Jazz live
Publié le 7 Juin 2019

VINCENT LÊ QUANG QUARTET : un grand groupe !

 

Escapade dans une banlieue proche de ma proche banlieue, pour écouter un quartette rare, trop rare, mais dont on dit qu’il prépare un disque. Avant de vous narrer le concert auquel j’ai assisté, sachez déjà que j’attends ce disque avec impatience !

Exceptionnellement je suis venu en voiture car Le Triton, comme Musiques au Comptoir à Fontenay, ou divers lieux de Montreuil, me sont difficiles d’accès par les transports en commun que je privilégie pourtant constamment.

VINCENT LÊ QUANG QUARTET

Vincent Lê Quang (saxophones ténor & soprano), Bruno Ruder (piano), Guido Zorn (contrebasse), Joe Quitzke (batterie)

Les Lilas, Le Triton, 6 juin 2019, 20h30

Parti très à l’avance, je dois aux multiples travaux qui embouteillent les banlieues traversées d’arriver avec un léger retard, pendant le solo de sax ténor du premier morceau. Et tout de suite je suis happé par l’urgence du chorus. Vincent Lê Quang est totalement engagé dans la musique, et pourtant la verve musicale n’étouffe pas sa pensée : c’est d’une incontestable densité. Quand Bruno Ruder développe son solo, j’ai l’impression que sa main gauche évoque le chant que le saxophone vient de nous faire entendre, tandis que la droite évolue dans une grande liberté créative. Il faut dire que ces deux-là sont complices de longtemps : pour les avoir souvent écoutés (et même présentés sur scène) avec le trio «yes is a pleasant country», qu’ils formaient avec Jeanne Added, je sais que leur connivence est presque sans limites. Le tandem constitué par Guido Zorn à la basse et Joe Quitzke à la batterie est d’une cohérence folle et d’une inventivité constante. La cohésion du groupe force l’admiration. Pendant ce morceau, je pense au Wayne Shorter des années soixante, et aussi aux premiers disques de Sam Rivers, ceux qu’il avait enregistrés pour le label Blue Note : serais-je donc un amateur passéiste ? Personne n’est parfait…. Pour la coda la résolution est différée à l’extrême : alors que l’on ne l’espère plus, le piano nous la livre dans une ultime intervention. Vient ensuite un thème intitulé Canon (numéro un) : construction savante encore, soigneusement masquée par un lyrisme hors de pair. Puis c’est le Thème de Wanda, inspiré au saxophoniste (qui revient au ténor après avoir joué du soprano) par film Wanda de Barbara Loden. Une musique habitée, qui sera aussi un moment de mise en valeur des solistes : improvisation époustouflante de Bruno Ruder, puis polyrythmie infernale de Joe Quitzke. Pour le dernier thème du premier set, le saxophoniste, toujours au ténor, choisit I Concentrate On You de Cole Porter. Je suis frappé par le fait que Vincent Lê Quang va chercher, dans le haut du registre du ténor, un timbre d’alto un peu ‘à la Lee Konitz’, alors que Konitz, dans un disque (en duo avec Red Mitchell) auquel ce thème donnait son titre, tirait son alto vers le ténor : infiniment troublant, et très beau. Sous les trilles du saxophone le pianiste développe son propre solo, puis quand la contrebasse livre son improvisation, le piano rappelle la grille avec des accords tendus qui provoquent de doux frottements harmoniques. On est en pleine interaction, c’est jubilatoire. Quand vient la coda, on croit voir venir une conclusion académique et légèrement pompier…. et c’est une explosion free qui va clore le morceau. L’ironie parle d’elle même dans cette musique sans qu’il soit utile de développer par écrit de longs discours d’escorte comme le fait dans les livrets de ses disques un pianiste américain que, par ailleurs, j’admire beaucoup.

Le second set commence par, selon la formule de Vincent Lê Quang, «un pastiche amoureux » de Wayne Shorter. Il l’a d’ailleurs intitulé La Danse de Wayne, et il virevolte au soprano avec une verve confondante. Puis c’est (toujours au soprano) L’Escarpolette, allusion à Verlaine. C’est une musique ouverte, non descriptive mais à la très forte puissance d’évocation. Le soprano et le piano improvisent dans une grande liberté tonale, ils sont rejoints par la basse et la batterie, puis revient le ténor pour une composition de Guido Zorn. Le concert se poursuit autour d’une note obstinée (un sol ?) dans un lyrisme totalement modal, volubile, tendu et soyeux tout à la fois. Ce moment musical s’est construit sur des réminiscences de la Messe de Nostre Dame de Guillaume de Machaut. Décidément, le lyrisme traverse l’histoire et le temps. Un dernier thème, un blues hétérodoxe signé par le saxophoniste, et intitulé Ondulation Blues. L’effervescence va crescendo avec le soprano, puis un solo de piano, qui démarre un peu ‘à la Tristano’, va évoluer vers d’autres cieux. Encore un solo de batterie endiablé, et ce sera le rappel avec, au sax ténor, une ballade inspirée par un poète américain. Plein lyrisme toujours, mais dans un écrin d’une densité musicale intense, et dans un enfer de nuances extrêmes qui dessinent le paradis, et nous font tutoyer le sublime. Très beau concert, formidable quartette. J’avais manqué en avril 2018 le concert ‘Jazz sur le Vif’ de la Maison de la Radio parce que j’étais absent ce jour-là, et j’avais loupé sa diffusion sur France Musique en juillet parce que j’étais à l’hosto sous perfusion d’antibiotiques qui traquaient une infection fantomatique, laquelle n’était en fait qu’une très méchante inflammation : quel bonheur d’avoir effacé tous ces mauvais souvenirs avec cette soirée d’anthologie au Triton. Merci les gars !

Xavier Prévost