Tous AZYMUTH
Cette tournée européenne a brusquement pris la couleur du deuil, à l’annonce du décès d’Ivan ‘Mamão’ Conti, légendaire batteur et membre fondateur du groupe, le 17 avril 2023. Immédiatement sollicité par la Azyfamilly, Renato Massa, bien connu des amoureux du Brésil pour ses nombreuses participations aux côtés, entre autres, de Marcos Valle, Eumir Deodato ou encore Ed Motta, le batteur n’a su refusé, tout en acceptant la charge d’une telle responsabilité, celle non pas de remplacer, mais d’assurer la continuité du grand Mamão. À la mort de Bertrami déjà, Kiko Continentino avait pris la suite du claviériste en apportant son propre toucher, mais aussi sa part de créativité dans ses compositions qu’on a pu trouver dans « Fenix », paru en 2016 sur le label Farout. Quant à lui, Alex Malheiros (basse) est prêt à en découdre, à slapper tout le répertoire d’Aymuth d’un revers de pouce.
Le concert commence dans une ambiance étrange, partiellement lourde et voilée. L’absence de Mamão se ressent chez les fans et les musiciens. Cette atmosphère est rapidement dissipée, dès l’intro d’un morceau du culte « Light As A Feather », This Exists, qui tel un manifeste, confirme la présence matérielle, ici, sur la scène du New Morning, du trio Azymuth, qui brave toutes les intempéries.Deuxième exploration sémantique, c’est bien un morceau qui ouvre la voie, comme le fait étymologiquement et musicalement Azymuth depuis 50 ans. L’intro est complètement remaniée par rapport à la version du disque, laissant la part belle à Kiko, qui fait feu de tous synthétiseurs dans cette introduction cosmique. En effet, trois claviers électroniques accompagnent son Fender Rhodes, et cite même le vocoder de Bertrami sur Chão da Terra (« Télécommunication »). Renato Massa lui, se dévoile humblement, en douceur, mais bien vite tous enchaînent sur le tube Voo Sobre O Horizonte, où le public fredonne en choeur l’ode romantique et paisible tournée vers l’horizon. Ici, Kiko donne toute sa sensibilité sur le Rhodes, et c’est bien sur cet instrument qu’il se place en égal et digne continuateur de Bertrami. Mais il sait aussi bien faire siens les sons synthétiques que casser les lignes de son prédécesseur, comme il le fait dans un solo fou, sur Antes Me Esquerça (de l’album « Telecommunications »), qui ferait rougir de jalousie un Joe Zawinul au sommet de sa forme.
Kiko solo !
En parlant de sommet, l’émotion s’y trouve justement lorsque débute Last Summer In Rio. Je ne cacherai pas la petite larme suscitée par ces géants qui vibrent autant que nous au beau qu’ils créent. Le coeur lourd, les trois musiciens ne cessent d’échanger des regards chargés de sens, et jouent à embarquer le public dans un ascenseur émotionnel. À trois reprises la machine ralentit et s’arrête presque, pour repartir de plus belle après l’accalmie, la dernière fois en choeur avec un public transi. Ce premier set prend fin sur l’inévitable Partido Alto, et deux amis du trio rejoignent la scène : le guitariste Carlinhos Queiroz, et le saxophoniste Raul Mascarenhas. Dans la joie, le quintette prend une allure de roda lorsque chacun se mue en percussionniste : Kiko au tamborim, imite la cuica au synthétiseur, Alex sort pandeiro et ganza, et même Renato joue de l’agogô… à gogo (il fallait bien la trouver celle-là). Bref, le set finit en beauté, et même une citation de la Marche Turque s’introduit dans un solo de Kiko, alors tout le monde est content !
Mais on est encore plus content quand le concert reprend. Il s’annonce très groovy, et les deux premiers morceaux, l’un du premier disque, l’autre de la période Farout, sont repris à toute allure et les solos s’enchaînent. Puis vient l’heure de Renato Massa, dont je parle assez peu, mais qui est vraiment excellent ce soir-là. Il fait preuve de finesse, et apporte parfois une touche de complexité bien dosée.Emmanuel Blattes, grand ami du trio, me fait justement remarquer qu’il tient ses baguettes de la même manière que Mamão, c’est-à-dire en saisissant la baguette gauche à l’envers, ce qui rend son jeu plus sec et plus puissant, nous rappelant que Mamão était avant tout un rockeur. C’est donc l’heure de Renato, qui se lance dans l’intro d’A Presa, son morceau préféré, où la part belle est faite à la percussion. Puis l’intro dérive sur Aguia Não Come Mosca, et sans y être préparés, une version folle de ce chef d’oeuvre est jouée devant nos oreilles ahuries. Du grand Azymuth. La force de ce trio est sa capacité à se renouveler, à explorer son répertoire, trouver de nouvelles ressources harmoniques, tenter des choses sur scènes. Les musiciens sont si proches d’ailleurs que lorsqu’un solo ne se passe pas comme prévu, lorsqu’un temps saute, lorsqu’une nouvelle tonalité apparaît, tous sont prêt à suivre, sans même qu’on se soit aperçu du discret travail de la contingence. Le set final continue avec des incontournables, qui mettent tout le monde d’accord. Après Vila Mariana, paru sur l’album « Fenix », où sont citées quelques phrases de Milton Nascimento sur un morceau tiré de « Ultimo Trem », on retrouve enfin Jazz Carnival, avec un magnifique ending au Fender Rhodes que Kiko gardait sous le coude. Inévitablement, la foule en délire impose un rappel, et obtient son dû : Dear Limmertz. C’est en chantant que le public quitte la salle, c’est le coeur léger que les musiciens retournent dans la loge. Quelle puissance, quelle force !
R.I.P. Mamão
À tous les amoureux et curieux d’Azymuth, ce documentaire réalisé par Emmanuel Blattes retrace avec précision le riche parcours du groupe sur ses 50 ans d’existence, en mobilisant de nombreuses interviews avec les musiciens qui ont côtoyé, souvent de près, le phénomène : https://youtu.be/FsTWsY7Igm0
Walden Gauthier
Photos : Walden Gauthier