En vidant mes poches (Eloge du Julien Coriatt trio)
La rentrée est passée depuis un mois, je cours partout, je me disperse en besognes futiles, je cajôle des gens qui m’indiffèrent, je réponds à des invitations que j’aurais dû décliner, et j’oublie l’essentiel: rendre hommage à un chouette trio qui m’a procuré plus qu’un autre tant de joies musicales depuis quatre ans.
Julien Coriatt Trio , avec Julien Coriatt (p), Adam Over (b), David Paycha (dm), 38 Riv, 38 Rue de Rivoli 75004 Paris
Louons le changement de saisons. Le temps s’est rafraîchi, j’ai changé de veston. Machinalement, j’ai voulu vider les poches dudit veston avant de le remiser. Il en est sorti un pistolet à eau, un scolopendre, un compas d’oreille pour ceux qui n’arrivent pas à l’avoir dans l’oeil, une photo dédicacée de Franck Bergerot, un jambon beurre sans pain, une paire de menottes, une nuée d’abeilles, un rouleau de la mer morte volé dans un musée, cinq louis d’or donnés par ma grand-mère pour quand les Allemands reviendront nous envahir, et Julien Coriatt. Ou plutôt un bloc-note orange de marque Rhodia avec l’inscription: « Julien Coriatt, 29 août ». Je me suis alors frappé le front en prononçant une litanie de jurons qui m’ont fait auto-rougir (c’est possible). J’avais oublié de rendre hommage au trio de Julien! Pendant quatre ans, j’avais eu la chance, comme beaucoup d’autres,de l’entendre tous les lundis au 38 Riv, le club de Vincent Charbonnier. Depuis le mois de septembre, c’est Daniel Gassin qui officie en lieu et place de Julien. Plus tard je dirai les mérites de Daniel Gassin (superbe pianiste) mais avant, je voudrais dire tout le bien que je pense de ce trio, que l’on peut écouter sur un beau disque live, Jingle Blues, qui restitue parfaitement l’atmosphère du 38 Riv’.
Au piano, Julien Coriatt a un jeu délié, dansant, ancré dans le swing avec une grande logique dans la construction des phrases. Cet ancrage dans le swing et dans le groove coexiste avec une sensibilité romantique, qui se mesure par exemple à son inimitable manière de faire durer les ballades jusqu’à leur dernier soupir, comme s’il les quittait à regret. Le swing, la danse, mais aussi la volonté d’exprimer les mouvements de l’âme provoquent chez lui une tension créatrice féconde. On voit à l’oeuvre ces deux aspirations dans un morceau comme Thank You Georges. Par ailleurs, Julien Coriatt fait partie de ces pianistes qui s’investissent autant dans l’accompagnement que dans ses propres solos. Quelles belles répliques il sait donner à ses deux partenaires, Adam Over et David Paycha! Adam, c’est un roc d’une solidité à toute épreuve. Avec lui, on peut voyager loin. Il ne se perd jamais, et l’on admire sa façon de projeter certaines notes en leur conférant une absolue nécessité. Si Adam est le sage, David Paycha est le tout-fou. Il a rejoint le trio il y a deux ans en remplacement de Philippe Maniez. Il a bien sûr biberonné Eric Harland et Brian Blade, comme tant de batteurs actuels, mais s’est nourri aussi de beaucoup d’autres influences, (on peut entendre comment il utilise la musique traditionnelle africaine dans son incroyable solo sur Chick Pea, composé par lui-même). David Paycha, vingt ans (!), est un batteur musical dans chacun de ses gestes. Quand il joue avec les balais on dirait un oiseau qui sautille sur des gravillons. Il a aussi un magnifique jeu à mains nues dont il explique avec modestie qu’il le doit à sa pratique du djembé. Au fil de mois, ce fut un plaisir de voir s’approfondir la relation musicale entre le sage et le tout-fou. De son propre aveu, David a beaucoup appris d’Adam, en particulier le plaisir et la rigueur mêlées du jazz « straight ahead ».
J’écoute le merveilleux Chick Pea en écrivant ces lignes, et les souvenirs remontent. Je revois Julien jouer avec un sandwich (sandriv’ch, les initiés comprendront) posé sur le piano à sa gauche, qu’il finissait de manger pendant le solo de basse. Je l’entends jouer huit chorus sur Blue Monk sans jamais se répéter. Je me souviens de lui jouant Up jumped Spring, Darn that Dream, ou des merveilleux Jobim, Once i loved. Je le revois gérer la foule des jammeurs (« Tiens, Yoann, salut? Ah non, il y a déjà deux guitaristes avant toi ») tout en écoutant le pianiste (« Si bémol….mi bémol….mais…pourquoi il me joue pas mon mi bémol? Ah si le voilà… »). Je revois Adam et Julien colloquer pour choisir un morceau, et Adam ponctuer cet échange d’un sonore « Sure! ». La bonne nouvelle, c’est qu’on peut écouter ce trio sur disque. L’autre bonne nouvelle, c’est que ce trio continuera d’exister, mais sous d’autres formes et dans d’autres lieux. Je suis impatient de voir comment évoluera la relation musicale entre ces trois lascars que, tous les lundis pendant quatre ans, j’ai écouté sans avoir jamais l’impression de m’ennuyer ni de perdre mon temps.
Texte : JF Mondot
Dessins: AC Alvoët (note : ce dessin date de juin 2014. AC Alvoët a également conçu et réalisé la couverture du disque Jingle Blues. Autres dessins de l’artiste sur son site www.annie-claire.com )
|La rentrée est passée depuis un mois, je cours partout, je me disperse en besognes futiles, je cajôle des gens qui m’indiffèrent, je réponds à des invitations que j’aurais dû décliner, et j’oublie l’essentiel: rendre hommage à un chouette trio qui m’a procuré plus qu’un autre tant de joies musicales depuis quatre ans.
Julien Coriatt Trio , avec Julien Coriatt (p), Adam Over (b), David Paycha (dm), 38 Riv, 38 Rue de Rivoli 75004 Paris
Louons le changement de saisons. Le temps s’est rafraîchi, j’ai changé de veston. Machinalement, j’ai voulu vider les poches dudit veston avant de le remiser. Il en est sorti un pistolet à eau, un scolopendre, un compas d’oreille pour ceux qui n’arrivent pas à l’avoir dans l’oeil, une photo dédicacée de Franck Bergerot, un jambon beurre sans pain, une paire de menottes, une nuée d’abeilles, un rouleau de la mer morte volé dans un musée, cinq louis d’or donnés par ma grand-mère pour quand les Allemands reviendront nous envahir, et Julien Coriatt. Ou plutôt un bloc-note orange de marque Rhodia avec l’inscription: « Julien Coriatt, 29 août ». Je me suis alors frappé le front en prononçant une litanie de jurons qui m’ont fait auto-rougir (c’est possible). J’avais oublié de rendre hommage au trio de Julien! Pendant quatre ans, j’avais eu la chance, comme beaucoup d’autres,de l’entendre tous les lundis au 38 Riv, le club de Vincent Charbonnier. Depuis le mois de septembre, c’est Daniel Gassin qui officie en lieu et place de Julien. Plus tard je dirai les mérites de Daniel Gassin (superbe pianiste) mais avant, je voudrais dire tout le bien que je pense de ce trio, que l’on peut écouter sur un beau disque live, Jingle Blues, qui restitue parfaitement l’atmosphère du 38 Riv’.
Au piano, Julien Coriatt a un jeu délié, dansant, ancré dans le swing avec une grande logique dans la construction des phrases. Cet ancrage dans le swing et dans le groove coexiste avec une sensibilité romantique, qui se mesure par exemple à son inimitable manière de faire durer les ballades jusqu’à leur dernier soupir, comme s’il les quittait à regret. Le swing, la danse, mais aussi la volonté d’exprimer les mouvements de l’âme provoquent chez lui une tension créatrice féconde. On voit à l’oeuvre ces deux aspirations dans un morceau comme Thank You Georges. Par ailleurs, Julien Coriatt fait partie de ces pianistes qui s’investissent autant dans l’accompagnement que dans ses propres solos. Quelles belles répliques il sait donner à ses deux partenaires, Adam Over et David Paycha! Adam, c’est un roc d’une solidité à toute épreuve. Avec lui, on peut voyager loin. Il ne se perd jamais, et l’on admire sa façon de projeter certaines notes en leur conférant une absolue nécessité. Si Adam est le sage, David Paycha est le tout-fou. Il a rejoint le trio il y a deux ans en remplacement de Philippe Maniez. Il a bien sûr biberonné Eric Harland et Brian Blade, comme tant de batteurs actuels, mais s’est nourri aussi de beaucoup d’autres influences, (on peut entendre comment il utilise la musique traditionnelle africaine dans son incroyable solo sur Chick Pea, composé par lui-même). David Paycha, vingt ans (!), est un batteur musical dans chacun de ses gestes. Quand il joue avec les balais on dirait un oiseau qui sautille sur des gravillons. Il a aussi un magnifique jeu à mains nues dont il explique avec modestie qu’il le doit à sa pratique du djembé. Au fil de mois, ce fut un plaisir de voir s’approfondir la relation musicale entre le sage et le tout-fou. De son propre aveu, David a beaucoup appris d’Adam, en particulier le plaisir et la rigueur mêlées du jazz « straight ahead ».
J’écoute le merveilleux Chick Pea en écrivant ces lignes, et les souvenirs remontent. Je revois Julien jouer avec un sandwich (sandriv’ch, les initiés comprendront) posé sur le piano à sa gauche, qu’il finissait de manger pendant le solo de basse. Je l’entends jouer huit chorus sur Blue Monk sans jamais se répéter. Je me souviens de lui jouant Up jumped Spring, Darn that Dream, ou des merveilleux Jobim, Once i loved. Je le revois gérer la foule des jammeurs (« Tiens, Yoann, salut? Ah non, il y a déjà deux guitaristes avant toi ») tout en écoutant le pianiste (« Si bémol….mi bémol….mais…pourquoi il me joue pas mon mi bémol? Ah si le voilà… »). Je revois Adam et Julien colloquer pour choisir un morceau, et Adam ponctuer cet échange d’un sonore « Sure! ». La bonne nouvelle, c’est qu’on peut écouter ce trio sur disque. L’autre bonne nouvelle, c’est que ce trio continuera d’exister, mais sous d’autres formes et dans d’autres lieux. Je suis impatient de voir comment évoluera la relation musicale entre ces trois lascars que, tous les lundis pendant quatre ans, j’ai écouté sans avoir jamais l’impression de m’ennuyer ni de perdre mon temps.
Texte : JF Mondot
Dessins: AC Alvoët (note : ce dessin date de juin 2014. AC Alvoët a également conçu et réalisé la couverture du disque Jingle Blues. Autres dessins de l’artiste sur son site www.annie-claire.com )
|La rentrée est passée depuis un mois, je cours partout, je me disperse en besognes futiles, je cajôle des gens qui m’indiffèrent, je réponds à des invitations que j’aurais dû décliner, et j’oublie l’essentiel: rendre hommage à un chouette trio qui m’a procuré plus qu’un autre tant de joies musicales depuis quatre ans.
Julien Coriatt Trio , avec Julien Coriatt (p), Adam Over (b), David Paycha (dm), 38 Riv, 38 Rue de Rivoli 75004 Paris
Louons le changement de saisons. Le temps s’est rafraîchi, j’ai changé de veston. Machinalement, j’ai voulu vider les poches dudit veston avant de le remiser. Il en est sorti un pistolet à eau, un scolopendre, un compas d’oreille pour ceux qui n’arrivent pas à l’avoir dans l’oeil, une photo dédicacée de Franck Bergerot, un jambon beurre sans pain, une paire de menottes, une nuée d’abeilles, un rouleau de la mer morte volé dans un musée, cinq louis d’or donnés par ma grand-mère pour quand les Allemands reviendront nous envahir, et Julien Coriatt. Ou plutôt un bloc-note orange de marque Rhodia avec l’inscription: « Julien Coriatt, 29 août ». Je me suis alors frappé le front en prononçant une litanie de jurons qui m’ont fait auto-rougir (c’est possible). J’avais oublié de rendre hommage au trio de Julien! Pendant quatre ans, j’avais eu la chance, comme beaucoup d’autres,de l’entendre tous les lundis au 38 Riv, le club de Vincent Charbonnier. Depuis le mois de septembre, c’est Daniel Gassin qui officie en lieu et place de Julien. Plus tard je dirai les mérites de Daniel Gassin (superbe pianiste) mais avant, je voudrais dire tout le bien que je pense de ce trio, que l’on peut écouter sur un beau disque live, Jingle Blues, qui restitue parfaitement l’atmosphère du 38 Riv’.
Au piano, Julien Coriatt a un jeu délié, dansant, ancré dans le swing avec une grande logique dans la construction des phrases. Cet ancrage dans le swing et dans le groove coexiste avec une sensibilité romantique, qui se mesure par exemple à son inimitable manière de faire durer les ballades jusqu’à leur dernier soupir, comme s’il les quittait à regret. Le swing, la danse, mais aussi la volonté d’exprimer les mouvements de l’âme provoquent chez lui une tension créatrice féconde. On voit à l’oeuvre ces deux aspirations dans un morceau comme Thank You Georges. Par ailleurs, Julien Coriatt fait partie de ces pianistes qui s’investissent autant dans l’accompagnement que dans ses propres solos. Quelles belles répliques il sait donner à ses deux partenaires, Adam Over et David Paycha! Adam, c’est un roc d’une solidité à toute épreuve. Avec lui, on peut voyager loin. Il ne se perd jamais, et l’on admire sa façon de projeter certaines notes en leur conférant une absolue nécessité. Si Adam est le sage, David Paycha est le tout-fou. Il a rejoint le trio il y a deux ans en remplacement de Philippe Maniez. Il a bien sûr biberonné Eric Harland et Brian Blade, comme tant de batteurs actuels, mais s’est nourri aussi de beaucoup d’autres influences, (on peut entendre comment il utilise la musique traditionnelle africaine dans son incroyable solo sur Chick Pea, composé par lui-même). David Paycha, vingt ans (!), est un batteur musical dans chacun de ses gestes. Quand il joue avec les balais on dirait un oiseau qui sautille sur des gravillons. Il a aussi un magnifique jeu à mains nues dont il explique avec modestie qu’il le doit à sa pratique du djembé. Au fil de mois, ce fut un plaisir de voir s’approfondir la relation musicale entre le sage et le tout-fou. De son propre aveu, David a beaucoup appris d’Adam, en particulier le plaisir et la rigueur mêlées du jazz « straight ahead ».
J’écoute le merveilleux Chick Pea en écrivant ces lignes, et les souvenirs remontent. Je revois Julien jouer avec un sandwich (sandriv’ch, les initiés comprendront) posé sur le piano à sa gauche, qu’il finissait de manger pendant le solo de basse. Je l’entends jouer huit chorus sur Blue Monk sans jamais se répéter. Je me souviens de lui jouant Up jumped Spring, Darn that Dream, ou des merveilleux Jobim, Once i loved. Je le revois gérer la foule des jammeurs (« Tiens, Yoann, salut? Ah non, il y a déjà deux guitaristes avant toi ») tout en écoutant le pianiste (« Si bémol….mi bémol….mais…pourquoi il me joue pas mon mi bémol? Ah si le voilà… »). Je revois Adam et Julien colloquer pour choisir un morceau, et Adam ponctuer cet échange d’un sonore « Sure! ». La bonne nouvelle, c’est qu’on peut écouter ce trio sur disque. L’autre bonne nouvelle, c’est que ce trio continuera d’exister, mais sous d’autres formes et dans d’autres lieux. Je suis impatient de voir comment évoluera la relation musicale entre ces trois lascars que, tous les lundis pendant quatre ans, j’ai écouté sans avoir jamais l’impression de m’ennuyer ni de perdre mon temps.
Texte : JF Mondot
Dessins: AC Alvoët (note : ce dessin date de juin 2014. AC Alvoët a également conçu et réalisé la couverture du disque Jingle Blues. Autres dessins de l’artiste sur son site www.annie-claire.com )
|La rentrée est passée depuis un mois, je cours partout, je me disperse en besognes futiles, je cajôle des gens qui m’indiffèrent, je réponds à des invitations que j’aurais dû décliner, et j’oublie l’essentiel: rendre hommage à un chouette trio qui m’a procuré plus qu’un autre tant de joies musicales depuis quatre ans.
Julien Coriatt Trio , avec Julien Coriatt (p), Adam Over (b), David Paycha (dm), 38 Riv, 38 Rue de Rivoli 75004 Paris
Louons le changement de saisons. Le temps s’est rafraîchi, j’ai changé de veston. Machinalement, j’ai voulu vider les poches dudit veston avant de le remiser. Il en est sorti un pistolet à eau, un scolopendre, un compas d’oreille pour ceux qui n’arrivent pas à l’avoir dans l’oeil, une photo dédicacée de Franck Bergerot, un jambon beurre sans pain, une paire de menottes, une nuée d’abeilles, un rouleau de la mer morte volé dans un musée, cinq louis d’or donnés par ma grand-mère pour quand les Allemands reviendront nous envahir, et Julien Coriatt. Ou plutôt un bloc-note orange de marque Rhodia avec l’inscription: « Julien Coriatt, 29 août ». Je me suis alors frappé le front en prononçant une litanie de jurons qui m’ont fait auto-rougir (c’est possible). J’avais oublié de rendre hommage au trio de Julien! Pendant quatre ans, j’avais eu la chance, comme beaucoup d’autres,de l’entendre tous les lundis au 38 Riv, le club de Vincent Charbonnier. Depuis le mois de septembre, c’est Daniel Gassin qui officie en lieu et place de Julien. Plus tard je dirai les mérites de Daniel Gassin (superbe pianiste) mais avant, je voudrais dire tout le bien que je pense de ce trio, que l’on peut écouter sur un beau disque live, Jingle Blues, qui restitue parfaitement l’atmosphère du 38 Riv’.
Au piano, Julien Coriatt a un jeu délié, dansant, ancré dans le swing avec une grande logique dans la construction des phrases. Cet ancrage dans le swing et dans le groove coexiste avec une sensibilité romantique, qui se mesure par exemple à son inimitable manière de faire durer les ballades jusqu’à leur dernier soupir, comme s’il les quittait à regret. Le swing, la danse, mais aussi la volonté d’exprimer les mouvements de l’âme provoquent chez lui une tension créatrice féconde. On voit à l’oeuvre ces deux aspirations dans un morceau comme Thank You Georges. Par ailleurs, Julien Coriatt fait partie de ces pianistes qui s’investissent autant dans l’accompagnement que dans ses propres solos. Quelles belles répliques il sait donner à ses deux partenaires, Adam Over et David Paycha! Adam, c’est un roc d’une solidité à toute épreuve. Avec lui, on peut voyager loin. Il ne se perd jamais, et l’on admire sa façon de projeter certaines notes en leur conférant une absolue nécessité. Si Adam est le sage, David Paycha est le tout-fou. Il a rejoint le trio il y a deux ans en remplacement de Philippe Maniez. Il a bien sûr biberonné Eric Harland et Brian Blade, comme tant de batteurs actuels, mais s’est nourri aussi de beaucoup d’autres influences, (on peut entendre comment il utilise la musique traditionnelle africaine dans son incroyable solo sur Chick Pea, composé par lui-même). David Paycha, vingt ans (!), est un batteur musical dans chacun de ses gestes. Quand il joue avec les balais on dirait un oiseau qui sautille sur des gravillons. Il a aussi un magnifique jeu à mains nues dont il explique avec modestie qu’il le doit à sa pratique du djembé. Au fil de mois, ce fut un plaisir de voir s’approfondir la relation musicale entre le sage et le tout-fou. De son propre aveu, David a beaucoup appris d’Adam, en particulier le plaisir et la rigueur mêlées du jazz « straight ahead ».
J’écoute le merveilleux Chick Pea en écrivant ces lignes, et les souvenirs remontent. Je revois Julien jouer avec un sandwich (sandriv’ch, les initiés comprendront) posé sur le piano à sa gauche, qu’il finissait de manger pendant le solo de basse. Je l’entends jouer huit chorus sur Blue Monk sans jamais se répéter. Je me souviens de lui jouant Up jumped Spring, Darn that Dream, ou des merveilleux Jobim, Once i loved. Je le revois gérer la foule des jammeurs (« Tiens, Yoann, salut? Ah non, il y a déjà deux guitaristes avant toi ») tout en écoutant le pianiste (« Si bémol….mi bémol….mais…pourquoi il me joue pas mon mi bémol? Ah si le voilà… »). Je revois Adam et Julien colloquer pour choisir un morceau, et Adam ponctuer cet échange d’un sonore « Sure! ». La bonne nouvelle, c’est qu’on peut écouter ce trio sur disque. L’autre bonne nouvelle, c’est que ce trio continuera d’exister, mais sous d’autres formes et dans d’autres lieux. Je suis impatient de voir comment évoluera la relation musicale entre ces trois lascars que, tous les lundis pendant quatre ans, j’ai écouté sans avoir jamais l’impression de m’ennuyer ni de perdre mon temps.
Texte : JF Mondot
Dessins: AC Alvoët (note : ce dessin date de juin 2014. AC Alvoët a également conçu et réalisé la couverture du disque Jingle Blues. Autres dessins de l’artiste sur son site www.annie-claire.com )