Evénement au Triton: Joachim Kühn rencontre Emile Parisien
Atmosphère des grands jours au Triton. La salle est pleine à craquer pour la rencontre entre Joachim Kühn et Emile Parisien, prélude à l’enregistrement d’un disque dans quelques jours aux studios la Buissonne.
Joachim Kühn (piano), Emile Parisien (saxophone soprano), Manu Codjia (guitare), Simon Tailleu (contrebasse), Mario Costa (batterie), samedi 14 mai, Le Triton 75020 Mairie des Lilas.
Dèjà dans les quelques minutes précédant le concert, l’atmosphère semble porteuse de particules d’excitation et de fébrilité. Du côté du public, cette excitation est assez facile à concevoir. Joachim Kühn, légende du free jazz, a du mal à quitter son île d’adoption (Ibiza) et se fait rare en France. Sa rencontre avec avec un des jeunes saxophonistes les plus prometteurs de la scène française a attiré nombre d’aficionados. Du côté des musiciens, la fébrilité se rapporte plutôt à l’enregistrement à venir d’un disque au Studio la Buissonne, avec des compositions et des arrangements visiblement marqués « Attention peinture fraîche ».
Le groupe tutoie les sommets dès les deux premiers morceaux. Il s’agit de deux compositions très lyriques d’Emile parisien, Préambule et Road Trip (mais les noms sont peut-être amenés à changer, Emile Parisien ayant amusé le public avec une blague récurrente sur son impéritie notoire en matière de recherche de titres). Et donc, la musique décolle, en particulier dans le deuxième morceau. Emile Parisien expose les mélodies avec cette progression logique qui l’emmène de phrases en lignes claires en phrases de plus en plus hâchées, acrobatiques, biscornues, Codjia amène des distorsions et ses couleurs, et Kühn reste finalement assez sage: ses phrases sont belles, swingantes, superbement découpées, jouées avec flamme et allégresse. Tout le monde joue à un niveau d’intensité assez stupéfiant. La contrebasse de Simon Tailleu est comme un arbre où chacun vient s’adosser. Chacun pousse du même côté, la musique acquiert une force et une puissance étonnantes. Mais après ce deuxième morceau, il me semble que ce miracle s’effiloche un peu. On assiste à beaucoup de superbes moments mais cette dimension organique se perd au profit d’une succession d’interventions. Manu Codjia prend deux très beaux solos, il montre comment utiliser tous les nombreux effets qu’il maîtrise à la guitare dans une dimension narrative. Mais l’un de ses chorus m’a paru trop long par rapport justement au son global du groupe tel qu’il s’esquissait au début du concert.
Le groupe joue encore une ou deux compositions d’Emile Parisien (dont « le clown tueur de la fête foraine », avec une partie de valse apparemment destinée à Vincent Peirani, invité du disque à venir) puis des morceaux de la plume de Joachim Kühn, Nophoman, Poulpe, Radar.
Au fur à mesure du concert, Kühn dévoile son jeu. Il montre toujours autant de flamme mais ses chorus deviennent plus complexes et plus grouillants. J’ai l’impression d’un joueur de poker professionnel capable de mélanger des jeux de cartes des deux mains en sachant toujours quand vont sortir les as…
Sur Nophoman (composition de Joachim Kühn dont je ne garantis pas l’orthographe) le pianiste et le saxophoniste exposent à l’unisson une mélodie vertigineuse tout en zébrures et en épingles à cheveux. Deux funambules sur le même fil. Kühn délivre un solo à la fois abstrait et bouillonnant. Quand il passe le relais à Emile Parisien, la musique ne retombe pas et ne perd pas une once d’intensité.
Au delà de la différence de génération, Emile Parisien révèle en effet la même énergie débordante, la même folie. Parfois, pour certains saxophonistes, on se surprend à se demander si l’intensité d’un chorus n’est pas relevée d’une petite touche de mise en scène . Avec Parisien, il n’y a pas l’ombre d’un doute: tout ce qu’il a, il le donne. Sur Poulpe, un des derniers morceaux du concert, Kühn prend de nouveau un merveilleux solo. Je ne sais pourquoi je pense à l’art d’un vieux maître-fontainier plein de sagesse, l’un de ceux qui travaillent au Château de Versailles, avec cette capacité à réguler tous ces innnombrables jets d’eaux, à les faire jaillir alternativement ou tous ensemble.Le batteur portugais Mario Costa fait de la dentelle sur ces cymbales et contribue à nourrir le feu du pianiste.
je sors du concert avec le sentiment d’avoir écouté une musique d’une grande intensité, qui se cherche encore, mais qui est pleine de grandes promesses. Dans la foule des spectateurs, je croise Tony Paelman, jeune pianiste actuellement dans tous les bons coups (il joue avec Anne Paceo, Olivier Bogé, Vincent Peirani et Emile Parisien au sein du Living Being). J’en profite pour l’interviewer sur ce qu’il a pensé du jeu de piano de Joachim Kühn, afin de donner un peu de sérieux à cet article et d’aller un peu au-delà de mes métaphores de petit plaisantin dilettante et narcissique. L’entretien a lieu par téléphone quelques jours plus tard et Tony Paelman dit ceci: « J’ai d’abord été frappé par ce qu’il a fait au début: dans l’engagement qu’il a mis. J’avais l’impression de voir jouer un mec de 25 ans…Son jeu, dans les premiers morceaux, n’était pas free. Il a montré qu’il pouvait développer une ligne mélodique sur une pédale d’un accord. Il a une manière très personnelle de swinguer, un truc bien à lui, on ne ressent pas du tout avec lui ce formatage qu’on entend actuellement chez beaucoup de jeunes pianistes. Il a vraiment un langage harmonique bien à lui, qui repose sur un système d’accords diminués et augmentés ». (note : Joachim Kühn a même réalisé un disque en 1999 qui est une sorte d’illustration de ce système harmonique). Tony Paelman remarque que c’est dans le seconde partie du concert que les ambiances sont devenues plus free: « ça m’impressionne beaucoup tout ce qu’il a fait…la manière dont il développe son truc avec des petits motifs, des fils conducteurs… Il faut des années pour avoir ça dans les doigts ».
Au stylo: JF Mondot
Au pinceau: AC Alvoët
(autres dessins visibles sur le site de l’artiste: www.annie-claire.com et une nouvelle exposition de peintures à venir à partir du 27 mai dans le cadre de l’abbaye St Léger à Soissons au sein d’un collectif d’artistes)
Atmosphère des grands jours au Triton. La salle est pleine à craquer pour la rencontre entre Joachim Kühn et Emile Parisien, prélude à l’enregistrement d’un disque dans quelques jours aux studios la Buissonne.
Joachim Kühn (piano), Emile Parisien (saxophone soprano), Manu Codjia (guitare), Simon Tailleu (contrebasse), Mario Costa (batterie), samedi 14 mai, Le Triton 75020 Mairie des Lilas.
Dèjà dans les quelques minutes précédant le concert, l’atmosphère semble porteuse de particules d’excitation et de fébrilité. Du côté du public, cette excitation est assez facile à concevoir. Joachim Kühn, légende du free jazz, a du mal à quitter son île d’adoption (Ibiza) et se fait rare en France. Sa rencontre avec avec un des jeunes saxophonistes les plus prometteurs de la scène française a attiré nombre d’aficionados. Du côté des musiciens, la fébrilité se rapporte plutôt à l’enregistrement à venir d’un disque au Studio la Buissonne, avec des compositions et des arrangements visiblement marqués « Attention peinture fraîche ».
Le groupe tutoie les sommets dès les deux premiers morceaux. Il s’agit de deux compositions très lyriques d’Emile parisien, Préambule et Road Trip (mais les noms sont peut-être amenés à changer, Emile Parisien ayant amusé le public avec une blague récurrente sur son impéritie notoire en matière de recherche de titres). Et donc, la musique décolle, en particulier dans le deuxième morceau. Emile Parisien expose les mélodies avec cette progression logique qui l’emmène de phrases en lignes claires en phrases de plus en plus hâchées, acrobatiques, biscornues, Codjia amène des distorsions et ses couleurs, et Kühn reste finalement assez sage: ses phrases sont belles, swingantes, superbement découpées, jouées avec flamme et allégresse. Tout le monde joue à un niveau d’intensité assez stupéfiant. La contrebasse de Simon Tailleu est comme un arbre où chacun vient s’adosser. Chacun pousse du même côté, la musique acquiert une force et une puissance étonnantes. Mais après ce deuxième morceau, il me semble que ce miracle s’effiloche un peu. On assiste à beaucoup de superbes moments mais cette dimension organique se perd au profit d’une succession d’interventions. Manu Codjia prend deux très beaux solos, il montre comment utiliser tous les nombreux effets qu’il maîtrise à la guitare dans une dimension narrative. Mais l’un de ses chorus m’a paru trop long par rapport justement au son global du groupe tel qu’il s’esquissait au début du concert.
Le groupe joue encore une ou deux compositions d’Emile Parisien (dont « le clown tueur de la fête foraine », avec une partie de valse apparemment destinée à Vincent Peirani, invité du disque à venir) puis des morceaux de la plume de Joachim Kühn, Nophoman, Poulpe, Radar.
Au fur à mesure du concert, Kühn dévoile son jeu. Il montre toujours autant de flamme mais ses chorus deviennent plus complexes et plus grouillants. J’ai l’impression d’un joueur de poker professionnel capable de mélanger des jeux de cartes des deux mains en sachant toujours quand vont sortir les as…
Sur Nophoman (composition de Joachim Kühn dont je ne garantis pas l’orthographe) le pianiste et le saxophoniste exposent à l’unisson une mélodie vertigineuse tout en zébrures et en épingles à cheveux. Deux funambules sur le même fil. Kühn délivre un solo à la fois abstrait et bouillonnant. Quand il passe le relais à Emile Parisien, la musique ne retombe pas et ne perd pas une once d’intensité.
Au delà de la différence de génération, Emile Parisien révèle en effet la même énergie débordante, la même folie. Parfois, pour certains saxophonistes, on se surprend à se demander si l’intensité d’un chorus n’est pas relevée d’une petite touche de mise en scène . Avec Parisien, il n’y a pas l’ombre d’un doute: tout ce qu’il a, il le donne. Sur Poulpe, un des derniers morceaux du concert, Kühn prend de nouveau un merveilleux solo. Je ne sais pourquoi je pense à l’art d’un vieux maître-fontainier plein de sagesse, l’un de ceux qui travaillent au Château de Versailles, avec cette capacité à réguler tous ces innnombrables jets d’eaux, à les faire jaillir alternativement ou tous ensemble.Le batteur portugais Mario Costa fait de la dentelle sur ces cymbales et contribue à nourrir le feu du pianiste.
je sors du concert avec le sentiment d’avoir écouté une musique d’une grande intensité, qui se cherche encore, mais qui est pleine de grandes promesses. Dans la foule des spectateurs, je croise Tony Paelman, jeune pianiste actuellement dans tous les bons coups (il joue avec Anne Paceo, Olivier Bogé, Vincent Peirani et Emile Parisien au sein du Living Being). J’en profite pour l’interviewer sur ce qu’il a pensé du jeu de piano de Joachim Kühn, afin de donner un peu de sérieux à cet article et d’aller un peu au-delà de mes métaphores de petit plaisantin dilettante et narcissique. L’entretien a lieu par téléphone quelques jours plus tard et Tony Paelman dit ceci: « J’ai d’abord été frappé par ce qu’il a fait au début: dans l’engagement qu’il a mis. J’avais l’impression de voir jouer un mec de 25 ans…Son jeu, dans les premiers morceaux, n’était pas free. Il a montré qu’il pouvait développer une ligne mélodique sur une pédale d’un accord. Il a une manière très personnelle de swinguer, un truc bien à lui, on ne ressent pas du tout avec lui ce formatage qu’on entend actuellement chez beaucoup de jeunes pianistes. Il a vraiment un langage harmonique bien à lui, qui repose sur un système d’accords diminués et augmentés ». (note : Joachim Kühn a même réalisé un disque en 1999 qui est une sorte d’illustration de ce système harmonique). Tony Paelman remarque que c’est dans le seconde partie du concert que les ambiances sont devenues plus free: « ça m’impressionne beaucoup tout ce qu’il a fait…la manière dont il développe son truc avec des petits motifs, des fils conducteurs… Il faut des années pour avoir ça dans les doigts ».
Au stylo: JF Mondot
Au pinceau: AC Alvoët
(autres dessins visibles sur le site de l’artiste: www.annie-claire.com et une nouvelle exposition de peintures à venir à partir du 27 mai dans le cadre de l’abbaye St Léger à Soissons au sein d’un collectif d’artistes)
Atmosphère des grands jours au Triton. La salle est pleine à craquer pour la rencontre entre Joachim Kühn et Emile Parisien, prélude à l’enregistrement d’un disque dans quelques jours aux studios la Buissonne.
Joachim Kühn (piano), Emile Parisien (saxophone soprano), Manu Codjia (guitare), Simon Tailleu (contrebasse), Mario Costa (batterie), samedi 14 mai, Le Triton 75020 Mairie des Lilas.
Dèjà dans les quelques minutes précédant le concert, l’atmosphère semble porteuse de particules d’excitation et de fébrilité. Du côté du public, cette excitation est assez facile à concevoir. Joachim Kühn, légende du free jazz, a du mal à quitter son île d’adoption (Ibiza) et se fait rare en France. Sa rencontre avec avec un des jeunes saxophonistes les plus prometteurs de la scène française a attiré nombre d’aficionados. Du côté des musiciens, la fébrilité se rapporte plutôt à l’enregistrement à venir d’un disque au Studio la Buissonne, avec des compositions et des arrangements visiblement marqués « Attention peinture fraîche ».
Le groupe tutoie les sommets dès les deux premiers morceaux. Il s’agit de deux compositions très lyriques d’Emile parisien, Préambule et Road Trip (mais les noms sont peut-être amenés à changer, Emile Parisien ayant amusé le public avec une blague récurrente sur son impéritie notoire en matière de recherche de titres). Et donc, la musique décolle, en particulier dans le deuxième morceau. Emile Parisien expose les mélodies avec cette progression logique qui l’emmène de phrases en lignes claires en phrases de plus en plus hâchées, acrobatiques, biscornues, Codjia amène des distorsions et ses couleurs, et Kühn reste finalement assez sage: ses phrases sont belles, swingantes, superbement découpées, jouées avec flamme et allégresse. Tout le monde joue à un niveau d’intensité assez stupéfiant. La contrebasse de Simon Tailleu est comme un arbre où chacun vient s’adosser. Chacun pousse du même côté, la musique acquiert une force et une puissance étonnantes. Mais après ce deuxième morceau, il me semble que ce miracle s’effiloche un peu. On assiste à beaucoup de superbes moments mais cette dimension organique se perd au profit d’une succession d’interventions. Manu Codjia prend deux très beaux solos, il montre comment utiliser tous les nombreux effets qu’il maîtrise à la guitare dans une dimension narrative. Mais l’un de ses chorus m’a paru trop long par rapport justement au son global du groupe tel qu’il s’esquissait au début du concert.
Le groupe joue encore une ou deux compositions d’Emile Parisien (dont « le clown tueur de la fête foraine », avec une partie de valse apparemment destinée à Vincent Peirani, invité du disque à venir) puis des morceaux de la plume de Joachim Kühn, Nophoman, Poulpe, Radar.
Au fur à mesure du concert, Kühn dévoile son jeu. Il montre toujours autant de flamme mais ses chorus deviennent plus complexes et plus grouillants. J’ai l’impression d’un joueur de poker professionnel capable de mélanger des jeux de cartes des deux mains en sachant toujours quand vont sortir les as…
Sur Nophoman (composition de Joachim Kühn dont je ne garantis pas l’orthographe) le pianiste et le saxophoniste exposent à l’unisson une mélodie vertigineuse tout en zébrures et en épingles à cheveux. Deux funambules sur le même fil. Kühn délivre un solo à la fois abstrait et bouillonnant. Quand il passe le relais à Emile Parisien, la musique ne retombe pas et ne perd pas une once d’intensité.
Au delà de la différence de génération, Emile Parisien révèle en effet la même énergie débordante, la même folie. Parfois, pour certains saxophonistes, on se surprend à se demander si l’intensité d’un chorus n’est pas relevée d’une petite touche de mise en scène . Avec Parisien, il n’y a pas l’ombre d’un doute: tout ce qu’il a, il le donne. Sur Poulpe, un des derniers morceaux du concert, Kühn prend de nouveau un merveilleux solo. Je ne sais pourquoi je pense à l’art d’un vieux maître-fontainier plein de sagesse, l’un de ceux qui travaillent au Château de Versailles, avec cette capacité à réguler tous ces innnombrables jets d’eaux, à les faire jaillir alternativement ou tous ensemble.Le batteur portugais Mario Costa fait de la dentelle sur ces cymbales et contribue à nourrir le feu du pianiste.
je sors du concert avec le sentiment d’avoir écouté une musique d’une grande intensité, qui se cherche encore, mais qui est pleine de grandes promesses. Dans la foule des spectateurs, je croise Tony Paelman, jeune pianiste actuellement dans tous les bons coups (il joue avec Anne Paceo, Olivier Bogé, Vincent Peirani et Emile Parisien au sein du Living Being). J’en profite pour l’interviewer sur ce qu’il a pensé du jeu de piano de Joachim Kühn, afin de donner un peu de sérieux à cet article et d’aller un peu au-delà de mes métaphores de petit plaisantin dilettante et narcissique. L’entretien a lieu par téléphone quelques jours plus tard et Tony Paelman dit ceci: « J’ai d’abord été frappé par ce qu’il a fait au début: dans l’engagement qu’il a mis. J’avais l’impression de voir jouer un mec de 25 ans…Son jeu, dans les premiers morceaux, n’était pas free. Il a montré qu’il pouvait développer une ligne mélodique sur une pédale d’un accord. Il a une manière très personnelle de swinguer, un truc bien à lui, on ne ressent pas du tout avec lui ce formatage qu’on entend actuellement chez beaucoup de jeunes pianistes. Il a vraiment un langage harmonique bien à lui, qui repose sur un système d’accords diminués et augmentés ». (note : Joachim Kühn a même réalisé un disque en 1999 qui est une sorte d’illustration de ce système harmonique). Tony Paelman remarque que c’est dans le seconde partie du concert que les ambiances sont devenues plus free: « ça m’impressionne beaucoup tout ce qu’il a fait…la manière dont il développe son truc avec des petits motifs, des fils conducteurs… Il faut des années pour avoir ça dans les doigts ».
Au stylo: JF Mondot
Au pinceau: AC Alvoët
(autres dessins visibles sur le site de l’artiste: www.annie-claire.com et une nouvelle exposition de peintures à venir à partir du 27 mai dans le cadre de l’abbaye St Léger à Soissons au sein d’un collectif d’artistes)
Atmosphère des grands jours au Triton. La salle est pleine à craquer pour la rencontre entre Joachim Kühn et Emile Parisien, prélude à l’enregistrement d’un disque dans quelques jours aux studios la Buissonne.
Joachim Kühn (piano), Emile Parisien (saxophone soprano), Manu Codjia (guitare), Simon Tailleu (contrebasse), Mario Costa (batterie), samedi 14 mai, Le Triton 75020 Mairie des Lilas.
Dèjà dans les quelques minutes précédant le concert, l’atmosphère semble porteuse de particules d’excitation et de fébrilité. Du côté du public, cette excitation est assez facile à concevoir. Joachim Kühn, légende du free jazz, a du mal à quitter son île d’adoption (Ibiza) et se fait rare en France. Sa rencontre avec avec un des jeunes saxophonistes les plus prometteurs de la scène française a attiré nombre d’aficionados. Du côté des musiciens, la fébrilité se rapporte plutôt à l’enregistrement à venir d’un disque au Studio la Buissonne, avec des compositions et des arrangements visiblement marqués « Attention peinture fraîche ».
Le groupe tutoie les sommets dès les deux premiers morceaux. Il s’agit de deux compositions très lyriques d’Emile parisien, Préambule et Road Trip (mais les noms sont peut-être amenés à changer, Emile Parisien ayant amusé le public avec une blague récurrente sur son impéritie notoire en matière de recherche de titres). Et donc, la musique décolle, en particulier dans le deuxième morceau. Emile Parisien expose les mélodies avec cette progression logique qui l’emmène de phrases en lignes claires en phrases de plus en plus hâchées, acrobatiques, biscornues, Codjia amène des distorsions et ses couleurs, et Kühn reste finalement assez sage: ses phrases sont belles, swingantes, superbement découpées, jouées avec flamme et allégresse. Tout le monde joue à un niveau d’intensité assez stupéfiant. La contrebasse de Simon Tailleu est comme un arbre où chacun vient s’adosser. Chacun pousse du même côté, la musique acquiert une force et une puissance étonnantes. Mais après ce deuxième morceau, il me semble que ce miracle s’effiloche un peu. On assiste à beaucoup de superbes moments mais cette dimension organique se perd au profit d’une succession d’interventions. Manu Codjia prend deux très beaux solos, il montre comment utiliser tous les nombreux effets qu’il maîtrise à la guitare dans une dimension narrative. Mais l’un de ses chorus m’a paru trop long par rapport justement au son global du groupe tel qu’il s’esquissait au début du concert.
Le groupe joue encore une ou deux compositions d’Emile Parisien (dont « le clown tueur de la fête foraine », avec une partie de valse apparemment destinée à Vincent Peirani, invité du disque à venir) puis des morceaux de la plume de Joachim Kühn, Nophoman, Poulpe, Radar.
Au fur à mesure du concert, Kühn dévoile son jeu. Il montre toujours autant de flamme mais ses chorus deviennent plus complexes et plus grouillants. J’ai l’impression d’un joueur de poker professionnel capable de mélanger des jeux de cartes des deux mains en sachant toujours quand vont sortir les as…
Sur Nophoman (composition de Joachim Kühn dont je ne garantis pas l’orthographe) le pianiste et le saxophoniste exposent à l’unisson une mélodie vertigineuse tout en zébrures et en épingles à cheveux. Deux funambules sur le même fil. Kühn délivre un solo à la fois abstrait et bouillonnant. Quand il passe le relais à Emile Parisien, la musique ne retombe pas et ne perd pas une once d’intensité.
Au delà de la différence de génération, Emile Parisien révèle en effet la même énergie débordante, la même folie. Parfois, pour certains saxophonistes, on se surprend à se demander si l’intensité d’un chorus n’est pas relevée d’une petite touche de mise en scène . Avec Parisien, il n’y a pas l’ombre d’un doute: tout ce qu’il a, il le donne. Sur Poulpe, un des derniers morceaux du concert, Kühn prend de nouveau un merveilleux solo. Je ne sais pourquoi je pense à l’art d’un vieux maître-fontainier plein de sagesse, l’un de ceux qui travaillent au Château de Versailles, avec cette capacité à réguler tous ces innnombrables jets d’eaux, à les faire jaillir alternativement ou tous ensemble.Le batteur portugais Mario Costa fait de la dentelle sur ces cymbales et contribue à nourrir le feu du pianiste.
je sors du concert avec le sentiment d’avoir écouté une musique d’une grande intensité, qui se cherche encore, mais qui est pleine de grandes promesses. Dans la foule des spectateurs, je croise Tony Paelman, jeune pianiste actuellement dans tous les bons coups (il joue avec Anne Paceo, Olivier Bogé, Vincent Peirani et Emile Parisien au sein du Living Being). J’en profite pour l’interviewer sur ce qu’il a pensé du jeu de piano de Joachim Kühn, afin de donner un peu de sérieux à cet article et d’aller un peu au-delà de mes métaphores de petit plaisantin dilettante et narcissique. L’entretien a lieu par téléphone quelques jours plus tard et Tony Paelman dit ceci: « J’ai d’abord été frappé par ce qu’il a fait au début: dans l’engagement qu’il a mis. J’avais l’impression de voir jouer un mec de 25 ans…Son jeu, dans les premiers morceaux, n’était pas free. Il a montré qu’il pouvait développer une ligne mélodique sur une pédale d’un accord. Il a une manière très personnelle de swinguer, un truc bien à lui, on ne ressent pas du tout avec lui ce formatage qu’on entend actuellement chez beaucoup de jeunes pianistes. Il a vraiment un langage harmonique bien à lui, qui repose sur un système d’accords diminués et augmentés ». (note : Joachim Kühn a même réalisé un disque en 1999 qui est une sorte d’illustration de ce système harmonique). Tony Paelman remarque que c’est dans le seconde partie du concert que les ambiances sont devenues plus free: « ça m’impressionne beaucoup tout ce qu’il a fait…la manière dont il développe son truc avec des petits motifs, des fils conducteurs… Il faut des années pour avoir ça dans les doigts ».
Au stylo: JF Mondot
Au pinceau: AC Alvoët
(autres dessins visibles sur le site de l’artiste: www.annie-claire.com et une nouvelle exposition de peintures à venir à partir du 27 mai dans le cadre de l’abbaye St Léger à Soissons au sein d’un collectif d’artistes)