Jazz live
Publié le 14 Juil 2015

Umbria Jazz (II), Pérouse, Ombrie, Italie. 13 juillet.

Ce n’est pas tous les jours qu’on voit The Bad Plus officier en tant qu’accompagnateurs. Ils l’ont fait naguère avec une chanteuse et le résultat était plus que discutable. Cette fois-ci, à l’Arena Santa Giuliana et avec Joshua Redman, on commence par se demander qui accompagne qui.


Umbria Jazz (II), Pérouse, Ombrie, Italie. 13 juillet.

Arena Santa Giuliana : The Bad Plus & Joshua Redman , Snarky Puppy ; Teatro Morlacchi : Antonio Farao Quartet.


Car The Bad Plus n’est pas considéré pour rien comme un « power trio », et ils font souvent paraître Joshua Redman si évanescent quand ils jouent « autour de » (plutôt que « derrière ») lui qu’on en a presque de la peine pour le saxophoniste. Il faut dire que sa sonorité étriquée et son jeu lisse et gorgé de plans prévisibles ne fait pas vraiment le poids face aux trois phénomènes qui occupent les postes de pianiste, bassiste et batteur. Prenez Ethan Iverson, par exemple : ses solos anguleux et véloces ou — quand il accompagne — son placement rythmique, sa science des accords… font qu’on peut avoir envie de le suivre pendant plusieurs minutes, conscient de la présence de ses comparses, mais oubliant quasiment qu’un souffleur s’époumone dans le lointain. Dave King, quand il s’y met, « envoie grave » (comme disait mon grand-oncle, qui inventa l’expression, mais dont la modestie était légendaire) et Redman — encore lui — peine à suivre. Reid Anderson (le plus proche du souffleur sur la scène) est sans doute celui qui le renvoie le moins à ses difficultés à atteindre le niveau d’intensité de sa « rythmique ». Il faut reconnaître par ailleurs qu’une partie du répertoire — partagé entre les protagonistes — est assez consensuel pour atténuer le différentiel entre le ténor et le trio tandis que d’autres thèmes portent nettement la marque d’Iverson, le cerveau du trio.

Mais, finalement, pourquoi cette association (sinon dans un but évidemment commercial) qui ne se nomme pas The Bad Plus & (ou invitent) Joshua Redman? Sont-ils amis ? Eclusent-ils ensemble force chopines, se soutenant l’un l’autre après boire pour rejoindre leurs pénates respectives ? L’un fait-il sauter les P.V. des autres ?… J’ai personnellement ma petite idée : The Bad Plus Joshua Redman (les Méchants + Joshua Redman, en français) nous indique que les membres du trio sont fondamentalement des teignes, même s’ils dissimulent ce trait de caractère derrière une allure de Bisounours davantage en vogue à notre époque de softitude généralisée (laquelle, je vous l’accorde, cache une féroce « guerre de tous contre tous », mais bon…). Donc les Bad Plus sont des méchants, des vilains pas beaux dans le tréfonds de leur être. Et, en l’occurrence, ils ont décidé de faire la peau à un Pluche, invité pour la simple raison qu’il ne se rendrait pas compte — vu le niveau de célébrité atteint par lui, laquelle n’incite guère à la remise en cause (témoins : les applaudissements du public chaque fois qu’on cite le nom de J. R.) — que le trio pointait sur scène son « inanité sonore ». Résultat : The Bad Plus en sortent grandis (pas aux yeux des tenants d’une morale pleurnicharde, certes) d’un point de vue musical car — par tous les diables de l’enfer ! — quel trio quand ils le veulent bien ! Ayant soutenu l’hypothèse osée exposée plus haut, je vous laisse la tâche noble mais ardue de décider ce qui, de la (bonne) musique ou de la morale (pleurnicharde), est le plus important dans cette (chienne de) vie.


Après trois longs quarts d’heure de changement de plateau, je suis resté 20 mn à subir la musique de Snarky Puppy, peut-être par l’effet d’une générosité qui ne m’est guère habituelle mais surtout par une volonté tenace de comprendre ce que les festivals, un grand label et le public peuvent bien aimer dans le funk tiédasse de ce groupe qui m’avait fait fuir à Coutances l’an dernier. Baillant d’ennui, j’ai tenté de trouver un intérêt à une rythmique mollassonne, à des compositions ineptes agrémentées de sonorités électroniques d’un autre âge et d’un goût douteux, à des solos parfaitement oubliables … Quand Snarky Puppy a monté la puissance, au deuxième morceau, j’ai espéré (en vain) qu’ils me sortiraient de ma torpeur. Alors je me suis dit que ce devait être moi l’indécrottable dinosaure incapable d’apprécier cette musique de « djeunz ». Une consolation cependant : on déterre encore ici ou là des ossements de dinosaures. Quand un quelconque quidam trouvera mon squelette dans quelques siècles et constatera la présence, sur mon occiput, d’une protubérance indiquant que j’étais un être passablement obtus, porteur d’une vision du jazz ouverte, mais forclose à une bonne partie de la soupe ambiante de ce début de millénaire, je doute alors que ce quidam — pas plus que ces ancêtres sur plusieurs générations — se souviendra de l’existence éphémère d’un groupe sans véritable colonne vertébrale, du nom de Snarky Puppy, à la mode vers les années 2015.


Sur ces réflexions, je me suis dirigé vers le Teatro Morlacchi, fendant au passage la cohue des badauds friands de pizzas, glaces et concerts gratuits. Situé dans la haute ville, le Morlacchi accueille dans son cadre « à l’italienne » des moyennes formations telles que celle de Vijay Iyer, que j’avais manquée l’après-midi pour cause de sieste prolongée (Ricanez à votre aise : vous verrez quand vous aurez mon âge !). Antonio Farao, avec Mauro Negri au ténor et une rythmique adéquate y déroulaient vers minuit un hard bop moderne d’excellente facture, dont les Italiens sont sans doute — avec les Danois — les meilleurs praticiens de ce côté-ci de l’Atlantique. Une musique à laquelle il ne faut sans doute pas demander davantage que ce qu’elle a déjà donné depuis des décennies, mais dont des pianistes comme Antonio Farao sont de sincères et fidèles praticiens. Ce n’est donc pas à eux qu’on reprochera de se prendre pour le nombril du monde à leur sortie de l’Université du Texas, ou d’émarger au peloton de tête des ténors de ce monde pour des raisons qui restent mystérieuses. Je n’en dis pas plus car, personne ne m’ayant proposé de m’aider à regagner mes pénates autrement qu’à pied, il est temps que je mobilise mon énergie et mon sens de l’orientation pour rejoindre mon hôtel. 

Thierry Quénum



PS : Vous ai-je dit hier qu’Umbria Jazz en était cette année à sa 42° édition ? Non ? Implorer votre pardon me sera-t-il d’une quelconque utilité ? Essayons toujours !

 

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Ce n’est pas tous les jours qu’on voit The Bad Plus officier en tant qu’accompagnateurs. Ils l’ont fait naguère avec une chanteuse et le résultat était plus que discutable. Cette fois-ci, à l’Arena Santa Giuliana et avec Joshua Redman, on commence par se demander qui accompagne qui.


Umbria Jazz (II), Pérouse, Ombrie, Italie. 13 juillet.

Arena Santa Giuliana : The Bad Plus & Joshua Redman , Snarky Puppy ; Teatro Morlacchi : Antonio Farao Quartet.


Car The Bad Plus n’est pas considéré pour rien comme un « power trio », et ils font souvent paraître Joshua Redman si évanescent quand ils jouent « autour de » (plutôt que « derrière ») lui qu’on en a presque de la peine pour le saxophoniste. Il faut dire que sa sonorité étriquée et son jeu lisse et gorgé de plans prévisibles ne fait pas vraiment le poids face aux trois phénomènes qui occupent les postes de pianiste, bassiste et batteur. Prenez Ethan Iverson, par exemple : ses solos anguleux et véloces ou — quand il accompagne — son placement rythmique, sa science des accords… font qu’on peut avoir envie de le suivre pendant plusieurs minutes, conscient de la présence de ses comparses, mais oubliant quasiment qu’un souffleur s’époumone dans le lointain. Dave King, quand il s’y met, « envoie grave » (comme disait mon grand-oncle, qui inventa l’expression, mais dont la modestie était légendaire) et Redman — encore lui — peine à suivre. Reid Anderson (le plus proche du souffleur sur la scène) est sans doute celui qui le renvoie le moins à ses difficultés à atteindre le niveau d’intensité de sa « rythmique ». Il faut reconnaître par ailleurs qu’une partie du répertoire — partagé entre les protagonistes — est assez consensuel pour atténuer le différentiel entre le ténor et le trio tandis que d’autres thèmes portent nettement la marque d’Iverson, le cerveau du trio.

Mais, finalement, pourquoi cette association (sinon dans un but évidemment commercial) qui ne se nomme pas The Bad Plus & (ou invitent) Joshua Redman? Sont-ils amis ? Eclusent-ils ensemble force chopines, se soutenant l’un l’autre après boire pour rejoindre leurs pénates respectives ? L’un fait-il sauter les P.V. des autres ?… J’ai personnellement ma petite idée : The Bad Plus Joshua Redman (les Méchants + Joshua Redman, en français) nous indique que les membres du trio sont fondamentalement des teignes, même s’ils dissimulent ce trait de caractère derrière une allure de Bisounours davantage en vogue à notre époque de softitude généralisée (laquelle, je vous l’accorde, cache une féroce « guerre de tous contre tous », mais bon…). Donc les Bad Plus sont des méchants, des vilains pas beaux dans le tréfonds de leur être. Et, en l’occurrence, ils ont décidé de faire la peau à un Pluche, invité pour la simple raison qu’il ne se rendrait pas compte — vu le niveau de célébrité atteint par lui, laquelle n’incite guère à la remise en cause (témoins : les applaudissements du public chaque fois qu’on cite le nom de J. R.) — que le trio pointait sur scène son « inanité sonore ». Résultat : The Bad Plus en sortent grandis (pas aux yeux des tenants d’une morale pleurnicharde, certes) d’un point de vue musical car — par tous les diables de l’enfer ! — quel trio quand ils le veulent bien ! Ayant soutenu l’hypothèse osée exposée plus haut, je vous laisse la tâche noble mais ardue de décider ce qui, de la (bonne) musique ou de la morale (pleurnicharde), est le plus important dans cette (chienne de) vie.


Après trois longs quarts d’heure de changement de plateau, je suis resté 20 mn à subir la musique de Snarky Puppy, peut-être par l’effet d’une générosité qui ne m’est guère habituelle mais surtout par une volonté tenace de comprendre ce que les festivals, un grand label et le public peuvent bien aimer dans le funk tiédasse de ce groupe qui m’avait fait fuir à Coutances l’an dernier. Baillant d’ennui, j’ai tenté de trouver un intérêt à une rythmique mollassonne, à des compositions ineptes agrémentées de sonorités électroniques d’un autre âge et d’un goût douteux, à des solos parfaitement oubliables … Quand Snarky Puppy a monté la puissance, au deuxième morceau, j’ai espéré (en vain) qu’ils me sortiraient de ma torpeur. Alors je me suis dit que ce devait être moi l’indécrottable dinosaure incapable d’apprécier cette musique de « djeunz ». Une consolation cependant : on déterre encore ici ou là des ossements de dinosaures. Quand un quelconque quidam trouvera mon squelette dans quelques siècles et constatera la présence, sur mon occiput, d’une protubérance indiquant que j’étais un être passablement obtus, porteur d’une vision du jazz ouverte, mais forclose à une bonne partie de la soupe ambiante de ce début de millénaire, je doute alors que ce quidam — pas plus que ces ancêtres sur plusieurs générations — se souviendra de l’existence éphémère d’un groupe sans véritable colonne vertébrale, du nom de Snarky Puppy, à la mode vers les années 2015.


Sur ces réflexions, je me suis dirigé vers le Teatro Morlacchi, fendant au passage la cohue des badauds friands de pizzas, glaces et concerts gratuits. Situé dans la haute ville, le Morlacchi accueille dans son cadre « à l’italienne » des moyennes formations telles que celle de Vijay Iyer, que j’avais manquée l’après-midi pour cause de sieste prolongée (Ricanez à votre aise : vous verrez quand vous aurez mon âge !). Antonio Farao, avec Mauro Negri au ténor et une rythmique adéquate y déroulaient vers minuit un hard bop moderne d’excellente facture, dont les Italiens sont sans doute — avec les Danois — les meilleurs praticiens de ce côté-ci de l’Atlantique. Une musique à laquelle il ne faut sans doute pas demander davantage que ce qu’elle a déjà donné depuis des décennies, mais dont des pianistes comme Antonio Farao sont de sincères et fidèles praticiens. Ce n’est donc pas à eux qu’on reprochera de se prendre pour le nombril du monde à leur sortie de l’Université du Texas, ou d’émarger au peloton de tête des ténors de ce monde pour des raisons qui restent mystérieuses. Je n’en dis pas plus car, personne ne m’ayant proposé de m’aider à regagner mes pénates autrement qu’à pied, il est temps que je mobilise mon énergie et mon sens de l’orientation pour rejoindre mon hôtel. 

Thierry Quénum



PS : Vous ai-je dit hier qu’Umbria Jazz en était cette année à sa 42° édition ? Non ? Implorer votre pardon me sera-t-il d’une quelconque utilité ? Essayons toujours !

 

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Ce n’est pas tous les jours qu’on voit The Bad Plus officier en tant qu’accompagnateurs. Ils l’ont fait naguère avec une chanteuse et le résultat était plus que discutable. Cette fois-ci, à l’Arena Santa Giuliana et avec Joshua Redman, on commence par se demander qui accompagne qui.


Umbria Jazz (II), Pérouse, Ombrie, Italie. 13 juillet.

Arena Santa Giuliana : The Bad Plus & Joshua Redman , Snarky Puppy ; Teatro Morlacchi : Antonio Farao Quartet.


Car The Bad Plus n’est pas considéré pour rien comme un « power trio », et ils font souvent paraître Joshua Redman si évanescent quand ils jouent « autour de » (plutôt que « derrière ») lui qu’on en a presque de la peine pour le saxophoniste. Il faut dire que sa sonorité étriquée et son jeu lisse et gorgé de plans prévisibles ne fait pas vraiment le poids face aux trois phénomènes qui occupent les postes de pianiste, bassiste et batteur. Prenez Ethan Iverson, par exemple : ses solos anguleux et véloces ou — quand il accompagne — son placement rythmique, sa science des accords… font qu’on peut avoir envie de le suivre pendant plusieurs minutes, conscient de la présence de ses comparses, mais oubliant quasiment qu’un souffleur s’époumone dans le lointain. Dave King, quand il s’y met, « envoie grave » (comme disait mon grand-oncle, qui inventa l’expression, mais dont la modestie était légendaire) et Redman — encore lui — peine à suivre. Reid Anderson (le plus proche du souffleur sur la scène) est sans doute celui qui le renvoie le moins à ses difficultés à atteindre le niveau d’intensité de sa « rythmique ». Il faut reconnaître par ailleurs qu’une partie du répertoire — partagé entre les protagonistes — est assez consensuel pour atténuer le différentiel entre le ténor et le trio tandis que d’autres thèmes portent nettement la marque d’Iverson, le cerveau du trio.

Mais, finalement, pourquoi cette association (sinon dans un but évidemment commercial) qui ne se nomme pas The Bad Plus & (ou invitent) Joshua Redman? Sont-ils amis ? Eclusent-ils ensemble force chopines, se soutenant l’un l’autre après boire pour rejoindre leurs pénates respectives ? L’un fait-il sauter les P.V. des autres ?… J’ai personnellement ma petite idée : The Bad Plus Joshua Redman (les Méchants + Joshua Redman, en français) nous indique que les membres du trio sont fondamentalement des teignes, même s’ils dissimulent ce trait de caractère derrière une allure de Bisounours davantage en vogue à notre époque de softitude généralisée (laquelle, je vous l’accorde, cache une féroce « guerre de tous contre tous », mais bon…). Donc les Bad Plus sont des méchants, des vilains pas beaux dans le tréfonds de leur être. Et, en l’occurrence, ils ont décidé de faire la peau à un Pluche, invité pour la simple raison qu’il ne se rendrait pas compte — vu le niveau de célébrité atteint par lui, laquelle n’incite guère à la remise en cause (témoins : les applaudissements du public chaque fois qu’on cite le nom de J. R.) — que le trio pointait sur scène son « inanité sonore ». Résultat : The Bad Plus en sortent grandis (pas aux yeux des tenants d’une morale pleurnicharde, certes) d’un point de vue musical car — par tous les diables de l’enfer ! — quel trio quand ils le veulent bien ! Ayant soutenu l’hypothèse osée exposée plus haut, je vous laisse la tâche noble mais ardue de décider ce qui, de la (bonne) musique ou de la morale (pleurnicharde), est le plus important dans cette (chienne de) vie.


Après trois longs quarts d’heure de changement de plateau, je suis resté 20 mn à subir la musique de Snarky Puppy, peut-être par l’effet d’une générosité qui ne m’est guère habituelle mais surtout par une volonté tenace de comprendre ce que les festivals, un grand label et le public peuvent bien aimer dans le funk tiédasse de ce groupe qui m’avait fait fuir à Coutances l’an dernier. Baillant d’ennui, j’ai tenté de trouver un intérêt à une rythmique mollassonne, à des compositions ineptes agrémentées de sonorités électroniques d’un autre âge et d’un goût douteux, à des solos parfaitement oubliables … Quand Snarky Puppy a monté la puissance, au deuxième morceau, j’ai espéré (en vain) qu’ils me sortiraient de ma torpeur. Alors je me suis dit que ce devait être moi l’indécrottable dinosaure incapable d’apprécier cette musique de « djeunz ». Une consolation cependant : on déterre encore ici ou là des ossements de dinosaures. Quand un quelconque quidam trouvera mon squelette dans quelques siècles et constatera la présence, sur mon occiput, d’une protubérance indiquant que j’étais un être passablement obtus, porteur d’une vision du jazz ouverte, mais forclose à une bonne partie de la soupe ambiante de ce début de millénaire, je doute alors que ce quidam — pas plus que ces ancêtres sur plusieurs générations — se souviendra de l’existence éphémère d’un groupe sans véritable colonne vertébrale, du nom de Snarky Puppy, à la mode vers les années 2015.


Sur ces réflexions, je me suis dirigé vers le Teatro Morlacchi, fendant au passage la cohue des badauds friands de pizzas, glaces et concerts gratuits. Situé dans la haute ville, le Morlacchi accueille dans son cadre « à l’italienne » des moyennes formations telles que celle de Vijay Iyer, que j’avais manquée l’après-midi pour cause de sieste prolongée (Ricanez à votre aise : vous verrez quand vous aurez mon âge !). Antonio Farao, avec Mauro Negri au ténor et une rythmique adéquate y déroulaient vers minuit un hard bop moderne d’excellente facture, dont les Italiens sont sans doute — avec les Danois — les meilleurs praticiens de ce côté-ci de l’Atlantique. Une musique à laquelle il ne faut sans doute pas demander davantage que ce qu’elle a déjà donné depuis des décennies, mais dont des pianistes comme Antonio Farao sont de sincères et fidèles praticiens. Ce n’est donc pas à eux qu’on reprochera de se prendre pour le nombril du monde à leur sortie de l’Université du Texas, ou d’émarger au peloton de tête des ténors de ce monde pour des raisons qui restent mystérieuses. Je n’en dis pas plus car, personne ne m’ayant proposé de m’aider à regagner mes pénates autrement qu’à pied, il est temps que je mobilise mon énergie et mon sens de l’orientation pour rejoindre mon hôtel. 

Thierry Quénum



PS : Vous ai-je dit hier qu’Umbria Jazz en était cette année à sa 42° édition ? Non ? Implorer votre pardon me sera-t-il d’une quelconque utilité ? Essayons toujours !

 

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Ce n’est pas tous les jours qu’on voit The Bad Plus officier en tant qu’accompagnateurs. Ils l’ont fait naguère avec une chanteuse et le résultat était plus que discutable. Cette fois-ci, à l’Arena Santa Giuliana et avec Joshua Redman, on commence par se demander qui accompagne qui.


Umbria Jazz (II), Pérouse, Ombrie, Italie. 13 juillet.

Arena Santa Giuliana : The Bad Plus & Joshua Redman , Snarky Puppy ; Teatro Morlacchi : Antonio Farao Quartet.


Car The Bad Plus n’est pas considéré pour rien comme un « power trio », et ils font souvent paraître Joshua Redman si évanescent quand ils jouent « autour de » (plutôt que « derrière ») lui qu’on en a presque de la peine pour le saxophoniste. Il faut dire que sa sonorité étriquée et son jeu lisse et gorgé de plans prévisibles ne fait pas vraiment le poids face aux trois phénomènes qui occupent les postes de pianiste, bassiste et batteur. Prenez Ethan Iverson, par exemple : ses solos anguleux et véloces ou — quand il accompagne — son placement rythmique, sa science des accords… font qu’on peut avoir envie de le suivre pendant plusieurs minutes, conscient de la présence de ses comparses, mais oubliant quasiment qu’un souffleur s’époumone dans le lointain. Dave King, quand il s’y met, « envoie grave » (comme disait mon grand-oncle, qui inventa l’expression, mais dont la modestie était légendaire) et Redman — encore lui — peine à suivre. Reid Anderson (le plus proche du souffleur sur la scène) est sans doute celui qui le renvoie le moins à ses difficultés à atteindre le niveau d’intensité de sa « rythmique ». Il faut reconnaître par ailleurs qu’une partie du répertoire — partagé entre les protagonistes — est assez consensuel pour atténuer le différentiel entre le ténor et le trio tandis que d’autres thèmes portent nettement la marque d’Iverson, le cerveau du trio.

Mais, finalement, pourquoi cette association (sinon dans un but évidemment commercial) qui ne se nomme pas The Bad Plus & (ou invitent) Joshua Redman? Sont-ils amis ? Eclusent-ils ensemble force chopines, se soutenant l’un l’autre après boire pour rejoindre leurs pénates respectives ? L’un fait-il sauter les P.V. des autres ?… J’ai personnellement ma petite idée : The Bad Plus Joshua Redman (les Méchants + Joshua Redman, en français) nous indique que les membres du trio sont fondamentalement des teignes, même s’ils dissimulent ce trait de caractère derrière une allure de Bisounours davantage en vogue à notre époque de softitude généralisée (laquelle, je vous l’accorde, cache une féroce « guerre de tous contre tous », mais bon…). Donc les Bad Plus sont des méchants, des vilains pas beaux dans le tréfonds de leur être. Et, en l’occurrence, ils ont décidé de faire la peau à un Pluche, invité pour la simple raison qu’il ne se rendrait pas compte — vu le niveau de célébrité atteint par lui, laquelle n’incite guère à la remise en cause (témoins : les applaudissements du public chaque fois qu’on cite le nom de J. R.) — que le trio pointait sur scène son « inanité sonore ». Résultat : The Bad Plus en sortent grandis (pas aux yeux des tenants d’une morale pleurnicharde, certes) d’un point de vue musical car — par tous les diables de l’enfer ! — quel trio quand ils le veulent bien ! Ayant soutenu l’hypothèse osée exposée plus haut, je vous laisse la tâche noble mais ardue de décider ce qui, de la (bonne) musique ou de la morale (pleurnicharde), est le plus important dans cette (chienne de) vie.


Après trois longs quarts d’heure de changement de plateau, je suis resté 20 mn à subir la musique de Snarky Puppy, peut-être par l’effet d’une générosité qui ne m’est guère habituelle mais surtout par une volonté tenace de comprendre ce que les festivals, un grand label et le public peuvent bien aimer dans le funk tiédasse de ce groupe qui m’avait fait fuir à Coutances l’an dernier. Baillant d’ennui, j’ai tenté de trouver un intérêt à une rythmique mollassonne, à des compositions ineptes agrémentées de sonorités électroniques d’un autre âge et d’un goût douteux, à des solos parfaitement oubliables … Quand Snarky Puppy a monté la puissance, au deuxième morceau, j’ai espéré (en vain) qu’ils me sortiraient de ma torpeur. Alors je me suis dit que ce devait être moi l’indécrottable dinosaure incapable d’apprécier cette musique de « djeunz ». Une consolation cependant : on déterre encore ici ou là des ossements de dinosaures. Quand un quelconque quidam trouvera mon squelette dans quelques siècles et constatera la présence, sur mon occiput, d’une protubérance indiquant que j’étais un être passablement obtus, porteur d’une vision du jazz ouverte, mais forclose à une bonne partie de la soupe ambiante de ce début de millénaire, je doute alors que ce quidam — pas plus que ces ancêtres sur plusieurs générations — se souviendra de l’existence éphémère d’un groupe sans véritable colonne vertébrale, du nom de Snarky Puppy, à la mode vers les années 2015.


Sur ces réflexions, je me suis dirigé vers le Teatro Morlacchi, fendant au passage la cohue des badauds friands de pizzas, glaces et concerts gratuits. Situé dans la haute ville, le Morlacchi accueille dans son cadre « à l’italienne » des moyennes formations telles que celle de Vijay Iyer, que j’avais manquée l’après-midi pour cause de sieste prolongée (Ricanez à votre aise : vous verrez quand vous aurez mon âge !). Antonio Farao, avec Mauro Negri au ténor et une rythmique adéquate y déroulaient vers minuit un hard bop moderne d’excellente facture, dont les Italiens sont sans doute — avec les Danois — les meilleurs praticiens de ce côté-ci de l’Atlantique. Une musique à laquelle il ne faut sans doute pas demander davantage que ce qu’elle a déjà donné depuis des décennies, mais dont des pianistes comme Antonio Farao sont de sincères et fidèles praticiens. Ce n’est donc pas à eux qu’on reprochera de se prendre pour le nombril du monde à leur sortie de l’Université du Texas, ou d’émarger au peloton de tête des ténors de ce monde pour des raisons qui restent mystérieuses. Je n’en dis pas plus car, personne ne m’ayant proposé de m’aider à regagner mes pénates autrement qu’à pied, il est temps que je mobilise mon énergie et mon sens de l’orientation pour rejoindre mon hôtel. 

Thierry Quénum



PS : Vous ai-je dit hier qu’Umbria Jazz en était cette année à sa 42° édition ? Non ? Implorer votre pardon me sera-t-il d’une quelconque utilité ? Essayons toujours !