Umlaut Big Band à Toulouse : Dansez sur moi
L’autre soir, c’était bal à Toulouse. Non pas les flonflons de la valse musette et de l’accordéon, mais un bal swing dont la musique était interprétée par des jazzmen d’habitude portés vers une musique plus contemporaine. Suffisamment intriguant pour avoir envie d’aller jeter une oreille.
Jeudi 23 juillet 2015, Ateliers TA, Toulouse (31)
Umlaut Big Band
Louis Laurain (tp, cnt, vx), Brice Pichard (tp), Emil Strandberg (tp, vx), Fidel Fourneyron, Michaël Ballue (tb), Pierre-Antoine Baradoux (as), Pierre Borel (as, cl), Jean Dousteyssier (cl, ts), Geoffroy Gesser (ts, cl), Benjamin Dousteyssier (bs, bass sax, as), Bruno Ruder (p), Romain Vuillemin (g), Sébastien Beliah (cb), Antonin Gerbal (dm).
Si l’on possède quelques connaissances sur les travaux respectifs des musiciens présents, d’abord on est amusé. La dernière fois que j’ai entendu Pierre Borel, c’était dans un répertoire braxtonien, Benjamin Dousteyssier dans une composition de Michael Mantler, Fidel Fourneyron dans le Tower-Bridge de Marc Ducret ! Et les voilà tous en costard-cravate jouant du swing. L’amusement passé, on devient ensuite admiratif : ils savent donc aussi jouer du bon vieux jazz ! Entendre les accents lesteriens de Geoffroy Gesser est ainsi un vrai délice, par exemple, tout comme ceux par moment hodgiens de Pierre Borel, ou encore les inflexions goodmaniens de Jean Dousteyssier. De la sorte, ces jeunes musiciens démontrent tous, si besoin était, qu’ils connaissent leurs fondamentaux, affirmant par là non seulement d’où ils viennent musicalement, mais aussi pourquoi ils s’inscrivent dans les valeurs esthétiques de la perspective jazzistique qu’ils prolongent d’une manière contemporaine par ailleurs.
Immédiatement le public se met à danser. Il y a là de vrais danseurs venus tout spécialement pour passer une bonne soirée. Son ambiance ne fera que chauffer, le premier set s’apparentant à un tour de chauffe, et le dernier à une apothéose.
Entre deux sets, je demande à Pierre-Antoine Baradoux, l’initiateur du projet, comment l’idée lui en est venue : « Un peu par hasard, comme souvent. J’ai été recruté au Conservatoire de Lille pour enseigner le jazz. Dans ce cadre, je donne des cours d’histoire du jazz. Je possédais moins de connaissances pour ce qui concerne les débuts de cette musique, alors je les ai étudiés. Je me suis vraiment pris au jeu. Un peu plus tard, lorsqu’avec le Collectif Umlaut, tourné vers les musiques contemporaines, nous organisions notre deuxième festival, nous avons pensé à donner une soirée dansante. J’ai alors proposé de reprendre cette musique que j’avais relevée [Pierre-Antoine Baradoux a transcrit l’intégralité de la presque cinquantaine de pièces appréciées au cours de la soirée]. » Pour l’occasion se met alors en place – nous sommes en 2011 – ce qui constitue encore les singularités du Umlaut Big Band : le travail de transcription, donc, en portant une attention particulière sur l’arrangeur (et non le compositeur ou l’interprète), ce personnage essentiel de l’histoire du jazz à la croisée des années 1920-1930 ; un jeu acoustique sans amplification ; et un répertoire s’appuyant sur des pièces souvent méconnues et pourtant de haute valeur (parfois en lien indirect avec leurs propres travaux).
Pierre-Antoine Baradoux, le seul à ne pas avoir encore fait tomber la veste
Si le son de la section mélodique, les attaques, le vibrato, la cohérence des pupitres ont manifestement fait l’objet d’une attention toute particulière, je l’interroge sur le positionnement des solistes. Cherchent-ils à jouer dans un style précis, celui d’une époque, d’un soliste historique en particulier, ou non ? « Nous n’avons pas eu de réflexion spécifique sur ce point. Cela s’est fait naturellement. Bien sûr, personne ne fait de solo free dans ce contexte – quoique cela pourrait être tenté… Toutefois, depuis 2011 chacun a petit à petit trouvé sa manière d’aborder la chose ». Un hiatus entre la section mélodique et la section rythmique m’est d’emblée apparu à l’écoute de leurs interprétations : le jeu de la rythmique renvoie bien moins à ce que l’on connaît par l’enregistrement que celui des vents (même si le son du pupitre de trompettes doit encore être travaillé à mon sens), et plus précisément le jeu du batteur (je ne peux rien dire de la partie de piano que l’on n’entendait presque pas), le problème venant, selon moi, du fait qu’ils sont trop centrés sur la lecture de leurs partitions. Sur ce point, Pierre-Antoine Baradoux me répond : « On ne peut pas comparer la batterie du début du XXe siècle avec celle d’Antonin [Gerbal] qui possède une identité moderne. Mais il est vrai qu’il reste à faire un gros travail du côté de la rythmique, qui a cependant déjà beaucoup évolué. »
Romain « Noël Chiboust » Vuillemin, chanteur de charme
Au gré des reprises, mes oreilles reconnaîssent Copenhagen de Fletcher Henderson (ne pas entendre le solo d’Armstrong procure une sensation étrange), Ganjam de Jelly Roll Morton (que je n’avais pas écouté depuis longtemps et qui me fit de nouveau très forte sensation), Limehouse Blues (mais de quel arrangeur ?), The New Birmingham Breakdown du Duke … Elles découvrent aussi Orient Express de James Scott (mort en 1938), des morceaux d’origine suédoise, allemande… Et tout le monde danse.
Tout le monde, ou presque puisque je suis moi-même essentiellement auditeur. Une chose me frappe en observant toutes ces personnes réaliser autour de moi des danses anciennes : le plaisir intense qu’expriment leurs visages. C’est la vie, l’intime conviction d’être en vie qui se manifeste au travers de cette activité. Pourquoi, alors, me contenter des deux seuls pas de danse dont je suis capable : me casser le cou en remuant la tête d’avant en arrière et taper du pied sur 2 et 4 ? J’ai trouvé la réponse dans un article rédigé par le jazzman Vijay Iyer
: « [Plusieurs] études en neurologie ont démontré le rôle cognitif du corps en mouvement dans la perception et la production musicales. Selon les chercheurs de ce domaine, une pulsation rythmique perçue est littéralement un mouvement imaginé ; ceci semble impliquer les mêmes fonctions neuronales que dans l’activité motrice, et plus particulièrement celle de l’enchaînement des séquences motrices. Par conséquent, l’acte d’écouter de la musique implique les mêmes processus mentaux qui génèrent le mouvement corporel. » Voilà toute la force de cette musique de danse, et du swing en particulier : même si l’on ne danse pas, on danse quand même !
Je songe tout à coup qu’il existe un formidable orchestre de jazz à Toulouse, le Tuxedo Big Band dirigé par Paul Chéron, lauréat du Prix du Jazz Classique que lui a décerné l’Académie du Jazz en 2013. Le concert de ce soir m’a donné la forte envie d’aller l’écouter en concert !
Prochains concerts du Umlaut Big Band :
– du 24 au 26 juillet : festival Les Moissons sonores à Simorre (32)
– 27 juillet : Musicales Guil Durance, Station 1850 à Risoul (05)
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L’autre soir, c’était bal à Toulouse. Non pas les flonflons de la valse musette et de l’accordéon, mais un bal swing dont la musique était interprétée par des jazzmen d’habitude portés vers une musique plus contemporaine. Suffisamment intriguant pour avoir envie d’aller jeter une oreille.
Jeudi 23 juillet 2015, Ateliers TA, Toulouse (31)
Umlaut Big Band
Louis Laurain (tp, cnt, vx), Brice Pichard (tp), Emil Strandberg (tp, vx), Fidel Fourneyron, Michaël Ballue (tb), Pierre-Antoine Baradoux (as), Pierre Borel (as, cl), Jean Dousteyssier (cl, ts), Geoffroy Gesser (ts, cl), Benjamin Dousteyssier (bs, bass sax, as), Bruno Ruder (p), Romain Vuillemin (g), Sébastien Beliah (cb), Antonin Gerbal (dm).
Si l’on possède quelques connaissances sur les travaux respectifs des musiciens présents, d’abord on est amusé. La dernière fois que j’ai entendu Pierre Borel, c’était dans un répertoire braxtonien, Benjamin Dousteyssier dans une composition de Michael Mantler, Fidel Fourneyron dans le Tower-Bridge de Marc Ducret ! Et les voilà tous en costard-cravate jouant du swing. L’amusement passé, on devient ensuite admiratif : ils savent donc aussi jouer du bon vieux jazz ! Entendre les accents lesteriens de Geoffroy Gesser est ainsi un vrai délice, par exemple, tout comme ceux par moment hodgiens de Pierre Borel, ou encore les inflexions goodmaniens de Jean Dousteyssier. De la sorte, ces jeunes musiciens démontrent tous, si besoin était, qu’ils connaissent leurs fondamentaux, affirmant par là non seulement d’où ils viennent musicalement, mais aussi pourquoi ils s’inscrivent dans les valeurs esthétiques de la perspective jazzistique qu’ils prolongent d’une manière contemporaine par ailleurs.
Immédiatement le public se met à danser. Il y a là de vrais danseurs venus tout spécialement pour passer une bonne soirée. Son ambiance ne fera que chauffer, le premier set s’apparentant à un tour de chauffe, et le dernier à une apothéose.
Entre deux sets, je demande à Pierre-Antoine Baradoux, l’initiateur du projet, comment l’idée lui en est venue : « Un peu par hasard, comme souvent. J’ai été recruté au Conservatoire de Lille pour enseigner le jazz. Dans ce cadre, je donne des cours d’histoire du jazz. Je possédais moins de connaissances pour ce qui concerne les débuts de cette musique, alors je les ai étudiés. Je me suis vraiment pris au jeu. Un peu plus tard, lorsqu’avec le Collectif Umlaut, tourné vers les musiques contemporaines, nous organisions notre deuxième festival, nous avons pensé à donner une soirée dansante. J’ai alors proposé de reprendre cette musique que j’avais relevée [Pierre-Antoine Baradoux a transcrit l’intégralité de la presque cinquantaine de pièces appréciées au cours de la soirée]. » Pour l’occasion se met alors en place – nous sommes en 2011 – ce qui constitue encore les singularités du Umlaut Big Band : le travail de transcription, donc, en portant une attention particulière sur l’arrangeur (et non le compositeur ou l’interprète), ce personnage essentiel de l’histoire du jazz à la croisée des années 1920-1930 ; un jeu acoustique sans amplification ; et un répertoire s’appuyant sur des pièces souvent méconnues et pourtant de haute valeur (parfois en lien indirect avec leurs propres travaux).
Pierre-Antoine Baradoux, le seul à ne pas avoir encore fait tomber la veste
Si le son de la section mélodique, les attaques, le vibrato, la cohérence des pupitres ont manifestement fait l’objet d’une attention toute particulière, je l’interroge sur le positionnement des solistes. Cherchent-ils à jouer dans un style précis, celui d’une époque, d’un soliste historique en particulier, ou non ? « Nous n’avons pas eu de réflexion spécifique sur ce point. Cela s’est fait naturellement. Bien sûr, personne ne fait de solo free dans ce contexte – quoique cela pourrait être tenté… Toutefois, depuis 2011 chacun a petit à petit trouvé sa manière d’aborder la chose ». Un hiatus entre la section mélodique et la section rythmique m’est d’emblée apparu à l’écoute de leurs interprétations : le jeu de la rythmique renvoie bien moins à ce que l’on connaît par l’enregistrement que celui des vents (même si le son du pupitre de trompettes doit encore être travaillé à mon sens), et plus précisément le jeu du batteur (je ne peux rien dire de la partie de piano que l’on n’entendait presque pas), le problème venant, selon moi, du fait qu’ils sont trop centrés sur la lecture de leurs partitions. Sur ce point, Pierre-Antoine Baradoux me répond : « On ne peut pas comparer la batterie du début du XXe siècle avec celle d’Antonin [Gerbal] qui possède une identité moderne. Mais il est vrai qu’il reste à faire un gros travail du côté de la rythmique, qui a cependant déjà beaucoup évolué. »
Romain « Noël Chiboust » Vuillemin, chanteur de charme
Au gré des reprises, mes oreilles reconnaîssent Copenhagen de Fletcher Henderson (ne pas entendre le solo d’Armstrong procure une sensation étrange), Ganjam de Jelly Roll Morton (que je n’avais pas écouté depuis longtemps et qui me fit de nouveau très forte sensation), Limehouse Blues (mais de quel arrangeur ?), The New Birmingham Breakdown du Duke … Elles découvrent aussi Orient Express de James Scott (mort en 1938), des morceaux d’origine suédoise, allemande… Et tout le monde danse.
Tout le monde, ou presque puisque je suis moi-même essentiellement auditeur. Une chose me frappe en observant toutes ces personnes réaliser autour de moi des danses anciennes : le plaisir intense qu’expriment leurs visages. C’est la vie, l’intime conviction d’être en vie qui se manifeste au travers de cette activité. Pourquoi, alors, me contenter des deux seuls pas de danse dont je suis capable : me casser le cou en remuant la tête d’avant en arrière et taper du pied sur 2 et 4 ? J’ai trouvé la réponse dans un article rédigé par le jazzman Vijay Iyer
: « [Plusieurs] études en neurologie ont démontré le rôle cognitif du corps en mouvement dans la perception et la production musicales. Selon les chercheurs de ce domaine, une pulsation rythmique perçue est littéralement un mouvement imaginé ; ceci semble impliquer les mêmes fonctions neuronales que dans l’activité motrice, et plus particulièrement celle de l’enchaînement des séquences motrices. Par conséquent, l’acte d’écouter de la musique implique les mêmes processus mentaux qui génèrent le mouvement corporel. » Voilà toute la force de cette musique de danse, et du swing en particulier : même si l’on ne danse pas, on danse quand même !
Je songe tout à coup qu’il existe un formidable orchestre de jazz à Toulouse, le Tuxedo Big Band dirigé par Paul Chéron, lauréat du Prix du Jazz Classique que lui a décerné l’Académie du Jazz en 2013. Le concert de ce soir m’a donné la forte envie d’aller l’écouter en concert !
Prochains concerts du Umlaut Big Band :
– du 24 au 26 juillet : festival Les Moissons sonores à Simorre (32)
– 27 juillet : Musicales Guil Durance, Station 1850 à Risoul (05)
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L’autre soir, c’était bal à Toulouse. Non pas les flonflons de la valse musette et de l’accordéon, mais un bal swing dont la musique était interprétée par des jazzmen d’habitude portés vers une musique plus contemporaine. Suffisamment intriguant pour avoir envie d’aller jeter une oreille.
Jeudi 23 juillet 2015, Ateliers TA, Toulouse (31)
Umlaut Big Band
Louis Laurain (tp, cnt, vx), Brice Pichard (tp), Emil Strandberg (tp, vx), Fidel Fourneyron, Michaël Ballue (tb), Pierre-Antoine Baradoux (as), Pierre Borel (as, cl), Jean Dousteyssier (cl, ts), Geoffroy Gesser (ts, cl), Benjamin Dousteyssier (bs, bass sax, as), Bruno Ruder (p), Romain Vuillemin (g), Sébastien Beliah (cb), Antonin Gerbal (dm).
Si l’on possède quelques connaissances sur les travaux respectifs des musiciens présents, d’abord on est amusé. La dernière fois que j’ai entendu Pierre Borel, c’était dans un répertoire braxtonien, Benjamin Dousteyssier dans une composition de Michael Mantler, Fidel Fourneyron dans le Tower-Bridge de Marc Ducret ! Et les voilà tous en costard-cravate jouant du swing. L’amusement passé, on devient ensuite admiratif : ils savent donc aussi jouer du bon vieux jazz ! Entendre les accents lesteriens de Geoffroy Gesser est ainsi un vrai délice, par exemple, tout comme ceux par moment hodgiens de Pierre Borel, ou encore les inflexions goodmaniens de Jean Dousteyssier. De la sorte, ces jeunes musiciens démontrent tous, si besoin était, qu’ils connaissent leurs fondamentaux, affirmant par là non seulement d’où ils viennent musicalement, mais aussi pourquoi ils s’inscrivent dans les valeurs esthétiques de la perspective jazzistique qu’ils prolongent d’une manière contemporaine par ailleurs.
Immédiatement le public se met à danser. Il y a là de vrais danseurs venus tout spécialement pour passer une bonne soirée. Son ambiance ne fera que chauffer, le premier set s’apparentant à un tour de chauffe, et le dernier à une apothéose.
Entre deux sets, je demande à Pierre-Antoine Baradoux, l’initiateur du projet, comment l’idée lui en est venue : « Un peu par hasard, comme souvent. J’ai été recruté au Conservatoire de Lille pour enseigner le jazz. Dans ce cadre, je donne des cours d’histoire du jazz. Je possédais moins de connaissances pour ce qui concerne les débuts de cette musique, alors je les ai étudiés. Je me suis vraiment pris au jeu. Un peu plus tard, lorsqu’avec le Collectif Umlaut, tourné vers les musiques contemporaines, nous organisions notre deuxième festival, nous avons pensé à donner une soirée dansante. J’ai alors proposé de reprendre cette musique que j’avais relevée [Pierre-Antoine Baradoux a transcrit l’intégralité de la presque cinquantaine de pièces appréciées au cours de la soirée]. » Pour l’occasion se met alors en place – nous sommes en 2011 – ce qui constitue encore les singularités du Umlaut Big Band : le travail de transcription, donc, en portant une attention particulière sur l’arrangeur (et non le compositeur ou l’interprète), ce personnage essentiel de l’histoire du jazz à la croisée des années 1920-1930 ; un jeu acoustique sans amplification ; et un répertoire s’appuyant sur des pièces souvent méconnues et pourtant de haute valeur (parfois en lien indirect avec leurs propres travaux).
Pierre-Antoine Baradoux, le seul à ne pas avoir encore fait tomber la veste
Si le son de la section mélodique, les attaques, le vibrato, la cohérence des pupitres ont manifestement fait l’objet d’une attention toute particulière, je l’interroge sur le positionnement des solistes. Cherchent-ils à jouer dans un style précis, celui d’une époque, d’un soliste historique en particulier, ou non ? « Nous n’avons pas eu de réflexion spécifique sur ce point. Cela s’est fait naturellement. Bien sûr, personne ne fait de solo free dans ce contexte – quoique cela pourrait être tenté… Toutefois, depuis 2011 chacun a petit à petit trouvé sa manière d’aborder la chose ». Un hiatus entre la section mélodique et la section rythmique m’est d’emblée apparu à l’écoute de leurs interprétations : le jeu de la rythmique renvoie bien moins à ce que l’on connaît par l’enregistrement que celui des vents (même si le son du pupitre de trompettes doit encore être travaillé à mon sens), et plus précisément le jeu du batteur (je ne peux rien dire de la partie de piano que l’on n’entendait presque pas), le problème venant, selon moi, du fait qu’ils sont trop centrés sur la lecture de leurs partitions. Sur ce point, Pierre-Antoine Baradoux me répond : « On ne peut pas comparer la batterie du début du XXe siècle avec celle d’Antonin [Gerbal] qui possède une identité moderne. Mais il est vrai qu’il reste à faire un gros travail du côté de la rythmique, qui a cependant déjà beaucoup évolué. »
Romain « Noël Chiboust » Vuillemin, chanteur de charme
Au gré des reprises, mes oreilles reconnaîssent Copenhagen de Fletcher Henderson (ne pas entendre le solo d’Armstrong procure une sensation étrange), Ganjam de Jelly Roll Morton (que je n’avais pas écouté depuis longtemps et qui me fit de nouveau très forte sensation), Limehouse Blues (mais de quel arrangeur ?), The New Birmingham Breakdown du Duke … Elles découvrent aussi Orient Express de James Scott (mort en 1938), des morceaux d’origine suédoise, allemande… Et tout le monde danse.
Tout le monde, ou presque puisque je suis moi-même essentiellement auditeur. Une chose me frappe en observant toutes ces personnes réaliser autour de moi des danses anciennes : le plaisir intense qu’expriment leurs visages. C’est la vie, l’intime conviction d’être en vie qui se manifeste au travers de cette activité. Pourquoi, alors, me contenter des deux seuls pas de danse dont je suis capable : me casser le cou en remuant la tête d’avant en arrière et taper du pied sur 2 et 4 ? J’ai trouvé la réponse dans un article rédigé par le jazzman Vijay Iyer
: « [Plusieurs] études en neurologie ont démontré le rôle cognitif du corps en mouvement dans la perception et la production musicales. Selon les chercheurs de ce domaine, une pulsation rythmique perçue est littéralement un mouvement imaginé ; ceci semble impliquer les mêmes fonctions neuronales que dans l’activité motrice, et plus particulièrement celle de l’enchaînement des séquences motrices. Par conséquent, l’acte d’écouter de la musique implique les mêmes processus mentaux qui génèrent le mouvement corporel. » Voilà toute la force de cette musique de danse, et du swing en particulier : même si l’on ne danse pas, on danse quand même !
Je songe tout à coup qu’il existe un formidable orchestre de jazz à Toulouse, le Tuxedo Big Band dirigé par Paul Chéron, lauréat du Prix du Jazz Classique que lui a décerné l’Académie du Jazz en 2013. Le concert de ce soir m’a donné la forte envie d’aller l’écouter en concert !
Prochains concerts du Umlaut Big Band :
– du 24 au 26 juillet : festival Les Moissons sonores à Simorre (32)
– 27 juillet : Musicales Guil Durance, Station 1850 à Risoul (05)
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L’autre soir, c’était bal à Toulouse. Non pas les flonflons de la valse musette et de l’accordéon, mais un bal swing dont la musique était interprétée par des jazzmen d’habitude portés vers une musique plus contemporaine. Suffisamment intriguant pour avoir envie d’aller jeter une oreille.
Jeudi 23 juillet 2015, Ateliers TA, Toulouse (31)
Umlaut Big Band
Louis Laurain (tp, cnt, vx), Brice Pichard (tp), Emil Strandberg (tp, vx), Fidel Fourneyron, Michaël Ballue (tb), Pierre-Antoine Baradoux (as), Pierre Borel (as, cl), Jean Dousteyssier (cl, ts), Geoffroy Gesser (ts, cl), Benjamin Dousteyssier (bs, bass sax, as), Bruno Ruder (p), Romain Vuillemin (g), Sébastien Beliah (cb), Antonin Gerbal (dm).
Si l’on possède quelques connaissances sur les travaux respectifs des musiciens présents, d’abord on est amusé. La dernière fois que j’ai entendu Pierre Borel, c’était dans un répertoire braxtonien, Benjamin Dousteyssier dans une composition de Michael Mantler, Fidel Fourneyron dans le Tower-Bridge de Marc Ducret ! Et les voilà tous en costard-cravate jouant du swing. L’amusement passé, on devient ensuite admiratif : ils savent donc aussi jouer du bon vieux jazz ! Entendre les accents lesteriens de Geoffroy Gesser est ainsi un vrai délice, par exemple, tout comme ceux par moment hodgiens de Pierre Borel, ou encore les inflexions goodmaniens de Jean Dousteyssier. De la sorte, ces jeunes musiciens démontrent tous, si besoin était, qu’ils connaissent leurs fondamentaux, affirmant par là non seulement d’où ils viennent musicalement, mais aussi pourquoi ils s’inscrivent dans les valeurs esthétiques de la perspective jazzistique qu’ils prolongent d’une manière contemporaine par ailleurs.
Immédiatement le public se met à danser. Il y a là de vrais danseurs venus tout spécialement pour passer une bonne soirée. Son ambiance ne fera que chauffer, le premier set s’apparentant à un tour de chauffe, et le dernier à une apothéose.
Entre deux sets, je demande à Pierre-Antoine Baradoux, l’initiateur du projet, comment l’idée lui en est venue : « Un peu par hasard, comme souvent. J’ai été recruté au Conservatoire de Lille pour enseigner le jazz. Dans ce cadre, je donne des cours d’histoire du jazz. Je possédais moins de connaissances pour ce qui concerne les débuts de cette musique, alors je les ai étudiés. Je me suis vraiment pris au jeu. Un peu plus tard, lorsqu’avec le Collectif Umlaut, tourné vers les musiques contemporaines, nous organisions notre deuxième festival, nous avons pensé à donner une soirée dansante. J’ai alors proposé de reprendre cette musique que j’avais relevée [Pierre-Antoine Baradoux a transcrit l’intégralité de la presque cinquantaine de pièces appréciées au cours de la soirée]. » Pour l’occasion se met alors en place – nous sommes en 2011 – ce qui constitue encore les singularités du Umlaut Big Band : le travail de transcription, donc, en portant une attention particulière sur l’arrangeur (et non le compositeur ou l’interprète), ce personnage essentiel de l’histoire du jazz à la croisée des années 1920-1930 ; un jeu acoustique sans amplification ; et un répertoire s’appuyant sur des pièces souvent méconnues et pourtant de haute valeur (parfois en lien indirect avec leurs propres travaux).
Pierre-Antoine Baradoux, le seul à ne pas avoir encore fait tomber la veste
Si le son de la section mélodique, les attaques, le vibrato, la cohérence des pupitres ont manifestement fait l’objet d’une attention toute particulière, je l’interroge sur le positionnement des solistes. Cherchent-ils à jouer dans un style précis, celui d’une époque, d’un soliste historique en particulier, ou non ? « Nous n’avons pas eu de réflexion spécifique sur ce point. Cela s’est fait naturellement. Bien sûr, personne ne fait de solo free dans ce contexte – quoique cela pourrait être tenté… Toutefois, depuis 2011 chacun a petit à petit trouvé sa manière d’aborder la chose ». Un hiatus entre la section mélodique et la section rythmique m’est d’emblée apparu à l’écoute de leurs interprétations : le jeu de la rythmique renvoie bien moins à ce que l’on connaît par l’enregistrement que celui des vents (même si le son du pupitre de trompettes doit encore être travaillé à mon sens), et plus précisément le jeu du batteur (je ne peux rien dire de la partie de piano que l’on n’entendait presque pas), le problème venant, selon moi, du fait qu’ils sont trop centrés sur la lecture de leurs partitions. Sur ce point, Pierre-Antoine Baradoux me répond : « On ne peut pas comparer la batterie du début du XXe siècle avec celle d’Antonin [Gerbal] qui possède une identité moderne. Mais il est vrai qu’il reste à faire un gros travail du côté de la rythmique, qui a cependant déjà beaucoup évolué. »
Romain « Noël Chiboust » Vuillemin, chanteur de charme
Au gré des reprises, mes oreilles reconnaîssent Copenhagen de Fletcher Henderson (ne pas entendre le solo d’Armstrong procure une sensation étrange), Ganjam de Jelly Roll Morton (que je n’avais pas écouté depuis longtemps et qui me fit de nouveau très forte sensation), Limehouse Blues (mais de quel arrangeur ?), The New Birmingham Breakdown du Duke … Elles découvrent aussi Orient Express de James Scott (mort en 1938), des morceaux d’origine suédoise, allemande… Et tout le monde danse.
Tout le monde, ou presque puisque je suis moi-même essentiellement auditeur. Une chose me frappe en observant toutes ces personnes réaliser autour de moi des danses anciennes : le plaisir intense qu’expriment leurs visages. C’est la vie, l’intime conviction d’être en vie qui se manifeste au travers de cette activité. Pourquoi, alors, me contenter des deux seuls pas de danse dont je suis capable : me casser le cou en remuant la tête d’avant en arrière et taper du pied sur 2 et 4 ? J’ai trouvé la réponse dans un article rédigé par le jazzman Vijay Iyer
: « [Plusieurs] études en neurologie ont démontré le rôle cognitif du corps en mouvement dans la perception et la production musicales. Selon les chercheurs de ce domaine, une pulsation rythmique perçue est littéralement un mouvement imaginé ; ceci semble impliquer les mêmes fonctions neuronales que dans l’activité motrice, et plus particulièrement celle de l’enchaînement des séquences motrices. Par conséquent, l’acte d’écouter de la musique implique les mêmes processus mentaux qui génèrent le mouvement corporel. » Voilà toute la force de cette musique de danse, et du swing en particulier : même si l’on ne danse pas, on danse quand même !
Je songe tout à coup qu’il existe un formidable orchestre de jazz à Toulouse, le Tuxedo Big Band dirigé par Paul Chéron, lauréat du Prix du Jazz Classique que lui a décerné l’Académie du Jazz en 2013. Le concert de ce soir m’a donné la forte envie d’aller l’écouter en concert !
Prochains concerts du Umlaut Big Band :
– du 24 au 26 juillet : festival Les Moissons sonores à Simorre (32)
– 27 juillet : Musicales Guil Durance, Station 1850 à Risoul (05)