Trois fièvres et plus avec Benoît Delbecq, Étienne Renard et Guilhem Flouzat
Triple Fever est le nom de groupe que ce sont donnés le pianiste Benoît Delbecq, le contrebassiste Étienne Renard et le batteur Guilhem Flouzat. Première au Sunside hier 6 janvier au lendemain d’une journée d’enregistrement au Studio de Meudon.
Début de soirée au Pan Piper : le guitariste Pascal Charrier présentait le programme du disque “Workers” dont Jean-François Mondot et Annie-Claire Alvoët ne tarderont pas à vous parler en mots et en images sur ce même site. Encore habité des belles textures orchestrales que le guitariste a imaginé pour son Kami Octet et confié à une quelques belles personnalités musicales, je débarque rue des Lombards dans une cohue de vendredi soir, dont le brouhaha m’accompagnant jusqu’à l’intérieur du Sunside à l’heure de la pause me sert de sas de décompression entre mes deux concerts.
Le bouche-à-oreille a fait office, notamment parmi les jeunes musiciens qui sont venus nombreux poussés par une cuisante curiosité. On observe Benoît Delbecq, l’aîné, préparant les cordes de son piano à ruisseler sur des semblants de pierres sonnantes au rythme d’horloges déréglées; et on l’imagine définir ici les règles du jeu. Mais en fait, il n’y a rien là pour prendre en défaut ses deux cadets d’une génération – presque deux, Flouzat étant l’aîné des deux. Ils ont grandi avec la réflexion rythmique qui a traversé le jazz dans les dernières décennies du siècle dernier et ils s’en emparent avec une aisance et élégance nouvelle, nourrie d’Histoire et du présent new-yorkais et européen.
On a vu notamment Étienne Renard, contrebassiste tout terrain, capable de remplacer haut la main au dernier festival de Nevers le contrebassiste régulier de Mikko Akinnen en tandem rythmique avec le batteur danois Peter Bruun, ce qui suppose de n’avoir pas fréquenté que les chemins battus et n’en être pas à ses premières audaces. Après s’être formé à la rude école new-yorkaise, Guilhem Flouzat n’en a pas moins été chercher l’information au-delà des marges du mainstream américain, auprès de Dan Weiss et Mark Guiliana, et mène sa carrière de batteur-compositeur avec un goût et une curiosité d’homme de culture.
Et à les entendre les yeux fermés sur le répertoire qu’ils se sont découverts au fil de sessions privés, on serait bien en peine de dire lequel du pianiste, du contrebassiste ou du batteur est le leader, voire l’aîné des trois ; ni d’attribuer à l’un ou l’autre la paternité de tel ou tel morceau. D’ailleurs je me suis moi-même perdu à l’écoute de l’annonce des titres et c’est tout juste si j’oserai créditer telle composition à Guilhem Flouzat sur la foi de son tempo bien swingué (tirant des doigts de Delbecq ses penchants les plus monkiens) ; telle autre au pianiste tant son écriture semblait découler de la préparation du piano (à laquelle le batteur répondit par des “tintinnabulis xylophones”) ; et cette autre à Étienne Renard parce qu’il y tenait une place centrale (exception confirmant la règle de cet orchestre sans leader ni véritable soliste).
Tout ici glisse, s’écoule, se précipite et tourbillonne pour se fondre en eaux mortes, giclant soudain de quelque retenue. Chaque tempo semble en contenir mille qui s’engendrent les uns les autres, la précipitation est tranquille, le calme est affolé, les pierres sont liquides et les gouttes d’eau fermes comme du cristal; le vent est solaire et l’on plane, on flotte et se laisse noyer dans un même voluptueux élan. Cette image accompagna la noyade quasi voluptueuse de Martin Eden concluant le roman de Jack London que je terminais dans le RER du retour, lecture que je m’étais promise en sortant ébloui des concerts inspirés par ce roman à Vincent Courtois et ses amis Robin Fincker et Daniel Erdman. Mais ça c’est une autre histoire. Franck Bergerot
PS : les fans de Benoît Delbecq ne manqueront pas de le retrouver le 14 janvier à 19h30 à la Maison de la Radio à l’affiche de Jazz sur le Vif, dans le nouveau projet “Eyeballing” de la contrebassiste Sarah Murcia (avec le saxophoniste Olivier Py et le tubiste François Thuillier), ainsi que le 26 à la tête d’un nouveau projet en sextette, “Multiplexers” (avec le même Étienne Renard, plus Alain Vankenhove, Samuel Blaser, Charley Rose et Samuel Ber).