Un Pastiche, s’il vous plaît.
Hier soir à Berlin, quartier de Neukölln, dans la salle discrètement souterraine de l’Arkaoda, un Pastiche International. L’idée est la suivante : dans ces soirées d’ « open genre listening », rassembler intéressés et curieux autour d’une expérience musicale totale. Une ouverture à la contingence…
Le créateur de cet événement, prenant place depuis six mois dans des salles berlinoises, européennes, et bientôt à Paris (à suivre), n’est autre que Billy Caso, producteur anglais installé depuis dix ans à Berlin. Pour définir sa philosophie, il trouva dans la langue française le mot approprié : pastiche. Le défi premier était de ramener à la vie le jazz dans la capitale européenne, si ce n’est mondiale, de la musique techno. Pour cela, le pastiche, la caricature prend forme sous là bénédiction de sire Frank Zappa : « Jazz is not dead, it just smells funny ! ». L’événement prend donc à contresens l’idée que le jazz est une musique en perte de vitesse, écoutée par des snobinards dans des salles à moitié vides, ou des bourgeois à la retraite. En effet, le jazz est une musique à laquelle il faut dédier une attention toute particulière, et c’est pour cela que Billy Caso a choisi un décor permettant le repos des corps. Sur les tapis et les coussins se rassemble bien vite une foule hétéroclite, prenant toute son aise dans ce cocon musical. « Au début, les gens ne comprenaient pas ce qu’ils devaient faire », m’explique Billy. S’asseoir, enlever ses chaussures, s’allonger… ce qui peut paraître absurde lorsqu’on s’attend à entendre de la musique « sérieuse » doit finalement permettre de déposer ces codes de côté, en même temps que ses chausses, et de s’ouvrir pleinement à l’écoute et à la découverte.
C’est la claviériste, chanteuse et compositrice Salami Rose Joe Louis qui m’amena ici ce soir, mais je fus conquis dans un premier temps par le travail de l’alchimiste DJ Amir. Un set contemplatif, bercé par le « spiritual jazz » du répertoire Black Jazz Records, l’après-bop, la soul et les différentes expérimentations ayant pris place durant les années 70 envers les cultures africaines, et l’introduction d’instruments nouveaux sous les mains des jazzmen. Chaque piste est pesée, entrecoupée d’interludes en solo, où l’on retrouve harpe, oud, congas et voix de l’ensemble Al-Salaam…
Après deux heures de constante découverte, tout le monde a su prendre ses marques, et est ravi de retrouver Salami, accueillie comme une vieille amie. On le sait, son jeu est aussi plein d’humour, et elle s’amuse à lancer des pistes diablement géométriques sur sa boîte à rythmes, pour y apposer ensuite ses voix, ses mélodies simples et sensibles, et ses improvisations riches de sonorités électroniques, invisibles à l’œil nu. Avec le guitariste Simon Martinez, tous deux œuvrent dans la continuité d’une ouverture à la contingence, et sous ces lentilles grossissantes apparaissent la pesanteur, la légèreté, l’humilité que dégage cette foule de corps oubliés et tournés vers l’écoute.
Merci à Billy pour cette ambition, à Amir pour ses platines audacieuses, et à Lindsay pour ses créations à cœur ouvert. Si l’expérience vous tente, elle se reproduira le 26 août au Selector, à Paris, avec une programmation toute autre.
Je vous le recommande chaudement.
Walden Gauthier