
C’est le concert de sortie du disque ‘The Twenties’ (Jazz Eleven / BacoDistrib), qui comme son titre l’indique rejoue (d’une manière totalement renouvelée) les thèmes des années 1920 ; et comme le nom du groupe l’indique avec une connexion musicale très forte entre des artistes, qui appartiennent à trois générations différentes : les déjà historiques Frères Moutin, la flamboyante Géraldine Laurent, issue de la génération qui suivit, et le tout jeune, mais aussi très talentueux, Noé Huchard.

Depuis l’enregistrement du CD, le groupe a donné un seul concert, environ deux semaines plus tôt, au festival ‘Jazz à l’étage’ de Saint-Malo. Mais ce n’est pas du rodage : c’est l’explosion d’une musique accomplie.

The HOOKUP ‘Twenties’
Géraldine Laurent (saxophone alto), Noé Huchard (piano), François Moutin (contrebasse), Louis Moutin (batterie)
Paris, New Morning, 9 avril 2025, 20h45
Le concert commence avec le dernier titre du disque, Everyboby Loves My Baby (1924) ; et comme ce sera le cas au fil du concert, on part de loin et d’ailleurs, avant d’arriver au thème, métamorphosé comme il se doit. Les arrangements sont signés par les membres du groupe. Et tout de suite la liberté devient palpable, dans l’arrangement comme dans les improvisations. C’est d’une précision diabolique, et pourtant cela paraît couler de source. After You’ve Gone (le titre vétéran : 1918) ou East St Louis Toodle Oo (Ellington, 1926) voient la même éclosion mystérieuse dans un arrangement dépaysant. Puis on arrive à Ain’t Misbehavin’, qui commence par un solo de contrebasse en harmoniques : on part de très loin pour arriver au thème, en quartette, mais avec un phrasé articulé d’une manière aussi renouvelée que surprenante. The Man I Love, en duo sax-piano, sera comme une leçon de lyrisme, et le set se conclura par Tea For Two, passé à la moulinette et au hachoir, avec des surprises et rebonds comme je n’en avait pas entendus depuis les versions de Martial Solal : bouquet final provisoire…..
Le second set va s’ouvrir avec un thème de 1928, Softly as in a Morning Sunrise, assez peu joué par le jazz d’avant guerre, mais adoubé par les artistes des années 50, et au-delà : là encore l’arrangement décompose et recompose à souhait, nous entraînant dans une sorte de vertige, et comme un solo nous conduira vers le thème suivant, nous serons délicieusement embarqués en terres inconnues. Ensuite, pendant que l’arrangement de Louis Moutin démonte et remonte facétieusement le Mack The Knife de L’Opéra de quat’sous (musique de Kurt Weill sur un argument de Bertolt Brecht), le plumitif regarde l’heure : 22h33 !
Dans 19 minutes le dernier RER vers sa banlieue partira de Magenta – Gare du Nord. Ce n’est pas très loin mais le chroniqueur hors d’âge n’est plus très ingambe. Il faut cavaler jusqu’au métro Château d’eau. Problème technique, le métro tarde…. le voici enfin.

Arrivé Gare du Nord, un sprint claudicant jusqu’à la ligne ‘E’ : ouf ! L’ultime RER part dans 3 minutes. Et contrairement à ce qu’indique l’écran il prend des voyageurs…. Quelle soirée ! Le disque m’avait emballé, et le concert m’a bouleversé (ou l’inverse !). On écoute aujourd’hui beaucoup de musiques qui évoquent le passé. Vive la musique qui sait être vraiment vivante, même quand elle saisit dans la passé son objet. On se plaît à rêver que les festivals accueilleront massivement cette flamboyante relecture des Twenties.
Xavier Prévost