par Steve Coleman à la fin des années 1980 et dont il fallait bien faire quelque chose. Si la première citation sur “les inspirés” et “fabricants” fonctionne mal, c’est aussi que le travail de Cathala n’est pas étranger aux “tâtons” et à cette espèce de “divination”. Mais si je la retiens, c’est que cette “mécanique quantique” qu’a tirée Cathala de l’art de Steve Coleman et qui le libère tout en même temps de la force gravitationnelle stevecolemanienne, est d’une telle perfection (et il semble tellement souffrir au sortir de ses concerts d’avoir manqué à son devoir de perfection) qu’elle est justement la raison pour laquelle elle a pu tenir le public à distance – par quelque impression d’hermétisme ou de dogmatisme –, sauf lorsqu’elle s’est trouvée débordée par quelque enthousiasme sonore que l’on a pu voir s’accomplir chez lui, notamment lorsque Print s’est agrandi à un Print & Friends.
Il faut dire que mes derniers concerts de Sylvain Cathala datent (je m’étonne même de n’en trouver aucun compte rendu sous ma plume dans ces pages) et que je me réfère ici plus à un parcours que j’ai suivi de loin en loin depuis son prix de composition au Concours de la Défense en 1998. (Qu’il ait été d’abord remarqué pour sa plume, n’est pas un hasard). Ainsi n’avais-je pas pris connaissance du trio qu’il partage (pas de leader) avec Franck Vaillant (le batteur de Print) et le guitariste Pierre Durand, ni suivi aucun des concerts de sa Quarte blanche au Triton qui l’a vu présenter depuis juin 2015 le septette More Power (le trio plus Guillaume Orti, Bo Van der Werf, Benjamin Moussay et Marc Ducret) , son trio avec en invités Marc Ducret et Mathias Mahler puis Kamylia Jubran, et hier soir, dans le cadre du festival Maad’in 93, le trio Cathala-Durand-Vaillant accueillant un nouveau membre, le tubiste et tromboniste Aloïs Benoît.
Or, ce dernier trio augmenté m’a semblé non seulement réunir les qualités des inspirés et des frabricants, mais plus encore montrer combien la méticulosité et l’ingéniosité de l’artisan-laborantin Cathala étaient ce par quoi il accédait à l’inspiration, “l’état de suprême vigilance” se conjuguant à cette “espèce de divination”. Ses solos ne jaillissent pas dans cet état d’étourdissement qu’évoque le John Coltrane modal, mais s’apparentent à ce “bonhomme du dedans” dont parle Claudel (lui que l’on voit pourtant souvent s’étourdir de son écriture) et que pourraient revendiquer les hommes de Tristano, Lee Konitz et Warne Marsh, aujourd’hui Mark Turner, ce pas à pas qui n’est pas prudence, mais tâtonnement et prise de risque maximale vers un lyrisme jamais chiqué, une prise de parole dont l’intensité relève souvent de l’éloquence de l’écriture dont le geste improvisé de Cathala ne se distingue jamais totalement, le tout porté par une sonorité lumineuse… et par un complice de toujours Franck Vaillant.
Porter n’est d’ailleurs pas l’action exacte à laquelle se livre le batteur, tant son jeu, qui s’est lui aussi assoupli au fil des années, semble maillé avec le jouage global de l’orchestre sur un répertoire où chacun a apporté sa signature et posé sa patte. Celle de Pierre Durand qui fait pencher l’orchestre vers “l’espèce de divination”, est trempée du bleu noir des eaux du bayou, de l’onirisme indéchiffrable du blues et des desseins écarlates du vaudou. Dans un hommage à destinations multiples, après une introduction très “swamp”, il lance l’orchestre sur les traces de Led Zeppelin, puis de Jimi Hendrix dont son arrangement nous fait “entendre” et la guitare et le chant. Quant à Aloïs Benoît, déjà remarqué comme compositeur du tentet pAn-G, moins souvent au trombone qu’à ce petit tuba qu’est l’euphonium, il complète l’orchestre dans le registre grave sans pour autant se laisser absorber par les fonctions de basse, y apportant l’expressivité de ses embouchures tant comme voix soliste que comme complément de couleur et de matière dans un répertoire où l’écriture n’est pas prétexte à solo, l’improvisation n’étant qu’un élément de partitions gorgées de sève orchestrale et qui font frissonner. En attendant de pouvoir réentendre ce nouvel orchestre, il nous reste à revenir au Triton pour réentendre le 19 novembre Sylvain Cathala et Franck Vaillant avec Print (et donc Stéphane Payen et Jean-Philippe Morel). • Franck Bergerot|Hier, je me suis régalé au Triton du quartette de Sylvain Cathala, Pierre Durand, Aloïs Benoît et Franck Vaillant. Mais vu l’amphigourisme de mon compte rendu, peut-être mieux vaut-il mieux se rendre directement sur le site du Triton où le film du concert peut être visionné.
Dans les transports en communs qui me ramenaient hier soir du Triton vers ma banlieue, je terminais hier la lecture de l’étude consacrée par Henri Guillemin à Claudel et son art d’écriture – et tant pis si ce nom de Paul Claudel suscite en ce XIXème siècle regards incrédules, consternés, désapprobateurs ou purs ricanements – je lisais ceci sous la plume de l’écrivain justifiant ses excès : « Il y a toujours deux espèces d’artistes, les inspirés et les fabricants. Les inspirés font leur œuvre plus ou moins à tâtons, par une espèce de divination qui ne les préserve pas toujours des faux pas. Les fabricants et les virtuoses plaisent au public par la sûreté mécanique de leur exécution. » Ce n’est pas ce qu’on peut lire de plus génial chez cet auteur que l’on aimera plutôt pour cet enthousiasme sonore et quasi musical qui est le moteur de son écriture, mais ça me donnait à penser ce que je venais d’entendre et son amont dans l’œuvre de Sylvain Cathala, en ce que j’en trouvais la répartie quelques pages plus loin : « Le bon sens, le discernement, la fine et forte appréciation de l’objet, la domination de soi-même, la volonté et la raison toujours présente, fût-ce au sein de l’ouragan. », toujours sous la plume de Claudel revendiquant un « état suprême de vigilance ».
Quelques beaux ouragans traversèrent hier le saxophone de Sylvain Cathala qui semblait cependant en maîtriser le cours dans cet “état suprême de vigilance”. Fabricant ? Certainement. Qui plaît au public ? Ce n’est pas son souci premier, sa visibilité sur la scène française dût-elle en souffrir. Un artisan qui, longtemps en partenariat avec son compère Stéphane Payen au sein du quartette Print, travailla patiemment la matière rythmique et harmonique qui nous fut révélée par Steve Coleman à la fin des années 1980 et dont il fallait bien faire quelque chose. Si la première citation sur “les inspirés” et “fabricants” fonctionne mal, c’est aussi que le travail de Cathala n’est pas étranger aux “tâtons” et à cette espèce de “divination”. Mais si je la retiens, c’est que cette “mécanique quantique” qu’a tirée Cathala de l’art de Steve Coleman et qui le libère tout en même temps de la force gravitationnelle stevecolemanienne, est d’une telle perfection (et il semble tellement souffrir au sortir de ses concerts d’avoir manqué à son devoir de perfection) qu’elle est justement la raison pour laquelle elle a pu tenir le public à distance – par quelque impression d’hermétisme ou de dogmatisme –, sauf lorsqu’elle s’est trouvée débordée par quelque enthousiasme sonore que l’on a pu voir s’accomplir chez lui, notamment lorsque Print s’est agrandi à un Print & Friends.
Il faut dire que mes derniers concerts de Sylvain Cathala datent (je m’étonne même de n’en trouver aucun compte rendu sous ma plume dans ces pages) et que je me réfère ici plus à un parcours que j’ai suivi de loin en loin depuis son prix de composition au Concours de la Défense en 1998. (Qu’il ait été d’abord remarqué pour sa plume, n’est pas un hasard). Ainsi n’avais-je pas pris connaissance du trio qu’il partage (pas de leader) avec Franck Vaillant (le batteur de Print) et le guitariste Pierre Durand, ni suivi aucun des concerts de sa Quarte blanche au Triton qui l’a vu présenter depuis juin 2015 le septette More Power (le trio plus Guillaume Orti, Bo Van der Werf, Benjamin Moussay et Marc Ducret) , son trio avec en invités Marc Ducret et Mathias Mahler puis Kamylia Jubran, et hier soir, dans le cadre du festival Maad’in 93, le trio Cathala-Durand-Vaillant accueillant un nouveau membre, le tubiste et tromboniste Aloïs Benoît.
Or, ce dernier trio augmenté m’a semblé non seulement réunir les qualités des inspirés et des frabricants, mais plus encore montrer combien la méticulosité et l’ingéniosité de l’artisan-laborantin Cathala étaient ce par quoi il accédait à l’inspiration, “l’état de suprême vigilance” se conjuguant à cette “espèce de divination”. Ses solos ne jaillissent pas dans cet état d’étourdissement qu’évoque le John Coltrane modal, mais s’apparentent à ce “bonhomme du dedans” dont parle Claudel (lui que l’on voit pourtant souvent s’étourdir de son écriture) et que pourraient revendiquer les hommes de Tristano, Lee Konitz et Warne Marsh, aujourd’hui Mark Turner, ce pas à pas qui n’est pas prudence, mais tâtonnement et prise de risque maximale vers un lyrisme jamais chiqué, une prise de parole dont l’intensité relève souvent de l’éloquence de l’écriture dont le geste improvisé de Cathala ne se distingue jamais totalement, le tout porté par une sonorité lumineuse… et par un complice de toujours Franck Vaillant.
Porter n’est d’ailleurs pas l’action exacte à laquelle se livre le batteur, tant son jeu, qui s’est lui aussi assoupli au fil des années, semble maillé avec le jouage global de l’orchestre sur un répertoire où chacun a apporté sa signature et posé sa patte. Celle de Pierre Durand qui fait pencher l’orchestre vers “l’espèce de divination”, est trempée du bleu noir des eaux du bayou, de l’onirisme indéchiffrable du blues et des desseins écarlates du vaudou. Dans un hommage à destinations multiples, après une introduction très “swamp”, il lance l’orchestre sur les traces de Led Zeppelin, puis de Jimi Hendrix dont son arrangement nous fait “entendre” et la guitare et le chant. Quant à Aloïs Benoît, déjà remarqué comme compositeur du tentet pAn-G, moins souvent au trombone qu’à ce petit tuba qu’est l’euphonium, il complète l’orchestre dans le registre grave sans pour autant se laisser absorber par les fonctions de basse, y apportant l’expressivité de ses embouchures tant comme voix soliste que comme complément de couleur et de matière dans un répertoire où l’écriture n’est pas prétexte à solo, l’improvisation n’étant qu’un élément de partitions gorgées de sève orchestrale et qui font frissonner. En attendant de pouvoir réentendre ce nouvel orchestre, il nous reste à revenir au Triton pour réentendre le 19 novembre Sylvain Cathala et Franck Vaillant avec Print (et donc Stéphane Payen et Jean-Philippe Morel). • Franck Bergerot|Hier, je me suis régalé au Triton du quartette de Sylvain Cathala, Pierre Durand, Aloïs Benoît et Franck Vaillant. Mais vu l’amphigourisme de mon compte rendu, peut-être mieux vaut-il mieux se rendre directement sur le site du Triton où le film du concert peut être visionné.
Dans les transports en communs qui me ramenaient hier soir du Triton vers ma banlieue, je terminais hier la lecture de l’étude consacrée par Henri Guillemin à Claudel et son art d’écriture – et tant pis si ce nom de Paul Claudel suscite en ce XIXème siècle regards incrédules, consternés, désapprobateurs ou purs ricanements – je lisais ceci sous la plume de l’écrivain justifiant ses excès : « Il y a toujours deux espèces d’artistes, les inspirés et les fabricants. Les inspirés font leur œuvre plus ou moins à tâtons, par une espèce de divination qui ne les préserve pas toujours des faux pas. Les fabricants et les virtuoses plaisent au public par la sûreté mécanique de leur exécution. » Ce n’est pas ce qu’on peut lire de plus génial chez cet auteur que l’on aimera plutôt pour cet enthousiasme sonore et quasi musical qui est le moteur de son écriture, mais ça me donnait à penser ce que je venais d’entendre et son amont dans l’œuvre de Sylvain Cathala, en ce que j’en trouvais la répartie quelques pages plus loin : « Le bon sens, le discernement, la fine et forte appréciation de l’objet, la domination de soi-même, la volonté et la raison toujours présente, fût-ce au sein de l’ouragan. », toujours sous la plume de Claudel revendiquant un « état suprême de vigilance ».
Quelques beaux ouragans traversèrent hier le saxophone de Sylvain Cathala qui semblait cependant en maîtriser le cours dans cet “état suprême de vigilance”. Fabricant ? Certainement. Qui plaît au public ? Ce n’est pas son souci premier, sa visibilité sur la scène française dût-elle en souffrir. Un artisan qui, longtemps en partenariat avec son compère Stéphane Payen au sein du quartette Print, travailla patiemment la matière rythmique et harmonique qui nous fut révélée par Steve Coleman à la fin des années 1980 et dont il fallait bien faire quelque chose. Si la première citation sur “les inspirés” et “fabricants” fonctionne mal, c’est aussi que le travail de Cathala n’est pas étranger aux “tâtons” et à cette espèce de “divination”. Mais si je la retiens, c’est que cette “mécanique quantique” qu’a tirée Cathala de l’art de Steve Coleman et qui le libère tout en même temps de la force gravitationnelle stevecolemanienne, est d’une telle perfection (et il semble tellement souffrir au sortir de ses concerts d’avoir manqué à son devoir de perfection) qu’elle est justement la raison pour laquelle elle a pu tenir le public à distance – par quelque impression d’hermétisme ou de dogmatisme –, sauf lorsqu’elle s’est trouvée débordée par quelque enthousiasme sonore que l’on a pu voir s’accomplir chez lui, notamment lorsque Print s’est agrandi à un Print & Friends.
Il faut dire que mes derniers concerts de Sylvain Cathala datent (je m’étonne même de n’en trouver aucun compte rendu sous ma plume dans ces pages) et que je me réfère ici plus à un parcours que j’ai suivi de loin en loin depuis son prix de composition au Concours de la Défense en 1998. (Qu’il ait été d’abord remarqué pour sa plume, n’est pas un hasard). Ainsi n’avais-je pas pris connaissance du trio qu’il partage (pas de leader) avec Franck Vaillant (le batteur de Print) et le guitariste Pierre Durand, ni suivi aucun des concerts de sa Quarte blanche au Triton qui l’a vu présenter depuis juin 2015 le septette More Power (le trio plus Guillaume Orti, Bo Van der Werf, Benjamin Moussay et Marc Ducret) , son trio avec en invités Marc Ducret et Mathias Mahler puis Kamylia Jubran, et hier soir, dans le cadre du festival Maad’in 93, le trio Cathala-Durand-Vaillant accueillant un nouveau membre, le tubiste et tromboniste Aloïs Benoît.
Or, ce dernier trio augmenté m’a semblé non seulement réunir les qualités des inspirés et des frabricants, mais plus encore montrer combien la méticulosité et l’ingéniosité de l’artisan-laborantin Cathala étaient ce par quoi il accédait à l’inspiration, “l’état de suprême vigilance” se conjuguant à cette “espèce de divination”. Ses solos ne jaillissent pas dans cet état d’étourdissement qu’évoque le John Coltrane modal, mais s’apparentent à ce “bonhomme du dedans” dont parle Claudel (lui que l’on voit pourtant souvent s’étourdir de son écriture) et que pourraient revendiquer les hommes de Tristano, Lee Konitz et Warne Marsh, aujourd’hui Mark Turner, ce pas à pas qui n’est pas prudence, mais tâtonnement et prise de risque maximale vers un lyrisme jamais chiqué, une prise de parole dont l’intensité relève souvent de l’éloquence de l’écriture dont le geste improvisé de Cathala ne se distingue jamais totalement, le tout porté par une sonorité lumineuse… et par un complice de toujours Franck Vaillant.
Porter n’est d’ailleurs pas l’action exacte à laquelle se livre le batteur, tant son jeu, qui s’est lui aussi assoupli au fil des années, semble maillé avec le jouage global de l’orchestre sur un répertoire où chacun a apporté sa signature et posé sa patte. Celle de Pierre Durand qui fait pencher l’orchestre vers “l’espèce de divination”, est trempée du bleu noir des eaux du bayou, de l’onirisme indéchiffrable du blues et des desseins écarlates du vaudou. Dans un hommage à destinations multiples, après une introduction très “swamp”, il lance l’orchestre sur les traces de Led Zeppelin, puis de Jimi Hendrix dont son arrangement nous fait “entendre” et la guitare et le chant. Quant à Aloïs Benoît, déjà remarqué comme compositeur du tentet pAn-G, moins souvent au trombone qu’à ce petit tuba qu’est l’euphonium, il complète l’orchestre dans le registre grave sans pour autant se laisser absorber par les fonctions de basse, y apportant l’expressivité de ses embouchures tant comme voix soliste que comme complément de couleur et de matière dans un répertoire où l’écriture n’est pas prétexte à solo, l’improvisation n’étant qu’un élément de partitions gorgées de sève orchestrale et qui font frissonner. En attendant de pouvoir réentendre ce nouvel orchestre, il nous reste à revenir au Triton pour réentendre le 19 novembre Sylvain Cathala et Franck Vaillant avec Print (et donc Stéphane Payen et Jean-Philippe Morel). • Franck Bergerot|Hier, je me suis régalé au Triton du quartette de Sylvain Cathala, Pierre Durand, Aloïs Benoît et Franck Vaillant. Mais vu l’amphigourisme de mon compte rendu, peut-être mieux vaut-il mieux se rendre directement sur le site du Triton où le film du concert peut être visionné.
Dans les transports en communs qui me ramenaient hier soir du Triton vers ma banlieue, je terminais hier la lecture de l’étude consacrée par Henri Guillemin à Claudel et son art d’écriture – et tant pis si ce nom de Paul Claudel suscite en ce XIXème siècle regards incrédules, consternés, désapprobateurs ou purs ricanements – je lisais ceci sous la plume de l’écrivain justifiant ses excès : « Il y a toujours deux espèces d’artistes, les inspirés et les fabricants. Les inspirés font leur œuvre plus ou moins à tâtons, par une espèce de divination qui ne les préserve pas toujours des faux pas. Les fabricants et les virtuoses plaisent au public par la sûreté mécanique de leur exécution. » Ce n’est pas ce qu’on peut lire de plus génial chez cet auteur que l’on aimera plutôt pour cet enthousiasme sonore et quasi musical qui est le moteur de son écriture, mais ça me donnait à penser ce que je venais d’entendre et son amont dans l’œuvre de Sylvain Cathala, en ce que j’en trouvais la répartie quelques pages plus loin : « Le bon sens, le discernement, la fine et forte appréciation de l’objet, la domination de soi-même, la volonté et la raison toujours présente, fût-ce au sein de l’ouragan. », toujours sous la plume de Claudel revendiquant un « état suprême de vigilance ».
Quelques beaux ouragans traversèrent hier le saxophone de Sylvain Cathala qui semblait cependant en maîtriser le cours dans cet “état suprême de vigilance”. Fabricant ? Certainement. Qui plaît au public ? Ce n’est pas son souci premier, sa visibilité sur la scène française dût-elle en souffrir. Un artisan qui, longtemps en partenariat avec son compère Stéphane Payen au sein du quartette Print, travailla patiemment la matière rythmique et harmonique qui nous fut révélée par Steve Coleman à la fin des années 1980 et dont il fallait bien faire quelque chose. Si la première citation sur “les inspirés” et “fabricants” fonctionne mal, c’est aussi que le travail de Cathala n’est pas étranger aux “tâtons” et à cette espèce de “divination”. Mais si je la retiens, c’est que cette “mécanique quantique” qu’a tirée Cathala de l’art de Steve Coleman et qui le libère tout en même temps de la force gravitationnelle stevecolemanienne, est d’une telle perfection (et il semble tellement souffrir au sortir de ses concerts d’avoir manqué à son devoir de perfection) qu’elle est justement la raison pour laquelle elle a pu tenir le public à distance – par quelque impression d’hermétisme ou de dogmatisme –, sauf lorsqu’elle s’est trouvée débordée par quelque enthousiasme sonore que l’on a pu voir s’accomplir chez lui, notamment lorsque Print s’est agrandi à un Print & Friends.
Il faut dire que mes derniers concerts de Sylvain Cathala datent (je m’étonne même de n’en trouver aucun compte rendu sous ma plume dans ces pages) et que je me réfère ici plus à un parcours que j’ai suivi de loin en loin depuis son prix de composition au Concours de la Défense en 1998. (Qu’il ait été d’abord remarqué pour sa plume, n’est pas un hasard). Ainsi n’avais-je pas pris connaissance du trio qu’il partage (pas de leader) avec Franck Vaillant (le batteur de Print) et le guitariste Pierre Durand, ni suivi aucun des concerts de sa Quarte blanche au Triton qui l’a vu présenter depuis juin 2015 le septette More Power (le trio plus Guillaume Orti, Bo Van der Werf, Benjamin Moussay et Marc Ducret) , son trio avec en invités Marc Ducret et Mathias Mahler puis Kamylia Jubran, et hier soir, dans le cadre du festival Maad’in 93, le trio Cathala-Durand-Vaillant accueillant un nouveau membre, le tubiste et tromboniste Aloïs Benoît.
Or, ce dernier trio augmenté m’a semblé non seulement réunir les qualités des inspirés et des frabricants, mais plus encore montrer combien la méticulosité et l’ingéniosité de l’artisan-laborantin Cathala étaient ce par quoi il accédait à l’inspiration, “l’état de suprême vigilance” se conjuguant à cette “espèce de divination”. Ses solos ne jaillissent pas dans cet état d’étourdissement qu’évoque le John Coltrane modal, mais s’apparentent à ce “bonhomme du dedans” dont parle Claudel (lui que l’on voit pourtant souvent s’étourdir de son écriture) et que pourraient revendiquer les hommes de Tristano, Lee Konitz et Warne Marsh, aujourd’hui Mark Turner, ce pas à pas qui n’est pas prudence, mais tâtonnement et prise de risque maximale vers un lyrisme jamais chiqué, une prise de parole dont l’intensité relève souvent de l’éloquence de l’écriture dont le geste improvisé de Cathala ne se distingue jamais totalement, le tout porté par une sonorité lumineuse… et par un complice de toujours Franck Vaillant.
Porter n’est d’ailleurs pas l’action exacte à laquelle se livre le batteur, tant son jeu, qui s’est lui aussi assoupli au fil des années, semble maillé avec le jouage global de l’orchestre sur un répertoire où chacun a apporté sa signature et posé sa patte. Celle de Pierre Durand qui fait pencher l’orchestre vers “l’espèce de divination”, est trempée du bleu noir des eaux du bayou, de l’onirisme indéchiffrable du blues et des desseins écarlates du vaudou. Dans un hommage à destinations multiples, après une introduction très “swamp”, il lance l’orchestre sur les traces de Led Zeppelin, puis de Jimi Hendrix dont son arrangement nous fait “entendre” et la guitare et le chant. Quant à Aloïs Benoît, déjà remarqué comme compositeur du tentet pAn-G, moins souvent au trombone qu’à ce petit tuba qu’est l’euphonium, il complète l’orchestre dans le registre grave sans pour autant se laisser absorber par les fonctions de basse, y apportant l’expressivité de ses embouchures tant comme voix soliste que comme complément de couleur et de matière dans un répertoire où l’écriture n’est pas prétexte à solo, l’improvisation n’étant qu’un élément de partitions gorgées de sève orchestrale et qui font frissonner. En attendant de pouvoir réentendre ce nouvel orchestre, il nous reste à revenir au Triton pour réentendre le 19 novembre Sylvain Cathala et Franck Vaillant avec Print (et donc Stéphane Payen et Jean-Philippe Morel). • Franck Bergerot