Un nouveau Crescent au Centre de Mâcon.
Vingt ans après sa création par les membres du Collectif Mu à Mâcon, le Crescent quitte sa cave de la rue Rambuteau, pour descendre en centre ville dans une nouvelle et grande cave, voûte à l’ancienne dotée du confort moderne : une semaine de célébrations, il fallait bien ça pour fêter l’événement. Nous avions salué la victoire du défunt Collectif Mu au Concours de la Défense en 1995. Nous étions à la dernière soirée d’inauguration du nouveau Crescent, ce samedi 8 novembre. A l’affiche : Bruno Ruder en solo et L’Equilibre de Nash d’Eric Prost et Jean-Charles Richard.
Le nouveau Crescent, place Saint Pierre à Mâcon (71), le 8 novembre 2014.
C’était donc, voici vingt ans, 1994. Une bande de jeunes musiciens créent le Collectif Mu. Citons leurs noms : Eric Prost, David Sauzay, Gaël Horellou (saxes), Laurent Courthaliac (qui sera remplacé par Manu Borghi)(piano), François Gallix et Clovis Nicolas (qui sera remplacé par Fabien Marcoz) (contrebasse), Philippe “Pipon” Garcia, Laurent Sarien (batterie) et Jean-Loup Bonneton, le seul dont le nom ait disparu de nos radars, reparti vers l’élevage de volailles de ses parents. C’est pourtant lui, moins pour sa guitare que pour ses partitions, qui fit l’identité du groupe avant que le Collectif Mu ne disperse ses sensibilités (de l’orthodoxie bop au rock progressive) sur l’axe Lyon-Mâcon-Caen (plus récemment Malguénac) où la petite bande élargit son réseau, via les Nuit blanches à Paris. Il y a vingt ans donc, nos jeunes gens, s’approprient la cave de la famille Gallix, dans les hauts de Mâcon, rue Rambuteau et lâchent quelque temps l’instrument de musique pour la truelle, maçonnant, clouant et peignant au son d’une cassette – comme s’en était souvenu Eric Prost lors d’une rencontre – tournant en boucle avec en face A “Mekanik Destruktïv Kommandoh ” de Magma et en face B “Love Supreme” de John Coltrane. En fait, l’axe initial s’avère être un vaste bassin d’irrigation où se lisent les noms de Belfort (en viendront James McGaw, Philippe Bussonnet, Daniel Jeand’heur), Bourg-en-Bresse (d’où viendra Bruno Ruder), le fameux club À l’Ouest de la Grosne du regretté Jacky Barbier carrefour où l’on allait écouter Magma et la diaspora de l’école de Canterburry. Relire le dossier Magma de notre numéro de novembre 2008.
Le 17 janvier 1995, la cave des Gallix ouvrait ses portes, rebaptisée Crescent sous un double parrainage : John Coltrane et Christian Vander, président d’honneur du lieu. En 2014, le Crescent quitte donc la rue Rambuteau, profitant quelques mois de l’accueil de la Cave à musique, du Conservatoire du Mâconnais, du Théâtre de Mâcon, de la MJC Héritan, de l’école de musique de Charnay, de Jazz Campus en Clunisois et de l’Arrosoir de Chalon-sur-Saône. Jusqu’à l’inauguration, le 31 octobre, de ce nouveau Crescent en centre ville (Downtown comme on dirait à New York ou New Orleans) dans les caves du couvent des Minimes (consacré en 1630, il abritait plus récemment la coopérative agricole) dans le cadre d’un ambitieux projet d’urbanisme conduit par la Ville, et grâce à la conjonction des soutiens locaux (bénévoles, adhérents, musiciens, salariés de l’association), départementaux, régionaux, nationaux et même européen.
Accueil du directeur Antoine Bartau et du Président Jean-Paul Depardon qui vantent la voûte à l’arc très ouvert offrant sans hauteur de plafond excessive une capacité d’accueil de 150 personnes assises et 290 debout. Au fond, face à la scène, un bar (crémant de Bourgogne, Saint-Amour et blanc de Viré-Clessé évidemment à l’honneur) avec dégustations périodiques organisées par Les Artisans Vignerons de Bourgogne du Sud, et grignotage possible. Séparant symboliquement le bar du reste de la salle, une régie ouvertre qui permettra l’enregistrement dans la soirée du prochain et premier disque de l’Equilibre de Nash, mais offre aussi des possibilités de captation vidéo, sur scène un Yamaha haut de gamme (S6) qui réjouira Bruno Ruder. D’ailleurs, le voici qui monte sur scène, nous obligeant à rejoindre la salle non sans avoir traversé des loges confortables et un local de répétition équipé (piano ¼ de queue, amplis, console numérique, batterie).
Bruno Ruder (piano)
Un programme, “Lisières”, dont j’ai déjà dit tout le bien dans ce blog voici quelques semaines à propos de son concert à Malguénac et dans notre édition papier à propos du disque. Je serai bref, de peur de me répéter, mais lui ne se répète pas tout en repartant des mêmes motifs qu’il décline avec cet art de faire sonner le piano, ce toucher, cette projection, ce sens de la dynamique et de l’écoute, cette profondeur, cette articulation, cet élan… Au jeu des références, notre béquille favorite, j’ajouterai à Thelonious et Paul Bley le nom de Claude Debussy pour le côté très liquide de ces miroitements harmoniques qu’il fait vibrer à la surface du piano. Ce sont peut-être eux qui font dire au beau-père mâconnais, octogénaire nostalgique de ses jeunes années germanopratines, que j’ai entraîné dans ma soirée au Crescent : « C’est du jazz ça ? J’appelle ça de la musique descriptive, mais je ne vois pas bien ce que ça décrit. » Je pouffe intérieurement, en pensant aux sentences définitives qu’André Francis savait faire tomber comme un couperet sur le cou d’un candidat au Concours national de Jazz de la Défense (quitte d’ailleurs à réviser son jugement l’année d’après, car telle était sa capacité de remise en cause qui lui permit de rester des années durant aux aguets du meilleur jazz français dont il se fit le reflet à la tête du bureau du jazz). En rappel de concert , Bruno Ruder reprend un morceau qu’il avait repris à Malguenac et qui m’avait déjà fait penser au Monk de Just a Gigolo, peut-être à cause de cette esquisse de stride qu’il y met. Après le concert, il m’en rappellera le titre : Straight Ahead d’Abbey Lincoln.
L’Equilibre de Nash : Jean-Charles Richard (saxes soprano et baryton), Eric Prost (sax ténor), Roberto Tarenzi (piano), Basile Mouton (conrebasse), Stéphane Foucher (batterie).
Ce groupe repose sur des retrouvailles qui se sont faites en 2013 sous les auspices de l’association Jazz(s)Ra (Ra pour Rhone-Alpes) : Jean-Charles Richard et Eric Prost dont les trajectoires très différentes s’étaient croisées à leurs débuts. Notre plaisir viendra de ces différences, de ce plaisir à se retrouver et ce désir de vérifier dans l’interaction et la prise
de riques les théories du mathématicien John Nash avec l’aide des personnalités tout a fait complémentaires de Roberto Tarenzi (authentique compositeur que l’on devine dans son jeu de pianiste tant à l’arrière-plan qu’en situation de soliste), Basile Mouton (outre une intense participation au jeu collectif, des solos qui n’eurent rien de convenu) et Stéphane Foucher (fidèle de longue date au Crescent dont il est avec Eric Prost, l’un des conseillers artistiques, brillante figure de ce prolifique axe Lyon-Mâcon). Ce plaisir, c’est d’abord celui qu’ont les deux leaders de marier leurs sonorités en homophonie ou de manière fuguée, dans l’écriture comme dans l’improvisation, avec un sommet atteint dans une pièce à l’annonce de laquelle Jean-Charles Richard rappelle le bicentenaire de la naissance d’Adolphe Sax. Pouvait-on rêver plus bel hommage que cet arrangement baryton-ténor ? Ce qui nous réjouit dans cette réunion, c’est peut-être un forme de mainstream qui fait vivre un classicisme afro-américain datant d’Horace Silver, mais ayant assimilé les trouvailles de générations, passant par Cedar Walton, McCoy Tyner, Herbie Hancock, Joe Henderson, Elvin Jones, Tony Williams, Michael Brecker, les néo-boppers, jusqu’aux développements de la polyrythmie-polymétrie, à quoi il faut ajouter cette touche Lacy-Liebman qu’apporte Jean-Charles Richard et quelque chose d’européen qu’il semble avoir en partage avec Roberto Tarenzi. Je ramènerai chez lui un beau-père ravi d’avoir retrouvé l’enthousiasme des caves de Saint-Germain-des-Près. Pour décalé qu’il soit, ce compliment n’est pas des moindres si l’on y ajoute que L’Equilibre de Nash a eu raison du quart de siècle qui nous sépare.
Epilogue buissionnier
Alors que je termine ce compte rendu, mon train entre en gare de Dijon, car pour rejoindre et quitte Mâcon-Ville et non dans l’une de ces gares de TGV qui vous abandonne en rase campagne avec des moyens de liaison incertains le week end, j’ai choisi de prendre le temps du voyage et ce qui fait figure de ligne buissonnière, à l’heure où la concentration des efforts en matière de transports (mais on pourrait faire le parallèle avec le domaine de la diffusion et de la médiatisation de la musique) laisse à l’abandon de larges parties du territoires.
Alors que nous quittons Dijon, je m’appuie à la rambarde du couloir à l’ancienne et regarde défiler la muraille des tranchées qui alternent avec les tunnels et les viaducs. Dans les combes giboyeuses qui s’élancent au travers des contreforts du Plateau de Langres, des brumes langoureuses se déchirent sur les rousseurs d’un automne qui tarde à enflammer ses ors. Voici le viaduc de Velars-sur-Ouche, de sinistre mémoire… (je vois encore les coupures de presse du Bien public envoyées à mon père par ma grand-mère, et je revois celle-ci, plongeant un regard tragique dans le Bien Public à la lueur de la fenêtre pour ne pas abuser de la l’ampoule visée à sa suspension, marmonnant des paroles inintelligibles rythmées par le tictac de l’horloge ancestrale, d’où ressortaient parfois les noms connus d’elles, victimes d’incendie, d’accident de la route, de machine agricole, de train… Velars-sur-Ouche, 1962, 39 morts).
Et voici la carrière de Malain et sa gare, je redouble d’attention. Sur le viaduc suivant, il me faut regagner la fenêtre de compartiment pour apercevoir en contrebas les locaux de la carrière d’où, au début des vacances d’été, mon grand-père (maternel), abonné de La Vie du Rail et grand habitué de l’indicateur Chaix des horaires de la SCNF, sortait à l’heure du passage de notre train pour agiter un mouchoir, salut auquel nous répondions par le même geste au risque de noircir notre mouchoir à la fumée, voire de le brûler aux escarbilles de la locomotive. Mais il me faut aussitôt retourner au couloir (je suis heureusement seul dans ce compartiment)… Hélas, seule Roche aigüe est visible, la brume ayant enveloppé Baulme-la-Roche et la falaise qui protège le village comme un crique. J’y retournerai dans moins d’un mois pour distiller la mirabelle qui bouillonne là-bas dans son fût. Et voici le long tunnel de Blaisy qui, comme le terrier d’Alice, constituait le passage initiatique pour passer de la grisaille parisienne aux merveilles de Baulme-la-Roche. Privé de paysage, par l’obscurité du tunnel, je me rassois pour relire dans Le Monde de dimanche – lundi, le papier de Philippe Manoury sur la Philharmonie et celui sur France Musique de Clarisse Fabre (à suivre, donc…) Franck Bergerot
|
Vingt ans après sa création par les membres du Collectif Mu à Mâcon, le Crescent quitte sa cave de la rue Rambuteau, pour descendre en centre ville dans une nouvelle et grande cave, voûte à l’ancienne dotée du confort moderne : une semaine de célébrations, il fallait bien ça pour fêter l’événement. Nous avions salué la victoire du défunt Collectif Mu au Concours de la Défense en 1995. Nous étions à la dernière soirée d’inauguration du nouveau Crescent, ce samedi 8 novembre. A l’affiche : Bruno Ruder en solo et L’Equilibre de Nash d’Eric Prost et Jean-Charles Richard.
Le nouveau Crescent, place Saint Pierre à Mâcon (71), le 8 novembre 2014.
C’était donc, voici vingt ans, 1994. Une bande de jeunes musiciens créent le Collectif Mu. Citons leurs noms : Eric Prost, David Sauzay, Gaël Horellou (saxes), Laurent Courthaliac (qui sera remplacé par Manu Borghi)(piano), François Gallix et Clovis Nicolas (qui sera remplacé par Fabien Marcoz) (contrebasse), Philippe “Pipon” Garcia, Laurent Sarien (batterie) et Jean-Loup Bonneton, le seul dont le nom ait disparu de nos radars, reparti vers l’élevage de volailles de ses parents. C’est pourtant lui, moins pour sa guitare que pour ses partitions, qui fit l’identité du groupe avant que le Collectif Mu ne disperse ses sensibilités (de l’orthodoxie bop au rock progressive) sur l’axe Lyon-Mâcon-Caen (plus récemment Malguénac) où la petite bande élargit son réseau, via les Nuit blanches à Paris. Il y a vingt ans donc, nos jeunes gens, s’approprient la cave de la famille Gallix, dans les hauts de Mâcon, rue Rambuteau et lâchent quelque temps l’instrument de musique pour la truelle, maçonnant, clouant et peignant au son d’une cassette – comme s’en était souvenu Eric Prost lors d’une rencontre – tournant en boucle avec en face A “Mekanik Destruktïv Kommandoh ” de Magma et en face B “Love Supreme” de John Coltrane. En fait, l’axe initial s’avère être un vaste bassin d’irrigation où se lisent les noms de Belfort (en viendront James McGaw, Philippe Bussonnet, Daniel Jeand’heur), Bourg-en-Bresse (d’où viendra Bruno Ruder), le fameux club À l’Ouest de la Grosne du regretté Jacky Barbier carrefour où l’on allait écouter Magma et la diaspora de l’école de Canterburry. Relire le dossier Magma de notre numéro de novembre 2008.
Le 17 janvier 1995, la cave des Gallix ouvrait ses portes, rebaptisée Crescent sous un double parrainage : John Coltrane et Christian Vander, président d’honneur du lieu. En 2014, le Crescent quitte donc la rue Rambuteau, profitant quelques mois de l’accueil de la Cave à musique, du Conservatoire du Mâconnais, du Théâtre de Mâcon, de la MJC Héritan, de l’école de musique de Charnay, de Jazz Campus en Clunisois et de l’Arrosoir de Chalon-sur-Saône. Jusqu’à l’inauguration, le 31 octobre, de ce nouveau Crescent en centre ville (Downtown comme on dirait à New York ou New Orleans) dans les caves du couvent des Minimes (consacré en 1630, il abritait plus récemment la coopérative agricole) dans le cadre d’un ambitieux projet d’urbanisme conduit par la Ville, et grâce à la conjonction des soutiens locaux (bénévoles, adhérents, musiciens, salariés de l’association), départementaux, régionaux, nationaux et même européen.
Accueil du directeur Antoine Bartau et du Président Jean-Paul Depardon qui vantent la voûte à l’arc très ouvert offrant sans hauteur de plafond excessive une capacité d’accueil de 150 personnes assises et 290 debout. Au fond, face à la scène, un bar (crémant de Bourgogne, Saint-Amour et blanc de Viré-Clessé évidemment à l’honneur) avec dégustations périodiques organisées par Les Artisans Vignerons de Bourgogne du Sud, et grignotage possible. Séparant symboliquement le bar du reste de la salle, une régie ouvertre qui permettra l’enregistrement dans la soirée du prochain et premier disque de l’Equilibre de Nash, mais offre aussi des possibilités de captation vidéo, sur scène un Yamaha haut de gamme (S6) qui réjouira Bruno Ruder. D’ailleurs, le voici qui monte sur scène, nous obligeant à rejoindre la salle non sans avoir traversé des loges confortables et un local de répétition équipé (piano ¼ de queue, amplis, console numérique, batterie).
Bruno Ruder (piano)
Un programme, “Lisières”, dont j’ai déjà dit tout le bien dans ce blog voici quelques semaines à propos de son concert à Malguénac et dans notre édition papier à propos du disque. Je serai bref, de peur de me répéter, mais lui ne se répète pas tout en repartant des mêmes motifs qu’il décline avec cet art de faire sonner le piano, ce toucher, cette projection, ce sens de la dynamique et de l’écoute, cette profondeur, cette articulation, cet élan… Au jeu des références, notre béquille favorite, j’ajouterai à Thelonious et Paul Bley le nom de Claude Debussy pour le côté très liquide de ces miroitements harmoniques qu’il fait vibrer à la surface du piano. Ce sont peut-être eux qui font dire au beau-père mâconnais, octogénaire nostalgique de ses jeunes années germanopratines, que j’ai entraîné dans ma soirée au Crescent : « C’est du jazz ça ? J’appelle ça de la musique descriptive, mais je ne vois pas bien ce que ça décrit. » Je pouffe intérieurement, en pensant aux sentences définitives qu’André Francis savait faire tomber comme un couperet sur le cou d’un candidat au Concours national de Jazz de la Défense (quitte d’ailleurs à réviser son jugement l’année d’après, car telle était sa capacité de remise en cause qui lui permit de rester des années durant aux aguets du meilleur jazz français dont il se fit le reflet à la tête du bureau du jazz). En rappel de concert , Bruno Ruder reprend un morceau qu’il avait repris à Malguenac et qui m’avait déjà fait penser au Monk de Just a Gigolo, peut-être à cause de cette esquisse de stride qu’il y met. Après le concert, il m’en rappellera le titre : Straight Ahead d’Abbey Lincoln.
L’Equilibre de Nash : Jean-Charles Richard (saxes soprano et baryton), Eric Prost (sax ténor), Roberto Tarenzi (piano), Basile Mouton (conrebasse), Stéphane Foucher (batterie).
Ce groupe repose sur des retrouvailles qui se sont faites en 2013 sous les auspices de l’association Jazz(s)Ra (Ra pour Rhone-Alpes) : Jean-Charles Richard et Eric Prost dont les trajectoires très différentes s’étaient croisées à leurs débuts. Notre plaisir viendra de ces différences, de ce plaisir à se retrouver et ce désir de vérifier dans l’interaction et la prise
de riques les théories du mathématicien John Nash avec l’aide des personnalités tout a fait complémentaires de Roberto Tarenzi (authentique compositeur que l’on devine dans son jeu de pianiste tant à l’arrière-plan qu’en situation de soliste), Basile Mouton (outre une intense participation au jeu collectif, des solos qui n’eurent rien de convenu) et Stéphane Foucher (fidèle de longue date au Crescent dont il est avec Eric Prost, l’un des conseillers artistiques, brillante figure de ce prolifique axe Lyon-Mâcon). Ce plaisir, c’est d’abord celui qu’ont les deux leaders de marier leurs sonorités en homophonie ou de manière fuguée, dans l’écriture comme dans l’improvisation, avec un sommet atteint dans une pièce à l’annonce de laquelle Jean-Charles Richard rappelle le bicentenaire de la naissance d’Adolphe Sax. Pouvait-on rêver plus bel hommage que cet arrangement baryton-ténor ? Ce qui nous réjouit dans cette réunion, c’est peut-être un forme de mainstream qui fait vivre un classicisme afro-américain datant d’Horace Silver, mais ayant assimilé les trouvailles de générations, passant par Cedar Walton, McCoy Tyner, Herbie Hancock, Joe Henderson, Elvin Jones, Tony Williams, Michael Brecker, les néo-boppers, jusqu’aux développements de la polyrythmie-polymétrie, à quoi il faut ajouter cette touche Lacy-Liebman qu’apporte Jean-Charles Richard et quelque chose d’européen qu’il semble avoir en partage avec Roberto Tarenzi. Je ramènerai chez lui un beau-père ravi d’avoir retrouvé l’enthousiasme des caves de Saint-Germain-des-Près. Pour décalé qu’il soit, ce compliment n’est pas des moindres si l’on y ajoute que L’Equilibre de Nash a eu raison du quart de siècle qui nous sépare.
Epilogue buissionnier
Alors que je termine ce compte rendu, mon train entre en gare de Dijon, car pour rejoindre et quitte Mâcon-Ville et non dans l’une de ces gares de TGV qui vous abandonne en rase campagne avec des moyens de liaison incertains le week end, j’ai choisi de prendre le temps du voyage et ce qui fait figure de ligne buissonnière, à l’heure où la concentration des efforts en matière de transports (mais on pourrait faire le parallèle avec le domaine de la diffusion et de la médiatisation de la musique) laisse à l’abandon de larges parties du territoires.
Alors que nous quittons Dijon, je m’appuie à la rambarde du couloir à l’ancienne et regarde défiler la muraille des tranchées qui alternent avec les tunnels et les viaducs. Dans les combes giboyeuses qui s’élancent au travers des contreforts du Plateau de Langres, des brumes langoureuses se déchirent sur les rousseurs d’un automne qui tarde à enflammer ses ors. Voici le viaduc de Velars-sur-Ouche, de sinistre mémoire… (je vois encore les coupures de presse du Bien public envoyées à mon père par ma grand-mère, et je revois celle-ci, plongeant un regard tragique dans le Bien Public à la lueur de la fenêtre pour ne pas abuser de la l’ampoule visée à sa suspension, marmonnant des paroles inintelligibles rythmées par le tictac de l’horloge ancestrale, d’où ressortaient parfois les noms connus d’elles, victimes d’incendie, d’accident de la route, de machine agricole, de train… Velars-sur-Ouche, 1962, 39 morts).
Et voici la carrière de Malain et sa gare, je redouble d’attention. Sur le viaduc suivant, il me faut regagner la fenêtre de compartiment pour apercevoir en contrebas les locaux de la carrière d’où, au début des vacances d’été, mon grand-père (maternel), abonné de La Vie du Rail et grand habitué de l’indicateur Chaix des horaires de la SCNF, sortait à l’heure du passage de notre train pour agiter un mouchoir, salut auquel nous répondions par le même geste au risque de noircir notre mouchoir à la fumée, voire de le brûler aux escarbilles de la locomotive. Mais il me faut aussitôt retourner au couloir (je suis heureusement seul dans ce compartiment)… Hélas, seule Roche aigüe est visible, la brume ayant enveloppé Baulme-la-Roche et la falaise qui protège le village comme un crique. J’y retournerai dans moins d’un mois pour distiller la mirabelle qui bouillonne là-bas dans son fût. Et voici le long tunnel de Blaisy qui, comme le terrier d’Alice, constituait le passage initiatique pour passer de la grisaille parisienne aux merveilles de Baulme-la-Roche. Privé de paysage, par l’obscurité du tunnel, je me rassois pour relire dans Le Monde de dimanche – lundi, le papier de Philippe Manoury sur la Philharmonie et celui sur France Musique de Clarisse Fabre (à suivre, donc…) Franck Bergerot
|
Vingt ans après sa création par les membres du Collectif Mu à Mâcon, le Crescent quitte sa cave de la rue Rambuteau, pour descendre en centre ville dans une nouvelle et grande cave, voûte à l’ancienne dotée du confort moderne : une semaine de célébrations, il fallait bien ça pour fêter l’événement. Nous avions salué la victoire du défunt Collectif Mu au Concours de la Défense en 1995. Nous étions à la dernière soirée d’inauguration du nouveau Crescent, ce samedi 8 novembre. A l’affiche : Bruno Ruder en solo et L’Equilibre de Nash d’Eric Prost et Jean-Charles Richard.
Le nouveau Crescent, place Saint Pierre à Mâcon (71), le 8 novembre 2014.
C’était donc, voici vingt ans, 1994. Une bande de jeunes musiciens créent le Collectif Mu. Citons leurs noms : Eric Prost, David Sauzay, Gaël Horellou (saxes), Laurent Courthaliac (qui sera remplacé par Manu Borghi)(piano), François Gallix et Clovis Nicolas (qui sera remplacé par Fabien Marcoz) (contrebasse), Philippe “Pipon” Garcia, Laurent Sarien (batterie) et Jean-Loup Bonneton, le seul dont le nom ait disparu de nos radars, reparti vers l’élevage de volailles de ses parents. C’est pourtant lui, moins pour sa guitare que pour ses partitions, qui fit l’identité du groupe avant que le Collectif Mu ne disperse ses sensibilités (de l’orthodoxie bop au rock progressive) sur l’axe Lyon-Mâcon-Caen (plus récemment Malguénac) où la petite bande élargit son réseau, via les Nuit blanches à Paris. Il y a vingt ans donc, nos jeunes gens, s’approprient la cave de la famille Gallix, dans les hauts de Mâcon, rue Rambuteau et lâchent quelque temps l’instrument de musique pour la truelle, maçonnant, clouant et peignant au son d’une cassette – comme s’en était souvenu Eric Prost lors d’une rencontre – tournant en boucle avec en face A “Mekanik Destruktïv Kommandoh ” de Magma et en face B “Love Supreme” de John Coltrane. En fait, l’axe initial s’avère être un vaste bassin d’irrigation où se lisent les noms de Belfort (en viendront James McGaw, Philippe Bussonnet, Daniel Jeand’heur), Bourg-en-Bresse (d’où viendra Bruno Ruder), le fameux club À l’Ouest de la Grosne du regretté Jacky Barbier carrefour où l’on allait écouter Magma et la diaspora de l’école de Canterburry. Relire le dossier Magma de notre numéro de novembre 2008.
Le 17 janvier 1995, la cave des Gallix ouvrait ses portes, rebaptisée Crescent sous un double parrainage : John Coltrane et Christian Vander, président d’honneur du lieu. En 2014, le Crescent quitte donc la rue Rambuteau, profitant quelques mois de l’accueil de la Cave à musique, du Conservatoire du Mâconnais, du Théâtre de Mâcon, de la MJC Héritan, de l’école de musique de Charnay, de Jazz Campus en Clunisois et de l’Arrosoir de Chalon-sur-Saône. Jusqu’à l’inauguration, le 31 octobre, de ce nouveau Crescent en centre ville (Downtown comme on dirait à New York ou New Orleans) dans les caves du couvent des Minimes (consacré en 1630, il abritait plus récemment la coopérative agricole) dans le cadre d’un ambitieux projet d’urbanisme conduit par la Ville, et grâce à la conjonction des soutiens locaux (bénévoles, adhérents, musiciens, salariés de l’association), départementaux, régionaux, nationaux et même européen.
Accueil du directeur Antoine Bartau et du Président Jean-Paul Depardon qui vantent la voûte à l’arc très ouvert offrant sans hauteur de plafond excessive une capacité d’accueil de 150 personnes assises et 290 debout. Au fond, face à la scène, un bar (crémant de Bourgogne, Saint-Amour et blanc de Viré-Clessé évidemment à l’honneur) avec dégustations périodiques organisées par Les Artisans Vignerons de Bourgogne du Sud, et grignotage possible. Séparant symboliquement le bar du reste de la salle, une régie ouvertre qui permettra l’enregistrement dans la soirée du prochain et premier disque de l’Equilibre de Nash, mais offre aussi des possibilités de captation vidéo, sur scène un Yamaha haut de gamme (S6) qui réjouira Bruno Ruder. D’ailleurs, le voici qui monte sur scène, nous obligeant à rejoindre la salle non sans avoir traversé des loges confortables et un local de répétition équipé (piano ¼ de queue, amplis, console numérique, batterie).
Bruno Ruder (piano)
Un programme, “Lisières”, dont j’ai déjà dit tout le bien dans ce blog voici quelques semaines à propos de son concert à Malguénac et dans notre édition papier à propos du disque. Je serai bref, de peur de me répéter, mais lui ne se répète pas tout en repartant des mêmes motifs qu’il décline avec cet art de faire sonner le piano, ce toucher, cette projection, ce sens de la dynamique et de l’écoute, cette profondeur, cette articulation, cet élan… Au jeu des références, notre béquille favorite, j’ajouterai à Thelonious et Paul Bley le nom de Claude Debussy pour le côté très liquide de ces miroitements harmoniques qu’il fait vibrer à la surface du piano. Ce sont peut-être eux qui font dire au beau-père mâconnais, octogénaire nostalgique de ses jeunes années germanopratines, que j’ai entraîné dans ma soirée au Crescent : « C’est du jazz ça ? J’appelle ça de la musique descriptive, mais je ne vois pas bien ce que ça décrit. » Je pouffe intérieurement, en pensant aux sentences définitives qu’André Francis savait faire tomber comme un couperet sur le cou d’un candidat au Concours national de Jazz de la Défense (quitte d’ailleurs à réviser son jugement l’année d’après, car telle était sa capacité de remise en cause qui lui permit de rester des années durant aux aguets du meilleur jazz français dont il se fit le reflet à la tête du bureau du jazz). En rappel de concert , Bruno Ruder reprend un morceau qu’il avait repris à Malguenac et qui m’avait déjà fait penser au Monk de Just a Gigolo, peut-être à cause de cette esquisse de stride qu’il y met. Après le concert, il m’en rappellera le titre : Straight Ahead d’Abbey Lincoln.
L’Equilibre de Nash : Jean-Charles Richard (saxes soprano et baryton), Eric Prost (sax ténor), Roberto Tarenzi (piano), Basile Mouton (conrebasse), Stéphane Foucher (batterie).
Ce groupe repose sur des retrouvailles qui se sont faites en 2013 sous les auspices de l’association Jazz(s)Ra (Ra pour Rhone-Alpes) : Jean-Charles Richard et Eric Prost dont les trajectoires très différentes s’étaient croisées à leurs débuts. Notre plaisir viendra de ces différences, de ce plaisir à se retrouver et ce désir de vérifier dans l’interaction et la prise
de riques les théories du mathématicien John Nash avec l’aide des personnalités tout a fait complémentaires de Roberto Tarenzi (authentique compositeur que l’on devine dans son jeu de pianiste tant à l’arrière-plan qu’en situation de soliste), Basile Mouton (outre une intense participation au jeu collectif, des solos qui n’eurent rien de convenu) et Stéphane Foucher (fidèle de longue date au Crescent dont il est avec Eric Prost, l’un des conseillers artistiques, brillante figure de ce prolifique axe Lyon-Mâcon). Ce plaisir, c’est d’abord celui qu’ont les deux leaders de marier leurs sonorités en homophonie ou de manière fuguée, dans l’écriture comme dans l’improvisation, avec un sommet atteint dans une pièce à l’annonce de laquelle Jean-Charles Richard rappelle le bicentenaire de la naissance d’Adolphe Sax. Pouvait-on rêver plus bel hommage que cet arrangement baryton-ténor ? Ce qui nous réjouit dans cette réunion, c’est peut-être un forme de mainstream qui fait vivre un classicisme afro-américain datant d’Horace Silver, mais ayant assimilé les trouvailles de générations, passant par Cedar Walton, McCoy Tyner, Herbie Hancock, Joe Henderson, Elvin Jones, Tony Williams, Michael Brecker, les néo-boppers, jusqu’aux développements de la polyrythmie-polymétrie, à quoi il faut ajouter cette touche Lacy-Liebman qu’apporte Jean-Charles Richard et quelque chose d’européen qu’il semble avoir en partage avec Roberto Tarenzi. Je ramènerai chez lui un beau-père ravi d’avoir retrouvé l’enthousiasme des caves de Saint-Germain-des-Près. Pour décalé qu’il soit, ce compliment n’est pas des moindres si l’on y ajoute que L’Equilibre de Nash a eu raison du quart de siècle qui nous sépare.
Epilogue buissionnier
Alors que je termine ce compte rendu, mon train entre en gare de Dijon, car pour rejoindre et quitte Mâcon-Ville et non dans l’une de ces gares de TGV qui vous abandonne en rase campagne avec des moyens de liaison incertains le week end, j’ai choisi de prendre le temps du voyage et ce qui fait figure de ligne buissonnière, à l’heure où la concentration des efforts en matière de transports (mais on pourrait faire le parallèle avec le domaine de la diffusion et de la médiatisation de la musique) laisse à l’abandon de larges parties du territoires.
Alors que nous quittons Dijon, je m’appuie à la rambarde du couloir à l’ancienne et regarde défiler la muraille des tranchées qui alternent avec les tunnels et les viaducs. Dans les combes giboyeuses qui s’élancent au travers des contreforts du Plateau de Langres, des brumes langoureuses se déchirent sur les rousseurs d’un automne qui tarde à enflammer ses ors. Voici le viaduc de Velars-sur-Ouche, de sinistre mémoire… (je vois encore les coupures de presse du Bien public envoyées à mon père par ma grand-mère, et je revois celle-ci, plongeant un regard tragique dans le Bien Public à la lueur de la fenêtre pour ne pas abuser de la l’ampoule visée à sa suspension, marmonnant des paroles inintelligibles rythmées par le tictac de l’horloge ancestrale, d’où ressortaient parfois les noms connus d’elles, victimes d’incendie, d’accident de la route, de machine agricole, de train… Velars-sur-Ouche, 1962, 39 morts).
Et voici la carrière de Malain et sa gare, je redouble d’attention. Sur le viaduc suivant, il me faut regagner la fenêtre de compartiment pour apercevoir en contrebas les locaux de la carrière d’où, au début des vacances d’été, mon grand-père (maternel), abonné de La Vie du Rail et grand habitué de l’indicateur Chaix des horaires de la SCNF, sortait à l’heure du passage de notre train pour agiter un mouchoir, salut auquel nous répondions par le même geste au risque de noircir notre mouchoir à la fumée, voire de le brûler aux escarbilles de la locomotive. Mais il me faut aussitôt retourner au couloir (je suis heureusement seul dans ce compartiment)… Hélas, seule Roche aigüe est visible, la brume ayant enveloppé Baulme-la-Roche et la falaise qui protège le village comme un crique. J’y retournerai dans moins d’un mois pour distiller la mirabelle qui bouillonne là-bas dans son fût. Et voici le long tunnel de Blaisy qui, comme le terrier d’Alice, constituait le passage initiatique pour passer de la grisaille parisienne aux merveilles de Baulme-la-Roche. Privé de paysage, par l’obscurité du tunnel, je me rassois pour relire dans Le Monde de dimanche – lundi, le papier de Philippe Manoury sur la Philharmonie et celui sur France Musique de Clarisse Fabre (à suivre, donc…) Franck Bergerot
|
Vingt ans après sa création par les membres du Collectif Mu à Mâcon, le Crescent quitte sa cave de la rue Rambuteau, pour descendre en centre ville dans une nouvelle et grande cave, voûte à l’ancienne dotée du confort moderne : une semaine de célébrations, il fallait bien ça pour fêter l’événement. Nous avions salué la victoire du défunt Collectif Mu au Concours de la Défense en 1995. Nous étions à la dernière soirée d’inauguration du nouveau Crescent, ce samedi 8 novembre. A l’affiche : Bruno Ruder en solo et L’Equilibre de Nash d’Eric Prost et Jean-Charles Richard.
Le nouveau Crescent, place Saint Pierre à Mâcon (71), le 8 novembre 2014.
C’était donc, voici vingt ans, 1994. Une bande de jeunes musiciens créent le Collectif Mu. Citons leurs noms : Eric Prost, David Sauzay, Gaël Horellou (saxes), Laurent Courthaliac (qui sera remplacé par Manu Borghi)(piano), François Gallix et Clovis Nicolas (qui sera remplacé par Fabien Marcoz) (contrebasse), Philippe “Pipon” Garcia, Laurent Sarien (batterie) et Jean-Loup Bonneton, le seul dont le nom ait disparu de nos radars, reparti vers l’élevage de volailles de ses parents. C’est pourtant lui, moins pour sa guitare que pour ses partitions, qui fit l’identité du groupe avant que le Collectif Mu ne disperse ses sensibilités (de l’orthodoxie bop au rock progressive) sur l’axe Lyon-Mâcon-Caen (plus récemment Malguénac) où la petite bande élargit son réseau, via les Nuit blanches à Paris. Il y a vingt ans donc, nos jeunes gens, s’approprient la cave de la famille Gallix, dans les hauts de Mâcon, rue Rambuteau et lâchent quelque temps l’instrument de musique pour la truelle, maçonnant, clouant et peignant au son d’une cassette – comme s’en était souvenu Eric Prost lors d’une rencontre – tournant en boucle avec en face A “Mekanik Destruktïv Kommandoh ” de Magma et en face B “Love Supreme” de John Coltrane. En fait, l’axe initial s’avère être un vaste bassin d’irrigation où se lisent les noms de Belfort (en viendront James McGaw, Philippe Bussonnet, Daniel Jeand’heur), Bourg-en-Bresse (d’où viendra Bruno Ruder), le fameux club À l’Ouest de la Grosne du regretté Jacky Barbier carrefour où l’on allait écouter Magma et la diaspora de l’école de Canterburry. Relire le dossier Magma de notre numéro de novembre 2008.
Le 17 janvier 1995, la cave des Gallix ouvrait ses portes, rebaptisée Crescent sous un double parrainage : John Coltrane et Christian Vander, président d’honneur du lieu. En 2014, le Crescent quitte donc la rue Rambuteau, profitant quelques mois de l’accueil de la Cave à musique, du Conservatoire du Mâconnais, du Théâtre de Mâcon, de la MJC Héritan, de l’école de musique de Charnay, de Jazz Campus en Clunisois et de l’Arrosoir de Chalon-sur-Saône. Jusqu’à l’inauguration, le 31 octobre, de ce nouveau Crescent en centre ville (Downtown comme on dirait à New York ou New Orleans) dans les caves du couvent des Minimes (consacré en 1630, il abritait plus récemment la coopérative agricole) dans le cadre d’un ambitieux projet d’urbanisme conduit par la Ville, et grâce à la conjonction des soutiens locaux (bénévoles, adhérents, musiciens, salariés de l’association), départementaux, régionaux, nationaux et même européen.
Accueil du directeur Antoine Bartau et du Président Jean-Paul Depardon qui vantent la voûte à l’arc très ouvert offrant sans hauteur de plafond excessive une capacité d’accueil de 150 personnes assises et 290 debout. Au fond, face à la scène, un bar (crémant de Bourgogne, Saint-Amour et blanc de Viré-Clessé évidemment à l’honneur) avec dégustations périodiques organisées par Les Artisans Vignerons de Bourgogne du Sud, et grignotage possible. Séparant symboliquement le bar du reste de la salle, une régie ouvertre qui permettra l’enregistrement dans la soirée du prochain et premier disque de l’Equilibre de Nash, mais offre aussi des possibilités de captation vidéo, sur scène un Yamaha haut de gamme (S6) qui réjouira Bruno Ruder. D’ailleurs, le voici qui monte sur scène, nous obligeant à rejoindre la salle non sans avoir traversé des loges confortables et un local de répétition équipé (piano ¼ de queue, amplis, console numérique, batterie).
Bruno Ruder (piano)
Un programme, “Lisières”, dont j’ai déjà dit tout le bien dans ce blog voici quelques semaines à propos de son concert à Malguénac et dans notre édition papier à propos du disque. Je serai bref, de peur de me répéter, mais lui ne se répète pas tout en repartant des mêmes motifs qu’il décline avec cet art de faire sonner le piano, ce toucher, cette projection, ce sens de la dynamique et de l’écoute, cette profondeur, cette articulation, cet élan… Au jeu des références, notre béquille favorite, j’ajouterai à Thelonious et Paul Bley le nom de Claude Debussy pour le côté très liquide de ces miroitements harmoniques qu’il fait vibrer à la surface du piano. Ce sont peut-être eux qui font dire au beau-père mâconnais, octogénaire nostalgique de ses jeunes années germanopratines, que j’ai entraîné dans ma soirée au Crescent : « C’est du jazz ça ? J’appelle ça de la musique descriptive, mais je ne vois pas bien ce que ça décrit. » Je pouffe intérieurement, en pensant aux sentences définitives qu’André Francis savait faire tomber comme un couperet sur le cou d’un candidat au Concours national de Jazz de la Défense (quitte d’ailleurs à réviser son jugement l’année d’après, car telle était sa capacité de remise en cause qui lui permit de rester des années durant aux aguets du meilleur jazz français dont il se fit le reflet à la tête du bureau du jazz). En rappel de concert , Bruno Ruder reprend un morceau qu’il avait repris à Malguenac et qui m’avait déjà fait penser au Monk de Just a Gigolo, peut-être à cause de cette esquisse de stride qu’il y met. Après le concert, il m’en rappellera le titre : Straight Ahead d’Abbey Lincoln.
L’Equilibre de Nash : Jean-Charles Richard (saxes soprano et baryton), Eric Prost (sax ténor), Roberto Tarenzi (piano), Basile Mouton (conrebasse), Stéphane Foucher (batterie).
Ce groupe repose sur des retrouvailles qui se sont faites en 2013 sous les auspices de l’association Jazz(s)Ra (Ra pour Rhone-Alpes) : Jean-Charles Richard et Eric Prost dont les trajectoires très différentes s’étaient croisées à leurs débuts. Notre plaisir viendra de ces différences, de ce plaisir à se retrouver et ce désir de vérifier dans l’interaction et la prise
de riques les théories du mathématicien John Nash avec l’aide des personnalités tout a fait complémentaires de Roberto Tarenzi (authentique compositeur que l’on devine dans son jeu de pianiste tant à l’arrière-plan qu’en situation de soliste), Basile Mouton (outre une intense participation au jeu collectif, des solos qui n’eurent rien de convenu) et Stéphane Foucher (fidèle de longue date au Crescent dont il est avec Eric Prost, l’un des conseillers artistiques, brillante figure de ce prolifique axe Lyon-Mâcon). Ce plaisir, c’est d’abord celui qu’ont les deux leaders de marier leurs sonorités en homophonie ou de manière fuguée, dans l’écriture comme dans l’improvisation, avec un sommet atteint dans une pièce à l’annonce de laquelle Jean-Charles Richard rappelle le bicentenaire de la naissance d’Adolphe Sax. Pouvait-on rêver plus bel hommage que cet arrangement baryton-ténor ? Ce qui nous réjouit dans cette réunion, c’est peut-être un forme de mainstream qui fait vivre un classicisme afro-américain datant d’Horace Silver, mais ayant assimilé les trouvailles de générations, passant par Cedar Walton, McCoy Tyner, Herbie Hancock, Joe Henderson, Elvin Jones, Tony Williams, Michael Brecker, les néo-boppers, jusqu’aux développements de la polyrythmie-polymétrie, à quoi il faut ajouter cette touche Lacy-Liebman qu’apporte Jean-Charles Richard et quelque chose d’européen qu’il semble avoir en partage avec Roberto Tarenzi. Je ramènerai chez lui un beau-père ravi d’avoir retrouvé l’enthousiasme des caves de Saint-Germain-des-Près. Pour décalé qu’il soit, ce compliment n’est pas des moindres si l’on y ajoute que L’Equilibre de Nash a eu raison du quart de siècle qui nous sépare.
Epilogue buissionnier
Alors que je termine ce compte rendu, mon train entre en gare de Dijon, car pour rejoindre et quitte Mâcon-Ville et non dans l’une de ces gares de TGV qui vous abandonne en rase campagne avec des moyens de liaison incertains le week end, j’ai choisi de prendre le temps du voyage et ce qui fait figure de ligne buissonnière, à l’heure où la concentration des efforts en matière de transports (mais on pourrait faire le parallèle avec le domaine de la diffusion et de la médiatisation de la musique) laisse à l’abandon de larges parties du territoires.
Alors que nous quittons Dijon, je m’appuie à la rambarde du couloir à l’ancienne et regarde défiler la muraille des tranchées qui alternent avec les tunnels et les viaducs. Dans les combes giboyeuses qui s’élancent au travers des contreforts du Plateau de Langres, des brumes langoureuses se déchirent sur les rousseurs d’un automne qui tarde à enflammer ses ors. Voici le viaduc de Velars-sur-Ouche, de sinistre mémoire… (je vois encore les coupures de presse du Bien public envoyées à mon père par ma grand-mère, et je revois celle-ci, plongeant un regard tragique dans le Bien Public à la lueur de la fenêtre pour ne pas abuser de la l’ampoule visée à sa suspension, marmonnant des paroles inintelligibles rythmées par le tictac de l’horloge ancestrale, d’où ressortaient parfois les noms connus d’elles, victimes d’incendie, d’accident de la route, de machine agricole, de train… Velars-sur-Ouche, 1962, 39 morts).
Et voici la carrière de Malain et sa gare, je redouble d’attention. Sur le viaduc suivant, il me faut regagner la fenêtre de compartiment pour apercevoir en contrebas les locaux de la carrière d’où, au début des vacances d’été, mon grand-père (maternel), abonné de La Vie du Rail et grand habitué de l’indicateur Chaix des horaires de la SCNF, sortait à l’heure du passage de notre train pour agiter un mouchoir, salut auquel nous répondions par le même geste au risque de noircir notre mouchoir à la fumée, voire de le brûler aux escarbilles de la locomotive. Mais il me faut aussitôt retourner au couloir (je suis heureusement seul dans ce compartiment)… Hélas, seule Roche aigüe est visible, la brume ayant enveloppé Baulme-la-Roche et la falaise qui protège le village comme un crique. J’y retournerai dans moins d’un mois pour distiller la mirabelle qui bouillonne là-bas dans son fût. Et voici le long tunnel de Blaisy qui, comme le terrier d’Alice, constituait le passage initiatique pour passer de la grisaille parisienne aux merveilles de Baulme-la-Roche. Privé de paysage, par l’obscurité du tunnel, je me rassois pour relire dans Le Monde de dimanche – lundi, le papier de Philippe Manoury sur la Philharmonie et celui sur France Musique de Clarisse Fabre (à suivre, donc…) Franck Bergerot