Sylvaine Hélary et l’Orchestre incandescent
Hier au Théâtre de Vanves, veillée d’armes devant un public privilégié pour le nouvel orchestre de la flûtiste Sylvaine Hélary en un filage du programme “Rare Birds” qu’elle créera ce soir 4 février au même endroit.
Présentons d’abord le personnel, dans l’ordre des matériaux, du bois au métal, de la lutherie ancienne à l’électro-acoustique de l’ère du rock : Maëlle Desbrosses (violon alto, viole d’amour), Chloé Lucas (violone – comprenez l’ancêtre de la contrebasse, ténor de viole), Sylvaine Hélary (flûte), Élodie Pasquier (clarinettes), Christiane Bopp (trombone, saqueboute), Lynn Cassiers (voix, électronique), Guillaume Magne (guitares acoustique et électrique, voix), Antonin Rayon (piano, Rhodes, Clavinet, Moog), Jim Hart (batterie), Anaëlle Marsolier (sonorisation), l’électronique et les cordes vocales de Lynn Cassiers fermant la boucle en une sphère orchestrale parfaitement compacte.
Ça commence par le ténor de viole de Chloé Lucas, à mi-chemin entre alto et violoncelle, que son improvisation d’ouverture emmène sur un autre entre-deux, de l’univers baroque aux violes de la Méditerranée orientale. L’archet de Maëlle Desbrosses inaugurant le déploiement orchestral d’abord discret jusqu’au tutti, et jusqu’à l’apparition de la voix, en un ensemble homogène et fluide, où les sonorités se fondent sans couture visible, des chatoiements de la flûte à l’élégante âpreté de la saqueboute, ancêtre du trombone, où l’électronique se mêle à l’acoustique sans rupture, où le soliste maraude, plus qu’il ne se pavane, entre les lignes de la partition, la voix s’y glissant comme entre deux eaux jusqu’à cette espèce de litanie nocturne chantée par tous les pupitres mais qui paraît provenir de sous les voutes de quelque crypte romane. L’incandescence de cet “Orchestre incandescent” évoque tout à la fois les états très progressifs du métal en forge, avec parfois de rares surgissements improvisés (je songe à un soudain embrasement de la clarinette basse et de la flûte sur des braises orchestrales rougeoyantes).
La physique recourt à la notion de couleur pour décrire l’incandescence des objets, de la luminance du corps noir à la fusion à blanc, en passant par toutes les nuances du rougeoiement. L’orchestre incandescent joue ainsi de la nuance sur un registre esthétique qui évoque l’héritage de l’École de Canterburry, que Sylvaine Hélary ne renie pas pour avoir été nourrie dans sa famille de la musique de Robert Wyatt et ses proches. Dans ses notes d’intention, elle parle « des sonorités veloutées de la pop anglaise (qui pour moi débute chez Purcell) » et de « grooves et polyrythmies pris en charge par tous les membres de l’orchestre, les timbres des instruments baroques répondant à des textures électroniques ». Le moment le plus pop, le plus “chanson” m’ayant évoqué l’univers de David Byrne (à la grande surprise de Sylvaine Hélary), plus tard, c’est à l’auteure-compositrice PJ Harvey qu’il est fait appel, sur des paroles confiées à Guillaume Magne qui passe de l’électrique à la vieille guitare acoustique à cordes métal pour endosser un rôle du folk singer qui lui est des plus naturels.
Le reste des textes est emprunté à Emily Dickinson, poétesse qui a souvent supplanté les Oscar Hammerstein et autres Lorenz Hart sur les scènes récentes du jazz (Susanne Abbuehl, Jeanne Added, Claudia Solal, Jane Ira Bloom et… Christiane Bopp). Lynn Cassiers est chez elle sur ces poèmes de l’indicible et de l’incandescence contrôlée, mais il conviendrait de préciser sa place dans le mix orchestral, un placement qui se doit probablement d’être dynamique en fonction des situations orchestrales et poétiques, avec une réflexion sur ce qui doit être simplement perçu, entendu, compris, voire projeté en sous-titre. Ce n’était hier qu’un premier filage devant un public d’une demi-douzaine de privilégiés à l’issue de deux résidences au Théâtre de Vanves où – ce soir 4 février à 20h – l’Orchestre Incandescent se présentera au public du même théâtre (10 minutes à pied de la station Corentin-Celton, ligne 12) à l’issue de deux semaines de résidence sur place, en septembre dernier et ce mois de janvier. D’autres concerts attendus le 14 mars à La Scène nationale de Besançon et le 20 mai au Petit Faucheux de Tours. D’autres dates encore attendues pour la saison prochaine. Franck Bergerot