Tony Tixier New Quartet au Bab Ilo
On prend des habitudes. On en oublie d’autres chemins. Comme celui du Bab Ilo où je ne me suis jamais rendu qu’une seule fois. Il faut aller au Bab Ilo. Hier, j’y ai été entendre le nouveau quartette du pianiste Tony Tixier.
Certes, la Bab Ilo, n’est pas la première salle à laquelle on pense lorsque l’on se rend à Paris pour écouter du jazz. Avec sa trentaine de places à tout casser, ses tarifs modestes qui selon les cas, et parfois à la demande même des musiciens, se réduisent au passage du chapeau, il s’agit plus d’un atelier que d’une salle de concert. Mais n’est-ce pas justement cela un club de jazz, un atelier à musique, où celle-ci monte en sauce au jour le jour. Prenez Tony Tixier, il y est chez lui depuis des mois et hier encore, 7 février, il y présentait un nouveau groupe. Alors pourquoi n’y suis-je venu qu’une seule fois ?
Est-ce qu’inconsciemment je n’ai pas fui le souvenir d’une petite vexation que j’y ai vécu. Début 2011, j’étais venu écouter le saxophoniste Rodolphe Lauretta (autre habitué des lieux que l’on pourra y réentendre mercredi prochain, 13 février). Habitué des démarquages de standards originaux et des plus audacieux, il interpelle le public à la fin d’un morceau… « Quelqu’un a reconnu ? » Personne ne bronche. On se connaît bien et il croise mon regard. Le rédacteur en chef de Jazzmag se sent pris à parti. Or, incapable même de cadrer la grille, il s’est laissé égarer par ce travestissement et s’est laissé accrocher par un motif qui l’a mis sur une fausse piste. Qui lui fait dire bêtement, pas très sûr de lui : « Sweet Georgia Brown ? » Rires ! Il s’agit d’un Joe Henderson. Isotope ou Inner Urge, je ne sais plus bien. À la fin du set, j’ai dû quitter la rue des Baigneurs en parsemant ma route de quelques pets flûtés pour me donner une contenance et perde ma trace.
Mais me voilà de retour au Bab Ilo au milieu d’un public dont, pour partie, je pourrais être le grand-père (le reste n’étant guère plus âgé). C’est plutôt une bonne nouvelle…
Le Bab Ilo, Paris (75), le 7 février 2013.
Emilio Guerra E Neto (sax alto), Tony Tixier (piano, compositions), Damien Varaillon (b), Phillipe Maniez (batterie).
On évitera l’exercice de reconnaissance de grilles. Parlons plutôt du piano, un piano droit que Tony Tixier fait sonner. Il est de ceux qui savent faire sonner les pianos droits, utilisant la pédale à bon escient, tirant parti des harmoniques, jouant le fond de la touche tout en ayant du toucher, le dépouillement du trait ou le plein jeu à pleines mains et à tue-tête, héritier tout autant de la tradition billevanso-jarrettienne que du lourd véhicule tynerien. Ses compositions sont pleines de tiroirs qui s’ouvrent sur de complexes et longs ostinatos joués en tutti par la rythmique, et qui invitent à une interaction qu’assume pleinement le batteur en dialogue tant avec le piano qu’avec le saxophone. Le pilier de la contrebasse est souple et puissant. Après un séjour à l’UCLA (University of California, Los Angeles), Philippe Maniez a intégré le département jazz du CNSM de Paris en 2011. Damien Varaillon vient de Marseille.
Emilio Guerra E Neto que Tony me présente comme originaire d’Angola, est passé par le CNSM où il ne s’est pas plu. Ce sont des choses qui arrivent… Il recourt à un vocabulaire coltranien tout en volutes d’arpèges et de mouvements conjoints, avec souvent une projection sèche à la Steve Coleman, un timbre presque subtone qui s’épanouit à la chauffe de chaque solo, un vibrato rapide et vivant qui transparaît ici et là, une l’articulation nerveuse, parfois presque staccato, selon un débit rythmique et un déroulé mélodique qui pourrait paraître systématique s’il n’était animé par un découpage faisant place à l’inattendu, avec ici et là des pauses et des paliers lyriques de rares notes tenues.
Tony présente chaque morceau de son phrasé précipité, trébuchant entre l’hésitation et quelque chose de décidé, mais finalement plein de convictions, annonçant des titres de morceaux (nouveaux ou tirés de ses deux premiers disques) tels Je me souviens du temps de l’abondance ou (dédié à un ami avec lequel il s’est fâché) La Jalousie aveugle d’un paranoïaque. À l’entracte, je lui demande ce que devient Logan Richardson : « Euh, j’aimerais bien le savoir… Il est reparti au Etats-Unis. » En seconde partie, il annoncera « Remise en question, un morceau important qui évoque la façon dont Logan Richardson a changé sa façon d’écrire la musique. » Est-ce à cela qu’il faut attribuer le côté plus aéré du thème, même plus pop.
En rappel, un blues, Enfin à la maison (à prendre au sens propre sans allusion aux racines), tout en angularités progressistes et néanmoins bien bluesy qui donnent du fil à retordre à Emilio Gerra E Neto, mais lui offrent un beau tremplin à son solo. « Dès que tout ça est rodé, on enregistre » me glisse Tony à l’oreille en passant dans les rangs pour saluer et remercier un par un les spectateurs.
De métro en RER, au milieu de passagers racontant leur vie seules à voix haute à des personnes invisibles ou zappant des musiques qui leur coûtent une fortune en petit matériel mais qui rapportent peanuts aux artistes qui les créent, je poursuis ma lecture du pavé Thinking in Jazz, the Infinite Art of Improvisation de Paul Berliner, qui après des chapitres un peu rébarbatifs commencent à me
frisotter les neurones, avec un chapitre “Collective aspects” ponctué notamment de mille détails sur la façon dont Betty Carter orientaient les arrangements de son quartette ou sur les consignes que Bill Evans donnait à ses contrebassistes. J’en aurais presque loupé ma station…
Franck Bergerot
Outre Rodolphe Lauretta et ses invités, au Bab Ilo sont attendus demain soir 9 février: le quartette du batteur Jean-Claude Montredon avec John Handelsman, Chris Cody et Harry Swift. Le 14 février: le quartette du saxophoniste alto Gaël Horellou avec Leonardo Montana (piano), Victor Nyberg (contrebasse et Lukmil Perez (batterie).
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On prend des habitudes. On en oublie d’autres chemins. Comme celui du Bab Ilo où je ne me suis jamais rendu qu’une seule fois. Il faut aller au Bab Ilo. Hier, j’y ai été entendre le nouveau quartette du pianiste Tony Tixier.
Certes, la Bab Ilo, n’est pas la première salle à laquelle on pense lorsque l’on se rend à Paris pour écouter du jazz. Avec sa trentaine de places à tout casser, ses tarifs modestes qui selon les cas, et parfois à la demande même des musiciens, se réduisent au passage du chapeau, il s’agit plus d’un atelier que d’une salle de concert. Mais n’est-ce pas justement cela un club de jazz, un atelier à musique, où celle-ci monte en sauce au jour le jour. Prenez Tony Tixier, il y est chez lui depuis des mois et hier encore, 7 février, il y présentait un nouveau groupe. Alors pourquoi n’y suis-je venu qu’une seule fois ?
Est-ce qu’inconsciemment je n’ai pas fui le souvenir d’une petite vexation que j’y ai vécu. Début 2011, j’étais venu écouter le saxophoniste Rodolphe Lauretta (autre habitué des lieux que l’on pourra y réentendre mercredi prochain, 13 février). Habitué des démarquages de standards originaux et des plus audacieux, il interpelle le public à la fin d’un morceau… « Quelqu’un a reconnu ? » Personne ne bronche. On se connaît bien et il croise mon regard. Le rédacteur en chef de Jazzmag se sent pris à parti. Or, incapable même de cadrer la grille, il s’est laissé égarer par ce travestissement et s’est laissé accrocher par un motif qui l’a mis sur une fausse piste. Qui lui fait dire bêtement, pas très sûr de lui : « Sweet Georgia Brown ? » Rires ! Il s’agit d’un Joe Henderson. Isotope ou Inner Urge, je ne sais plus bien. À la fin du set, j’ai dû quitter la rue des Baigneurs en parsemant ma route de quelques pets flûtés pour me donner une contenance et perde ma trace.
Mais me voilà de retour au Bab Ilo au milieu d’un public dont, pour partie, je pourrais être le grand-père (le reste n’étant guère plus âgé). C’est plutôt une bonne nouvelle…
Le Bab Ilo, Paris (75), le 7 février 2013.
Emilio Guerra E Neto (sax alto), Tony Tixier (piano, compositions), Damien Varaillon (b), Phillipe Maniez (batterie).
On évitera l’exercice de reconnaissance de grilles. Parlons plutôt du piano, un piano droit que Tony Tixier fait sonner. Il est de ceux qui savent faire sonner les pianos droits, utilisant la pédale à bon escient, tirant parti des harmoniques, jouant le fond de la touche tout en ayant du toucher, le dépouillement du trait ou le plein jeu à pleines mains et à tue-tête, héritier tout autant de la tradition billevanso-jarrettienne que du lourd véhicule tynerien. Ses compositions sont pleines de tiroirs qui s’ouvrent sur de complexes et longs ostinatos joués en tutti par la rythmique, et qui invitent à une interaction qu’assume pleinement le batteur en dialogue tant avec le piano qu’avec le saxophone. Le pilier de la contrebasse est souple et puissant. Après un séjour à l’UCLA (University of California, Los Angeles), Philippe Maniez a intégré le département jazz du CNSM de Paris en 2011. Damien Varaillon vient de Marseille.
Emilio Guerra E Neto que Tony me présente comme originaire d’Angola, est passé par le CNSM où il ne s’est pas plu. Ce sont des choses qui arrivent… Il recourt à un vocabulaire coltranien tout en volutes d’arpèges et de mouvements conjoints, avec souvent une projection sèche à la Steve Coleman, un timbre presque subtone qui s’épanouit à la chauffe de chaque solo, un vibrato rapide et vivant qui transparaît ici et là, une l’articulation nerveuse, parfois presque staccato, selon un débit rythmique et un déroulé mélodique qui pourrait paraître systématique s’il n’était animé par un découpage faisant place à l’inattendu, avec ici et là des pauses et des paliers lyriques de rares notes tenues.
Tony présente chaque morceau de son phrasé précipité, trébuchant entre l’hésitation et quelque chose de décidé, mais finalement plein de convictions, annonçant des titres de morceaux (nouveaux ou tirés de ses deux premiers disques) tels Je me souviens du temps de l’abondance ou (dédié à un ami avec lequel il s’est fâché) La Jalousie aveugle d’un paranoïaque. À l’entracte, je lui demande ce que devient Logan Richardson : « Euh, j’aimerais bien le savoir… Il est reparti au Etats-Unis. » En seconde partie, il annoncera « Remise en question, un morceau important qui évoque la façon dont Logan Richardson a changé sa façon d’écrire la musique. » Est-ce à cela qu’il faut attribuer le côté plus aéré du thème, même plus pop.
En rappel, un blues, Enfin à la maison (à prendre au sens propre sans allusion aux racines), tout en angularités progressistes et néanmoins bien bluesy qui donnent du fil à retordre à Emilio Gerra E Neto, mais lui offrent un beau tremplin à son solo. « Dès que tout ça est rodé, on enregistre » me glisse Tony à l’oreille en passant dans les rangs pour saluer et remercier un par un les spectateurs.
De métro en RER, au milieu de passagers racontant leur vie seules à voix haute à des personnes invisibles ou zappant des musiques qui leur coûtent une fortune en petit matériel mais qui rapportent peanuts aux artistes qui les créent, je poursuis ma lecture du pavé Thinking in Jazz, the Infinite Art of Improvisation de Paul Berliner, qui après des chapitres un peu rébarbatifs commencent à me
frisotter les neurones, avec un chapitre “Collective aspects” ponctué notamment de mille détails sur la façon dont Betty Carter orientaient les arrangements de son quartette ou sur les consignes que Bill Evans donnait à ses contrebassistes. J’en aurais presque loupé ma station…
Franck Bergerot
Outre Rodolphe Lauretta et ses invités, au Bab Ilo sont attendus demain soir 9 février: le quartette du batteur Jean-Claude Montredon avec John Handelsman, Chris Cody et Harry Swift. Le 14 février: le quartette du saxophoniste alto Gaël Horellou avec Leonardo Montana (piano), Victor Nyberg (contrebasse et Lukmil Perez (batterie).
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On prend des habitudes. On en oublie d’autres chemins. Comme celui du Bab Ilo où je ne me suis jamais rendu qu’une seule fois. Il faut aller au Bab Ilo. Hier, j’y ai été entendre le nouveau quartette du pianiste Tony Tixier.
Certes, la Bab Ilo, n’est pas la première salle à laquelle on pense lorsque l’on se rend à Paris pour écouter du jazz. Avec sa trentaine de places à tout casser, ses tarifs modestes qui selon les cas, et parfois à la demande même des musiciens, se réduisent au passage du chapeau, il s’agit plus d’un atelier que d’une salle de concert. Mais n’est-ce pas justement cela un club de jazz, un atelier à musique, où celle-ci monte en sauce au jour le jour. Prenez Tony Tixier, il y est chez lui depuis des mois et hier encore, 7 février, il y présentait un nouveau groupe. Alors pourquoi n’y suis-je venu qu’une seule fois ?
Est-ce qu’inconsciemment je n’ai pas fui le souvenir d’une petite vexation que j’y ai vécu. Début 2011, j’étais venu écouter le saxophoniste Rodolphe Lauretta (autre habitué des lieux que l’on pourra y réentendre mercredi prochain, 13 février). Habitué des démarquages de standards originaux et des plus audacieux, il interpelle le public à la fin d’un morceau… « Quelqu’un a reconnu ? » Personne ne bronche. On se connaît bien et il croise mon regard. Le rédacteur en chef de Jazzmag se sent pris à parti. Or, incapable même de cadrer la grille, il s’est laissé égarer par ce travestissement et s’est laissé accrocher par un motif qui l’a mis sur une fausse piste. Qui lui fait dire bêtement, pas très sûr de lui : « Sweet Georgia Brown ? » Rires ! Il s’agit d’un Joe Henderson. Isotope ou Inner Urge, je ne sais plus bien. À la fin du set, j’ai dû quitter la rue des Baigneurs en parsemant ma route de quelques pets flûtés pour me donner une contenance et perde ma trace.
Mais me voilà de retour au Bab Ilo au milieu d’un public dont, pour partie, je pourrais être le grand-père (le reste n’étant guère plus âgé). C’est plutôt une bonne nouvelle…
Le Bab Ilo, Paris (75), le 7 février 2013.
Emilio Guerra E Neto (sax alto), Tony Tixier (piano, compositions), Damien Varaillon (b), Phillipe Maniez (batterie).
On évitera l’exercice de reconnaissance de grilles. Parlons plutôt du piano, un piano droit que Tony Tixier fait sonner. Il est de ceux qui savent faire sonner les pianos droits, utilisant la pédale à bon escient, tirant parti des harmoniques, jouant le fond de la touche tout en ayant du toucher, le dépouillement du trait ou le plein jeu à pleines mains et à tue-tête, héritier tout autant de la tradition billevanso-jarrettienne que du lourd véhicule tynerien. Ses compositions sont pleines de tiroirs qui s’ouvrent sur de complexes et longs ostinatos joués en tutti par la rythmique, et qui invitent à une interaction qu’assume pleinement le batteur en dialogue tant avec le piano qu’avec le saxophone. Le pilier de la contrebasse est souple et puissant. Après un séjour à l’UCLA (University of California, Los Angeles), Philippe Maniez a intégré le département jazz du CNSM de Paris en 2011. Damien Varaillon vient de Marseille.
Emilio Guerra E Neto que Tony me présente comme originaire d’Angola, est passé par le CNSM où il ne s’est pas plu. Ce sont des choses qui arrivent… Il recourt à un vocabulaire coltranien tout en volutes d’arpèges et de mouvements conjoints, avec souvent une projection sèche à la Steve Coleman, un timbre presque subtone qui s’épanouit à la chauffe de chaque solo, un vibrato rapide et vivant qui transparaît ici et là, une l’articulation nerveuse, parfois presque staccato, selon un débit rythmique et un déroulé mélodique qui pourrait paraître systématique s’il n’était animé par un découpage faisant place à l’inattendu, avec ici et là des pauses et des paliers lyriques de rares notes tenues.
Tony présente chaque morceau de son phrasé précipité, trébuchant entre l’hésitation et quelque chose de décidé, mais finalement plein de convictions, annonçant des titres de morceaux (nouveaux ou tirés de ses deux premiers disques) tels Je me souviens du temps de l’abondance ou (dédié à un ami avec lequel il s’est fâché) La Jalousie aveugle d’un paranoïaque. À l’entracte, je lui demande ce que devient Logan Richardson : « Euh, j’aimerais bien le savoir… Il est reparti au Etats-Unis. » En seconde partie, il annoncera « Remise en question, un morceau important qui évoque la façon dont Logan Richardson a changé sa façon d’écrire la musique. » Est-ce à cela qu’il faut attribuer le côté plus aéré du thème, même plus pop.
En rappel, un blues, Enfin à la maison (à prendre au sens propre sans allusion aux racines), tout en angularités progressistes et néanmoins bien bluesy qui donnent du fil à retordre à Emilio Gerra E Neto, mais lui offrent un beau tremplin à son solo. « Dès que tout ça est rodé, on enregistre » me glisse Tony à l’oreille en passant dans les rangs pour saluer et remercier un par un les spectateurs.
De métro en RER, au milieu de passagers racontant leur vie seules à voix haute à des personnes invisibles ou zappant des musiques qui leur coûtent une fortune en petit matériel mais qui rapportent peanuts aux artistes qui les créent, je poursuis ma lecture du pavé Thinking in Jazz, the Infinite Art of Improvisation de Paul Berliner, qui après des chapitres un peu rébarbatifs commencent à me
frisotter les neurones, avec un chapitre “Collective aspects” ponctué notamment de mille détails sur la façon dont Betty Carter orientaient les arrangements de son quartette ou sur les consignes que Bill Evans donnait à ses contrebassistes. J’en aurais presque loupé ma station…
Franck Bergerot
Outre Rodolphe Lauretta et ses invités, au Bab Ilo sont attendus demain soir 9 février: le quartette du batteur Jean-Claude Montredon avec John Handelsman, Chris Cody et Harry Swift. Le 14 février: le quartette du saxophoniste alto Gaël Horellou avec Leonardo Montana (piano), Victor Nyberg (contrebasse et Lukmil Perez (batterie).
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On prend des habitudes. On en oublie d’autres chemins. Comme celui du Bab Ilo où je ne me suis jamais rendu qu’une seule fois. Il faut aller au Bab Ilo. Hier, j’y ai été entendre le nouveau quartette du pianiste Tony Tixier.
Certes, la Bab Ilo, n’est pas la première salle à laquelle on pense lorsque l’on se rend à Paris pour écouter du jazz. Avec sa trentaine de places à tout casser, ses tarifs modestes qui selon les cas, et parfois à la demande même des musiciens, se réduisent au passage du chapeau, il s’agit plus d’un atelier que d’une salle de concert. Mais n’est-ce pas justement cela un club de jazz, un atelier à musique, où celle-ci monte en sauce au jour le jour. Prenez Tony Tixier, il y est chez lui depuis des mois et hier encore, 7 février, il y présentait un nouveau groupe. Alors pourquoi n’y suis-je venu qu’une seule fois ?
Est-ce qu’inconsciemment je n’ai pas fui le souvenir d’une petite vexation que j’y ai vécu. Début 2011, j’étais venu écouter le saxophoniste Rodolphe Lauretta (autre habitué des lieux que l’on pourra y réentendre mercredi prochain, 13 février). Habitué des démarquages de standards originaux et des plus audacieux, il interpelle le public à la fin d’un morceau… « Quelqu’un a reconnu ? » Personne ne bronche. On se connaît bien et il croise mon regard. Le rédacteur en chef de Jazzmag se sent pris à parti. Or, incapable même de cadrer la grille, il s’est laissé égarer par ce travestissement et s’est laissé accrocher par un motif qui l’a mis sur une fausse piste. Qui lui fait dire bêtement, pas très sûr de lui : « Sweet Georgia Brown ? » Rires ! Il s’agit d’un Joe Henderson. Isotope ou Inner Urge, je ne sais plus bien. À la fin du set, j’ai dû quitter la rue des Baigneurs en parsemant ma route de quelques pets flûtés pour me donner une contenance et perde ma trace.
Mais me voilà de retour au Bab Ilo au milieu d’un public dont, pour partie, je pourrais être le grand-père (le reste n’étant guère plus âgé). C’est plutôt une bonne nouvelle…
Le Bab Ilo, Paris (75), le 7 février 2013.
Emilio Guerra E Neto (sax alto), Tony Tixier (piano, compositions), Damien Varaillon (b), Phillipe Maniez (batterie).
On évitera l’exercice de reconnaissance de grilles. Parlons plutôt du piano, un piano droit que Tony Tixier fait sonner. Il est de ceux qui savent faire sonner les pianos droits, utilisant la pédale à bon escient, tirant parti des harmoniques, jouant le fond de la touche tout en ayant du toucher, le dépouillement du trait ou le plein jeu à pleines mains et à tue-tête, héritier tout autant de la tradition billevanso-jarrettienne que du lourd véhicule tynerien. Ses compositions sont pleines de tiroirs qui s’ouvrent sur de complexes et longs ostinatos joués en tutti par la rythmique, et qui invitent à une interaction qu’assume pleinement le batteur en dialogue tant avec le piano qu’avec le saxophone. Le pilier de la contrebasse est souple et puissant. Après un séjour à l’UCLA (University of California, Los Angeles), Philippe Maniez a intégré le département jazz du CNSM de Paris en 2011. Damien Varaillon vient de Marseille.
Emilio Guerra E Neto que Tony me présente comme originaire d’Angola, est passé par le CNSM où il ne s’est pas plu. Ce sont des choses qui arrivent… Il recourt à un vocabulaire coltranien tout en volutes d’arpèges et de mouvements conjoints, avec souvent une projection sèche à la Steve Coleman, un timbre presque subtone qui s’épanouit à la chauffe de chaque solo, un vibrato rapide et vivant qui transparaît ici et là, une l’articulation nerveuse, parfois presque staccato, selon un débit rythmique et un déroulé mélodique qui pourrait paraître systématique s’il n’était animé par un découpage faisant place à l’inattendu, avec ici et là des pauses et des paliers lyriques de rares notes tenues.
Tony présente chaque morceau de son phrasé précipité, trébuchant entre l’hésitation et quelque chose de décidé, mais finalement plein de convictions, annonçant des titres de morceaux (nouveaux ou tirés de ses deux premiers disques) tels Je me souviens du temps de l’abondance ou (dédié à un ami avec lequel il s’est fâché) La Jalousie aveugle d’un paranoïaque. À l’entracte, je lui demande ce que devient Logan Richardson : « Euh, j’aimerais bien le savoir… Il est reparti au Etats-Unis. » En seconde partie, il annoncera « Remise en question, un morceau important qui évoque la façon dont Logan Richardson a changé sa façon d’écrire la musique. » Est-ce à cela qu’il faut attribuer le côté plus aéré du thème, même plus pop.
En rappel, un blues, Enfin à la maison (à prendre au sens propre sans allusion aux racines), tout en angularités progressistes et néanmoins bien bluesy qui donnent du fil à retordre à Emilio Gerra E Neto, mais lui offrent un beau tremplin à son solo. « Dès que tout ça est rodé, on enregistre » me glisse Tony à l’oreille en passant dans les rangs pour saluer et remercier un par un les spectateurs.
De métro en RER, au milieu de passagers racontant leur vie seules à voix haute à des personnes invisibles ou zappant des musiques qui leur coûtent une fortune en petit matériel mais qui rapportent peanuts aux artistes qui les créent, je poursuis ma lecture du pavé Thinking in Jazz, the Infinite Art of Improvisation de Paul Berliner, qui après des chapitres un peu rébarbatifs commencent à me
frisotter les neurones, avec un chapitre “Collective aspects” ponctué notamment de mille détails sur la façon dont Betty Carter orientaient les arrangements de son quartette ou sur les consignes que Bill Evans donnait à ses contrebassistes. J’en aurais presque loupé ma station…
Franck Bergerot
Outre Rodolphe Lauretta et ses invités, au Bab Ilo sont attendus demain soir 9 février: le quartette du batteur Jean-Claude Montredon avec John Handelsman, Chris Cody et Harry Swift. Le 14 février: le quartette du saxophoniste alto Gaël Horellou avec Leonardo Montana (piano), Victor Nyberg (contrebasse et Lukmil Perez (batterie).