Sylvain Cathala, Stéphane Payen et leurs complices au Triton
Hier, 13 janvier 2002, le Workshop de Stéphane Payen et le septette de Sylvain Cathala partageaient l’affiche du Studio de l’Ermitage.
C’était au siècle dernier, au mitan des années 1990. On les vit l’un et l’autre, les saxophonistes Stéphane Payen et Sylvain Cathala, s’associer pour creuser les mêmes terrains ouverts à l’exploration par Steve Coleman et sa bande une décennie plus tôt. Les y avaient précédé Benoît Delbecq, Guillaume Orti et quelques autres et tout ce petit monde touillait les idées musicales au sein des collectifs Mercoledi & Co et Hask. Une nébuleuse qui eut ses ramifications en Belgique avec Octurn. Stéphane Payen, c’était Thôt avec Gilles Coronado (guitare), Hubert Dupond (contrebasse) et Christophe Lavergne (batterie), qui avait sa version « agrandie ». Sylvain Cathala, c’était Print avec Stéphane Payen, Jean-Philippe Morel (contrebasse) et Frank Vaillant (batterie), qui avait sa version « & Friends »… et je m’y perds sûrement un peu, Morel ayant notamment été remplacé par Jean-Luc Lehr à la basse électrique au sein de Print. Un quart de siècle durant, ils n’ont pas chômé, fouillant obstinément le terrain de leur chantier initial mais en l’élargissant inlassablement. Et hier, ils étaient là, se succédant sur la même scène, partageant l’affiche du Studio de l’Ermitage, avec leur vieille complicité, leurs préoccupations communes et leurs différences, chacun son groupe.
Première partie, Payen et son Workshop fondé en 2011 avec Olivier Laisney (trompette), Guillaume Ruelland (basse électrique) et Vincent Sauve (batterie), plus l’invité belge de la galaxie, le baryton Bo Van der Werf. « On va commencer par une vieillerie, on aime bien recycler. » Comme cette rythmique a grandi depuis les premiers “ateliers” ! Assouplie, élégante, sur ces vertigineux engrenages métriques lointainement hérités de Steve Coleman. La suite, plus récente, ne relève pas moins du recyclage, m’avoue Stéphane Payen à l’issue du concert, tout son matériel actuel faisant l’objet d’un permanent réemploi, où j’aurais normalement dû retrouver des idées développées dans le projet James Baldwin en transit présenté en version trio instrumental il y a un an et dont on retrouvera l’effectif avec voix le 8 février à la Dynamo de Banlieues bleues à Pantin. Recyclage d’éléments écrits qui semblent avoir pris la clé des champs, pour circuler librement, improviser eux même leurs interprètes (si cette phrase a quelque sens… elle évoque en tout cas le paradoxe ici cultivé), interprètes qui surgissent, se glissent et s’effacent en homophonie, en alternance, en polyphonie, en légers empilements aux instabilités solides, sur d’obscures partitions millimétrées, Payen vérifiant les tempos sur son téléphone mobile en fonction métronome avant de lancer chaque morceau de cette improbable musique de chambre.
« Le Septet More Power, nous avertit Sylvain Cathala dans sa note de programme, est mon terrain d’expérimentation privilégié pour de nouvelles compositions en grande formation. Dans le répertoire Watershed, je m’amuse avec les harmonies, leurs systèmes et leurs perceptions émotionnelles. Vous reprendrez bien un peu de lyrisme ? » Le lyrisme est plus évident, la trame moins serrée quoique fermement prescrite, on passe du papier millimétré au cahier petits carreaux. Avec plus d’espace où laisser filer les grooves et l’impro, mais cette idée commune de développer les partitions , ramifier les rôles, de façon à contourner les vieux procédés exposé-impro-exposé. La rythmique est forte de vieilles complicités sans lesquelles la répétition de la veille au Triton n’aurait pas suffi à cet orchestre si rarement programmé : Christophe Lavergne (batterie), Sarah Murcia (contrebasse), Benjamin Mousssay (piano électrique Rhodes) – tiens, la rythmique du précédent quartette de Louis Sclavis –, plus Gilles Coronado (guitare) en va et vient, avec un côté Steve Cropper, entre les fonctions rythmiques et la section de “cuivres”. Côté cuivres (qui sont plutôt anches, donc bois) : Guillaume Orti (alto), Cathala (ténor) et Bo Van der Werf (baryton) également solidaires tant les voix sont appelées à se réorganiser constamment entre elles de manière assez jubilatoire. À l’issue du concert, entre déception d’avoir loupé des choses qui tournaient si bien la veille à la répèt et souvenirs de moments de pur bonheur qu’a connu la soirée, on sent là une vraie communauté musicale dans la hâte de se retrouver bientôt sur scène autour de ce répertoire. Et moi, j’en ai oublié de sortir mon Instamatic pour la photo réglementaire de ces comptes rendus en ligne. Franck Bergerot