Jazz live
Publié le 1 Avr 2013

Virginie Teychené à Perpignan

Un charmant petit théâtre à l’italienne, comme il en subsiste encore en province. Boiseries et tentures vieux rose – jamais les termes n’ont été plus adéquats. Sans doute le jazz a-t-il rarement pénétré dans ces murs. Peut-être est-ce même la première fois, sous les auspices des clubs Rotary des Pyrénées-Orientales, et pour la meilleure des causes : un concert au profit de Médecins Sans Frontières. Occasion unique de joindre l’utile à l’agréable, à laquelle a répondu un public nombreux. Dense, en tout cas, compte tenu de la relative exiguïté du lieu.

 

Juan Martin Duo. Vigatane Transfer. The Jazz Makers.

Virginie Teychené Quartet. Virginie Teychené (voc), Stéphane Bernard (p), Gérard Maurin (b), Eric Le Lann (tp). Perpignan, Théâtre, 29 mars.

 

En amuse-gueule, des groupes régionaux (une lectrice, jetant un oeil par-dessus mon épaule, me fait remarquer qu’on ne dit plus « amuse-gueule », mais « amuse-bouche ». Bel exemple de l’imbécile pruderie de l’époque. Mais quoi, on ne se refait pas.)

 

En hors d’oeuvre, donc, des musiciens sympathiques, et l’occasion de vérifier d’abord, avec le guitariste Juan Martin, que l’usage de la syncope n’est pas systématiquement générateur de swing. Bel exemple à donner à des élèves de conservatoire. Ensuite, que Manhattan Transfer fait toujours des émules et que le nonette vocal Vigatane Transfer n’est pas dépourvu d’humour (les vigatanes sont ces espadrilles de corde que portent les danseurs de sardanes, ce qui ne signifie nullement qu’ils chantent comme des pieds). Enfin, que Gérard Maurin a concocté pour le sextette The Jazz Makers des arrangements efficaces, propres à servir le son d’un ensemble de type hard bop jouant avec une conviction réjouissante.

 

Gérard Maurin, justement, le voici sur scène en seconde partie, pour le plat de résistance. Imperturbable derrière sa contrebasse au gros son boisé. Menant comme un seul homme un trio auquel s’est adjoint Eric Le Lann. Dictant et assurant le tempo, réglant avec une autorité bonhomme les interventions de Stéphane Bernard, fin pianiste s’il en fut onc, les ponctuations de Jean-Pierre Arnaud, sobre, efficace, inventif. Ménageant au trompettiste des espaces où se donnent libre cours son lyrisme et son imagination. Quant à ce dernier, un son qui évoque parfois Chet, rien d’étonnant, surtout dans les ballades. Le Lann a trouvé au sein du groupe une place que l’on pourrait qualifier de « naturelle », comme si allait de soi une connivence que traduisent notamment les contre-chants tissé derrière la chanteuse.

 

Lullaby Of Birdland en tour de chauffe avant l’entrée de celle-ci. « Ce fut comme une apparition« . Cette phrase de Flaubert à propos de Madame Arnoux, dans L’Education sentimentale, serait ici en situation, tant Virginie Teychené séduit d’emblée le public. Il tombe sous le charme dès le I’ve Got Nothing But The Blues initial. Une élégance discrète, de bon aloi. Une gentillesse naturelle. Si elle ignore les affèteries, l’affectation, tout le maniérisme qui rend souvent insupportables les numéros des divas, Virginie n’en a pas moins acquis une présence sur scène qui ne manque pas d’impressionner. Elle vit littéralement sa musique. Lui invente une dramaturgie. Joue – comme joue une actrice ou un instrumentiste – son rôle de catalyseur, tour à tour tendre lorsqu’elle chante en portugais les mélodies de Tom Jobim (Zingaro, Luiza), mutine, malicieuse lorsqu’elle détaille les paroles qu’Ella Fitzgerald déposa sur Shiny Stockings, virtuose dans le Rat Race né de la complicité de Quincy Jones et Mimi Perrin dont elle s’affirme comme la digne continuatrice.

 

L’exploration de « Bright and Sweet », son dernier album, permet de balayer tout ce qui fait la spécificité d’une vocaliste complète : art du scat, de la vocalese, capacité de swinguer quel que soit le tempo (Lester Leaps In, donné en rappel) d’improviser sans perdre une once de sa musicalité, de dépouiller les ballades de toute mièvrerie (Autumn Nocturne). Elle fait siens les thèmes popularisés par Sinatra ou Abbey Lincoln, scatte sur le Tight de Betty Carter, pose ses pas dans ceux de Peggy Lee, auteur des lyrics de I’m Gonna Go Fishing, qu’Ellington composa pour le film d’Otto Preminger, Anatomy of a Murder. Autant de reprises qui sont, en réalité, des appropriations, où Virginie affirme une véritable personnalité. Présentant un des thèmes de son deuxième album « I Feel So Good », elle évoque avec pudeur et émotion François Chassagnite, qui fut partie prenante dans son éclosion. Preuve que Virginie, qui a désormais sa place parmi les grandes, n’a pas oublié ses débuts. C’est cela aussi qu’on aime chez elle.

 

Bref, ce fut une belle soirée. (Quand j’étais au cours élémentaire, mon instituteur bannissait avec la plus extrême rigueur, dans les narrations, les conclusions-bateaux de ce genre. Il n’est que temps que je me revanche !).

 

Jacques Aboucaya

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Un charmant petit théâtre à l’italienne, comme il en subsiste encore en province. Boiseries et tentures vieux rose – jamais les termes n’ont été plus adéquats. Sans doute le jazz a-t-il rarement pénétré dans ces murs. Peut-être est-ce même la première fois, sous les auspices des clubs Rotary des Pyrénées-Orientales, et pour la meilleure des causes : un concert au profit de Médecins Sans Frontières. Occasion unique de joindre l’utile à l’agréable, à laquelle a répondu un public nombreux. Dense, en tout cas, compte tenu de la relative exiguïté du lieu.

 

Juan Martin Duo. Vigatane Transfer. The Jazz Makers.

Virginie Teychené Quartet. Virginie Teychené (voc), Stéphane Bernard (p), Gérard Maurin (b), Eric Le Lann (tp). Perpignan, Théâtre, 29 mars.

 

En amuse-gueule, des groupes régionaux (une lectrice, jetant un oeil par-dessus mon épaule, me fait remarquer qu’on ne dit plus « amuse-gueule », mais « amuse-bouche ». Bel exemple de l’imbécile pruderie de l’époque. Mais quoi, on ne se refait pas.)

 

En hors d’oeuvre, donc, des musiciens sympathiques, et l’occasion de vérifier d’abord, avec le guitariste Juan Martin, que l’usage de la syncope n’est pas systématiquement générateur de swing. Bel exemple à donner à des élèves de conservatoire. Ensuite, que Manhattan Transfer fait toujours des émules et que le nonette vocal Vigatane Transfer n’est pas dépourvu d’humour (les vigatanes sont ces espadrilles de corde que portent les danseurs de sardanes, ce qui ne signifie nullement qu’ils chantent comme des pieds). Enfin, que Gérard Maurin a concocté pour le sextette The Jazz Makers des arrangements efficaces, propres à servir le son d’un ensemble de type hard bop jouant avec une conviction réjouissante.

 

Gérard Maurin, justement, le voici sur scène en seconde partie, pour le plat de résistance. Imperturbable derrière sa contrebasse au gros son boisé. Menant comme un seul homme un trio auquel s’est adjoint Eric Le Lann. Dictant et assurant le tempo, réglant avec une autorité bonhomme les interventions de Stéphane Bernard, fin pianiste s’il en fut onc, les ponctuations de Jean-Pierre Arnaud, sobre, efficace, inventif. Ménageant au trompettiste des espaces où se donnent libre cours son lyrisme et son imagination. Quant à ce dernier, un son qui évoque parfois Chet, rien d’étonnant, surtout dans les ballades. Le Lann a trouvé au sein du groupe une place que l’on pourrait qualifier de « naturelle », comme si allait de soi une connivence que traduisent notamment les contre-chants tissé derrière la chanteuse.

 

Lullaby Of Birdland en tour de chauffe avant l’entrée de celle-ci. « Ce fut comme une apparition« . Cette phrase de Flaubert à propos de Madame Arnoux, dans L’Education sentimentale, serait ici en situation, tant Virginie Teychené séduit d’emblée le public. Il tombe sous le charme dès le I’ve Got Nothing But The Blues initial. Une élégance discrète, de bon aloi. Une gentillesse naturelle. Si elle ignore les affèteries, l’affectation, tout le maniérisme qui rend souvent insupportables les numéros des divas, Virginie n’en a pas moins acquis une présence sur scène qui ne manque pas d’impressionner. Elle vit littéralement sa musique. Lui invente une dramaturgie. Joue – comme joue une actrice ou un instrumentiste – son rôle de catalyseur, tour à tour tendre lorsqu’elle chante en portugais les mélodies de Tom Jobim (Zingaro, Luiza), mutine, malicieuse lorsqu’elle détaille les paroles qu’Ella Fitzgerald déposa sur Shiny Stockings, virtuose dans le Rat Race né de la complicité de Quincy Jones et Mimi Perrin dont elle s’affirme comme la digne continuatrice.

 

L’exploration de « Bright and Sweet », son dernier album, permet de balayer tout ce qui fait la spécificité d’une vocaliste complète : art du scat, de la vocalese, capacité de swinguer quel que soit le tempo (Lester Leaps In, donné en rappel) d’improviser sans perdre une once de sa musicalité, de dépouiller les ballades de toute mièvrerie (Autumn Nocturne). Elle fait siens les thèmes popularisés par Sinatra ou Abbey Lincoln, scatte sur le Tight de Betty Carter, pose ses pas dans ceux de Peggy Lee, auteur des lyrics de I’m Gonna Go Fishing, qu’Ellington composa pour le film d’Otto Preminger, Anatomy of a Murder. Autant de reprises qui sont, en réalité, des appropriations, où Virginie affirme une véritable personnalité. Présentant un des thèmes de son deuxième album « I Feel So Good », elle évoque avec pudeur et émotion François Chassagnite, qui fut partie prenante dans son éclosion. Preuve que Virginie, qui a désormais sa place parmi les grandes, n’a pas oublié ses débuts. C’est cela aussi qu’on aime chez elle.

 

Bref, ce fut une belle soirée. (Quand j’étais au cours élémentaire, mon instituteur bannissait avec la plus extrême rigueur, dans les narrations, les conclusions-bateaux de ce genre. Il n’est que temps que je me revanche !).

 

Jacques Aboucaya

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Un charmant petit théâtre à l’italienne, comme il en subsiste encore en province. Boiseries et tentures vieux rose – jamais les termes n’ont été plus adéquats. Sans doute le jazz a-t-il rarement pénétré dans ces murs. Peut-être est-ce même la première fois, sous les auspices des clubs Rotary des Pyrénées-Orientales, et pour la meilleure des causes : un concert au profit de Médecins Sans Frontières. Occasion unique de joindre l’utile à l’agréable, à laquelle a répondu un public nombreux. Dense, en tout cas, compte tenu de la relative exiguïté du lieu.

 

Juan Martin Duo. Vigatane Transfer. The Jazz Makers.

Virginie Teychené Quartet. Virginie Teychené (voc), Stéphane Bernard (p), Gérard Maurin (b), Eric Le Lann (tp). Perpignan, Théâtre, 29 mars.

 

En amuse-gueule, des groupes régionaux (une lectrice, jetant un oeil par-dessus mon épaule, me fait remarquer qu’on ne dit plus « amuse-gueule », mais « amuse-bouche ». Bel exemple de l’imbécile pruderie de l’époque. Mais quoi, on ne se refait pas.)

 

En hors d’oeuvre, donc, des musiciens sympathiques, et l’occasion de vérifier d’abord, avec le guitariste Juan Martin, que l’usage de la syncope n’est pas systématiquement générateur de swing. Bel exemple à donner à des élèves de conservatoire. Ensuite, que Manhattan Transfer fait toujours des émules et que le nonette vocal Vigatane Transfer n’est pas dépourvu d’humour (les vigatanes sont ces espadrilles de corde que portent les danseurs de sardanes, ce qui ne signifie nullement qu’ils chantent comme des pieds). Enfin, que Gérard Maurin a concocté pour le sextette The Jazz Makers des arrangements efficaces, propres à servir le son d’un ensemble de type hard bop jouant avec une conviction réjouissante.

 

Gérard Maurin, justement, le voici sur scène en seconde partie, pour le plat de résistance. Imperturbable derrière sa contrebasse au gros son boisé. Menant comme un seul homme un trio auquel s’est adjoint Eric Le Lann. Dictant et assurant le tempo, réglant avec une autorité bonhomme les interventions de Stéphane Bernard, fin pianiste s’il en fut onc, les ponctuations de Jean-Pierre Arnaud, sobre, efficace, inventif. Ménageant au trompettiste des espaces où se donnent libre cours son lyrisme et son imagination. Quant à ce dernier, un son qui évoque parfois Chet, rien d’étonnant, surtout dans les ballades. Le Lann a trouvé au sein du groupe une place que l’on pourrait qualifier de « naturelle », comme si allait de soi une connivence que traduisent notamment les contre-chants tissé derrière la chanteuse.

 

Lullaby Of Birdland en tour de chauffe avant l’entrée de celle-ci. « Ce fut comme une apparition« . Cette phrase de Flaubert à propos de Madame Arnoux, dans L’Education sentimentale, serait ici en situation, tant Virginie Teychené séduit d’emblée le public. Il tombe sous le charme dès le I’ve Got Nothing But The Blues initial. Une élégance discrète, de bon aloi. Une gentillesse naturelle. Si elle ignore les affèteries, l’affectation, tout le maniérisme qui rend souvent insupportables les numéros des divas, Virginie n’en a pas moins acquis une présence sur scène qui ne manque pas d’impressionner. Elle vit littéralement sa musique. Lui invente une dramaturgie. Joue – comme joue une actrice ou un instrumentiste – son rôle de catalyseur, tour à tour tendre lorsqu’elle chante en portugais les mélodies de Tom Jobim (Zingaro, Luiza), mutine, malicieuse lorsqu’elle détaille les paroles qu’Ella Fitzgerald déposa sur Shiny Stockings, virtuose dans le Rat Race né de la complicité de Quincy Jones et Mimi Perrin dont elle s’affirme comme la digne continuatrice.

 

L’exploration de « Bright and Sweet », son dernier album, permet de balayer tout ce qui fait la spécificité d’une vocaliste complète : art du scat, de la vocalese, capacité de swinguer quel que soit le tempo (Lester Leaps In, donné en rappel) d’improviser sans perdre une once de sa musicalité, de dépouiller les ballades de toute mièvrerie (Autumn Nocturne). Elle fait siens les thèmes popularisés par Sinatra ou Abbey Lincoln, scatte sur le Tight de Betty Carter, pose ses pas dans ceux de Peggy Lee, auteur des lyrics de I’m Gonna Go Fishing, qu’Ellington composa pour le film d’Otto Preminger, Anatomy of a Murder. Autant de reprises qui sont, en réalité, des appropriations, où Virginie affirme une véritable personnalité. Présentant un des thèmes de son deuxième album « I Feel So Good », elle évoque avec pudeur et émotion François Chassagnite, qui fut partie prenante dans son éclosion. Preuve que Virginie, qui a désormais sa place parmi les grandes, n’a pas oublié ses débuts. C’est cela aussi qu’on aime chez elle.

 

Bref, ce fut une belle soirée. (Quand j’étais au cours élémentaire, mon instituteur bannissait avec la plus extrême rigueur, dans les narrations, les conclusions-bateaux de ce genre. Il n’est que temps que je me revanche !).

 

Jacques Aboucaya

|

Un charmant petit théâtre à l’italienne, comme il en subsiste encore en province. Boiseries et tentures vieux rose – jamais les termes n’ont été plus adéquats. Sans doute le jazz a-t-il rarement pénétré dans ces murs. Peut-être est-ce même la première fois, sous les auspices des clubs Rotary des Pyrénées-Orientales, et pour la meilleure des causes : un concert au profit de Médecins Sans Frontières. Occasion unique de joindre l’utile à l’agréable, à laquelle a répondu un public nombreux. Dense, en tout cas, compte tenu de la relative exiguïté du lieu.

 

Juan Martin Duo. Vigatane Transfer. The Jazz Makers.

Virginie Teychené Quartet. Virginie Teychené (voc), Stéphane Bernard (p), Gérard Maurin (b), Eric Le Lann (tp). Perpignan, Théâtre, 29 mars.

 

En amuse-gueule, des groupes régionaux (une lectrice, jetant un oeil par-dessus mon épaule, me fait remarquer qu’on ne dit plus « amuse-gueule », mais « amuse-bouche ». Bel exemple de l’imbécile pruderie de l’époque. Mais quoi, on ne se refait pas.)

 

En hors d’oeuvre, donc, des musiciens sympathiques, et l’occasion de vérifier d’abord, avec le guitariste Juan Martin, que l’usage de la syncope n’est pas systématiquement générateur de swing. Bel exemple à donner à des élèves de conservatoire. Ensuite, que Manhattan Transfer fait toujours des émules et que le nonette vocal Vigatane Transfer n’est pas dépourvu d’humour (les vigatanes sont ces espadrilles de corde que portent les danseurs de sardanes, ce qui ne signifie nullement qu’ils chantent comme des pieds). Enfin, que Gérard Maurin a concocté pour le sextette The Jazz Makers des arrangements efficaces, propres à servir le son d’un ensemble de type hard bop jouant avec une conviction réjouissante.

 

Gérard Maurin, justement, le voici sur scène en seconde partie, pour le plat de résistance. Imperturbable derrière sa contrebasse au gros son boisé. Menant comme un seul homme un trio auquel s’est adjoint Eric Le Lann. Dictant et assurant le tempo, réglant avec une autorité bonhomme les interventions de Stéphane Bernard, fin pianiste s’il en fut onc, les ponctuations de Jean-Pierre Arnaud, sobre, efficace, inventif. Ménageant au trompettiste des espaces où se donnent libre cours son lyrisme et son imagination. Quant à ce dernier, un son qui évoque parfois Chet, rien d’étonnant, surtout dans les ballades. Le Lann a trouvé au sein du groupe une place que l’on pourrait qualifier de « naturelle », comme si allait de soi une connivence que traduisent notamment les contre-chants tissé derrière la chanteuse.

 

Lullaby Of Birdland en tour de chauffe avant l’entrée de celle-ci. « Ce fut comme une apparition« . Cette phrase de Flaubert à propos de Madame Arnoux, dans L’Education sentimentale, serait ici en situation, tant Virginie Teychené séduit d’emblée le public. Il tombe sous le charme dès le I’ve Got Nothing But The Blues initial. Une élégance discrète, de bon aloi. Une gentillesse naturelle. Si elle ignore les affèteries, l’affectation, tout le maniérisme qui rend souvent insupportables les numéros des divas, Virginie n’en a pas moins acquis une présence sur scène qui ne manque pas d’impressionner. Elle vit littéralement sa musique. Lui invente une dramaturgie. Joue – comme joue une actrice ou un instrumentiste – son rôle de catalyseur, tour à tour tendre lorsqu’elle chante en portugais les mélodies de Tom Jobim (Zingaro, Luiza), mutine, malicieuse lorsqu’elle détaille les paroles qu’Ella Fitzgerald déposa sur Shiny Stockings, virtuose dans le Rat Race né de la complicité de Quincy Jones et Mimi Perrin dont elle s’affirme comme la digne continuatrice.

 

L’exploration de « Bright and Sweet », son dernier album, permet de balayer tout ce qui fait la spécificité d’une vocaliste complète : art du scat, de la vocalese, capacité de swinguer quel que soit le tempo (Lester Leaps In, donné en rappel) d’improviser sans perdre une once de sa musicalité, de dépouiller les ballades de toute mièvrerie (Autumn Nocturne). Elle fait siens les thèmes popularisés par Sinatra ou Abbey Lincoln, scatte sur le Tight de Betty Carter, pose ses pas dans ceux de Peggy Lee, auteur des lyrics de I’m Gonna Go Fishing, qu’Ellington composa pour le film d’Otto Preminger, Anatomy of a Murder. Autant de reprises qui sont, en réalité, des appropriations, où Virginie affirme une véritable personnalité. Présentant un des thèmes de son deuxième album « I Feel So Good », elle évoque avec pudeur et émotion François Chassagnite, qui fut partie prenante dans son éclosion. Preuve que Virginie, qui a désormais sa place parmi les grandes, n’a pas oublié ses débuts. C’est cela aussi qu’on aime chez elle.

 

Bref, ce fut une belle soirée. (Quand j’étais au cours élémentaire, mon instituteur bannissait avec la plus extrême rigueur, dans les narrations, les conclusions-bateaux de ce genre. Il n’est que temps que je me revanche !).

 

Jacques Aboucaya