Jazz live
Publié le 27 Jan 2018

Tulle : la déclinaison des bleus, Leïla Martial, et autres sujets de contentement

Les derniers concerts sont pour aujourd'hui. La journée de vendredi aura vu (entre autres) la confirmation du talent de Leïla Martial, mais aussi les effets d'un travail prolongé avec le même trio. Et The Rev' qui est toujours là !

Recension : le trouble obsessionnel discophile trouve à Tulle de quoi se satisfaire en la personne de Philippe Nicole, qui assure depuis des années la présence des vinyles de jazz (et rock, pop, musiques du monde, etc.) dans sa boutique tulliste « The Rev » (voir photo). On est ravi (et un peu étonné) de profiter de cette constance, à une époque où l’on prévoit plutôt la disparition de ce genre d’enseignes. Sans donner le moins du monde l’impression de ramer à contre courant, il accueille, aime à bavarder avec ses clients et les photographier à l’occasion pour alimente se page FB. Très large choix, prix très doux, voire mieux que ça encore, pas étonnant qu’il soit connu et qu’à la belle saison les fondus de galette fasse éventuellement le détour.

 

The Rev'

The Rev’

Politique culturelle et grande région : on annonce pour la rentrée de septembre la « fusion » des scènes de Tulle et de Brive, sous forme d’une Scène Nationale dont le nom est encore à déterminer : on attend vos propositions. La mienne serait d’inclure « loco » dans le nom, en équivoquant sur l’idée de « lieu » et celle de « locomotive » (à vapeur), Tulle et Brive ayant été par le passé des gares situées sur la ligne Clermont-Ferrand – Bordeaux, chère à mon coeur puisque je suis né dans cette dernière et que je réside dans la capitale de la Nouvelle-Aquitaine. En 1953, par exemple, on changeait de « loco » (et de sens) plusieurs fois dans la nuit avant d’arriver à Bordeaux, où les trains filaient à toute allure vers les Landes et l’Espagne, remorqués per des 2D2, puis des BB et des CC. Que de rêves enfantins sur ces puissantes locomotives !!!

 

La future première ligne de l'entente Brive - Tulle ?

The trio Baabel salue

En tous cas, « Du Bleu en Hiver » trouvera dans cette nouvelle configuration une manière de se prolonger et de s’étendre, ce qui est vraiment une bonne nouvelle pour cette région qui pourrait enfin se décentrer un peu vers le nord (Périgueux, Limoges avec « Éclats d’Émail, Brive, Tulle, etc.) et cesser de regarder vers le sud où, à l’exception de rares initiatives (Oloron, l’association « Tonnerre de Jazz » qui démarre dans la région de Pau) le jazz est encore considéré du point de vue du Hot Club de France, ce qui ne fait pas vraiment avancer les choses. Et quant à Bordeaux… on y a d’autres préoccupations que celle du jazz comme art musical à part entière.

Faut dire ! Ils ne nous ont pas facilité les choses de l’autre côté de l’Atlantique, avec leur manière de toujours tout récupérer pour la distraction et la fabrique monétaire. Le jazz, une fondation musicale ? Plutôt une occasion de l’inclure dans la société du show business, et par ici les recettes. Et si la mode est aux chanteuses, qu’elles se contentent de chanter et ne viennent pas nous faire dériver vers « je ne sais quoi » qui aurait rapport avec le travail de la voix. Ou sur les signes. Et les écoles de jazz seront là pour ça, conserver (Conservatoire) ce qui doit l’être. Manque de chance, l’une des plus connues (Marciac) a déjà produit des Parisien (Émile), parfait exemple du contraire c’est à dire du profond respect pour la vraie tradition – celle qui consiste à bousculer les codes – mais aussi des Dousteyssier (frères d’armes chez Tricollectif et Umlaut) et une certaine Leïla Martial qui nous a prouvé hier soir qu’elle n’avait rien perdu de son talent en montant les marches de sa naissante renommée.

 

Leïla Martial

Leïla Martial

Le trio qui vient de graver « Baabel » (Choc « Jazz Magazine », distribution Socadisc), soit Leïla Martial (vocal, claviers), Pierre Tereygeol (vocal, g) et Eric Perez (dm, vocal, electronics) se produisait donc hier soir, dans la grande salle du Théâtre à Tulle. Belle assistance, concert engagé tout de suite à un très haut niveau de contact avec l’auditoire, et véritable manifeste en acte pour ce que peut produire de mieux le fait de travailler pendant des années avec les mêmes partenaires. Non seulement Eric Perez est toujours là (il était des tout premiers concerts de Leïla dans le fin fond des Pyrénées, et à Bordeaux), avec sa batterie, sa voix, son sens de la composition, mais Pierre Tereygeol aussi, avec un engagement de plus en plus complet (guitare, voix, prises de risques) et une joie manifeste d’être là. Quant à Leïla, que nous avons retrouvée après quelques mois où nos pas nous avaient conduits chacun vers d’autres cieux, elle a pris une assurance, et pour tout dire une chair, qui nous a tout de suite remis sur les chemins frissonnants de la plus belle émotion. J’enrage encore de ne pas trouver les mots exacts pour décrire, dépeindre, détailler, le timbre immédiatement identifiable de sa voix. Car si la voix est un mode du corps (en termes spinozistes, ou cartésiens), elle doit comporter en elle-même cette part de force fragile qui nous a toujours semblé être l’axe vibrant de cette chanteuse paradoxale. Clown, ou bête (chèvre), animal en tous cas, son vibrato (parfaitement assuré et assumé) signe les capacités d’un organe vocal capable des performances les plus audacieuses, et nous embarque dans des univers dont la danse n’est jamais absente, mais aussi une forme de sourire très ambigu, complexe, dont le « Smile » de Charlie Chaplin est l’un des repères présent depuis les débuts. Entre souplesse et rigueur, audaces et soumission, la route babélienne où s’est engagée Leïla (avec je ne sais quel Charlot) nous réserve encore bien des surprises.

 

Leïla Martial

Leïla Martial

Philippe Méziat