Virginie Teychené s'empare d'Anglet
Troisième édition du Jazz Festival d’Anglet, extension au Théâtre Quintaou de la neuvième édition de Jazz sur l’herbe du parc Baroja… Le MT 4tet de Marc Tambourindéguy faisait l’ouverture hier soir, 23 septembre en première partie de Virginie Teychené.
Pas facile de convaincre le public qui fait depuis 10 ans le succès d’un festival gratuit – plein air, ambiance familiale et bon enfant, entre pique-nique et goûter – de prolonger son plaisir en salle, deux soirs de suite, pour un prix d’entrée : 28,50 € la soirée (45 € les deux soirs), 21,50 (et 30) en tarif réduit, 8 € de 13 à 18 ans (gratuit en dessous). C’est le pari qu’a fait l’ARCAD (Association de rencontre pour la création artistique et son développement). Un projet qui s’imposera dans la durée, le public de cette soirée d’ouverture ayant compensé par son enthousiasme une affluence insuffisante pour la belle salle du théâtre Quintaou.
Théâtre Quintaou, Anglet (64), le 23 septembre 2016.
MT 4tet : Marc Tambourindéguy (piano, chant, compositions), Pascal Ségala (guitare électrique et classique), Jean-Luc Fabre (contrebasse), Nicolas Filiatreau (batterie).
Dès l’entrée sur scène, le succès semble assuré pour ce Bayonnais qui, en 25 ans de métier, a multiplié les contributions à une région qui ne manque pas de talents, de Jean-Marie Ecay à Sylvain Luc. Une musique très écrite, aux variations thématiques et aux solos de piano précisément compartimentées, au lyrisme limpide nourri de pop américaine à la façon de ce jazz FM qui fleurit dans les années 70 en Californie, le tout sur des rythmes exclusivement “binaires”, efficacement ponctué par le batteur Nicolas Filiatreau, animé par les contrechants de Jean-Luc Fabre, avec Pascal Ségala (dont la plume n’est pas inconnue aux lecteurs de Jazzmag) toujours épatant qu’on le lâche sur un chorus ou qu’on le tienne en laisse sur des arrangements précis, qu’il s’empare d’une guitare classique ou qu’il slam en rappel un texte du leader traduit en anglais par ses soins, l’un des moments forts de cette première partie. J’allais dire en boutade qu’il pourrait lire le botin… Chiche, pour la prochaine édition !
Virginie Teychené 4tet : Gérard Maurin (contrebasse), Stéphane Bernard (piano), Jean-Pierre Arnaud (batterie), plus en invité Olivier Ker Ourio (harmonica).
Je me souviens de l’un de mes premiers comptes rendus de concert de Virginie Teychené… mon deuxième, je crois. C’était au Duc des Lombards. Je décrivais ce que j’avais déjà observé au Sunset. Son trac, encore anonyme dans la foule du fond de salle où se pressent les exonérés de prix d’entrée, musiciens, journalistes, invités divers, isolée, seule avec son ventre noué, trépignant tandis qu’on l’annonçait sur scène où, sitôt qu’elle apparaissait, cette chape d’angoisse qui semblait la pétrifier, s’évanouissait comme par magie. Aujourd’hui… et bien c’est pareil m’avoue-t-elle en coulisse, et me rapporte ses musiciens après le concert. C’est pareil et c’est encore mieux. Dix fois mieux, si je l’ai vu dix fois sur scène (je n’ai pas compté), parce que chaque fois c’est mieux. Je me souviens que les premières fois, on parlait de grâce (c’est le regretté trompettiste François Chassagnite qui m’avait soufflé le mot au Sunset… mais c’était tellement évident), on parlait de fraîcheur, puis on a parlé de swing, de décontraction, d’autorité… Ce soir, quel qu’ait été l’état de ses tripes derrière le rideau… elle entre sur scène et c’est gagné. La grâce, elle l’a toujours, la fraîcheur aussi… mais elle a tout et en plus elle a du chien. Une puissance de conviction, une façon de s’emparer de la scène, de l’occuper pendant les chorus de ses compères sans prendre l’allure d’un lampadaire éteint, sans non jouer les feux follets. Elle se projette vers le public. Elle entre, et je pense à Anita O’Day. Philippe Vincent, à mon côté, opine. Oui, mais encore ? Comment elle chante ?
C’est curieux, je parle rarement de la présence en scène d’un instrumentiste. Bill Evans, avait l’air d’un employé de banque ayant perdu ses clés sous le piano. Aujourd’hui, son attitude prostrée est entrée dans la légende… Parce qu’il était Bill Evans. S’il avait été Albert Dupont, il serait resté un employé de banque ayant perdu ses clés sous le piano. Une chanteuse, on attend plus. À tort ou à raison. Peut-être pas d’une vocaliste tenant sa partie de trompette dans un big band, comme autrefois Lauren Newton au sein du Vienna Art Orchestra ou aujourd’hui Chloé Cailleton avec le Medium Band de Pierre de Bethmann. Mais un(e) interprète de chansons, c’est toujours un peu de théâtre. Virginie Teychené assume ce rôle, à fond. Elle a fait du bal. Elle a désappris le bal en apprenant le jazz auprès de Gérard Maurin, mais du bal, elle a gardé le meilleur, la projection, quoiqu’il arrive. D’autres ont cette qualité, hélas assortie d’une bonne dose de vulgarité. Virginie Teychené a le sens de la dose. Sans dose, pas de swing, pas cette élégance, pas cette violence ni cette douceur de l’émotion dans l’interprétation d’un texte, plus le métier, la technique, l’articulation, l’intonation, la liberté dans le placement des mots, le scat, le vocalese, de Gerswhin à Brubeck et Nougaro, de Vinicius de Moraes à Mingus et Joni Mitchell, du Petit Bal perdu à Madame Rêve. Plus un orchestre en or : dix ans… y a pas de secret. Des petits interludes pour permettre à la chanteuse de souffler, des intros-surprises, des arrangements ajustés, quoique toujours de façon inattendue, au plus près de la chanson, de sa mélodie, de son texte, des solos tout aussi ajustés, jamais en excès, avec une patine qui a l’âge de l’orchestre et plus encore, du fait d’un classicisme cinquantenaire, mais qui n’a rien d’un copie clinquante d’essences mal vieillies, plutôt d’un bois qui s’est nourri au fil des ans sous des cires si savamment élaborées qu’il laisse encore échapper des ramures des derniers printemps poussées au soleil du nouveau millénaire. C’est très étrange, mais c’est aussi ça le mystère Teychené, aujourd’hui assorti, comme souvent, des flammèches d’harmonica allumées ici et là par Olivier Ker Orio, l’invité quasi-permanent.
Ce soir, 24 septembre, rendez-vous au même endroit pour entendre un accordéoniste trop mal connu, Didier Ithursarry entouré de musiciens qu’on aime (Jean-Charles Richard, Fred Chiffoleau, Joe Quitzque) et le nouveau quartette d’Eric Lelann avec Paul Lay, Sylvain Romano et Donald Kontamanou. Attention, va y avoir de la musique !
Franck Bergerot|Troisième édition du Jazz Festival d’Anglet, extension au Théâtre Quintaou de la neuvième édition de Jazz sur l’herbe du parc Baroja… Le MT 4tet de Marc Tambourindéguy faisait l’ouverture hier soir, 23 septembre en première partie de Virginie Teychené.
Pas facile de convaincre le public qui fait depuis 10 ans le succès d’un festival gratuit – plein air, ambiance familiale et bon enfant, entre pique-nique et goûter – de prolonger son plaisir en salle, deux soirs de suite, pour un prix d’entrée : 28,50 € la soirée (45 € les deux soirs), 21,50 (et 30) en tarif réduit, 8 € de 13 à 18 ans (gratuit en dessous). C’est le pari qu’a fait l’ARCAD (Association de rencontre pour la création artistique et son développement). Un projet qui s’imposera dans la durée, le public de cette soirée d’ouverture ayant compensé par son enthousiasme une affluence insuffisante pour la belle salle du théâtre Quintaou.
Théâtre Quintaou, Anglet (64), le 23 septembre 2016.
MT 4tet : Marc Tambourindéguy (piano, chant, compositions), Pascal Ségala (guitare électrique et classique), Jean-Luc Fabre (contrebasse), Nicolas Filiatreau (batterie).
Dès l’entrée sur scène, le succès semble assuré pour ce Bayonnais qui, en 25 ans de métier, a multiplié les contributions à une région qui ne manque pas de talents, de Jean-Marie Ecay à Sylvain Luc. Une musique très écrite, aux variations thématiques et aux solos de piano précisément compartimentées, au lyrisme limpide nourri de pop américaine à la façon de ce jazz FM qui fleurit dans les années 70 en Californie, le tout sur des rythmes exclusivement “binaires”, efficacement ponctué par le batteur Nicolas Filiatreau, animé par les contrechants de Jean-Luc Fabre, avec Pascal Ségala (dont la plume n’est pas inconnue aux lecteurs de Jazzmag) toujours épatant qu’on le lâche sur un chorus ou qu’on le tienne en laisse sur des arrangements précis, qu’il s’empare d’une guitare classique ou qu’il slam en rappel un texte du leader traduit en anglais par ses soins, l’un des moments forts de cette première partie. J’allais dire en boutade qu’il pourrait lire le botin… Chiche, pour la prochaine édition !
Virginie Teychené 4tet : Gérard Maurin (contrebasse), Stéphane Bernard (piano), Jean-Pierre Arnaud (batterie), plus en invité Olivier Ker Ourio (harmonica).
Je me souviens de l’un de mes premiers comptes rendus de concert de Virginie Teychené… mon deuxième, je crois. C’était au Duc des Lombards. Je décrivais ce que j’avais déjà observé au Sunset. Son trac, encore anonyme dans la foule du fond de salle où se pressent les exonérés de prix d’entrée, musiciens, journalistes, invités divers, isolée, seule avec son ventre noué, trépignant tandis qu’on l’annonçait sur scène où, sitôt qu’elle apparaissait, cette chape d’angoisse qui semblait la pétrifier, s’évanouissait comme par magie. Aujourd’hui… et bien c’est pareil m’avoue-t-elle en coulisse, et me rapporte ses musiciens après le concert. C’est pareil et c’est encore mieux. Dix fois mieux, si je l’ai vu dix fois sur scène (je n’ai pas compté), parce que chaque fois c’est mieux. Je me souviens que les premières fois, on parlait de grâce (c’est le regretté trompettiste François Chassagnite qui m’avait soufflé le mot au Sunset… mais c’était tellement évident), on parlait de fraîcheur, puis on a parlé de swing, de décontraction, d’autorité… Ce soir, quel qu’ait été l’état de ses tripes derrière le rideau… elle entre sur scène et c’est gagné. La grâce, elle l’a toujours, la fraîcheur aussi… mais elle a tout et en plus elle a du chien. Une puissance de conviction, une façon de s’emparer de la scène, de l’occuper pendant les chorus de ses compères sans prendre l’allure d’un lampadaire éteint, sans non jouer les feux follets. Elle se projette vers le public. Elle entre, et je pense à Anita O’Day. Philippe Vincent, à mon côté, opine. Oui, mais encore ? Comment elle chante ?
C’est curieux, je parle rarement de la présence en scène d’un instrumentiste. Bill Evans, avait l’air d’un employé de banque ayant perdu ses clés sous le piano. Aujourd’hui, son attitude prostrée est entrée dans la légende… Parce qu’il était Bill Evans. S’il avait été Albert Dupont, il serait resté un employé de banque ayant perdu ses clés sous le piano. Une chanteuse, on attend plus. À tort ou à raison. Peut-être pas d’une vocaliste tenant sa partie de trompette dans un big band, comme autrefois Lauren Newton au sein du Vienna Art Orchestra ou aujourd’hui Chloé Cailleton avec le Medium Band de Pierre de Bethmann. Mais un(e) interprète de chansons, c’est toujours un peu de théâtre. Virginie Teychené assume ce rôle, à fond. Elle a fait du bal. Elle a désappris le bal en apprenant le jazz auprès de Gérard Maurin, mais du bal, elle a gardé le meilleur, la projection, quoiqu’il arrive. D’autres ont cette qualité, hélas assortie d’une bonne dose de vulgarité. Virginie Teychené a le sens de la dose. Sans dose, pas de swing, pas cette élégance, pas cette violence ni cette douceur de l’émotion dans l’interprétation d’un texte, plus le métier, la technique, l’articulation, l’intonation, la liberté dans le placement des mots, le scat, le vocalese, de Gerswhin à Brubeck et Nougaro, de Vinicius de Moraes à Mingus et Joni Mitchell, du Petit Bal perdu à Madame Rêve. Plus un orchestre en or : dix ans… y a pas de secret. Des petits interludes pour permettre à la chanteuse de souffler, des intros-surprises, des arrangements ajustés, quoique toujours de façon inattendue, au plus près de la chanson, de sa mélodie, de son texte, des solos tout aussi ajustés, jamais en excès, avec une patine qui a l’âge de l’orchestre et plus encore, du fait d’un classicisme cinquantenaire, mais qui n’a rien d’un copie clinquante d’essences mal vieillies, plutôt d’un bois qui s’est nourri au fil des ans sous des cires si savamment élaborées qu’il laisse encore échapper des ramures des derniers printemps poussées au soleil du nouveau millénaire. C’est très étrange, mais c’est aussi ça le mystère Teychené, aujourd’hui assorti, comme souvent, des flammèches d’harmonica allumées ici et là par Olivier Ker Orio, l’invité quasi-permanent.
Ce soir, 24 septembre, rendez-vous au même endroit pour entendre un accordéoniste trop mal connu, Didier Ithursarry entouré de musiciens qu’on aime (Jean-Charles Richard, Fred Chiffoleau, Joe Quitzque) et le nouveau quartette d’Eric Lelann avec Paul Lay, Sylvain Romano et Donald Kontamanou. Attention, va y avoir de la musique !
Franck Bergerot|Troisième édition du Jazz Festival d’Anglet, extension au Théâtre Quintaou de la neuvième édition de Jazz sur l’herbe du parc Baroja… Le MT 4tet de Marc Tambourindéguy faisait l’ouverture hier soir, 23 septembre en première partie de Virginie Teychené.
Pas facile de convaincre le public qui fait depuis 10 ans le succès d’un festival gratuit – plein air, ambiance familiale et bon enfant, entre pique-nique et goûter – de prolonger son plaisir en salle, deux soirs de suite, pour un prix d’entrée : 28,50 € la soirée (45 € les deux soirs), 21,50 (et 30) en tarif réduit, 8 € de 13 à 18 ans (gratuit en dessous). C’est le pari qu’a fait l’ARCAD (Association de rencontre pour la création artistique et son développement). Un projet qui s’imposera dans la durée, le public de cette soirée d’ouverture ayant compensé par son enthousiasme une affluence insuffisante pour la belle salle du théâtre Quintaou.
Théâtre Quintaou, Anglet (64), le 23 septembre 2016.
MT 4tet : Marc Tambourindéguy (piano, chant, compositions), Pascal Ségala (guitare électrique et classique), Jean-Luc Fabre (contrebasse), Nicolas Filiatreau (batterie).
Dès l’entrée sur scène, le succès semble assuré pour ce Bayonnais qui, en 25 ans de métier, a multiplié les contributions à une région qui ne manque pas de talents, de Jean-Marie Ecay à Sylvain Luc. Une musique très écrite, aux variations thématiques et aux solos de piano précisément compartimentées, au lyrisme limpide nourri de pop américaine à la façon de ce jazz FM qui fleurit dans les années 70 en Californie, le tout sur des rythmes exclusivement “binaires”, efficacement ponctué par le batteur Nicolas Filiatreau, animé par les contrechants de Jean-Luc Fabre, avec Pascal Ségala (dont la plume n’est pas inconnue aux lecteurs de Jazzmag) toujours épatant qu’on le lâche sur un chorus ou qu’on le tienne en laisse sur des arrangements précis, qu’il s’empare d’une guitare classique ou qu’il slam en rappel un texte du leader traduit en anglais par ses soins, l’un des moments forts de cette première partie. J’allais dire en boutade qu’il pourrait lire le botin… Chiche, pour la prochaine édition !
Virginie Teychené 4tet : Gérard Maurin (contrebasse), Stéphane Bernard (piano), Jean-Pierre Arnaud (batterie), plus en invité Olivier Ker Ourio (harmonica).
Je me souviens de l’un de mes premiers comptes rendus de concert de Virginie Teychené… mon deuxième, je crois. C’était au Duc des Lombards. Je décrivais ce que j’avais déjà observé au Sunset. Son trac, encore anonyme dans la foule du fond de salle où se pressent les exonérés de prix d’entrée, musiciens, journalistes, invités divers, isolée, seule avec son ventre noué, trépignant tandis qu’on l’annonçait sur scène où, sitôt qu’elle apparaissait, cette chape d’angoisse qui semblait la pétrifier, s’évanouissait comme par magie. Aujourd’hui… et bien c’est pareil m’avoue-t-elle en coulisse, et me rapporte ses musiciens après le concert. C’est pareil et c’est encore mieux. Dix fois mieux, si je l’ai vu dix fois sur scène (je n’ai pas compté), parce que chaque fois c’est mieux. Je me souviens que les premières fois, on parlait de grâce (c’est le regretté trompettiste François Chassagnite qui m’avait soufflé le mot au Sunset… mais c’était tellement évident), on parlait de fraîcheur, puis on a parlé de swing, de décontraction, d’autorité… Ce soir, quel qu’ait été l’état de ses tripes derrière le rideau… elle entre sur scène et c’est gagné. La grâce, elle l’a toujours, la fraîcheur aussi… mais elle a tout et en plus elle a du chien. Une puissance de conviction, une façon de s’emparer de la scène, de l’occuper pendant les chorus de ses compères sans prendre l’allure d’un lampadaire éteint, sans non jouer les feux follets. Elle se projette vers le public. Elle entre, et je pense à Anita O’Day. Philippe Vincent, à mon côté, opine. Oui, mais encore ? Comment elle chante ?
C’est curieux, je parle rarement de la présence en scène d’un instrumentiste. Bill Evans, avait l’air d’un employé de banque ayant perdu ses clés sous le piano. Aujourd’hui, son attitude prostrée est entrée dans la légende… Parce qu’il était Bill Evans. S’il avait été Albert Dupont, il serait resté un employé de banque ayant perdu ses clés sous le piano. Une chanteuse, on attend plus. À tort ou à raison. Peut-être pas d’une vocaliste tenant sa partie de trompette dans un big band, comme autrefois Lauren Newton au sein du Vienna Art Orchestra ou aujourd’hui Chloé Cailleton avec le Medium Band de Pierre de Bethmann. Mais un(e) interprète de chansons, c’est toujours un peu de théâtre. Virginie Teychené assume ce rôle, à fond. Elle a fait du bal. Elle a désappris le bal en apprenant le jazz auprès de Gérard Maurin, mais du bal, elle a gardé le meilleur, la projection, quoiqu’il arrive. D’autres ont cette qualité, hélas assortie d’une bonne dose de vulgarité. Virginie Teychené a le sens de la dose. Sans dose, pas de swing, pas cette élégance, pas cette violence ni cette douceur de l’émotion dans l’interprétation d’un texte, plus le métier, la technique, l’articulation, l’intonation, la liberté dans le placement des mots, le scat, le vocalese, de Gerswhin à Brubeck et Nougaro, de Vinicius de Moraes à Mingus et Joni Mitchell, du Petit Bal perdu à Madame Rêve. Plus un orchestre en or : dix ans… y a pas de secret. Des petits interludes pour permettre à la chanteuse de souffler, des intros-surprises, des arrangements ajustés, quoique toujours de façon inattendue, au plus près de la chanson, de sa mélodie, de son texte, des solos tout aussi ajustés, jamais en excès, avec une patine qui a l’âge de l’orchestre et plus encore, du fait d’un classicisme cinquantenaire, mais qui n’a rien d’un copie clinquante d’essences mal vieillies, plutôt d’un bois qui s’est nourri au fil des ans sous des cires si savamment élaborées qu’il laisse encore échapper des ramures des derniers printemps poussées au soleil du nouveau millénaire. C’est très étrange, mais c’est aussi ça le mystère Teychené, aujourd’hui assorti, comme souvent, des flammèches d’harmonica allumées ici et là par Olivier Ker Orio, l’invité quasi-permanent.
Ce soir, 24 septembre, rendez-vous au même endroit pour entendre un accordéoniste trop mal connu, Didier Ithursarry entouré de musiciens qu’on aime (Jean-Charles Richard, Fred Chiffoleau, Joe Quitzque) et le nouveau quartette d’Eric Lelann avec Paul Lay, Sylvain Romano et Donald Kontamanou. Attention, va y avoir de la musique !
Franck Bergerot|Troisième édition du Jazz Festival d’Anglet, extension au Théâtre Quintaou de la neuvième édition de Jazz sur l’herbe du parc Baroja… Le MT 4tet de Marc Tambourindéguy faisait l’ouverture hier soir, 23 septembre en première partie de Virginie Teychené.
Pas facile de convaincre le public qui fait depuis 10 ans le succès d’un festival gratuit – plein air, ambiance familiale et bon enfant, entre pique-nique et goûter – de prolonger son plaisir en salle, deux soirs de suite, pour un prix d’entrée : 28,50 € la soirée (45 € les deux soirs), 21,50 (et 30) en tarif réduit, 8 € de 13 à 18 ans (gratuit en dessous). C’est le pari qu’a fait l’ARCAD (Association de rencontre pour la création artistique et son développement). Un projet qui s’imposera dans la durée, le public de cette soirée d’ouverture ayant compensé par son enthousiasme une affluence insuffisante pour la belle salle du théâtre Quintaou.
Théâtre Quintaou, Anglet (64), le 23 septembre 2016.
MT 4tet : Marc Tambourindéguy (piano, chant, compositions), Pascal Ségala (guitare électrique et classique), Jean-Luc Fabre (contrebasse), Nicolas Filiatreau (batterie).
Dès l’entrée sur scène, le succès semble assuré pour ce Bayonnais qui, en 25 ans de métier, a multiplié les contributions à une région qui ne manque pas de talents, de Jean-Marie Ecay à Sylvain Luc. Une musique très écrite, aux variations thématiques et aux solos de piano précisément compartimentées, au lyrisme limpide nourri de pop américaine à la façon de ce jazz FM qui fleurit dans les années 70 en Californie, le tout sur des rythmes exclusivement “binaires”, efficacement ponctué par le batteur Nicolas Filiatreau, animé par les contrechants de Jean-Luc Fabre, avec Pascal Ségala (dont la plume n’est pas inconnue aux lecteurs de Jazzmag) toujours épatant qu’on le lâche sur un chorus ou qu’on le tienne en laisse sur des arrangements précis, qu’il s’empare d’une guitare classique ou qu’il slam en rappel un texte du leader traduit en anglais par ses soins, l’un des moments forts de cette première partie. J’allais dire en boutade qu’il pourrait lire le botin… Chiche, pour la prochaine édition !
Virginie Teychené 4tet : Gérard Maurin (contrebasse), Stéphane Bernard (piano), Jean-Pierre Arnaud (batterie), plus en invité Olivier Ker Ourio (harmonica).
Je me souviens de l’un de mes premiers comptes rendus de concert de Virginie Teychené… mon deuxième, je crois. C’était au Duc des Lombards. Je décrivais ce que j’avais déjà observé au Sunset. Son trac, encore anonyme dans la foule du fond de salle où se pressent les exonérés de prix d’entrée, musiciens, journalistes, invités divers, isolée, seule avec son ventre noué, trépignant tandis qu’on l’annonçait sur scène où, sitôt qu’elle apparaissait, cette chape d’angoisse qui semblait la pétrifier, s’évanouissait comme par magie. Aujourd’hui… et bien c’est pareil m’avoue-t-elle en coulisse, et me rapporte ses musiciens après le concert. C’est pareil et c’est encore mieux. Dix fois mieux, si je l’ai vu dix fois sur scène (je n’ai pas compté), parce que chaque fois c’est mieux. Je me souviens que les premières fois, on parlait de grâce (c’est le regretté trompettiste François Chassagnite qui m’avait soufflé le mot au Sunset… mais c’était tellement évident), on parlait de fraîcheur, puis on a parlé de swing, de décontraction, d’autorité… Ce soir, quel qu’ait été l’état de ses tripes derrière le rideau… elle entre sur scène et c’est gagné. La grâce, elle l’a toujours, la fraîcheur aussi… mais elle a tout et en plus elle a du chien. Une puissance de conviction, une façon de s’emparer de la scène, de l’occuper pendant les chorus de ses compères sans prendre l’allure d’un lampadaire éteint, sans non jouer les feux follets. Elle se projette vers le public. Elle entre, et je pense à Anita O’Day. Philippe Vincent, à mon côté, opine. Oui, mais encore ? Comment elle chante ?
C’est curieux, je parle rarement de la présence en scène d’un instrumentiste. Bill Evans, avait l’air d’un employé de banque ayant perdu ses clés sous le piano. Aujourd’hui, son attitude prostrée est entrée dans la légende… Parce qu’il était Bill Evans. S’il avait été Albert Dupont, il serait resté un employé de banque ayant perdu ses clés sous le piano. Une chanteuse, on attend plus. À tort ou à raison. Peut-être pas d’une vocaliste tenant sa partie de trompette dans un big band, comme autrefois Lauren Newton au sein du Vienna Art Orchestra ou aujourd’hui Chloé Cailleton avec le Medium Band de Pierre de Bethmann. Mais un(e) interprète de chansons, c’est toujours un peu de théâtre. Virginie Teychené assume ce rôle, à fond. Elle a fait du bal. Elle a désappris le bal en apprenant le jazz auprès de Gérard Maurin, mais du bal, elle a gardé le meilleur, la projection, quoiqu’il arrive. D’autres ont cette qualité, hélas assortie d’une bonne dose de vulgarité. Virginie Teychené a le sens de la dose. Sans dose, pas de swing, pas cette élégance, pas cette violence ni cette douceur de l’émotion dans l’interprétation d’un texte, plus le métier, la technique, l’articulation, l’intonation, la liberté dans le placement des mots, le scat, le vocalese, de Gerswhin à Brubeck et Nougaro, de Vinicius de Moraes à Mingus et Joni Mitchell, du Petit Bal perdu à Madame Rêve. Plus un orchestre en or : dix ans… y a pas de secret. Des petits interludes pour permettre à la chanteuse de souffler, des intros-surprises, des arrangements ajustés, quoique toujours de façon inattendue, au plus près de la chanson, de sa mélodie, de son texte, des solos tout aussi ajustés, jamais en excès, avec une patine qui a l’âge de l’orchestre et plus encore, du fait d’un classicisme cinquantenaire, mais qui n’a rien d’un copie clinquante d’essences mal vieillies, plutôt d’un bois qui s’est nourri au fil des ans sous des cires si savamment élaborées qu’il laisse encore échapper des ramures des derniers printemps poussées au soleil du nouveau millénaire. C’est très étrange, mais c’est aussi ça le mystère Teychené, aujourd’hui assorti, comme souvent, des flammèches d’harmonica allumées ici et là par Olivier Ker Orio, l’invité quasi-permanent.
Ce soir, 24 septembre, rendez-vous au même endroit pour entendre un accordéoniste trop mal connu, Didier Ithursarry entouré de musiciens qu’on aime (Jean-Charles Richard, Fred Chiffoleau, Joe Quitzque) et le nouveau quartette d’Eric Lelann avec Paul Lay, Sylvain Romano et Donald Kontamanou. Attention, va y avoir de la musique !
Franck Bergerot