Tourcoing: jazz et énergies renouvelables
L’orchestre vient de terminer son premier thème. Christian Scott s’approche du micro : « Une invitée surprise, elle est une personne aussi belle extérieur qu’intérieur. Elle s’appelle Jordana. Ma femme… » Disant ces mots ses yeux brillent. Le jeune leader affiche une sorte de sourire un peu béat. Surgit alors sous les spots une longue jeune femme frêle, imposante chevelure ondulante descendant en cascade jusqu’à la taille, métisse claire enveloppée dans une robe aux motifs de couleurs éclatantes, damiers en dominante de rouge, de vert, de jaune. Dans l’écho d’une trompette adoucie elle entame un chant citron et miel, voix souple mais ferme sur un tempo médium. Trois minutes. Une petite révérence tenant dans ses mains les plis de sa robe et la voilà disparue. On ne la reverra plus de tout le concert.
Planète Jazz Festival, Tourcoing, 16 octobre
Maison Folie Hospice d’Havré
Francesco Bearzatti (ts, cl, electr, voc), Giovani Falzone (tp, voc, effets) Danilo Gallo (b), Zeno de Rossi (dm, perc, voc)
Théâtre Municipal Raymond Devos
Christian Scott (tp), Lawrence Fields (p), Mattew Stevens (g), Braxton Cook (as, ts), Christopher Funn (b), Corey Fonville (dm)
Trombone Shorty (tb, tp, voc), Dan Oestreischer (bar s) Tim McFatter (ts), Pete Murano (g), Mike Ballard (elb), Joey Peebles (dm)
Cette appellation d’origine incontrôlée fut donnée à des salles au début du XXIe siècle par Didier Fusiller alors grand manitou sacralisé par Martine Aubry pour faire fructifier à Lille et dans la Communauté Urbaine le label Capitale Européenne de la Culture. La Maison Folie de Tourcoing n’a jamais si bien porté son nom dès lors que Francesco Bearzatti l’investit pour y faire exploser les musiques de son quartet Monk and Roll. Les quatre italiens ont vocation de pyromanes. Ils allument Monk de pétards et feux d’artifices sonores pour y bruler vifs les hits de groupes de hard rock des années 80. I mean You se consume au feu du Immigrant song de Led Zepplin, Trinkle Tinkle s’enflamme sous le souffle brulant du Back in Black d’ACDC. Dans leurs tee shirts bariolés (The Ramones vintage pour le leader) les deux solistes ont des allures d’Arlequins ou de lutins insaisissables. En appui frontal sur un soubassement rythmique basiquement binaire, l’un et l’autre font tourner à fond les boutons de volume. Francesco Bearzatti endosse au ténor triomphant sous mille volutes de distorsion le costume laissé au clou par Hendrix, Clapton ou Jimmy Page. Giovani Falzone sans doute le plus crazy de tous étire, triture la tessiture de sa trompette dessus dessous et jusqu’aux extrêmes. Ou fait monter de sa seule voix les aigues jusqu’au vertige. Alors dans la jauge réduite de la petite salle, le niveau sonore pète les plafonds. Musique pensée, échafaudée, maîtrisée jusqu’à (pouvoir) finir en uppercut au menton ou coup de poing en pleine gueule. Energie pure. ? A dire vrai mon voisin n’a pas supporté. Il s’est enfui au bout de vingt minutes…
Christian Scott dans le décor rénové moderne et élégant d’un Théâtre au centre de la ville, presque à l’ombre d’un beffroi qui vit ici,voici dix ans, le batave Jasper Van’t Hoff offrir un solo improvisé d’une heure aux manettes d’un carillon très haut perché, le jeune trompettiste de la Nouvelle Orléans donc a visiblement fait un choix. Lui qui dans ses enregistrements se plait à parcourir la vitrine des musiques black, du hip hop au funk en passant des échos d’Afrique voir quelques essences de rock choisit (précisément ?) ce soir ch’ti là d’en rester à un idiome plutôt jazz. De quoi faire briller et rester dans les clous du genre son band de collégiens ou presque (« 22, 23 ans tout au plus » expliqua-t-il et « même moins pour le benjamin » l’étonnant sax Braxton Cook, vingt balais tout juste) tous issus ou presque de la Berkeley ou de la Julliard School. Avec une perle dont on reparlera sans doute, doté d’un jeu étoffé et dense, le batteur Corey Funville à l’incroyable tignasse en glace italienne afro. Singulier enfin cette volonté de faire et laisser jouer ses musiciens de la part de Christian Scott que l’on a connu plus volubile. Comme s’il se mettait en ombre portée du Miles dernière période. Lequel veillait à coacher ses jeunes recrues pour que vive sa musique.
Que dire d’un concert de Trombone Shorty qui n’ait déjà été conté ? Que faut-il retenir au juste ? Son talent de musicien ? Tromboniste ? Trompettiste ? Son art de show man ? Sa façon très carrée, quasi impitoyable de diriger au doigt et à l’œil la machine à vapeurs libérées de funk et autres grooves magiques? L’énergie de son vocal ? La précision millimétrée de ses arrangements ? Les clins d’œil à ses maîtres en voix noires d’Otis à Amstrong et vice versa ? La figure tutélaire de James Brown ? Ses gimmicks, son enthousiasme, son activisme fou, ses déhanchements, la duck ou la moonwalk ? Sa connaissance référencée, historique mais toujours respectueuse des musiques noires de la Nouvelle Orléans ? Se retrouvent mélés des rites, des canons, de la tradition, de la culture apte à régénérer cette ville de mer, de bayous, de terres, quartiers, marais, ouragans, parfums de vaudou et de mille métissages ? Bien sur le public à Tourcoing cette nuit là, a craqué par plaisir au bout de tant de sourire et milles sortilèges de rythmes assénés. Trombone Shorty l’a rendu un peu fou. En combinant mine de rien des relents de Sex Machine puis une version de pour terminer sur des Mardis Gras. Comment ré
sister à tant de tentatives de séductions ? Le KO général vint là encore des coups au plexus, des moultes vibrations descendues jusques au bas ventre.
A la sortie dans le grand hall du théâtre, il ne restait de vraiment calme, apaisée que le balancement des mains, bras levé, de Jordana. Elle tentait de vendre joli sourire aux lèvres et regard aguicheur, le dernier CD de son tromboniste de mari.
Robert Latxague
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L’orchestre vient de terminer son premier thème. Christian Scott s’approche du micro : « Une invitée surprise, elle est une personne aussi belle extérieur qu’intérieur. Elle s’appelle Jordana. Ma femme… » Disant ces mots ses yeux brillent. Le jeune leader affiche une sorte de sourire un peu béat. Surgit alors sous les spots une longue jeune femme frêle, imposante chevelure ondulante descendant en cascade jusqu’à la taille, métisse claire enveloppée dans une robe aux motifs de couleurs éclatantes, damiers en dominante de rouge, de vert, de jaune. Dans l’écho d’une trompette adoucie elle entame un chant citron et miel, voix souple mais ferme sur un tempo médium. Trois minutes. Une petite révérence tenant dans ses mains les plis de sa robe et la voilà disparue. On ne la reverra plus de tout le concert.
Planète Jazz Festival, Tourcoing, 16 octobre
Maison Folie Hospice d’Havré
Francesco Bearzatti (ts, cl, electr, voc), Giovani Falzone (tp, voc, effets) Danilo Gallo (b), Zeno de Rossi (dm, perc, voc)
Théâtre Municipal Raymond Devos
Christian Scott (tp), Lawrence Fields (p), Mattew Stevens (g), Braxton Cook (as, ts), Christopher Funn (b), Corey Fonville (dm)
Trombone Shorty (tb, tp, voc), Dan Oestreischer (bar s) Tim McFatter (ts), Pete Murano (g), Mike Ballard (elb), Joey Peebles (dm)
Cette appellation d’origine incontrôlée fut donnée à des salles au début du XXIe siècle par Didier Fusiller alors grand manitou sacralisé par Martine Aubry pour faire fructifier à Lille et dans la Communauté Urbaine le label Capitale Européenne de la Culture. La Maison Folie de Tourcoing n’a jamais si bien porté son nom dès lors que Francesco Bearzatti l’investit pour y faire exploser les musiques de son quartet Monk and Roll. Les quatre italiens ont vocation de pyromanes. Ils allument Monk de pétards et feux d’artifices sonores pour y bruler vifs les hits de groupes de hard rock des années 80. I mean You se consume au feu du Immigrant song de Led Zepplin, Trinkle Tinkle s’enflamme sous le souffle brulant du Back in Black d’ACDC. Dans leurs tee shirts bariolés (The Ramones vintage pour le leader) les deux solistes ont des allures d’Arlequins ou de lutins insaisissables. En appui frontal sur un soubassement rythmique basiquement binaire, l’un et l’autre font tourner à fond les boutons de volume. Francesco Bearzatti endosse au ténor triomphant sous mille volutes de distorsion le costume laissé au clou par Hendrix, Clapton ou Jimmy Page. Giovani Falzone sans doute le plus crazy de tous étire, triture la tessiture de sa trompette dessus dessous et jusqu’aux extrêmes. Ou fait monter de sa seule voix les aigues jusqu’au vertige. Alors dans la jauge réduite de la petite salle, le niveau sonore pète les plafonds. Musique pensée, échafaudée, maîtrisée jusqu’à (pouvoir) finir en uppercut au menton ou coup de poing en pleine gueule. Energie pure. ? A dire vrai mon voisin n’a pas supporté. Il s’est enfui au bout de vingt minutes…
Christian Scott dans le décor rénové moderne et élégant d’un Théâtre au centre de la ville, presque à l’ombre d’un beffroi qui vit ici,voici dix ans, le batave Jasper Van’t Hoff offrir un solo improvisé d’une heure aux manettes d’un carillon très haut perché, le jeune trompettiste de la Nouvelle Orléans donc a visiblement fait un choix. Lui qui dans ses enregistrements se plait à parcourir la vitrine des musiques black, du hip hop au funk en passant des échos d’Afrique voir quelques essences de rock choisit (précisément ?) ce soir ch’ti là d’en rester à un idiome plutôt jazz. De quoi faire briller et rester dans les clous du genre son band de collégiens ou presque (« 22, 23 ans tout au plus » expliqua-t-il et « même moins pour le benjamin » l’étonnant sax Braxton Cook, vingt balais tout juste) tous issus ou presque de la Berkeley ou de la Julliard School. Avec une perle dont on reparlera sans doute, doté d’un jeu étoffé et dense, le batteur Corey Funville à l’incroyable tignasse en glace italienne afro. Singulier enfin cette volonté de faire et laisser jouer ses musiciens de la part de Christian Scott que l’on a connu plus volubile. Comme s’il se mettait en ombre portée du Miles dernière période. Lequel veillait à coacher ses jeunes recrues pour que vive sa musique.
Que dire d’un concert de Trombone Shorty qui n’ait déjà été conté ? Que faut-il retenir au juste ? Son talent de musicien ? Tromboniste ? Trompettiste ? Son art de show man ? Sa façon très carrée, quasi impitoyable de diriger au doigt et à l’œil la machine à vapeurs libérées de funk et autres grooves magiques? L’énergie de son vocal ? La précision millimétrée de ses arrangements ? Les clins d’œil à ses maîtres en voix noires d’Otis à Amstrong et vice versa ? La figure tutélaire de James Brown ? Ses gimmicks, son enthousiasme, son activisme fou, ses déhanchements, la duck ou la moonwalk ? Sa connaissance référencée, historique mais toujours respectueuse des musiques noires de la Nouvelle Orléans ? Se retrouvent mélés des rites, des canons, de la tradition, de la culture apte à régénérer cette ville de mer, de bayous, de terres, quartiers, marais, ouragans, parfums de vaudou et de mille métissages ? Bien sur le public à Tourcoing cette nuit là, a craqué par plaisir au bout de tant de sourire et milles sortilèges de rythmes assénés. Trombone Shorty l’a rendu un peu fou. En combinant mine de rien des relents de Sex Machine puis une version de pour terminer sur des Mardis Gras. Comment ré
sister à tant de tentatives de séductions ? Le KO général vint là encore des coups au plexus, des moultes vibrations descendues jusques au bas ventre.
A la sortie dans le grand hall du théâtre, il ne restait de vraiment calme, apaisée que le balancement des mains, bras levé, de Jordana. Elle tentait de vendre joli sourire aux lèvres et regard aguicheur, le dernier CD de son tromboniste de mari.
Robert Latxague
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L’orchestre vient de terminer son premier thème. Christian Scott s’approche du micro : « Une invitée surprise, elle est une personne aussi belle extérieur qu’intérieur. Elle s’appelle Jordana. Ma femme… » Disant ces mots ses yeux brillent. Le jeune leader affiche une sorte de sourire un peu béat. Surgit alors sous les spots une longue jeune femme frêle, imposante chevelure ondulante descendant en cascade jusqu’à la taille, métisse claire enveloppée dans une robe aux motifs de couleurs éclatantes, damiers en dominante de rouge, de vert, de jaune. Dans l’écho d’une trompette adoucie elle entame un chant citron et miel, voix souple mais ferme sur un tempo médium. Trois minutes. Une petite révérence tenant dans ses mains les plis de sa robe et la voilà disparue. On ne la reverra plus de tout le concert.
Planète Jazz Festival, Tourcoing, 16 octobre
Maison Folie Hospice d’Havré
Francesco Bearzatti (ts, cl, electr, voc), Giovani Falzone (tp, voc, effets) Danilo Gallo (b), Zeno de Rossi (dm, perc, voc)
Théâtre Municipal Raymond Devos
Christian Scott (tp), Lawrence Fields (p), Mattew Stevens (g), Braxton Cook (as, ts), Christopher Funn (b), Corey Fonville (dm)
Trombone Shorty (tb, tp, voc), Dan Oestreischer (bar s) Tim McFatter (ts), Pete Murano (g), Mike Ballard (elb), Joey Peebles (dm)
Cette appellation d’origine incontrôlée fut donnée à des salles au début du XXIe siècle par Didier Fusiller alors grand manitou sacralisé par Martine Aubry pour faire fructifier à Lille et dans la Communauté Urbaine le label Capitale Européenne de la Culture. La Maison Folie de Tourcoing n’a jamais si bien porté son nom dès lors que Francesco Bearzatti l’investit pour y faire exploser les musiques de son quartet Monk and Roll. Les quatre italiens ont vocation de pyromanes. Ils allument Monk de pétards et feux d’artifices sonores pour y bruler vifs les hits de groupes de hard rock des années 80. I mean You se consume au feu du Immigrant song de Led Zepplin, Trinkle Tinkle s’enflamme sous le souffle brulant du Back in Black d’ACDC. Dans leurs tee shirts bariolés (The Ramones vintage pour le leader) les deux solistes ont des allures d’Arlequins ou de lutins insaisissables. En appui frontal sur un soubassement rythmique basiquement binaire, l’un et l’autre font tourner à fond les boutons de volume. Francesco Bearzatti endosse au ténor triomphant sous mille volutes de distorsion le costume laissé au clou par Hendrix, Clapton ou Jimmy Page. Giovani Falzone sans doute le plus crazy de tous étire, triture la tessiture de sa trompette dessus dessous et jusqu’aux extrêmes. Ou fait monter de sa seule voix les aigues jusqu’au vertige. Alors dans la jauge réduite de la petite salle, le niveau sonore pète les plafonds. Musique pensée, échafaudée, maîtrisée jusqu’à (pouvoir) finir en uppercut au menton ou coup de poing en pleine gueule. Energie pure. ? A dire vrai mon voisin n’a pas supporté. Il s’est enfui au bout de vingt minutes…
Christian Scott dans le décor rénové moderne et élégant d’un Théâtre au centre de la ville, presque à l’ombre d’un beffroi qui vit ici,voici dix ans, le batave Jasper Van’t Hoff offrir un solo improvisé d’une heure aux manettes d’un carillon très haut perché, le jeune trompettiste de la Nouvelle Orléans donc a visiblement fait un choix. Lui qui dans ses enregistrements se plait à parcourir la vitrine des musiques black, du hip hop au funk en passant des échos d’Afrique voir quelques essences de rock choisit (précisément ?) ce soir ch’ti là d’en rester à un idiome plutôt jazz. De quoi faire briller et rester dans les clous du genre son band de collégiens ou presque (« 22, 23 ans tout au plus » expliqua-t-il et « même moins pour le benjamin » l’étonnant sax Braxton Cook, vingt balais tout juste) tous issus ou presque de la Berkeley ou de la Julliard School. Avec une perle dont on reparlera sans doute, doté d’un jeu étoffé et dense, le batteur Corey Funville à l’incroyable tignasse en glace italienne afro. Singulier enfin cette volonté de faire et laisser jouer ses musiciens de la part de Christian Scott que l’on a connu plus volubile. Comme s’il se mettait en ombre portée du Miles dernière période. Lequel veillait à coacher ses jeunes recrues pour que vive sa musique.
Que dire d’un concert de Trombone Shorty qui n’ait déjà été conté ? Que faut-il retenir au juste ? Son talent de musicien ? Tromboniste ? Trompettiste ? Son art de show man ? Sa façon très carrée, quasi impitoyable de diriger au doigt et à l’œil la machine à vapeurs libérées de funk et autres grooves magiques? L’énergie de son vocal ? La précision millimétrée de ses arrangements ? Les clins d’œil à ses maîtres en voix noires d’Otis à Amstrong et vice versa ? La figure tutélaire de James Brown ? Ses gimmicks, son enthousiasme, son activisme fou, ses déhanchements, la duck ou la moonwalk ? Sa connaissance référencée, historique mais toujours respectueuse des musiques noires de la Nouvelle Orléans ? Se retrouvent mélés des rites, des canons, de la tradition, de la culture apte à régénérer cette ville de mer, de bayous, de terres, quartiers, marais, ouragans, parfums de vaudou et de mille métissages ? Bien sur le public à Tourcoing cette nuit là, a craqué par plaisir au bout de tant de sourire et milles sortilèges de rythmes assénés. Trombone Shorty l’a rendu un peu fou. En combinant mine de rien des relents de Sex Machine puis une version de pour terminer sur des Mardis Gras. Comment ré
sister à tant de tentatives de séductions ? Le KO général vint là encore des coups au plexus, des moultes vibrations descendues jusques au bas ventre.
A la sortie dans le grand hall du théâtre, il ne restait de vraiment calme, apaisée que le balancement des mains, bras levé, de Jordana. Elle tentait de vendre joli sourire aux lèvres et regard aguicheur, le dernier CD de son tromboniste de mari.
Robert Latxague
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L’orchestre vient de terminer son premier thème. Christian Scott s’approche du micro : « Une invitée surprise, elle est une personne aussi belle extérieur qu’intérieur. Elle s’appelle Jordana. Ma femme… » Disant ces mots ses yeux brillent. Le jeune leader affiche une sorte de sourire un peu béat. Surgit alors sous les spots une longue jeune femme frêle, imposante chevelure ondulante descendant en cascade jusqu’à la taille, métisse claire enveloppée dans une robe aux motifs de couleurs éclatantes, damiers en dominante de rouge, de vert, de jaune. Dans l’écho d’une trompette adoucie elle entame un chant citron et miel, voix souple mais ferme sur un tempo médium. Trois minutes. Une petite révérence tenant dans ses mains les plis de sa robe et la voilà disparue. On ne la reverra plus de tout le concert.
Planète Jazz Festival, Tourcoing, 16 octobre
Maison Folie Hospice d’Havré
Francesco Bearzatti (ts, cl, electr, voc), Giovani Falzone (tp, voc, effets) Danilo Gallo (b), Zeno de Rossi (dm, perc, voc)
Théâtre Municipal Raymond Devos
Christian Scott (tp), Lawrence Fields (p), Mattew Stevens (g), Braxton Cook (as, ts), Christopher Funn (b), Corey Fonville (dm)
Trombone Shorty (tb, tp, voc), Dan Oestreischer (bar s) Tim McFatter (ts), Pete Murano (g), Mike Ballard (elb), Joey Peebles (dm)
Cette appellation d’origine incontrôlée fut donnée à des salles au début du XXIe siècle par Didier Fusiller alors grand manitou sacralisé par Martine Aubry pour faire fructifier à Lille et dans la Communauté Urbaine le label Capitale Européenne de la Culture. La Maison Folie de Tourcoing n’a jamais si bien porté son nom dès lors que Francesco Bearzatti l’investit pour y faire exploser les musiques de son quartet Monk and Roll. Les quatre italiens ont vocation de pyromanes. Ils allument Monk de pétards et feux d’artifices sonores pour y bruler vifs les hits de groupes de hard rock des années 80. I mean You se consume au feu du Immigrant song de Led Zepplin, Trinkle Tinkle s’enflamme sous le souffle brulant du Back in Black d’ACDC. Dans leurs tee shirts bariolés (The Ramones vintage pour le leader) les deux solistes ont des allures d’Arlequins ou de lutins insaisissables. En appui frontal sur un soubassement rythmique basiquement binaire, l’un et l’autre font tourner à fond les boutons de volume. Francesco Bearzatti endosse au ténor triomphant sous mille volutes de distorsion le costume laissé au clou par Hendrix, Clapton ou Jimmy Page. Giovani Falzone sans doute le plus crazy de tous étire, triture la tessiture de sa trompette dessus dessous et jusqu’aux extrêmes. Ou fait monter de sa seule voix les aigues jusqu’au vertige. Alors dans la jauge réduite de la petite salle, le niveau sonore pète les plafonds. Musique pensée, échafaudée, maîtrisée jusqu’à (pouvoir) finir en uppercut au menton ou coup de poing en pleine gueule. Energie pure. ? A dire vrai mon voisin n’a pas supporté. Il s’est enfui au bout de vingt minutes…
Christian Scott dans le décor rénové moderne et élégant d’un Théâtre au centre de la ville, presque à l’ombre d’un beffroi qui vit ici,voici dix ans, le batave Jasper Van’t Hoff offrir un solo improvisé d’une heure aux manettes d’un carillon très haut perché, le jeune trompettiste de la Nouvelle Orléans donc a visiblement fait un choix. Lui qui dans ses enregistrements se plait à parcourir la vitrine des musiques black, du hip hop au funk en passant des échos d’Afrique voir quelques essences de rock choisit (précisément ?) ce soir ch’ti là d’en rester à un idiome plutôt jazz. De quoi faire briller et rester dans les clous du genre son band de collégiens ou presque (« 22, 23 ans tout au plus » expliqua-t-il et « même moins pour le benjamin » l’étonnant sax Braxton Cook, vingt balais tout juste) tous issus ou presque de la Berkeley ou de la Julliard School. Avec une perle dont on reparlera sans doute, doté d’un jeu étoffé et dense, le batteur Corey Funville à l’incroyable tignasse en glace italienne afro. Singulier enfin cette volonté de faire et laisser jouer ses musiciens de la part de Christian Scott que l’on a connu plus volubile. Comme s’il se mettait en ombre portée du Miles dernière période. Lequel veillait à coacher ses jeunes recrues pour que vive sa musique.
Que dire d’un concert de Trombone Shorty qui n’ait déjà été conté ? Que faut-il retenir au juste ? Son talent de musicien ? Tromboniste ? Trompettiste ? Son art de show man ? Sa façon très carrée, quasi impitoyable de diriger au doigt et à l’œil la machine à vapeurs libérées de funk et autres grooves magiques? L’énergie de son vocal ? La précision millimétrée de ses arrangements ? Les clins d’œil à ses maîtres en voix noires d’Otis à Amstrong et vice versa ? La figure tutélaire de James Brown ? Ses gimmicks, son enthousiasme, son activisme fou, ses déhanchements, la duck ou la moonwalk ? Sa connaissance référencée, historique mais toujours respectueuse des musiques noires de la Nouvelle Orléans ? Se retrouvent mélés des rites, des canons, de la tradition, de la culture apte à régénérer cette ville de mer, de bayous, de terres, quartiers, marais, ouragans, parfums de vaudou et de mille métissages ? Bien sur le public à Tourcoing cette nuit là, a craqué par plaisir au bout de tant de sourire et milles sortilèges de rythmes assénés. Trombone Shorty l’a rendu un peu fou. En combinant mine de rien des relents de Sex Machine puis une version de pour terminer sur des Mardis Gras. Comment ré
sister à tant de tentatives de séductions ? Le KO général vint là encore des coups au plexus, des moultes vibrations descendues jusques au bas ventre.
A la sortie dans le grand hall du théâtre, il ne restait de vraiment calme, apaisée que le balancement des mains, bras levé, de Jordana. Elle tentait de vendre joli sourire aux lèvres et regard aguicheur, le dernier CD de son tromboniste de mari.
Robert Latxague