Un jour à marquer d’une pierre noire et d’une pierre blanche
Les ventilateurs du New Morning tournent à plein régime, comme pour tenter de refroidir, en vain, une salle en pleine effervescence avant le début d’un concert qui n’aura rien d’un début simplement timide et encourageant : ce soir-là, la salle s’est embrasée plus d’une fois.
Dès son arrivée sur scène, Emma Lamadji, après les salutations coutumières, invite le public qui se tient, un peu timidement, au fond de la fosse, à se rapprocher. Le ton est donné, et le maître mot, dans la frénésie du groove ou dans la prière collective, sera communion.
Evidemment, le programme ne fait pas de doute : Ourim Toumim est là pour défendre un album qui, bien qu’il sorte à peine, a déjà bien muri au fil des tournées et de leurs collaborations avec d’autres musiciens (faut-il rappeler que Jon et Emma travaillent aux côtés de la grande Oumou Sangaré ?).
Mais par bonheur, le groupe évite le piège du concert-démo : il propose une setlist sélective et bien équilibrée qui, dès le début, laisse s’installer un groove qui sera décliné en de nombreuses facettes polyrythmiques, mais toujours présent. Les pieds et les mains d’un public enthousiaste (certains peut-être conquis d’avance) ne cesseront pas de battre jusqu’à la fin du concert. Sur scène, c’est maîtrisé : la voix de Lamadji, jouissive par sa tessiture, sa puissance et ses multiples nuances, se mêle parfaitement au travail du reste du groupe, tandis que Grandcamp, tout sourire, entretient avec le plus grand naturel une rythmique tissée tout en contramétricité.
Ces deux constantes sont le pilier de tout ce live, ou presque : l’espace d’un morceau, Emma Lamadji s’éclipse, et le groupe se lance dans un morceau où un Jim Grandcamp flamboyant, qui les a rejoint sur scène juste avant, s’illustre en un show mi-solo mi-rythmique funk à couper le souffle. C’est peut-être la seule fois que l’on sent les musiciens approcher de la crête de la vague qui semble les porter ce soir-là, et au creux de laquelle, jusqu’ici, ils passaient apparemment facilement d’une partie de leur répertoire à l’autre. Ce n’est qu’un des exemples qui ont montré la qualité de cet ensemble de musiciens ce soir-là, aussi bons solistes (à l’image du claviériste Julien Agazar) que rythmiciens (les excellents Amen Viana à la guitare et Clive Govinden à la basse électrique), tout en restant dans une appréciable retenue, au service de l’écoute et sans complaisance.
On aurait juste rêvé qu’Ourim Toumim passe un peu plus de temps sur scène (partagée avec The Big Hustle, très convaincants aussi dans un tout autre style), car tout laisse penser que ce concert, déjà mémorable, n’est qu’une étape dans une très belle aventure.
Yazid Kouloughli