Têtes de Jazz, quatrième: un final Jazz Migration Schwab Soro, Un poco loco
Une soirée parfaite pour clore la semaine palpitante et rafraîchissante de la quatrième édition de Têtes de Jazz. A l’époque du farniente, la cité papale connaît une frénésie culturelle avec le prestigieux festival de théâtre « in » et un » off « qui présente près de 1500 spectacle, de la danse. On entend aussi de la musique, du jazz même, depuis 2013, avec la vitrine d’exposition de ce qui se fait aujourd’hui, à l’Ajmi, la scène de jazz bien connue, dans le carré de la Manutention, du cinéma Utopia, derrière le palais des papes, loin des hordes festivalières de la rue de la République et de la place de l’horloge, pourtant proches.
Au programme, deux des groupes lauréats du dispositif Jazz Migration des festivals du réseau AJC, que j’ai entendus sur disque uniquement : le duo contrebasse/saxophone alto Schwab et Soro (deux membres actifs de l’excitant Ping Machine du guitariste Fred Maurin, terrain de base de rencontres et projets) et le trio Un Poco Loco qui fait partie de l’ONJ Jazz Fabric. D’inévitables points communs justifient leur programmation conjointe dans ce final intense et proprement enthousiasmant : voilà des musiciens jeunes, qui n’hésitent pas à remonter le temps, à puiser dans la source abreuvante des standards, à vivre l’esprit du jazz, sans en oublier la grammaire. Un échantillon épatant actuel, un jazz vif qui ne perd pas ses repères…
Le premier duo déplie un projet personnel, une approche sensible qui combine les tessitures du saxophone alto et de la contrebasse ( cf Steve Coleman/ Dave Holland) où le contrebassiste joue plusieurs voix, quand on entend harmonie et contrepoint à partir de la ligne de basse.
Le duo, intemporel dans la dégaine ( ils collent bien au graphisme dessiné par Quentin Schwab, le frère du contrebassiste ( www.quentinschwab.com).
Le saxophoniste a quelque chose du Poulbot, c’est le bouillant Julien Soro.
Ils attaquent, contrairement à l’ouverture de leur premier disque, sorti sur le label Neuklang, par un classique de Fats Waller, cette « Jitterbug Waltz » ( jitterbug= amateur de swing, et entre autre sens, danse acrobatique des années 30 ) et si vous ne tournez pas sur place….il faut vraiment vous soigner. Après cette mise en jambe, ils enchaînent des compositions du contrebassiste, un barbu malicieux à la mèche protectrice, des petites pièces jamais trop faciles, d’une écriture bien dessinée, aux arêtes vives , aux titres improbables qui révèlent une poésie pas seulement potache, mais spirituelle avec du « nonsense » : « Carré », « Jeroma », ils annoncent un « Mambo » qui pourrait être une rumba sauf que cela n’est rien de tout cela, un épatant « Marche vers l’avant » tout en finesse, en « approches » . Cette composition est emblématique, marquant un art consommé de tracer son chemin seul, tout en marchant avec l’autre. Solitaire et pourtant solidaire.
Visuellement, le spectacle accroche l’oeil : le contrebassiste s’agrippe à sa basse à mains nues (pas de trucs, d’effets, de coups d’archet, de slap): arcbouté sur elle, quand il ne vacille pas sur l’axe, chavirant de chaleur, avec un formidable contrapposto
(spécial clin d’œil pour les photographes). Si la basse semble tanguer, alors que dire du saxophoniste qui ne tient pas en place, sautille, chaloupe, danse, grogne, ahane parfois mais beaucoup plus rarement que Keith Jarrett. Et je songe à cette façon de ne pas cacher ses efforts, voire ses émotions. Souvent provocateur, un peu rebelle, il revendique une énergie à vif, une intensité rageuse, et un lyrisme qui se veut sans compromis. Et pourtant il peut passer d’une sonorité râpeuse, sale ( tradition des « honkers », crachant, poussant des figures rythmiques répétées) à de très douces inflexions, bruissant de nuances veloutées. Cette couleur émotionnelle permet au duo de jouer décomplexé du Charlie Parker « Au privave », et le chant mélodique reste vainqueur.Ils proposent aussi des extraits de leur opus à venir « Volons » que nous vous encourageons à écouter .
Après une pause, place au trio d’improvisateurs Un poco Loco qui reprend dans ce programme (la première partie du moins ) le répertoire du jazz des années cinquante, « la redécouverte de ces airs passés qui ont fait en leur temps la folie du jazz » de Bud Powell (d’où le titre du groupe, de l’album) à Kenny Dorham, sans oublier Dizzy Gillespie ( « A Night in Tunisia » ). Ou comment retravailler un standard, en le déconstruisant, avec une autre instrumentation, sans piano ni trompette. On reconnaît les thèmes, cisaillés par fragments, démontés et réassemblés finement avec des arrangements vifs aux cassure abruptes pour ne pas perdre l’élan de la partition initiale.
Tout en demeurant imperturbables, ils paient respect à la mélodie (« exotiques » compositions d’ Afro Cuban de ce cher K.D ( disque Blue Note de 1955 ) comme l’enivrant « Minor’s Holiday »). Le démarrage vous met immédiatement au coeur du rythme, sur un tempo enlevé : ça éructe, vrombit, « groane », « moane » pour le saxophoniste et clarinettiste Geoffroy Gesser. Fidel Fourneyron trombonise à mort, coulissant avec sérieux, le contrebassiste Sébastien Beliah grince, frotte, râcle avec l’archet. Cette musique visiblement les inspire et ils aiment à croiser les époques, remontant le temps en imprimant à leur musique une belle résonance.
Une partie plus longue est réservée au futur album du trio, dédié à la comédie musicale d’ Arthur Laurents, Steven Sondheim et Leonard Bernstein, West Side Story. Prolongement logique souligne le tromboniste, après le bop, avec un ouvrage de la fin des années cinquante, sorti d’abord à Broadway en 1957 avant de devenir le film incontournable aux dix oscars de 1961 ( Jerome Robbins et Robert Wise ). C’est avec un plaisir extrême que je m’abandonne à ces thèmes qui ont exalté mon adolescence, plutôt décalée ( pendant qu’ Hendrix en trio enflammait la scène pop rock), revus et corrigés, avec le dynamisme, la force tranquille et pourtant très appuyée, la gamme de nuances d’un orchestre ….alors qu’ils ne sont que 3, eux aussi . Ils enchaînent après le « Prologue » immédiatement identifiable, toute une série de pièces courtes, chères à mon oreille, très reconnaissables comme « Something ‘s coming », un « I feel pretty » par effluves, « I like to be in America » un peu neutre, le « mambo » des danses symphoniques où je m’ attendrai presque à voir se dresser le jeune orchestre vénézuélien de Gustavo Dudamel pour finir en beauté avec le sidérant, glaçant de violence contenue «Cool ».
Il faut être très fort pour s’emparer d’une telle partition et en faire quelque chose qui ait une sonorité qui n’appartienne qu’au groupe : faire revenir ce passé qui devient brutalement présent. Ce « work in progress », chantier permanent, il ne faudra(it) pas l’ achever, tant il est périlleux d’assumer et d’ assurer les variations tout en conservant une certaine pérennité. Conjuguer sur scène hier et maintenant. Chacun transforme, traduit , c’est à dire trahit, dans son langage, sans pouvoir la fuir, une musique devenue « patrimoniale ». On les sent tendus dans un échange fructueux, « alone together » , si je peux me permettre…
En tous les cas, je savoure cette fin de partie. C’est fini, toute la vaillante équipe de l’Ajmi, sur le pont sans relâche pendant cette semaine intense, va pouvoir souffler….et penser sans doute aux prochains émois à nous proposer….en 2017 !
Sophie Chambon|Une soirée parfaite pour clore la semaine palpitante et rafraîchissante de la quatrième édition de Têtes de Jazz. A l’époque du farniente, la cité papale connaît une frénésie culturelle avec le prestigieux festival de théâtre « in » et un » off « qui présente près de 1500 spectacle, de la danse. On entend aussi de la musique, du jazz même, depuis 2013, avec la vitrine d’exposition de ce qui se fait aujourd’hui, à l’Ajmi, la scène de jazz bien connue, dans le carré de la Manutention, du cinéma Utopia, derrière le palais des papes, loin des hordes festivalières de la rue de la République et de la place de l’horloge, pourtant proches.
Au programme, deux des groupes lauréats du dispositif Jazz Migration des festivals du réseau AJC, que j’ai entendus sur disque uniquement : le duo contrebasse/saxophone alto Schwab et Soro (deux membres actifs de l’excitant Ping Machine du guitariste Fred Maurin, terrain de base de rencontres et projets) et le trio Un Poco Loco qui fait partie de l’ONJ Jazz Fabric. D’inévitables points communs justifient leur programmation conjointe dans ce final intense et proprement enthousiasmant : voilà des musiciens jeunes, qui n’hésitent pas à remonter le temps, à puiser dans la source abreuvante des standards, à vivre l’esprit du jazz, sans en oublier la grammaire. Un échantillon épatant actuel, un jazz vif qui ne perd pas ses repères…
Le premier duo déplie un projet personnel, une approche sensible qui combine les tessitures du saxophone alto et de la contrebasse ( cf Steve Coleman/ Dave Holland) où le contrebassiste joue plusieurs voix, quand on entend harmonie et contrepoint à partir de la ligne de basse.
Le duo, intemporel dans la dégaine ( ils collent bien au graphisme dessiné par Quentin Schwab, le frère du contrebassiste ( www.quentinschwab.com).
Le saxophoniste a quelque chose du Poulbot, c’est le bouillant Julien Soro.
Ils attaquent, contrairement à l’ouverture de leur premier disque, sorti sur le label Neuklang, par un classique de Fats Waller, cette « Jitterbug Waltz » ( jitterbug= amateur de swing, et entre autre sens, danse acrobatique des années 30 ) et si vous ne tournez pas sur place….il faut vraiment vous soigner. Après cette mise en jambe, ils enchaînent des compositions du contrebassiste, un barbu malicieux à la mèche protectrice, des petites pièces jamais trop faciles, d’une écriture bien dessinée, aux arêtes vives , aux titres improbables qui révèlent une poésie pas seulement potache, mais spirituelle avec du « nonsense » : « Carré », « Jeroma », ils annoncent un « Mambo » qui pourrait être une rumba sauf que cela n’est rien de tout cela, un épatant « Marche vers l’avant » tout en finesse, en « approches » . Cette composition est emblématique, marquant un art consommé de tracer son chemin seul, tout en marchant avec l’autre. Solitaire et pourtant solidaire.
Visuellement, le spectacle accroche l’oeil : le contrebassiste s’agrippe à sa basse à mains nues (pas de trucs, d’effets, de coups d’archet, de slap): arcbouté sur elle, quand il ne vacille pas sur l’axe, chavirant de chaleur, avec un formidable contrapposto
(spécial clin d’œil pour les photographes). Si la basse semble tanguer, alors que dire du saxophoniste qui ne tient pas en place, sautille, chaloupe, danse, grogne, ahane parfois mais beaucoup plus rarement que Keith Jarrett. Et je songe à cette façon de ne pas cacher ses efforts, voire ses émotions. Souvent provocateur, un peu rebelle, il revendique une énergie à vif, une intensité rageuse, et un lyrisme qui se veut sans compromis. Et pourtant il peut passer d’une sonorité râpeuse, sale ( tradition des « honkers », crachant, poussant des figures rythmiques répétées) à de très douces inflexions, bruissant de nuances veloutées. Cette couleur émotionnelle permet au duo de jouer décomplexé du Charlie Parker « Au privave », et le chant mélodique reste vainqueur.Ils proposent aussi des extraits de leur opus à venir « Volons » que nous vous encourageons à écouter .
Après une pause, place au trio d’improvisateurs Un poco Loco qui reprend dans ce programme (la première partie du moins ) le répertoire du jazz des années cinquante, « la redécouverte de ces airs passés qui ont fait en leur temps la folie du jazz » de Bud Powell (d’où le titre du groupe, de l’album) à Kenny Dorham, sans oublier Dizzy Gillespie ( « A Night in Tunisia » ). Ou comment retravailler un standard, en le déconstruisant, avec une autre instrumentation, sans piano ni trompette. On reconnaît les thèmes, cisaillés par fragments, démontés et réassemblés finement avec des arrangements vifs aux cassure abruptes pour ne pas perdre l’élan de la partition initiale.
Tout en demeurant imperturbables, ils paient respect à la mélodie (« exotiques » compositions d’ Afro Cuban de ce cher K.D ( disque Blue Note de 1955 ) comme l’enivrant « Minor’s Holiday »). Le démarrage vous met immédiatement au coeur du rythme, sur un tempo enlevé : ça éructe, vrombit, « groane », « moane » pour le saxophoniste et clarinettiste Geoffroy Gesser. Fidel Fourneyron trombonise à mort, coulissant avec sérieux, le contrebassiste Sébastien Beliah grince, frotte, râcle avec l’archet. Cette musique visiblement les inspire et ils aiment à croiser les époques, remontant le temps en imprimant à leur musique une belle résonance.
Une partie plus longue est réservée au futur album du trio, dédié à la comédie musicale d’ Arthur Laurents, Steven Sondheim et Leonard Bernstein, West Side Story. Prolongement logique souligne le tromboniste, après le bop, avec un ouvrage de la fin des années cinquante, sorti d’abord à Broadway en 1957 avant de devenir le film incontournable aux dix oscars de 1961 ( Jerome Robbins et Robert Wise ). C’est avec un plaisir extrême que je m’abandonne à ces thèmes qui ont exalté mon adolescence, plutôt décalée ( pendant qu’ Hendrix en trio enflammait la scène pop rock), revus et corrigés, avec le dynamisme, la force tranquille et pourtant très appuyée, la gamme de nuances d’un orchestre ….alors qu’ils ne sont que 3, eux aussi . Ils enchaînent après le « Prologue » immédiatement identifiable, toute une série de pièces courtes, chères à mon oreille, très reconnaissables comme « Something ‘s coming », un « I feel pretty » par effluves, « I like to be in America » un peu neutre, le « mambo » des danses symphoniques où je m’ attendrai presque à voir se dresser le jeune orchestre vénézuélien de Gustavo Dudamel pour finir en beauté avec le sidérant, glaçant de violence contenue «Cool ».
Il faut être très fort pour s’emparer d’une telle partition et en faire quelque chose qui ait une sonorité qui n’appartienne qu’au groupe : faire revenir ce passé qui devient brutalement présent. Ce « work in progress », chantier permanent, il ne faudra(it) pas l’ achever, tant il est périlleux d’assumer et d’ assurer les variations tout en conservant une certaine pérennité. Conjuguer sur scène hier et maintenant. Chacun transforme, traduit , c’est à dire trahit, dans son langage, sans pouvoir la fuir, une musique devenue « patrimoniale ». On les sent tendus dans un échange fructueux, « alone together » , si je peux me permettre…
En tous les cas, je savoure cette fin de partie. C’est fini, toute la vaillante équipe de l’Ajmi, sur le pont sans relâche pendant cette semaine intense, va pouvoir souffler….et penser sans doute aux prochains émois à nous proposer….en 2017 !
Sophie Chambon|Une soirée parfaite pour clore la semaine palpitante et rafraîchissante de la quatrième édition de Têtes de Jazz. A l’époque du farniente, la cité papale connaît une frénésie culturelle avec le prestigieux festival de théâtre « in » et un » off « qui présente près de 1500 spectacle, de la danse. On entend aussi de la musique, du jazz même, depuis 2013, avec la vitrine d’exposition de ce qui se fait aujourd’hui, à l’Ajmi, la scène de jazz bien connue, dans le carré de la Manutention, du cinéma Utopia, derrière le palais des papes, loin des hordes festivalières de la rue de la République et de la place de l’horloge, pourtant proches.
Au programme, deux des groupes lauréats du dispositif Jazz Migration des festivals du réseau AJC, que j’ai entendus sur disque uniquement : le duo contrebasse/saxophone alto Schwab et Soro (deux membres actifs de l’excitant Ping Machine du guitariste Fred Maurin, terrain de base de rencontres et projets) et le trio Un Poco Loco qui fait partie de l’ONJ Jazz Fabric. D’inévitables points communs justifient leur programmation conjointe dans ce final intense et proprement enthousiasmant : voilà des musiciens jeunes, qui n’hésitent pas à remonter le temps, à puiser dans la source abreuvante des standards, à vivre l’esprit du jazz, sans en oublier la grammaire. Un échantillon épatant actuel, un jazz vif qui ne perd pas ses repères…
Le premier duo déplie un projet personnel, une approche sensible qui combine les tessitures du saxophone alto et de la contrebasse ( cf Steve Coleman/ Dave Holland) où le contrebassiste joue plusieurs voix, quand on entend harmonie et contrepoint à partir de la ligne de basse.
Le duo, intemporel dans la dégaine ( ils collent bien au graphisme dessiné par Quentin Schwab, le frère du contrebassiste ( www.quentinschwab.com).
Le saxophoniste a quelque chose du Poulbot, c’est le bouillant Julien Soro.
Ils attaquent, contrairement à l’ouverture de leur premier disque, sorti sur le label Neuklang, par un classique de Fats Waller, cette « Jitterbug Waltz » ( jitterbug= amateur de swing, et entre autre sens, danse acrobatique des années 30 ) et si vous ne tournez pas sur place….il faut vraiment vous soigner. Après cette mise en jambe, ils enchaînent des compositions du contrebassiste, un barbu malicieux à la mèche protectrice, des petites pièces jamais trop faciles, d’une écriture bien dessinée, aux arêtes vives , aux titres improbables qui révèlent une poésie pas seulement potache, mais spirituelle avec du « nonsense » : « Carré », « Jeroma », ils annoncent un « Mambo » qui pourrait être une rumba sauf que cela n’est rien de tout cela, un épatant « Marche vers l’avant » tout en finesse, en « approches » . Cette composition est emblématique, marquant un art consommé de tracer son chemin seul, tout en marchant avec l’autre. Solitaire et pourtant solidaire.
Visuellement, le spectacle accroche l’oeil : le contrebassiste s’agrippe à sa basse à mains nues (pas de trucs, d’effets, de coups d’archet, de slap): arcbouté sur elle, quand il ne vacille pas sur l’axe, chavirant de chaleur, avec un formidable contrapposto
(spécial clin d’œil pour les photographes). Si la basse semble tanguer, alors que dire du saxophoniste qui ne tient pas en place, sautille, chaloupe, danse, grogne, ahane parfois mais beaucoup plus rarement que Keith Jarrett. Et je songe à cette façon de ne pas cacher ses efforts, voire ses émotions. Souvent provocateur, un peu rebelle, il revendique une énergie à vif, une intensité rageuse, et un lyrisme qui se veut sans compromis. Et pourtant il peut passer d’une sonorité râpeuse, sale ( tradition des « honkers », crachant, poussant des figures rythmiques répétées) à de très douces inflexions, bruissant de nuances veloutées. Cette couleur émotionnelle permet au duo de jouer décomplexé du Charlie Parker « Au privave », et le chant mélodique reste vainqueur.Ils proposent aussi des extraits de leur opus à venir « Volons » que nous vous encourageons à écouter .
Après une pause, place au trio d’improvisateurs Un poco Loco qui reprend dans ce programme (la première partie du moins ) le répertoire du jazz des années cinquante, « la redécouverte de ces airs passés qui ont fait en leur temps la folie du jazz » de Bud Powell (d’où le titre du groupe, de l’album) à Kenny Dorham, sans oublier Dizzy Gillespie ( « A Night in Tunisia » ). Ou comment retravailler un standard, en le déconstruisant, avec une autre instrumentation, sans piano ni trompette. On reconnaît les thèmes, cisaillés par fragments, démontés et réassemblés finement avec des arrangements vifs aux cassure abruptes pour ne pas perdre l’élan de la partition initiale.
Tout en demeurant imperturbables, ils paient respect à la mélodie (« exotiques » compositions d’ Afro Cuban de ce cher K.D ( disque Blue Note de 1955 ) comme l’enivrant « Minor’s Holiday »). Le démarrage vous met immédiatement au coeur du rythme, sur un tempo enlevé : ça éructe, vrombit, « groane », « moane » pour le saxophoniste et clarinettiste Geoffroy Gesser. Fidel Fourneyron trombonise à mort, coulissant avec sérieux, le contrebassiste Sébastien Beliah grince, frotte, râcle avec l’archet. Cette musique visiblement les inspire et ils aiment à croiser les époques, remontant le temps en imprimant à leur musique une belle résonance.
Une partie plus longue est réservée au futur album du trio, dédié à la comédie musicale d’ Arthur Laurents, Steven Sondheim et Leonard Bernstein, West Side Story. Prolongement logique souligne le tromboniste, après le bop, avec un ouvrage de la fin des années cinquante, sorti d’abord à Broadway en 1957 avant de devenir le film incontournable aux dix oscars de 1961 ( Jerome Robbins et Robert Wise ). C’est avec un plaisir extrême que je m’abandonne à ces thèmes qui ont exalté mon adolescence, plutôt décalée ( pendant qu’ Hendrix en trio enflammait la scène pop rock), revus et corrigés, avec le dynamisme, la force tranquille et pourtant très appuyée, la gamme de nuances d’un orchestre ….alors qu’ils ne sont que 3, eux aussi . Ils enchaînent après le « Prologue » immédiatement identifiable, toute une série de pièces courtes, chères à mon oreille, très reconnaissables comme « Something ‘s coming », un « I feel pretty » par effluves, « I like to be in America » un peu neutre, le « mambo » des danses symphoniques où je m’ attendrai presque à voir se dresser le jeune orchestre vénézuélien de Gustavo Dudamel pour finir en beauté avec le sidérant, glaçant de violence contenue «Cool ».
Il faut être très fort pour s’emparer d’une telle partition et en faire quelque chose qui ait une sonorité qui n’appartienne qu’au groupe : faire revenir ce passé qui devient brutalement présent. Ce « work in progress », chantier permanent, il ne faudra(it) pas l’ achever, tant il est périlleux d’assumer et d’ assurer les variations tout en conservant une certaine pérennité. Conjuguer sur scène hier et maintenant. Chacun transforme, traduit , c’est à dire trahit, dans son langage, sans pouvoir la fuir, une musique devenue « patrimoniale ». On les sent tendus dans un échange fructueux, « alone together » , si je peux me permettre…
En tous les cas, je savoure cette fin de partie. C’est fini, toute la vaillante équipe de l’Ajmi, sur le pont sans relâche pendant cette semaine intense, va pouvoir souffler….et penser sans doute aux prochains émois à nous proposer….en 2017 !
Sophie Chambon|Une soirée parfaite pour clore la semaine palpitante et rafraîchissante de la quatrième édition de Têtes de Jazz. A l’époque du farniente, la cité papale connaît une frénésie culturelle avec le prestigieux festival de théâtre « in » et un » off « qui présente près de 1500 spectacle, de la danse. On entend aussi de la musique, du jazz même, depuis 2013, avec la vitrine d’exposition de ce qui se fait aujourd’hui, à l’Ajmi, la scène de jazz bien connue, dans le carré de la Manutention, du cinéma Utopia, derrière le palais des papes, loin des hordes festivalières de la rue de la République et de la place de l’horloge, pourtant proches.
Au programme, deux des groupes lauréats du dispositif Jazz Migration des festivals du réseau AJC, que j’ai entendus sur disque uniquement : le duo contrebasse/saxophone alto Schwab et Soro (deux membres actifs de l’excitant Ping Machine du guitariste Fred Maurin, terrain de base de rencontres et projets) et le trio Un Poco Loco qui fait partie de l’ONJ Jazz Fabric. D’inévitables points communs justifient leur programmation conjointe dans ce final intense et proprement enthousiasmant : voilà des musiciens jeunes, qui n’hésitent pas à remonter le temps, à puiser dans la source abreuvante des standards, à vivre l’esprit du jazz, sans en oublier la grammaire. Un échantillon épatant actuel, un jazz vif qui ne perd pas ses repères…
Le premier duo déplie un projet personnel, une approche sensible qui combine les tessitures du saxophone alto et de la contrebasse ( cf Steve Coleman/ Dave Holland) où le contrebassiste joue plusieurs voix, quand on entend harmonie et contrepoint à partir de la ligne de basse.
Le duo, intemporel dans la dégaine ( ils collent bien au graphisme dessiné par Quentin Schwab, le frère du contrebassiste ( www.quentinschwab.com).
Le saxophoniste a quelque chose du Poulbot, c’est le bouillant Julien Soro.
Ils attaquent, contrairement à l’ouverture de leur premier disque, sorti sur le label Neuklang, par un classique de Fats Waller, cette « Jitterbug Waltz » ( jitterbug= amateur de swing, et entre autre sens, danse acrobatique des années 30 ) et si vous ne tournez pas sur place….il faut vraiment vous soigner. Après cette mise en jambe, ils enchaînent des compositions du contrebassiste, un barbu malicieux à la mèche protectrice, des petites pièces jamais trop faciles, d’une écriture bien dessinée, aux arêtes vives , aux titres improbables qui révèlent une poésie pas seulement potache, mais spirituelle avec du « nonsense » : « Carré », « Jeroma », ils annoncent un « Mambo » qui pourrait être une rumba sauf que cela n’est rien de tout cela, un épatant « Marche vers l’avant » tout en finesse, en « approches » . Cette composition est emblématique, marquant un art consommé de tracer son chemin seul, tout en marchant avec l’autre. Solitaire et pourtant solidaire.
Visuellement, le spectacle accroche l’oeil : le contrebassiste s’agrippe à sa basse à mains nues (pas de trucs, d’effets, de coups d’archet, de slap): arcbouté sur elle, quand il ne vacille pas sur l’axe, chavirant de chaleur, avec un formidable contrapposto
(spécial clin d’œil pour les photographes). Si la basse semble tanguer, alors que dire du saxophoniste qui ne tient pas en place, sautille, chaloupe, danse, grogne, ahane parfois mais beaucoup plus rarement que Keith Jarrett. Et je songe à cette façon de ne pas cacher ses efforts, voire ses émotions. Souvent provocateur, un peu rebelle, il revendique une énergie à vif, une intensité rageuse, et un lyrisme qui se veut sans compromis. Et pourtant il peut passer d’une sonorité râpeuse, sale ( tradition des « honkers », crachant, poussant des figures rythmiques répétées) à de très douces inflexions, bruissant de nuances veloutées. Cette couleur émotionnelle permet au duo de jouer décomplexé du Charlie Parker « Au privave », et le chant mélodique reste vainqueur.Ils proposent aussi des extraits de leur opus à venir « Volons » que nous vous encourageons à écouter .
Après une pause, place au trio d’improvisateurs Un poco Loco qui reprend dans ce programme (la première partie du moins ) le répertoire du jazz des années cinquante, « la redécouverte de ces airs passés qui ont fait en leur temps la folie du jazz » de Bud Powell (d’où le titre du groupe, de l’album) à Kenny Dorham, sans oublier Dizzy Gillespie ( « A Night in Tunisia » ). Ou comment retravailler un standard, en le déconstruisant, avec une autre instrumentation, sans piano ni trompette. On reconnaît les thèmes, cisaillés par fragments, démontés et réassemblés finement avec des arrangements vifs aux cassure abruptes pour ne pas perdre l’élan de la partition initiale.
Tout en demeurant imperturbables, ils paient respect à la mélodie (« exotiques » compositions d’ Afro Cuban de ce cher K.D ( disque Blue Note de 1955 ) comme l’enivrant « Minor’s Holiday »). Le démarrage vous met immédiatement au coeur du rythme, sur un tempo enlevé : ça éructe, vrombit, « groane », « moane » pour le saxophoniste et clarinettiste Geoffroy Gesser. Fidel Fourneyron trombonise à mort, coulissant avec sérieux, le contrebassiste Sébastien Beliah grince, frotte, râcle avec l’archet. Cette musique visiblement les inspire et ils aiment à croiser les époques, remontant le temps en imprimant à leur musique une belle résonance.
Une partie plus longue est réservée au futur album du trio, dédié à la comédie musicale d’ Arthur Laurents, Steven Sondheim et Leonard Bernstein, West Side Story. Prolongement logique souligne le tromboniste, après le bop, avec un ouvrage de la fin des années cinquante, sorti d’abord à Broadway en 1957 avant de devenir le film incontournable aux dix oscars de 1961 ( Jerome Robbins et Robert Wise ). C’est avec un plaisir extrême que je m’abandonne à ces thèmes qui ont exalté mon adolescence, plutôt décalée ( pendant qu’ Hendrix en trio enflammait la scène pop rock), revus et corrigés, avec le dynamisme, la force tranquille et pourtant très appuyée, la gamme de nuances d’un orchestre ….alors qu’ils ne sont que 3, eux aussi . Ils enchaînent après le « Prologue » immédiatement identifiable, toute une série de pièces courtes, chères à mon oreille, très reconnaissables comme « Something ‘s coming », un « I feel pretty » par effluves, « I like to be in America » un peu neutre, le « mambo » des danses symphoniques où je m’ attendrai presque à voir se dresser le jeune orchestre vénézuélien de Gustavo Dudamel pour finir en beauté avec le sidérant, glaçant de violence contenue «Cool ».
Il faut être très fort pour s’emparer d’une telle partition et en faire quelque chose qui ait une sonorité qui n’appartienne qu’au groupe : faire revenir ce passé qui devient brutalement présent. Ce « work in progress », chantier permanent, il ne faudra(it) pas l’ achever, tant il est périlleux d’assumer et d’ assurer les variations tout en conservant une certaine pérennité. Conjuguer sur scène hier et maintenant. Chacun transforme, traduit , c’est à dire trahit, dans son langage, sans pouvoir la fuir, une musique devenue « patrimoniale ». On les sent tendus dans un échange fructueux, « alone together » , si je peux me permettre…
En tous les cas, je savoure cette fin de partie. C’est fini, toute la vaillante équipe de l’Ajmi, sur le pont sans relâche pendant cette semaine intense, va pouvoir souffler….et penser sans doute aux prochains émois à nous proposer….en 2017 !
Sophie Chambon