Vitoria (3) : le jazz de ces dames et le chant du Président
Minuit passé de trois minutes. Rubén Blades termine une chanson. Le noir se fait. Défile soudain en bandeau lumineux numérique perché en haut de la scène un message « Feliz cumple años Rubén ». Les 4000 spectateurs entonnent « Happy Birthday ». Sur le plateau le chanteur ému reçoit en mains propres un énorme gâteau d’anniversaire au chocolat…
Linda May Han Oh 4tet: Linda May (b), Ben Wendel (ts), Matthew Stevens (g), Arthur Hnatek (dm)
Jean-Luc Ponty vln), Biréli Lagrène (g), Kyle Eastwood (dm)
Patti Austin (voc), Olaf Polziem (p), Christian Von Kaphengst (b), Peter Lübke (dm)
Jazz a Vitoria, Théâtre, Pabellon Mendizorrotza, Vitoria (España/Euskadi), 14 juillet
Linda May ou la basse conjuguée au féminin. Son entier, notes pincées très précise, longues phrases sur les chorus. Versée sur la version électrique de l’instrument, on penserait au toucher de Steve Swallow. La bassiste australienne née en Malaisie enseigne à la Manhattan School of Music et vit avec son temps: cours par vidéoconférence dans tous les Etats Unis, application Bess Guru pour transmettre son savoir via iPhone, iPod. Sur scène la musique ressort très écrite (le batteur ne quitte pas la partition des yeux), lancée sur des rails fermes. De quoi prendre son temps de s’installer. Dans l’ordre de compositions bien défini (un prix gagné auprès de l’ASCAP dans cette catégorie) Ben Wendel vient au ténor secouer un peu l’air de rien de pareilles certitudes écrites. Avec lui aussi l’écho des sax du temps présent, Lovano-Potter-Turner etc. La guitare de Matthew Stevens (entendu auprès de Christian Scott ) doit avant tout à sa personnalité propre, incisive, innervée de syncopes, côte bien taillées en découpe sans pour autant enfler de trop de tension. Dernier détail : l’album de Linda May, Walk against the wind est tout écolo compatible dans la conception de sa pochette…
Jean Luc Ponty « is back in sound » Acoustique il va sans dire. Sur cette matrice le trio fonctionne par l’échange, cordes placées bien sur en premier plan, additionnées, superposées, et/ou fondues au besoin de la nature du résultat recherché. Le jazz ainsi produit semble destiné à (se) glisser sans heurt, sans effort apparent à l’instar des doigts des musiciens sur le manche, les cases des instruments utilisés. La musique s’en trouve perlée d’une fluidité toute naturelle. La répartition des rôles (thèmes, développements) s’opère en partage équitable.« El balance » comme on dit en espagnol dans un mot qui parle de lui même sans beaucoup de nécessité de le traduire, l’équilibre donc en est le fondement. Jean-Luc Ponty, l’ainé s’en trouve le dépositaire -il rappelle dans sa manière, son toucher, son savoir qu’il existe un violon jazz (Blue train) Avec une dose de lyrisme contrôlé, facteur de qualité additionnelle (Desert Crossing) Kyle Eastwood ici plutôt à son aise la joue rythmique avant tout, le temps marqué par la basse. Bireli lui, ce facteur tempo, ce beat décisif, c’est connu il le possède dans les doigts autant que dans son âme de guitariste. Ne serait que dans l’effet de pompe, il apparaît déjà, formidable rythmicien (One take) Et lorsqu’’il aborde le temps du solo, avec sa facilité à la limite de la désinvolture, le public de Vitoria, enthousiaste, réagit. Quasi instantanément. C’est qu’en Espagne, Eukadi comprise, quand on parle guitare on connaît la chanson. Bireli Lagrène, là dessus en a trouvé un écho retentissant. Et le trio avec lui.
Commémoration, hommage, chapitre 2 pour Ella. Avec et par Patti Austin. Longue suite de titres (de Satin Doll à Honeysuckle Rose en passant par The man I love…comme un lexique de standards, pour autant de hits obtenus…) Problème: en introduction de chaque chanson, la chanteuse de Harlem (qui débuta elle même sur la scène de l’Apollo, théâtre mythique à quatre ans dit on…) se lance dans un long monologue d’explication, récit, justification…Bavardage rapidement insupportable. Chansons faites en bonnes copies, trio d’accompagnants sourcilleux…on a le droit de préférer les originaux, non ?
Theo Croker (tp), Femi Temowo (g), Jonathan Idiagbonya (p), Rick James (b), Dexter Hercules (dm)
Woman to woman: Renee Rosnes ℗, Cecile McLorin Salvant (voc), Anat Cohen (cl), Melissa Aldana (ts), Ingrid Jensen (tp), Noriko Ueda (b), Allison Miller (dm)
Rubén Blades (voc) & Roberto Delgado Orchestra: Roberto Delgado (elb, direct, arran) Juan Berna (p), Luis Enrique becerra (keyb), Marcos Barraza (conga, voc) , carlos perez-Bidô (timbales, vos), Raul « Toto » Rivera (bongos, vox), Ademir Berrocal (dm), Juan Carlos « Wichy » Lopez, Alejandro Castillo (tp), Francisco Delvecchio, Idigoras Bettancourt, Avencio Nuñez (§tb), Carlos Ubarte (bars)
Théâtre, Polideportivo Mendizorrotza , Vitoria (Espana/Euskadi), 15 juillet
La musique signée du groupe de Théo Crocker s‘inscrit live en de longs morceaux générateurs de développements instrumentaux étirés; Soit autant de large plages laissées à l’intervention des solistes. Les sonorités électriques (basse, guitare) dominent parmi la gamme des couleurs exposées funky voire carrément blues. Dans un contexte plutôt binaire. Chaque musicien s’engage, joue son va tout, va chercher le public par l’intensité, l’originalité du propos, l’espace musical créé plus qu’au travers de la seule arme fatale du volume sonore poussé à fond (Le travail sur scène réalisé dans cette formule diffère d’ailleurs sensiblement de celui proposé par l’album Escape Velocity sorti l’an passé sur le label Okeh) En ce sens Théo Croker, leader et compositeur utilise son instrument dans un registre très personnel: sonorité de trompette travaillée vers la souplesse, le moelleux, l’élégance dans la phrase (qualités déjà remarquées auprès de Dee Dee Bridgewater dont il assurait récemment la direction musicale) Manière de raccourci de Miles à Ambrose Akinmushire. De la même façon, et pour parler d’originalité toujours, Jonathan Idiagbonya use du piano acoustique dans le même esprit, y compris sur du blues. Un matériau que le guitariste Femi Temowo, très volubile, utilise lui…sans mesure. Constat final d’évidence: ces cinq jeunes musiciens là, afro-américains, possèdent bien les sources de leur musique favorite. Et s’en servent dans l’esprit.
Dames de coeur du jazz, Rubén Président !
Woman to woman, elles sont sept femmes pas moins, sept musiciennes à avoir pris possession de la scène. Une première à Mendizorrotza, pour le festival. A partir d’un trio de base impulsé par Renee Rosnes, trois solistes cuivres/vent plus la voix de Cecile McLorin Salvant viennent tirer l’orchestre très international -Japon, Autriche, Canada, France…- vers le haut. Un contenu de standards (Yesterdays de Jérome Kern, Jitteburg Waltz de Fats Waller), de thèmes références (Flamenco Sketches, Miles, United, Wayne Shorter) ou de compositions personnelles (Galapagos) servi par des arrangements solides, brillants de la part de la pianiste précédemment entendue au près de Joe Henderson, JJ Johnson ou James Moody. Brio des solistes (expressivité chez Ingrid Jensen, trompette du Vienna art Orchestra), inspiration dans la construction des chorus sax ténor de la chilienne Melissa Aldana), interventions toujours dans le ton du piano de la leader. On retiendra également deux petites pépites découvertes autour du vocal. Gracias a la vida, belle chanson signée Violetta Parra avec en bouquet des contrechants judicieux dans la clarinette d’Anat Cohen. Alfonsina y el mar enfin, sorte d’hymne très touchant de l’émotion latino américaine écrit par Ariel Ramirez. Dans ces deux épisodes aptes à soulever la foule ( accueil facilité, amplifié par la langue utilisée) du Polideportivo rempli cette soirée là, la plastique de la voix tellement nature de Cécile McLorin Salvant fait clairement la différence. Elle assure un feeling, elle porte une émotion forte partagée tel un filtre magique.
Il le dit, il le proclame à Vitoria en cadeau offert comme première ville d’Espagne visitée: Rubén Blades fait sa tournée d’adieu. Demain il ne sera plus chanteur. Mais candidat déclaré à la présidence de la République du Panama. Rien que ça. Un petit bonhomme tout de noir vêtu, chapeau compris (le même que celui d’André Minvielle, autre chanteur-poète, béarnais « cap é tout » celui là! Et curieusement de visage, ils se ressembleraient plutôt…) entre tranquillement sur le vaste plateau du festival basque. Sauf que sa voix est connue ici bien sur. Comme de toute l’Amérique du Nord au sud, partout où un latino a posé ses pieds pour vivre. Les a bougé un jour ou l’autre pour danser. Car Rubén Blades restera comme la voix de la (dite) « salsa » Le chanteur panaméen depuis l’épisode de la « Fania » est une star. Une star de la chanson engagée faut-il le préciser, par ses idées, ses textes (longs) à forte connotation sociale. Sur scène, disons tout net, ça déménage ! Voix de soprano, inflexions très souples, art de souligner le sens du propos, de répéter l’idée force en leitmotiv, et toujours en guise de signature la rime et le rythme en place comme il se doit. Le reste est affaire d’impact, de cohésion, de la force du nombre: celle d’un orchestre plein fer dirigé par son comparse depuis sept années, Roberto Delgado, baptisé Salsa Big Band. Tout un programme…d’arrangements orchestrés, c’est le cas de le dire, exécutés au millimètre. Ce qui n’empêche ni la restitution d’un Mack the knife latinisé, ni le traitement sucré, langoureux au possible d’un boléro que le chanteur panaméen avoue avoir entendu joué dans sa ville de Panama City, à l’âge de 14 ans interprété par l’orchestre de Tito Puente « C’était beau. J’en avais les larmes aux yeux. Je me suis dit que si je pouvais devenir chanteur, je le chanterai un jour… » Un boléro chanté y compris à Donald Trump, Angela Merkel, Emmanuel Macron ou Raoul Castro, partenaires particuliers potentiels histoire de les amadouer s’il devient « señor Presidente« ? A défaut des couplets un peu trop abruptes, suggestifs mais réalistes de son titre légendaire « Pedro Navaja ».
« Suerte », bonne chance, Rubén, pour la suite.
Robert Latxague
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Minuit passé de trois minutes. Rubén Blades termine une chanson. Le noir se fait. Défile soudain en bandeau lumineux numérique perché en haut de la scène un message « Feliz cumple años Rubén ». Les 4000 spectateurs entonnent « Happy Birthday ». Sur le plateau le chanteur ému reçoit en mains propres un énorme gâteau d’anniversaire au chocolat…
Linda May Han Oh 4tet: Linda May (b), Ben Wendel (ts), Matthew Stevens (g), Arthur Hnatek (dm)
Jean-Luc Ponty vln), Biréli Lagrène (g), Kyle Eastwood (dm)
Patti Austin (voc), Olaf Polziem (p), Christian Von Kaphengst (b), Peter Lübke (dm)
Jazz a Vitoria, Théâtre, Pabellon Mendizorrotza, Vitoria (España/Euskadi), 14 juillet
Linda May ou la basse conjuguée au féminin. Son entier, notes pincées très précise, longues phrases sur les chorus. Versée sur la version électrique de l’instrument, on penserait au toucher de Steve Swallow. La bassiste australienne née en Malaisie enseigne à la Manhattan School of Music et vit avec son temps: cours par vidéoconférence dans tous les Etats Unis, application Bess Guru pour transmettre son savoir via iPhone, iPod. Sur scène la musique ressort très écrite (le batteur ne quitte pas la partition des yeux), lancée sur des rails fermes. De quoi prendre son temps de s’installer. Dans l’ordre de compositions bien défini (un prix gagné auprès de l’ASCAP dans cette catégorie) Ben Wendel vient au ténor secouer un peu l’air de rien de pareilles certitudes écrites. Avec lui aussi l’écho des sax du temps présent, Lovano-Potter-Turner etc. La guitare de Matthew Stevens (entendu auprès de Christian Scott ) doit avant tout à sa personnalité propre, incisive, innervée de syncopes, côte bien taillées en découpe sans pour autant enfler de trop de tension. Dernier détail : l’album de Linda May, Walk against the wind est tout écolo compatible dans la conception de sa pochette…
Jean Luc Ponty « is back in sound » Acoustique il va sans dire. Sur cette matrice le trio fonctionne par l’échange, cordes placées bien sur en premier plan, additionnées, superposées, et/ou fondues au besoin de la nature du résultat recherché. Le jazz ainsi produit semble destiné à (se) glisser sans heurt, sans effort apparent à l’instar des doigts des musiciens sur le manche, les cases des instruments utilisés. La musique s’en trouve perlée d’une fluidité toute naturelle. La répartition des rôles (thèmes, développements) s’opère en partage équitable.« El balance » comme on dit en espagnol dans un mot qui parle de lui même sans beaucoup de nécessité de le traduire, l’équilibre donc en est le fondement. Jean-Luc Ponty, l’ainé s’en trouve le dépositaire -il rappelle dans sa manière, son toucher, son savoir qu’il existe un violon jazz (Blue train) Avec une dose de lyrisme contrôlé, facteur de qualité additionnelle (Desert Crossing) Kyle Eastwood ici plutôt à son aise la joue rythmique avant tout, le temps marqué par la basse. Bireli lui, ce facteur tempo, ce beat décisif, c’est connu il le possède dans les doigts autant que dans son âme de guitariste. Ne serait que dans l’effet de pompe, il apparaît déjà, formidable rythmicien (One take) Et lorsqu’’il aborde le temps du solo, avec sa facilité à la limite de la désinvolture, le public de Vitoria, enthousiaste, réagit. Quasi instantanément. C’est qu’en Espagne, Eukadi comprise, quand on parle guitare on connaît la chanson. Bireli Lagrène, là dessus en a trouvé un écho retentissant. Et le trio avec lui.
Commémoration, hommage, chapitre 2 pour Ella. Avec et par Patti Austin. Longue suite de titres (de Satin Doll à Honeysuckle Rose en passant par The man I love…comme un lexique de standards, pour autant de hits obtenus…) Problème: en introduction de chaque chanson, la chanteuse de Harlem (qui débuta elle même sur la scène de l’Apollo, théâtre mythique à quatre ans dit on…) se lance dans un long monologue d’explication, récit, justification…Bavardage rapidement insupportable. Chansons faites en bonnes copies, trio d’accompagnants sourcilleux…on a le droit de préférer les originaux, non ?
Theo Croker (tp), Femi Temowo (g), Jonathan Idiagbonya (p), Rick James (b), Dexter Hercules (dm)
Woman to woman: Renee Rosnes ℗, Cecile McLorin Salvant (voc), Anat Cohen (cl), Melissa Aldana (ts), Ingrid Jensen (tp), Noriko Ueda (b), Allison Miller (dm)
Rubén Blades (voc) & Roberto Delgado Orchestra: Roberto Delgado (elb, direct, arran) Juan Berna (p), Luis Enrique becerra (keyb), Marcos Barraza (conga, voc) , carlos perez-Bidô (timbales, vos), Raul « Toto » Rivera (bongos, vox), Ademir Berrocal (dm), Juan Carlos « Wichy » Lopez, Alejandro Castillo (tp), Francisco Delvecchio, Idigoras Bettancourt, Avencio Nuñez (§tb), Carlos Ubarte (bars)
Théâtre, Polideportivo Mendizorrotza , Vitoria (Espana/Euskadi), 15 juillet
La musique signée du groupe de Théo Crocker s‘inscrit live en de longs morceaux générateurs de développements instrumentaux étirés; Soit autant de large plages laissées à l’intervention des solistes. Les sonorités électriques (basse, guitare) dominent parmi la gamme des couleurs exposées funky voire carrément blues. Dans un contexte plutôt binaire. Chaque musicien s’engage, joue son va tout, va chercher le public par l’intensité, l’originalité du propos, l’espace musical créé plus qu’au travers de la seule arme fatale du volume sonore poussé à fond (Le travail sur scène réalisé dans cette formule diffère d’ailleurs sensiblement de celui proposé par l’album Escape Velocity sorti l’an passé sur le label Okeh) En ce sens Théo Croker, leader et compositeur utilise son instrument dans un registre très personnel: sonorité de trompette travaillée vers la souplesse, le moelleux, l’élégance dans la phrase (qualités déjà remarquées auprès de Dee Dee Bridgewater dont il assurait récemment la direction musicale) Manière de raccourci de Miles à Ambrose Akinmushire. De la même façon, et pour parler d’originalité toujours, Jonathan Idiagbonya use du piano acoustique dans le même esprit, y compris sur du blues. Un matériau que le guitariste Femi Temowo, très volubile, utilise lui…sans mesure. Constat final d’évidence: ces cinq jeunes musiciens là, afro-américains, possèdent bien les sources de leur musique favorite. Et s’en servent dans l’esprit.
Dames de coeur du jazz, Rubén Président !
Woman to woman, elles sont sept femmes pas moins, sept musiciennes à avoir pris possession de la scène. Une première à Mendizorrotza, pour le festival. A partir d’un trio de base impulsé par Renee Rosnes, trois solistes cuivres/vent plus la voix de Cecile McLorin Salvant viennent tirer l’orchestre très international -Japon, Autriche, Canada, France…- vers le haut. Un contenu de standards (Yesterdays de Jérome Kern, Jitteburg Waltz de Fats Waller), de thèmes références (Flamenco Sketches, Miles, United, Wayne Shorter) ou de compositions personnelles (Galapagos) servi par des arrangements solides, brillants de la part de la pianiste précédemment entendue au près de Joe Henderson, JJ Johnson ou James Moody. Brio des solistes (expressivité chez Ingrid Jensen, trompette du Vienna art Orchestra), inspiration dans la construction des chorus sax ténor de la chilienne Melissa Aldana), interventions toujours dans le ton du piano de la leader. On retiendra également deux petites pépites découvertes autour du vocal. Gracias a la vida, belle chanson signée Violetta Parra avec en bouquet des contrechants judicieux dans la clarinette d’Anat Cohen. Alfonsina y el mar enfin, sorte d’hymne très touchant de l’émotion latino américaine écrit par Ariel Ramirez. Dans ces deux épisodes aptes à soulever la foule ( accueil facilité, amplifié par la langue utilisée) du Polideportivo rempli cette soirée là, la plastique de la voix tellement nature de Cécile McLorin Salvant fait clairement la différence. Elle assure un feeling, elle porte une émotion forte partagée tel un filtre magique.
Il le dit, il le proclame à Vitoria en cadeau offert comme première ville d’Espagne visitée: Rubén Blades fait sa tournée d’adieu. Demain il ne sera plus chanteur. Mais candidat déclaré à la présidence de la République du Panama. Rien que ça. Un petit bonhomme tout de noir vêtu, chapeau compris (le même que celui d’André Minvielle, autre chanteur-poète, béarnais « cap é tout » celui là! Et curieusement de visage, ils se ressembleraient plutôt…) entre tranquillement sur le vaste plateau du festival basque. Sauf que sa voix est connue ici bien sur. Comme de toute l’Amérique du Nord au sud, partout où un latino a posé ses pieds pour vivre. Les a bougé un jour ou l’autre pour danser. Car Rubén Blades restera comme la voix de la (dite) « salsa » Le chanteur panaméen depuis l’épisode de la « Fania » est une star. Une star de la chanson engagée faut-il le préciser, par ses idées, ses textes (longs) à forte connotation sociale. Sur scène, disons tout net, ça déménage ! Voix de soprano, inflexions très souples, art de souligner le sens du propos, de répéter l’idée force en leitmotiv, et toujours en guise de signature la rime et le rythme en place comme il se doit. Le reste est affaire d’impact, de cohésion, de la force du nombre: celle d’un orchestre plein fer dirigé par son comparse depuis sept années, Roberto Delgado, baptisé Salsa Big Band. Tout un programme…d’arrangements orchestrés, c’est le cas de le dire, exécutés au millimètre. Ce qui n’empêche ni la restitution d’un Mack the knife latinisé, ni le traitement sucré, langoureux au possible d’un boléro que le chanteur panaméen avoue avoir entendu joué dans sa ville de Panama City, à l’âge de 14 ans interprété par l’orchestre de Tito Puente « C’était beau. J’en avais les larmes aux yeux. Je me suis dit que si je pouvais devenir chanteur, je le chanterai un jour… » Un boléro chanté y compris à Donald Trump, Angela Merkel, Emmanuel Macron ou Raoul Castro, partenaires particuliers potentiels histoire de les amadouer s’il devient « señor Presidente« ? A défaut des couplets un peu trop abruptes, suggestifs mais réalistes de son titre légendaire « Pedro Navaja ».
« Suerte », bonne chance, Rubén, pour la suite.
Robert Latxague
|
Minuit passé de trois minutes. Rubén Blades termine une chanson. Le noir se fait. Défile soudain en bandeau lumineux numérique perché en haut de la scène un message « Feliz cumple años Rubén ». Les 4000 spectateurs entonnent « Happy Birthday ». Sur le plateau le chanteur ému reçoit en mains propres un énorme gâteau d’anniversaire au chocolat…
Linda May Han Oh 4tet: Linda May (b), Ben Wendel (ts), Matthew Stevens (g), Arthur Hnatek (dm)
Jean-Luc Ponty vln), Biréli Lagrène (g), Kyle Eastwood (dm)
Patti Austin (voc), Olaf Polziem (p), Christian Von Kaphengst (b), Peter Lübke (dm)
Jazz a Vitoria, Théâtre, Pabellon Mendizorrotza, Vitoria (España/Euskadi), 14 juillet
Linda May ou la basse conjuguée au féminin. Son entier, notes pincées très précise, longues phrases sur les chorus. Versée sur la version électrique de l’instrument, on penserait au toucher de Steve Swallow. La bassiste australienne née en Malaisie enseigne à la Manhattan School of Music et vit avec son temps: cours par vidéoconférence dans tous les Etats Unis, application Bess Guru pour transmettre son savoir via iPhone, iPod. Sur scène la musique ressort très écrite (le batteur ne quitte pas la partition des yeux), lancée sur des rails fermes. De quoi prendre son temps de s’installer. Dans l’ordre de compositions bien défini (un prix gagné auprès de l’ASCAP dans cette catégorie) Ben Wendel vient au ténor secouer un peu l’air de rien de pareilles certitudes écrites. Avec lui aussi l’écho des sax du temps présent, Lovano-Potter-Turner etc. La guitare de Matthew Stevens (entendu auprès de Christian Scott ) doit avant tout à sa personnalité propre, incisive, innervée de syncopes, côte bien taillées en découpe sans pour autant enfler de trop de tension. Dernier détail : l’album de Linda May, Walk against the wind est tout écolo compatible dans la conception de sa pochette…
Jean Luc Ponty « is back in sound » Acoustique il va sans dire. Sur cette matrice le trio fonctionne par l’échange, cordes placées bien sur en premier plan, additionnées, superposées, et/ou fondues au besoin de la nature du résultat recherché. Le jazz ainsi produit semble destiné à (se) glisser sans heurt, sans effort apparent à l’instar des doigts des musiciens sur le manche, les cases des instruments utilisés. La musique s’en trouve perlée d’une fluidité toute naturelle. La répartition des rôles (thèmes, développements) s’opère en partage équitable.« El balance » comme on dit en espagnol dans un mot qui parle de lui même sans beaucoup de nécessité de le traduire, l’équilibre donc en est le fondement. Jean-Luc Ponty, l’ainé s’en trouve le dépositaire -il rappelle dans sa manière, son toucher, son savoir qu’il existe un violon jazz (Blue train) Avec une dose de lyrisme contrôlé, facteur de qualité additionnelle (Desert Crossing) Kyle Eastwood ici plutôt à son aise la joue rythmique avant tout, le temps marqué par la basse. Bireli lui, ce facteur tempo, ce beat décisif, c’est connu il le possède dans les doigts autant que dans son âme de guitariste. Ne serait que dans l’effet de pompe, il apparaît déjà, formidable rythmicien (One take) Et lorsqu’’il aborde le temps du solo, avec sa facilité à la limite de la désinvolture, le public de Vitoria, enthousiaste, réagit. Quasi instantanément. C’est qu’en Espagne, Eukadi comprise, quand on parle guitare on connaît la chanson. Bireli Lagrène, là dessus en a trouvé un écho retentissant. Et le trio avec lui.
Commémoration, hommage, chapitre 2 pour Ella. Avec et par Patti Austin. Longue suite de titres (de Satin Doll à Honeysuckle Rose en passant par The man I love…comme un lexique de standards, pour autant de hits obtenus…) Problème: en introduction de chaque chanson, la chanteuse de Harlem (qui débuta elle même sur la scène de l’Apollo, théâtre mythique à quatre ans dit on…) se lance dans un long monologue d’explication, récit, justification…Bavardage rapidement insupportable. Chansons faites en bonnes copies, trio d’accompagnants sourcilleux…on a le droit de préférer les originaux, non ?
Theo Croker (tp), Femi Temowo (g), Jonathan Idiagbonya (p), Rick James (b), Dexter Hercules (dm)
Woman to woman: Renee Rosnes ℗, Cecile McLorin Salvant (voc), Anat Cohen (cl), Melissa Aldana (ts), Ingrid Jensen (tp), Noriko Ueda (b), Allison Miller (dm)
Rubén Blades (voc) & Roberto Delgado Orchestra: Roberto Delgado (elb, direct, arran) Juan Berna (p), Luis Enrique becerra (keyb), Marcos Barraza (conga, voc) , carlos perez-Bidô (timbales, vos), Raul « Toto » Rivera (bongos, vox), Ademir Berrocal (dm), Juan Carlos « Wichy » Lopez, Alejandro Castillo (tp), Francisco Delvecchio, Idigoras Bettancourt, Avencio Nuñez (§tb), Carlos Ubarte (bars)
Théâtre, Polideportivo Mendizorrotza , Vitoria (Espana/Euskadi), 15 juillet
La musique signée du groupe de Théo Crocker s‘inscrit live en de longs morceaux générateurs de développements instrumentaux étirés; Soit autant de large plages laissées à l’intervention des solistes. Les sonorités électriques (basse, guitare) dominent parmi la gamme des couleurs exposées funky voire carrément blues. Dans un contexte plutôt binaire. Chaque musicien s’engage, joue son va tout, va chercher le public par l’intensité, l’originalité du propos, l’espace musical créé plus qu’au travers de la seule arme fatale du volume sonore poussé à fond (Le travail sur scène réalisé dans cette formule diffère d’ailleurs sensiblement de celui proposé par l’album Escape Velocity sorti l’an passé sur le label Okeh) En ce sens Théo Croker, leader et compositeur utilise son instrument dans un registre très personnel: sonorité de trompette travaillée vers la souplesse, le moelleux, l’élégance dans la phrase (qualités déjà remarquées auprès de Dee Dee Bridgewater dont il assurait récemment la direction musicale) Manière de raccourci de Miles à Ambrose Akinmushire. De la même façon, et pour parler d’originalité toujours, Jonathan Idiagbonya use du piano acoustique dans le même esprit, y compris sur du blues. Un matériau que le guitariste Femi Temowo, très volubile, utilise lui…sans mesure. Constat final d’évidence: ces cinq jeunes musiciens là, afro-américains, possèdent bien les sources de leur musique favorite. Et s’en servent dans l’esprit.
Dames de coeur du jazz, Rubén Président !
Woman to woman, elles sont sept femmes pas moins, sept musiciennes à avoir pris possession de la scène. Une première à Mendizorrotza, pour le festival. A partir d’un trio de base impulsé par Renee Rosnes, trois solistes cuivres/vent plus la voix de Cecile McLorin Salvant viennent tirer l’orchestre très international -Japon, Autriche, Canada, France…- vers le haut. Un contenu de standards (Yesterdays de Jérome Kern, Jitteburg Waltz de Fats Waller), de thèmes références (Flamenco Sketches, Miles, United, Wayne Shorter) ou de compositions personnelles (Galapagos) servi par des arrangements solides, brillants de la part de la pianiste précédemment entendue au près de Joe Henderson, JJ Johnson ou James Moody. Brio des solistes (expressivité chez Ingrid Jensen, trompette du Vienna art Orchestra), inspiration dans la construction des chorus sax ténor de la chilienne Melissa Aldana), interventions toujours dans le ton du piano de la leader. On retiendra également deux petites pépites découvertes autour du vocal. Gracias a la vida, belle chanson signée Violetta Parra avec en bouquet des contrechants judicieux dans la clarinette d’Anat Cohen. Alfonsina y el mar enfin, sorte d’hymne très touchant de l’émotion latino américaine écrit par Ariel Ramirez. Dans ces deux épisodes aptes à soulever la foule ( accueil facilité, amplifié par la langue utilisée) du Polideportivo rempli cette soirée là, la plastique de la voix tellement nature de Cécile McLorin Salvant fait clairement la différence. Elle assure un feeling, elle porte une émotion forte partagée tel un filtre magique.
Il le dit, il le proclame à Vitoria en cadeau offert comme première ville d’Espagne visitée: Rubén Blades fait sa tournée d’adieu. Demain il ne sera plus chanteur. Mais candidat déclaré à la présidence de la République du Panama. Rien que ça. Un petit bonhomme tout de noir vêtu, chapeau compris (le même que celui d’André Minvielle, autre chanteur-poète, béarnais « cap é tout » celui là! Et curieusement de visage, ils se ressembleraient plutôt…) entre tranquillement sur le vaste plateau du festival basque. Sauf que sa voix est connue ici bien sur. Comme de toute l’Amérique du Nord au sud, partout où un latino a posé ses pieds pour vivre. Les a bougé un jour ou l’autre pour danser. Car Rubén Blades restera comme la voix de la (dite) « salsa » Le chanteur panaméen depuis l’épisode de la « Fania » est une star. Une star de la chanson engagée faut-il le préciser, par ses idées, ses textes (longs) à forte connotation sociale. Sur scène, disons tout net, ça déménage ! Voix de soprano, inflexions très souples, art de souligner le sens du propos, de répéter l’idée force en leitmotiv, et toujours en guise de signature la rime et le rythme en place comme il se doit. Le reste est affaire d’impact, de cohésion, de la force du nombre: celle d’un orchestre plein fer dirigé par son comparse depuis sept années, Roberto Delgado, baptisé Salsa Big Band. Tout un programme…d’arrangements orchestrés, c’est le cas de le dire, exécutés au millimètre. Ce qui n’empêche ni la restitution d’un Mack the knife latinisé, ni le traitement sucré, langoureux au possible d’un boléro que le chanteur panaméen avoue avoir entendu joué dans sa ville de Panama City, à l’âge de 14 ans interprété par l’orchestre de Tito Puente « C’était beau. J’en avais les larmes aux yeux. Je me suis dit que si je pouvais devenir chanteur, je le chanterai un jour… » Un boléro chanté y compris à Donald Trump, Angela Merkel, Emmanuel Macron ou Raoul Castro, partenaires particuliers potentiels histoire de les amadouer s’il devient « señor Presidente« ? A défaut des couplets un peu trop abruptes, suggestifs mais réalistes de son titre légendaire « Pedro Navaja ».
« Suerte », bonne chance, Rubén, pour la suite.
Robert Latxague
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Minuit passé de trois minutes. Rubén Blades termine une chanson. Le noir se fait. Défile soudain en bandeau lumineux numérique perché en haut de la scène un message « Feliz cumple años Rubén ». Les 4000 spectateurs entonnent « Happy Birthday ». Sur le plateau le chanteur ému reçoit en mains propres un énorme gâteau d’anniversaire au chocolat…
Linda May Han Oh 4tet: Linda May (b), Ben Wendel (ts), Matthew Stevens (g), Arthur Hnatek (dm)
Jean-Luc Ponty vln), Biréli Lagrène (g), Kyle Eastwood (dm)
Patti Austin (voc), Olaf Polziem (p), Christian Von Kaphengst (b), Peter Lübke (dm)
Jazz a Vitoria, Théâtre, Pabellon Mendizorrotza, Vitoria (España/Euskadi), 14 juillet
Linda May ou la basse conjuguée au féminin. Son entier, notes pincées très précise, longues phrases sur les chorus. Versée sur la version électrique de l’instrument, on penserait au toucher de Steve Swallow. La bassiste australienne née en Malaisie enseigne à la Manhattan School of Music et vit avec son temps: cours par vidéoconférence dans tous les Etats Unis, application Bess Guru pour transmettre son savoir via iPhone, iPod. Sur scène la musique ressort très écrite (le batteur ne quitte pas la partition des yeux), lancée sur des rails fermes. De quoi prendre son temps de s’installer. Dans l’ordre de compositions bien défini (un prix gagné auprès de l’ASCAP dans cette catégorie) Ben Wendel vient au ténor secouer un peu l’air de rien de pareilles certitudes écrites. Avec lui aussi l’écho des sax du temps présent, Lovano-Potter-Turner etc. La guitare de Matthew Stevens (entendu auprès de Christian Scott ) doit avant tout à sa personnalité propre, incisive, innervée de syncopes, côte bien taillées en découpe sans pour autant enfler de trop de tension. Dernier détail : l’album de Linda May, Walk against the wind est tout écolo compatible dans la conception de sa pochette…
Jean Luc Ponty « is back in sound » Acoustique il va sans dire. Sur cette matrice le trio fonctionne par l’échange, cordes placées bien sur en premier plan, additionnées, superposées, et/ou fondues au besoin de la nature du résultat recherché. Le jazz ainsi produit semble destiné à (se) glisser sans heurt, sans effort apparent à l’instar des doigts des musiciens sur le manche, les cases des instruments utilisés. La musique s’en trouve perlée d’une fluidité toute naturelle. La répartition des rôles (thèmes, développements) s’opère en partage équitable.« El balance » comme on dit en espagnol dans un mot qui parle de lui même sans beaucoup de nécessité de le traduire, l’équilibre donc en est le fondement. Jean-Luc Ponty, l’ainé s’en trouve le dépositaire -il rappelle dans sa manière, son toucher, son savoir qu’il existe un violon jazz (Blue train) Avec une dose de lyrisme contrôlé, facteur de qualité additionnelle (Desert Crossing) Kyle Eastwood ici plutôt à son aise la joue rythmique avant tout, le temps marqué par la basse. Bireli lui, ce facteur tempo, ce beat décisif, c’est connu il le possède dans les doigts autant que dans son âme de guitariste. Ne serait que dans l’effet de pompe, il apparaît déjà, formidable rythmicien (One take) Et lorsqu’’il aborde le temps du solo, avec sa facilité à la limite de la désinvolture, le public de Vitoria, enthousiaste, réagit. Quasi instantanément. C’est qu’en Espagne, Eukadi comprise, quand on parle guitare on connaît la chanson. Bireli Lagrène, là dessus en a trouvé un écho retentissant. Et le trio avec lui.
Commémoration, hommage, chapitre 2 pour Ella. Avec et par Patti Austin. Longue suite de titres (de Satin Doll à Honeysuckle Rose en passant par The man I love…comme un lexique de standards, pour autant de hits obtenus…) Problème: en introduction de chaque chanson, la chanteuse de Harlem (qui débuta elle même sur la scène de l’Apollo, théâtre mythique à quatre ans dit on…) se lance dans un long monologue d’explication, récit, justification…Bavardage rapidement insupportable. Chansons faites en bonnes copies, trio d’accompagnants sourcilleux…on a le droit de préférer les originaux, non ?
Theo Croker (tp), Femi Temowo (g), Jonathan Idiagbonya (p), Rick James (b), Dexter Hercules (dm)
Woman to woman: Renee Rosnes ℗, Cecile McLorin Salvant (voc), Anat Cohen (cl), Melissa Aldana (ts), Ingrid Jensen (tp), Noriko Ueda (b), Allison Miller (dm)
Rubén Blades (voc) & Roberto Delgado Orchestra: Roberto Delgado (elb, direct, arran) Juan Berna (p), Luis Enrique becerra (keyb), Marcos Barraza (conga, voc) , carlos perez-Bidô (timbales, vos), Raul « Toto » Rivera (bongos, vox), Ademir Berrocal (dm), Juan Carlos « Wichy » Lopez, Alejandro Castillo (tp), Francisco Delvecchio, Idigoras Bettancourt, Avencio Nuñez (§tb), Carlos Ubarte (bars)
Théâtre, Polideportivo Mendizorrotza , Vitoria (Espana/Euskadi), 15 juillet
La musique signée du groupe de Théo Crocker s‘inscrit live en de longs morceaux générateurs de développements instrumentaux étirés; Soit autant de large plages laissées à l’intervention des solistes. Les sonorités électriques (basse, guitare) dominent parmi la gamme des couleurs exposées funky voire carrément blues. Dans un contexte plutôt binaire. Chaque musicien s’engage, joue son va tout, va chercher le public par l’intensité, l’originalité du propos, l’espace musical créé plus qu’au travers de la seule arme fatale du volume sonore poussé à fond (Le travail sur scène réalisé dans cette formule diffère d’ailleurs sensiblement de celui proposé par l’album Escape Velocity sorti l’an passé sur le label Okeh) En ce sens Théo Croker, leader et compositeur utilise son instrument dans un registre très personnel: sonorité de trompette travaillée vers la souplesse, le moelleux, l’élégance dans la phrase (qualités déjà remarquées auprès de Dee Dee Bridgewater dont il assurait récemment la direction musicale) Manière de raccourci de Miles à Ambrose Akinmushire. De la même façon, et pour parler d’originalité toujours, Jonathan Idiagbonya use du piano acoustique dans le même esprit, y compris sur du blues. Un matériau que le guitariste Femi Temowo, très volubile, utilise lui…sans mesure. Constat final d’évidence: ces cinq jeunes musiciens là, afro-américains, possèdent bien les sources de leur musique favorite. Et s’en servent dans l’esprit.
Dames de coeur du jazz, Rubén Président !
Woman to woman, elles sont sept femmes pas moins, sept musiciennes à avoir pris possession de la scène. Une première à Mendizorrotza, pour le festival. A partir d’un trio de base impulsé par Renee Rosnes, trois solistes cuivres/vent plus la voix de Cecile McLorin Salvant viennent tirer l’orchestre très international -Japon, Autriche, Canada, France…- vers le haut. Un contenu de standards (Yesterdays de Jérome Kern, Jitteburg Waltz de Fats Waller), de thèmes références (Flamenco Sketches, Miles, United, Wayne Shorter) ou de compositions personnelles (Galapagos) servi par des arrangements solides, brillants de la part de la pianiste précédemment entendue au près de Joe Henderson, JJ Johnson ou James Moody. Brio des solistes (expressivité chez Ingrid Jensen, trompette du Vienna art Orchestra), inspiration dans la construction des chorus sax ténor de la chilienne Melissa Aldana), interventions toujours dans le ton du piano de la leader. On retiendra également deux petites pépites découvertes autour du vocal. Gracias a la vida, belle chanson signée Violetta Parra avec en bouquet des contrechants judicieux dans la clarinette d’Anat Cohen. Alfonsina y el mar enfin, sorte d’hymne très touchant de l’émotion latino américaine écrit par Ariel Ramirez. Dans ces deux épisodes aptes à soulever la foule ( accueil facilité, amplifié par la langue utilisée) du Polideportivo rempli cette soirée là, la plastique de la voix tellement nature de Cécile McLorin Salvant fait clairement la différence. Elle assure un feeling, elle porte une émotion forte partagée tel un filtre magique.
Il le dit, il le proclame à Vitoria en cadeau offert comme première ville d’Espagne visitée: Rubén Blades fait sa tournée d’adieu. Demain il ne sera plus chanteur. Mais candidat déclaré à la présidence de la République du Panama. Rien que ça. Un petit bonhomme tout de noir vêtu, chapeau compris (le même que celui d’André Minvielle, autre chanteur-poète, béarnais « cap é tout » celui là! Et curieusement de visage, ils se ressembleraient plutôt…) entre tranquillement sur le vaste plateau du festival basque. Sauf que sa voix est connue ici bien sur. Comme de toute l’Amérique du Nord au sud, partout où un latino a posé ses pieds pour vivre. Les a bougé un jour ou l’autre pour danser. Car Rubén Blades restera comme la voix de la (dite) « salsa » Le chanteur panaméen depuis l’épisode de la « Fania » est une star. Une star de la chanson engagée faut-il le préciser, par ses idées, ses textes (longs) à forte connotation sociale. Sur scène, disons tout net, ça déménage ! Voix de soprano, inflexions très souples, art de souligner le sens du propos, de répéter l’idée force en leitmotiv, et toujours en guise de signature la rime et le rythme en place comme il se doit. Le reste est affaire d’impact, de cohésion, de la force du nombre: celle d’un orchestre plein fer dirigé par son comparse depuis sept années, Roberto Delgado, baptisé Salsa Big Band. Tout un programme…d’arrangements orchestrés, c’est le cas de le dire, exécutés au millimètre. Ce qui n’empêche ni la restitution d’un Mack the knife latinisé, ni le traitement sucré, langoureux au possible d’un boléro que le chanteur panaméen avoue avoir entendu joué dans sa ville de Panama City, à l’âge de 14 ans interprété par l’orchestre de Tito Puente « C’était beau. J’en avais les larmes aux yeux. Je me suis dit que si je pouvais devenir chanteur, je le chanterai un jour… » Un boléro chanté y compris à Donald Trump, Angela Merkel, Emmanuel Macron ou Raoul Castro, partenaires particuliers potentiels histoire de les amadouer s’il devient « señor Presidente« ? A défaut des couplets un peu trop abruptes, suggestifs mais réalistes de son titre légendaire « Pedro Navaja ».
« Suerte », bonne chance, Rubén, pour la suite.
Robert Latxague