Vitoria (2): quatre pianistes dansent pour Monk, à minuit
Du jamais vu ! Eric Reed vient d’entamer Round Midnight. Derrière le piano les trois autres pianistes, Kenny Barron, Cyril Chestnut, silhouettes rondes, bien enveloppées et Benny Green, sec, élancé dans son costume, sans concertation se lancent soudain dans des pas de danse, pris dans le rythme. Sacré Monk, va!
Harold Lopez-Nussa (p), Yaser Pino (b), Ruy Lopez-Nussa (dm)
Larry Carlton (g), Claus Fisher (b), Wolfgang Dahlheimer (keyb), Hardy Fishchtöter (dm)
Stanley Clarke (elb, b), Beka Goschiaschvili (p, keyb), Cameron Graves (keyb), Mike Mitchell (dm),
Jazz a Vitoria, Mendizorrotza (España/Euskadi), 12, 13 juillet
Harold Lopez-Nussa, dans ce concert comme de coutume, entre dans la danse sans tarder, sans s’appesantir de tour de chauffe ni d’introduction à rallonge. Le jazz du trio procède de l’esprit afro-cubain, fabriqué dans l’instant pour projeter la mesure vers l’avant. Tout de suite la musique résonne d’un effet rythmique prononcé. Mieux: entre les musiciens, les deux frères en particulier il y a du jeu, de l’interaction (Feria). Poussée au besoin jusqu’à une complicité totale, lorsque les deux frangins se rejoignent devant le clavier le temps d’une session à quatre mains sur le piano à l’occasion de la restitution d’une étude (Los Muñecos) sensée rappeler leur apprentissage commun sur l’instrument. Dans le cocon du Théâtre, lieu choisi pour des concerts « découvertes » à destination du public de Vitoria, Harold Lopez-Nussa enchaine les séquences: une balade marquée d’une sensibilité certaine (Enero), une session de polyrythmie typique toute en savante découpe de mesures, un moment de piano solo dédiée à sa mère (Mamá) livrant une mélodie douce, filtrée, très déliée. Jusqu’au final en feu d’artifice sur un thème fort festif signé Chucho Valdes, maestro désigné de tous les pianistes de l’île caraïbe (Bacalao con pan) Histoire de conclure sur un morceau très gouteux.
Acoustique, électrique, éclectique
Larry Carlton: cela commence bien, façon surprise du chef. Entré seul, guitare brandie bras tendu, allure décontracté façon jean, tee-shirt et baskets. Trois quatre minutes de guitare solo en arpèges, accords enchainés, glissandos en octave le long du manche de la 335 Gibson rouge, il paraît réciter comme un petit poème instrumental sans rime ni raison particulière. Nature, simplement. Puis vient la rythmique, du lourd à tous les sens du terme. Puissance, intensité le volume musical monte dans les tours tandis que défilent les genres, morceaux funk, saveurs soul, tranches de blues mode carpaccio, tous plats cuisinés puis servis par la guitare du chef leader. Les composantes du menu sonnent bien finies, solides de goût. Donc appréciées dans l’immense salle du Palais des Sports, où le reste de l’année règne l’équipe de basket locale (Baskonia) l’une des meilleures d’Espagne et même d’Europe. A tout moment du set, Carlton, guitariste des Crusaders de légende (tout de même) et prédateur de studios US reconnu auprès de stars pop (Michael Jackson, Steely Dan, Joni Mitchell…) sembla très à l’aise, paraît bien s’amuser, brille sur chaque mesure de blues. Sauf que le contenu s’épuise vite question intérêt, accroche musicale. On se surprend à fixer les doigts virtuoses filmés en gros plans au beau milieu des écrans géants de part et d’autres de la salle. Comme tous les guitaristes amateurs, accros ou consommateurs de site conseil web, sans doute nombreux dans la salle. La musique ainsi concoctée coule idéale pour rouler sans souci sur autoroute. En prélèvements aléatoires.
Stanley Clarke: avec lui, il est toujours question de sonorité sur l’instrument. Basse électrique, reconnaissable, immédiatement à l’égal de ce que l’on dirait de Jaco Pastorius ou Marcus Miller venus à sa suite. Il est question d’attaque, de frappes, de slap sur le pouce, de punch transmis aux cordes. Tout un arsenal technique développé depuis le Return Forever de Chick Corea. Contrebasse. On le regarde sous sa haute stature, on l’écoute jouer facile autant de notes sur sa basse à l’égal d’une guitare. Vient la séquence acoustique sur le propos du Goodbye Pok Pie Hat de Charlie Mingus, épaulé par un jeune pianiste plein d’allure (Beka Goschichvili) venue de Géorgie. Raccourci natif ? Symbole fugace ? Haut, carré, avec un look type cheveux coupé court et lunettes noires rondes , courbé sur la contrebasse, un focus sur son visage à l’écran rappelle celui de Mingus le rebelle…Le son aussi sur l’instrument acoustique, fin, net, précis sur le manche au détour d’une belle composition (Song to John) Occasion d’un chorus en solo gorgé d’allant, de naturel dans le doigté, d’équilibre. On retiendra plutôt cela que d’autres séquences plus zébrées d’effets, de frappes plus électriques. Question de feeling dans doute.
Joel Ross (v!b), Raynald Colom (tp), Marco Mezquida (p), Horacio Fumero (b), Marc Miralta (dm)
Monk by 4: Kenny Barron, Cyrus Chestnut, Benny Green, Eric Reed (p)
TS Monk sextet: TS Monk (dm), Randal Haywood (tp, flgh), Patience Higgins (as), Willie Williams (ts), Theo Hill (p), bedon Bullock (b)
Il peut s’avérer difficile d’assumer une recommandation de ce type « J’ai fait venir Joel Ross pour ce concert découverte sur le conseil personnel de Wynton » avoue Iñaki Añua sans se cacher. Le jeune vibraphoniste originaire de Chicago est un protégé de l’ainé des Marsalis. Pour sa première apparition en Europe celui que l’on dit du calibre de Stefon Harris (son prof par ailleurs, aujourd’hui à New York) a fait le boulot sans faille. sans démonstration de génie apparent non plus. Le contexte ne s’y prêtait pas « Nous avons fait connaissance et répété pour la première fois le matin même « raconte Raynald Colom qui a joué les messieurs bons offices et monté l’orchestre. La sonorisation diluant le vibra, non plus d’ailleurs. Musique bien construite colorée hard bop, bien jouée, avec une rythmique quelque peu timide au départ (Horacio Fumero notamment, bassiste argentin longtemps complice du légendaire pianiste catalan, Tete Montoliu; Marco Mezquida, jeune pianiste de Malaga, vu bien plus brillant au festival de Getxo) sur un standard (The Peacock, Ugly Beauty de Monk ) ou la seule composition du jeune impétrant américain (It is love) Raynald Colom (venu vivre à Paris où Jazz Mag avait remarqué son album sur Jazz Village il y a quelques années) lui tire son épingle du jeu, volubile juste ce qu’il faut, dotée d’une sonorité de trompette claire, droite, modulable. Il aura fallu attendre son duo conclusif avec Joel Ross pour mesurer le savoir faire technique, l’inspiration du vibraphoniste. A suivre.
Commémoration
Les commémorations avec des (à propos de) figures américaines, président y compris, à la veille d’un 14 juillet, à Vitoria on ne le devine pas forcément, pourtant cela peut s’avérer lourd (« pesado » en langue de Cervantes) à porter sur une scène de festival comme sur les Champs Elysées. Fut-ce à propos d’un génie original en diable comme Monk histoire de célébrer le centième anniversaire de sa naissance (octobre en réalité, mais les tourneurs et agents d’artistes ont avancé la date pour cause de rebonds nécessaires et fructueux dans les tournées festivalières sur le vieux continent) Sauf que lorsque quatre pianistes de calibre en font leur affaire de musiciens éclairés, inspirés, ça marche. Ça devient un plaisir. Eric Reed, Benny Green, Cyril Chestnut, Kenny Barron enfin, se succèdent sur l’immense scène de Mendizorrotza. Seul face au clavier, en duo et en face à face, les deux pianos s’accouplant par leur ventre. Ils se succèdent, s’épaulent au point de garder le rythme sur un accord de main droite estampillé Monk le temps pour le suivant de prendre à son tour possession de l’ensemble du clavier. Monk’s dream, Ruby My dear, Blue Mon, Ask me now etc. Le public partage le plaisir d’entendre, de chanter intérieurement qui sait les mélodies, silences et formules en rupture caractéristique de la musique du pianiste « boper » demeuré inclassable. Car ce carré d’as ne donne pas dans le récital au sens marqué du récit. Non chacun, à sa manière fait vivre le thème choisi dans une mise à jour personnalisée, immédiate, originale dans le ressenti. Témoin par l’exemple -s’il fallait en désigner un: Cyril Chestnut prend Monk’s mood dans un plan ragtime que n’aurait pas désavoué James P Johnson ou Fats Waller, pont pianistique du jazz d’hier à celui de toujours jeté par le sens architectural de Monk, talent tellement insensé. Moment mémorisé, inattendu donc jouissif cqfd.
Célébration encore. Cette fois pourtant un Monk se tient là, en chair et en os sur les planches du Palais des Sports. TS Monk, je prend le fils, batteur de son métier est, s’il faut l’en croire, le troisième de la dynastie de musicien de jazz répondant à ce patronyme: « Il y eut d’abord mon grand père, lequel baptisa Thélonious, son fils, Monk Junior. Je suis donc Monk 3… » Thelonious S Monk, batteur, légataire universel de la Fondation du même nom -ce qui, eu égard aux royalties des compositions de son père lui permet de vivre confortablement sans besoin de baronne en soutien- ne peut revendiquer lui aucun génie sur son instrument. Son sextet bâti pour la tournée européenne d’été produit un jazz carré, un hard bop plutôt bien frappé. du sceau des thèmes de son père inoubliables car devenus standards de jazz (Evidence, Rythm a Ning, Nature Boy) De ses compositions également. Dont Sierra, fruit d’une mélodie séduisante écrite pour sa fille, renforcée par des arrangements (trois pupitres de cuivre utilisés avec goût) Deux membres de l’orchestre en ressortent distingués : Patience (!) Higgins, alto sax emblématique de Harlem aux phrases tranchantes. Nnenna Freelon, dont on retrouve la voix forte, étoffée, avec un sens de la nuance apte à faire vivre les histoires chantées (Nature boy ou surtout Skylark -magnifique texte et musique signé Hoagy Charmichael dans les années 30- pris délicatement en duo avec la basse) Le final sur Round Midnight -« Le thème le plus joué dans l’histoire du jazz » selon TS Monk 3- exposé en collectif à l’heure pile, valait pour titre bonus.
Robert Latxague
Jazz a Vitoria
14/07 Théâtre: Linda May Quartet
Mendizorrotza: JL Ponty/B Lagrene/K Eastwood; Patti Austin « For Ella »
15/07 Théâtre: Theo Croker
Mendizorrotza: Woman to Woman/ Renee Rosnes; Ruben Blades
|
Du jamais vu ! Eric Reed vient d’entamer Round Midnight. Derrière le piano les trois autres pianistes, Kenny Barron, Cyril Chestnut, silhouettes rondes, bien enveloppées et Benny Green, sec, élancé dans son costume, sans concertation se lancent soudain dans des pas de danse, pris dans le rythme. Sacré Monk, va!
Harold Lopez-Nussa (p), Yaser Pino (b), Ruy Lopez-Nussa (dm)
Larry Carlton (g), Claus Fisher (b), Wolfgang Dahlheimer (keyb), Hardy Fishchtöter (dm)
Stanley Clarke (elb, b), Beka Goschiaschvili (p, keyb), Cameron Graves (keyb), Mike Mitchell (dm),
Jazz a Vitoria, Mendizorrotza (España/Euskadi), 12, 13 juillet
Harold Lopez-Nussa, dans ce concert comme de coutume, entre dans la danse sans tarder, sans s’appesantir de tour de chauffe ni d’introduction à rallonge. Le jazz du trio procède de l’esprit afro-cubain, fabriqué dans l’instant pour projeter la mesure vers l’avant. Tout de suite la musique résonne d’un effet rythmique prononcé. Mieux: entre les musiciens, les deux frères en particulier il y a du jeu, de l’interaction (Feria). Poussée au besoin jusqu’à une complicité totale, lorsque les deux frangins se rejoignent devant le clavier le temps d’une session à quatre mains sur le piano à l’occasion de la restitution d’une étude (Los Muñecos) sensée rappeler leur apprentissage commun sur l’instrument. Dans le cocon du Théâtre, lieu choisi pour des concerts « découvertes » à destination du public de Vitoria, Harold Lopez-Nussa enchaine les séquences: une balade marquée d’une sensibilité certaine (Enero), une session de polyrythmie typique toute en savante découpe de mesures, un moment de piano solo dédiée à sa mère (Mamá) livrant une mélodie douce, filtrée, très déliée. Jusqu’au final en feu d’artifice sur un thème fort festif signé Chucho Valdes, maestro désigné de tous les pianistes de l’île caraïbe (Bacalao con pan) Histoire de conclure sur un morceau très gouteux.
Acoustique, électrique, éclectique
Larry Carlton: cela commence bien, façon surprise du chef. Entré seul, guitare brandie bras tendu, allure décontracté façon jean, tee-shirt et baskets. Trois quatre minutes de guitare solo en arpèges, accords enchainés, glissandos en octave le long du manche de la 335 Gibson rouge, il paraît réciter comme un petit poème instrumental sans rime ni raison particulière. Nature, simplement. Puis vient la rythmique, du lourd à tous les sens du terme. Puissance, intensité le volume musical monte dans les tours tandis que défilent les genres, morceaux funk, saveurs soul, tranches de blues mode carpaccio, tous plats cuisinés puis servis par la guitare du chef leader. Les composantes du menu sonnent bien finies, solides de goût. Donc appréciées dans l’immense salle du Palais des Sports, où le reste de l’année règne l’équipe de basket locale (Baskonia) l’une des meilleures d’Espagne et même d’Europe. A tout moment du set, Carlton, guitariste des Crusaders de légende (tout de même) et prédateur de studios US reconnu auprès de stars pop (Michael Jackson, Steely Dan, Joni Mitchell…) sembla très à l’aise, paraît bien s’amuser, brille sur chaque mesure de blues. Sauf que le contenu s’épuise vite question intérêt, accroche musicale. On se surprend à fixer les doigts virtuoses filmés en gros plans au beau milieu des écrans géants de part et d’autres de la salle. Comme tous les guitaristes amateurs, accros ou consommateurs de site conseil web, sans doute nombreux dans la salle. La musique ainsi concoctée coule idéale pour rouler sans souci sur autoroute. En prélèvements aléatoires.
Stanley Clarke: avec lui, il est toujours question de sonorité sur l’instrument. Basse électrique, reconnaissable, immédiatement à l’égal de ce que l’on dirait de Jaco Pastorius ou Marcus Miller venus à sa suite. Il est question d’attaque, de frappes, de slap sur le pouce, de punch transmis aux cordes. Tout un arsenal technique développé depuis le Return Forever de Chick Corea. Contrebasse. On le regarde sous sa haute stature, on l’écoute jouer facile autant de notes sur sa basse à l’égal d’une guitare. Vient la séquence acoustique sur le propos du Goodbye Pok Pie Hat de Charlie Mingus, épaulé par un jeune pianiste plein d’allure (Beka Goschichvili) venue de Géorgie. Raccourci natif ? Symbole fugace ? Haut, carré, avec un look type cheveux coupé court et lunettes noires rondes , courbé sur la contrebasse, un focus sur son visage à l’écran rappelle celui de Mingus le rebelle…Le son aussi sur l’instrument acoustique, fin, net, précis sur le manche au détour d’une belle composition (Song to John) Occasion d’un chorus en solo gorgé d’allant, de naturel dans le doigté, d’équilibre. On retiendra plutôt cela que d’autres séquences plus zébrées d’effets, de frappes plus électriques. Question de feeling dans doute.
Joel Ross (v!b), Raynald Colom (tp), Marco Mezquida (p), Horacio Fumero (b), Marc Miralta (dm)
Monk by 4: Kenny Barron, Cyrus Chestnut, Benny Green, Eric Reed (p)
TS Monk sextet: TS Monk (dm), Randal Haywood (tp, flgh), Patience Higgins (as), Willie Williams (ts), Theo Hill (p), bedon Bullock (b)
Il peut s’avérer difficile d’assumer une recommandation de ce type « J’ai fait venir Joel Ross pour ce concert découverte sur le conseil personnel de Wynton » avoue Iñaki Añua sans se cacher. Le jeune vibraphoniste originaire de Chicago est un protégé de l’ainé des Marsalis. Pour sa première apparition en Europe celui que l’on dit du calibre de Stefon Harris (son prof par ailleurs, aujourd’hui à New York) a fait le boulot sans faille. sans démonstration de génie apparent non plus. Le contexte ne s’y prêtait pas « Nous avons fait connaissance et répété pour la première fois le matin même « raconte Raynald Colom qui a joué les messieurs bons offices et monté l’orchestre. La sonorisation diluant le vibra, non plus d’ailleurs. Musique bien construite colorée hard bop, bien jouée, avec une rythmique quelque peu timide au départ (Horacio Fumero notamment, bassiste argentin longtemps complice du légendaire pianiste catalan, Tete Montoliu; Marco Mezquida, jeune pianiste de Malaga, vu bien plus brillant au festival de Getxo) sur un standard (The Peacock, Ugly Beauty de Monk ) ou la seule composition du jeune impétrant américain (It is love) Raynald Colom (venu vivre à Paris où Jazz Mag avait remarqué son album sur Jazz Village il y a quelques années) lui tire son épingle du jeu, volubile juste ce qu’il faut, dotée d’une sonorité de trompette claire, droite, modulable. Il aura fallu attendre son duo conclusif avec Joel Ross pour mesurer le savoir faire technique, l’inspiration du vibraphoniste. A suivre.
Commémoration
Les commémorations avec des (à propos de) figures américaines, président y compris, à la veille d’un 14 juillet, à Vitoria on ne le devine pas forcément, pourtant cela peut s’avérer lourd (« pesado » en langue de Cervantes) à porter sur une scène de festival comme sur les Champs Elysées. Fut-ce à propos d’un génie original en diable comme Monk histoire de célébrer le centième anniversaire de sa naissance (octobre en réalité, mais les tourneurs et agents d’artistes ont avancé la date pour cause de rebonds nécessaires et fructueux dans les tournées festivalières sur le vieux continent) Sauf que lorsque quatre pianistes de calibre en font leur affaire de musiciens éclairés, inspirés, ça marche. Ça devient un plaisir. Eric Reed, Benny Green, Cyril Chestnut, Kenny Barron enfin, se succèdent sur l’immense scène de Mendizorrotza. Seul face au clavier, en duo et en face à face, les deux pianos s’accouplant par leur ventre. Ils se succèdent, s’épaulent au point de garder le rythme sur un accord de main droite estampillé Monk le temps pour le suivant de prendre à son tour possession de l’ensemble du clavier. Monk’s dream, Ruby My dear, Blue Mon, Ask me now etc. Le public partage le plaisir d’entendre, de chanter intérieurement qui sait les mélodies, silences et formules en rupture caractéristique de la musique du pianiste « boper » demeuré inclassable. Car ce carré d’as ne donne pas dans le récital au sens marqué du récit. Non chacun, à sa manière fait vivre le thème choisi dans une mise à jour personnalisée, immédiate, originale dans le ressenti. Témoin par l’exemple -s’il fallait en désigner un: Cyril Chestnut prend Monk’s mood dans un plan ragtime que n’aurait pas désavoué James P Johnson ou Fats Waller, pont pianistique du jazz d’hier à celui de toujours jeté par le sens architectural de Monk, talent tellement insensé. Moment mémorisé, inattendu donc jouissif cqfd.
Célébration encore. Cette fois pourtant un Monk se tient là, en chair et en os sur les planches du Palais des Sports. TS Monk, je prend le fils, batteur de son métier est, s’il faut l’en croire, le troisième de la dynastie de musicien de jazz répondant à ce patronyme: « Il y eut d’abord mon grand père, lequel baptisa Thélonious, son fils, Monk Junior. Je suis donc Monk 3… » Thelonious S Monk, batteur, légataire universel de la Fondation du même nom -ce qui, eu égard aux royalties des compositions de son père lui permet de vivre confortablement sans besoin de baronne en soutien- ne peut revendiquer lui aucun génie sur son instrument. Son sextet bâti pour la tournée européenne d’été produit un jazz carré, un hard bop plutôt bien frappé. du sceau des thèmes de son père inoubliables car devenus standards de jazz (Evidence, Rythm a Ning, Nature Boy) De ses compositions également. Dont Sierra, fruit d’une mélodie séduisante écrite pour sa fille, renforcée par des arrangements (trois pupitres de cuivre utilisés avec goût) Deux membres de l’orchestre en ressortent distingués : Patience (!) Higgins, alto sax emblématique de Harlem aux phrases tranchantes. Nnenna Freelon, dont on retrouve la voix forte, étoffée, avec un sens de la nuance apte à faire vivre les histoires chantées (Nature boy ou surtout Skylark -magnifique texte et musique signé Hoagy Charmichael dans les années 30- pris délicatement en duo avec la basse) Le final sur Round Midnight -« Le thème le plus joué dans l’histoire du jazz » selon TS Monk 3- exposé en collectif à l’heure pile, valait pour titre bonus.
Robert Latxague
Jazz a Vitoria
14/07 Théâtre: Linda May Quartet
Mendizorrotza: JL Ponty/B Lagrene/K Eastwood; Patti Austin « For Ella »
15/07 Théâtre: Theo Croker
Mendizorrotza: Woman to Woman/ Renee Rosnes; Ruben Blades
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Du jamais vu ! Eric Reed vient d’entamer Round Midnight. Derrière le piano les trois autres pianistes, Kenny Barron, Cyril Chestnut, silhouettes rondes, bien enveloppées et Benny Green, sec, élancé dans son costume, sans concertation se lancent soudain dans des pas de danse, pris dans le rythme. Sacré Monk, va!
Harold Lopez-Nussa (p), Yaser Pino (b), Ruy Lopez-Nussa (dm)
Larry Carlton (g), Claus Fisher (b), Wolfgang Dahlheimer (keyb), Hardy Fishchtöter (dm)
Stanley Clarke (elb, b), Beka Goschiaschvili (p, keyb), Cameron Graves (keyb), Mike Mitchell (dm),
Jazz a Vitoria, Mendizorrotza (España/Euskadi), 12, 13 juillet
Harold Lopez-Nussa, dans ce concert comme de coutume, entre dans la danse sans tarder, sans s’appesantir de tour de chauffe ni d’introduction à rallonge. Le jazz du trio procède de l’esprit afro-cubain, fabriqué dans l’instant pour projeter la mesure vers l’avant. Tout de suite la musique résonne d’un effet rythmique prononcé. Mieux: entre les musiciens, les deux frères en particulier il y a du jeu, de l’interaction (Feria). Poussée au besoin jusqu’à une complicité totale, lorsque les deux frangins se rejoignent devant le clavier le temps d’une session à quatre mains sur le piano à l’occasion de la restitution d’une étude (Los Muñecos) sensée rappeler leur apprentissage commun sur l’instrument. Dans le cocon du Théâtre, lieu choisi pour des concerts « découvertes » à destination du public de Vitoria, Harold Lopez-Nussa enchaine les séquences: une balade marquée d’une sensibilité certaine (Enero), une session de polyrythmie typique toute en savante découpe de mesures, un moment de piano solo dédiée à sa mère (Mamá) livrant une mélodie douce, filtrée, très déliée. Jusqu’au final en feu d’artifice sur un thème fort festif signé Chucho Valdes, maestro désigné de tous les pianistes de l’île caraïbe (Bacalao con pan) Histoire de conclure sur un morceau très gouteux.
Acoustique, électrique, éclectique
Larry Carlton: cela commence bien, façon surprise du chef. Entré seul, guitare brandie bras tendu, allure décontracté façon jean, tee-shirt et baskets. Trois quatre minutes de guitare solo en arpèges, accords enchainés, glissandos en octave le long du manche de la 335 Gibson rouge, il paraît réciter comme un petit poème instrumental sans rime ni raison particulière. Nature, simplement. Puis vient la rythmique, du lourd à tous les sens du terme. Puissance, intensité le volume musical monte dans les tours tandis que défilent les genres, morceaux funk, saveurs soul, tranches de blues mode carpaccio, tous plats cuisinés puis servis par la guitare du chef leader. Les composantes du menu sonnent bien finies, solides de goût. Donc appréciées dans l’immense salle du Palais des Sports, où le reste de l’année règne l’équipe de basket locale (Baskonia) l’une des meilleures d’Espagne et même d’Europe. A tout moment du set, Carlton, guitariste des Crusaders de légende (tout de même) et prédateur de studios US reconnu auprès de stars pop (Michael Jackson, Steely Dan, Joni Mitchell…) sembla très à l’aise, paraît bien s’amuser, brille sur chaque mesure de blues. Sauf que le contenu s’épuise vite question intérêt, accroche musicale. On se surprend à fixer les doigts virtuoses filmés en gros plans au beau milieu des écrans géants de part et d’autres de la salle. Comme tous les guitaristes amateurs, accros ou consommateurs de site conseil web, sans doute nombreux dans la salle. La musique ainsi concoctée coule idéale pour rouler sans souci sur autoroute. En prélèvements aléatoires.
Stanley Clarke: avec lui, il est toujours question de sonorité sur l’instrument. Basse électrique, reconnaissable, immédiatement à l’égal de ce que l’on dirait de Jaco Pastorius ou Marcus Miller venus à sa suite. Il est question d’attaque, de frappes, de slap sur le pouce, de punch transmis aux cordes. Tout un arsenal technique développé depuis le Return Forever de Chick Corea. Contrebasse. On le regarde sous sa haute stature, on l’écoute jouer facile autant de notes sur sa basse à l’égal d’une guitare. Vient la séquence acoustique sur le propos du Goodbye Pok Pie Hat de Charlie Mingus, épaulé par un jeune pianiste plein d’allure (Beka Goschichvili) venue de Géorgie. Raccourci natif ? Symbole fugace ? Haut, carré, avec un look type cheveux coupé court et lunettes noires rondes , courbé sur la contrebasse, un focus sur son visage à l’écran rappelle celui de Mingus le rebelle…Le son aussi sur l’instrument acoustique, fin, net, précis sur le manche au détour d’une belle composition (Song to John) Occasion d’un chorus en solo gorgé d’allant, de naturel dans le doigté, d’équilibre. On retiendra plutôt cela que d’autres séquences plus zébrées d’effets, de frappes plus électriques. Question de feeling dans doute.
Joel Ross (v!b), Raynald Colom (tp), Marco Mezquida (p), Horacio Fumero (b), Marc Miralta (dm)
Monk by 4: Kenny Barron, Cyrus Chestnut, Benny Green, Eric Reed (p)
TS Monk sextet: TS Monk (dm), Randal Haywood (tp, flgh), Patience Higgins (as), Willie Williams (ts), Theo Hill (p), bedon Bullock (b)
Il peut s’avérer difficile d’assumer une recommandation de ce type « J’ai fait venir Joel Ross pour ce concert découverte sur le conseil personnel de Wynton » avoue Iñaki Añua sans se cacher. Le jeune vibraphoniste originaire de Chicago est un protégé de l’ainé des Marsalis. Pour sa première apparition en Europe celui que l’on dit du calibre de Stefon Harris (son prof par ailleurs, aujourd’hui à New York) a fait le boulot sans faille. sans démonstration de génie apparent non plus. Le contexte ne s’y prêtait pas « Nous avons fait connaissance et répété pour la première fois le matin même « raconte Raynald Colom qui a joué les messieurs bons offices et monté l’orchestre. La sonorisation diluant le vibra, non plus d’ailleurs. Musique bien construite colorée hard bop, bien jouée, avec une rythmique quelque peu timide au départ (Horacio Fumero notamment, bassiste argentin longtemps complice du légendaire pianiste catalan, Tete Montoliu; Marco Mezquida, jeune pianiste de Malaga, vu bien plus brillant au festival de Getxo) sur un standard (The Peacock, Ugly Beauty de Monk ) ou la seule composition du jeune impétrant américain (It is love) Raynald Colom (venu vivre à Paris où Jazz Mag avait remarqué son album sur Jazz Village il y a quelques années) lui tire son épingle du jeu, volubile juste ce qu’il faut, dotée d’une sonorité de trompette claire, droite, modulable. Il aura fallu attendre son duo conclusif avec Joel Ross pour mesurer le savoir faire technique, l’inspiration du vibraphoniste. A suivre.
Commémoration
Les commémorations avec des (à propos de) figures américaines, président y compris, à la veille d’un 14 juillet, à Vitoria on ne le devine pas forcément, pourtant cela peut s’avérer lourd (« pesado » en langue de Cervantes) à porter sur une scène de festival comme sur les Champs Elysées. Fut-ce à propos d’un génie original en diable comme Monk histoire de célébrer le centième anniversaire de sa naissance (octobre en réalité, mais les tourneurs et agents d’artistes ont avancé la date pour cause de rebonds nécessaires et fructueux dans les tournées festivalières sur le vieux continent) Sauf que lorsque quatre pianistes de calibre en font leur affaire de musiciens éclairés, inspirés, ça marche. Ça devient un plaisir. Eric Reed, Benny Green, Cyril Chestnut, Kenny Barron enfin, se succèdent sur l’immense scène de Mendizorrotza. Seul face au clavier, en duo et en face à face, les deux pianos s’accouplant par leur ventre. Ils se succèdent, s’épaulent au point de garder le rythme sur un accord de main droite estampillé Monk le temps pour le suivant de prendre à son tour possession de l’ensemble du clavier. Monk’s dream, Ruby My dear, Blue Mon, Ask me now etc. Le public partage le plaisir d’entendre, de chanter intérieurement qui sait les mélodies, silences et formules en rupture caractéristique de la musique du pianiste « boper » demeuré inclassable. Car ce carré d’as ne donne pas dans le récital au sens marqué du récit. Non chacun, à sa manière fait vivre le thème choisi dans une mise à jour personnalisée, immédiate, originale dans le ressenti. Témoin par l’exemple -s’il fallait en désigner un: Cyril Chestnut prend Monk’s mood dans un plan ragtime que n’aurait pas désavoué James P Johnson ou Fats Waller, pont pianistique du jazz d’hier à celui de toujours jeté par le sens architectural de Monk, talent tellement insensé. Moment mémorisé, inattendu donc jouissif cqfd.
Célébration encore. Cette fois pourtant un Monk se tient là, en chair et en os sur les planches du Palais des Sports. TS Monk, je prend le fils, batteur de son métier est, s’il faut l’en croire, le troisième de la dynastie de musicien de jazz répondant à ce patronyme: « Il y eut d’abord mon grand père, lequel baptisa Thélonious, son fils, Monk Junior. Je suis donc Monk 3… » Thelonious S Monk, batteur, légataire universel de la Fondation du même nom -ce qui, eu égard aux royalties des compositions de son père lui permet de vivre confortablement sans besoin de baronne en soutien- ne peut revendiquer lui aucun génie sur son instrument. Son sextet bâti pour la tournée européenne d’été produit un jazz carré, un hard bop plutôt bien frappé. du sceau des thèmes de son père inoubliables car devenus standards de jazz (Evidence, Rythm a Ning, Nature Boy) De ses compositions également. Dont Sierra, fruit d’une mélodie séduisante écrite pour sa fille, renforcée par des arrangements (trois pupitres de cuivre utilisés avec goût) Deux membres de l’orchestre en ressortent distingués : Patience (!) Higgins, alto sax emblématique de Harlem aux phrases tranchantes. Nnenna Freelon, dont on retrouve la voix forte, étoffée, avec un sens de la nuance apte à faire vivre les histoires chantées (Nature boy ou surtout Skylark -magnifique texte et musique signé Hoagy Charmichael dans les années 30- pris délicatement en duo avec la basse) Le final sur Round Midnight -« Le thème le plus joué dans l’histoire du jazz » selon TS Monk 3- exposé en collectif à l’heure pile, valait pour titre bonus.
Robert Latxague
Jazz a Vitoria
14/07 Théâtre: Linda May Quartet
Mendizorrotza: JL Ponty/B Lagrene/K Eastwood; Patti Austin « For Ella »
15/07 Théâtre: Theo Croker
Mendizorrotza: Woman to Woman/ Renee Rosnes; Ruben Blades
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Du jamais vu ! Eric Reed vient d’entamer Round Midnight. Derrière le piano les trois autres pianistes, Kenny Barron, Cyril Chestnut, silhouettes rondes, bien enveloppées et Benny Green, sec, élancé dans son costume, sans concertation se lancent soudain dans des pas de danse, pris dans le rythme. Sacré Monk, va!
Harold Lopez-Nussa (p), Yaser Pino (b), Ruy Lopez-Nussa (dm)
Larry Carlton (g), Claus Fisher (b), Wolfgang Dahlheimer (keyb), Hardy Fishchtöter (dm)
Stanley Clarke (elb, b), Beka Goschiaschvili (p, keyb), Cameron Graves (keyb), Mike Mitchell (dm),
Jazz a Vitoria, Mendizorrotza (España/Euskadi), 12, 13 juillet
Harold Lopez-Nussa, dans ce concert comme de coutume, entre dans la danse sans tarder, sans s’appesantir de tour de chauffe ni d’introduction à rallonge. Le jazz du trio procède de l’esprit afro-cubain, fabriqué dans l’instant pour projeter la mesure vers l’avant. Tout de suite la musique résonne d’un effet rythmique prononcé. Mieux: entre les musiciens, les deux frères en particulier il y a du jeu, de l’interaction (Feria). Poussée au besoin jusqu’à une complicité totale, lorsque les deux frangins se rejoignent devant le clavier le temps d’une session à quatre mains sur le piano à l’occasion de la restitution d’une étude (Los Muñecos) sensée rappeler leur apprentissage commun sur l’instrument. Dans le cocon du Théâtre, lieu choisi pour des concerts « découvertes » à destination du public de Vitoria, Harold Lopez-Nussa enchaine les séquences: une balade marquée d’une sensibilité certaine (Enero), une session de polyrythmie typique toute en savante découpe de mesures, un moment de piano solo dédiée à sa mère (Mamá) livrant une mélodie douce, filtrée, très déliée. Jusqu’au final en feu d’artifice sur un thème fort festif signé Chucho Valdes, maestro désigné de tous les pianistes de l’île caraïbe (Bacalao con pan) Histoire de conclure sur un morceau très gouteux.
Acoustique, électrique, éclectique
Larry Carlton: cela commence bien, façon surprise du chef. Entré seul, guitare brandie bras tendu, allure décontracté façon jean, tee-shirt et baskets. Trois quatre minutes de guitare solo en arpèges, accords enchainés, glissandos en octave le long du manche de la 335 Gibson rouge, il paraît réciter comme un petit poème instrumental sans rime ni raison particulière. Nature, simplement. Puis vient la rythmique, du lourd à tous les sens du terme. Puissance, intensité le volume musical monte dans les tours tandis que défilent les genres, morceaux funk, saveurs soul, tranches de blues mode carpaccio, tous plats cuisinés puis servis par la guitare du chef leader. Les composantes du menu sonnent bien finies, solides de goût. Donc appréciées dans l’immense salle du Palais des Sports, où le reste de l’année règne l’équipe de basket locale (Baskonia) l’une des meilleures d’Espagne et même d’Europe. A tout moment du set, Carlton, guitariste des Crusaders de légende (tout de même) et prédateur de studios US reconnu auprès de stars pop (Michael Jackson, Steely Dan, Joni Mitchell…) sembla très à l’aise, paraît bien s’amuser, brille sur chaque mesure de blues. Sauf que le contenu s’épuise vite question intérêt, accroche musicale. On se surprend à fixer les doigts virtuoses filmés en gros plans au beau milieu des écrans géants de part et d’autres de la salle. Comme tous les guitaristes amateurs, accros ou consommateurs de site conseil web, sans doute nombreux dans la salle. La musique ainsi concoctée coule idéale pour rouler sans souci sur autoroute. En prélèvements aléatoires.
Stanley Clarke: avec lui, il est toujours question de sonorité sur l’instrument. Basse électrique, reconnaissable, immédiatement à l’égal de ce que l’on dirait de Jaco Pastorius ou Marcus Miller venus à sa suite. Il est question d’attaque, de frappes, de slap sur le pouce, de punch transmis aux cordes. Tout un arsenal technique développé depuis le Return Forever de Chick Corea. Contrebasse. On le regarde sous sa haute stature, on l’écoute jouer facile autant de notes sur sa basse à l’égal d’une guitare. Vient la séquence acoustique sur le propos du Goodbye Pok Pie Hat de Charlie Mingus, épaulé par un jeune pianiste plein d’allure (Beka Goschichvili) venue de Géorgie. Raccourci natif ? Symbole fugace ? Haut, carré, avec un look type cheveux coupé court et lunettes noires rondes , courbé sur la contrebasse, un focus sur son visage à l’écran rappelle celui de Mingus le rebelle…Le son aussi sur l’instrument acoustique, fin, net, précis sur le manche au détour d’une belle composition (Song to John) Occasion d’un chorus en solo gorgé d’allant, de naturel dans le doigté, d’équilibre. On retiendra plutôt cela que d’autres séquences plus zébrées d’effets, de frappes plus électriques. Question de feeling dans doute.
Joel Ross (v!b), Raynald Colom (tp), Marco Mezquida (p), Horacio Fumero (b), Marc Miralta (dm)
Monk by 4: Kenny Barron, Cyrus Chestnut, Benny Green, Eric Reed (p)
TS Monk sextet: TS Monk (dm), Randal Haywood (tp, flgh), Patience Higgins (as), Willie Williams (ts), Theo Hill (p), bedon Bullock (b)
Il peut s’avérer difficile d’assumer une recommandation de ce type « J’ai fait venir Joel Ross pour ce concert découverte sur le conseil personnel de Wynton » avoue Iñaki Añua sans se cacher. Le jeune vibraphoniste originaire de Chicago est un protégé de l’ainé des Marsalis. Pour sa première apparition en Europe celui que l’on dit du calibre de Stefon Harris (son prof par ailleurs, aujourd’hui à New York) a fait le boulot sans faille. sans démonstration de génie apparent non plus. Le contexte ne s’y prêtait pas « Nous avons fait connaissance et répété pour la première fois le matin même « raconte Raynald Colom qui a joué les messieurs bons offices et monté l’orchestre. La sonorisation diluant le vibra, non plus d’ailleurs. Musique bien construite colorée hard bop, bien jouée, avec une rythmique quelque peu timide au départ (Horacio Fumero notamment, bassiste argentin longtemps complice du légendaire pianiste catalan, Tete Montoliu; Marco Mezquida, jeune pianiste de Malaga, vu bien plus brillant au festival de Getxo) sur un standard (The Peacock, Ugly Beauty de Monk ) ou la seule composition du jeune impétrant américain (It is love) Raynald Colom (venu vivre à Paris où Jazz Mag avait remarqué son album sur Jazz Village il y a quelques années) lui tire son épingle du jeu, volubile juste ce qu’il faut, dotée d’une sonorité de trompette claire, droite, modulable. Il aura fallu attendre son duo conclusif avec Joel Ross pour mesurer le savoir faire technique, l’inspiration du vibraphoniste. A suivre.
Commémoration
Les commémorations avec des (à propos de) figures américaines, président y compris, à la veille d’un 14 juillet, à Vitoria on ne le devine pas forcément, pourtant cela peut s’avérer lourd (« pesado » en langue de Cervantes) à porter sur une scène de festival comme sur les Champs Elysées. Fut-ce à propos d’un génie original en diable comme Monk histoire de célébrer le centième anniversaire de sa naissance (octobre en réalité, mais les tourneurs et agents d’artistes ont avancé la date pour cause de rebonds nécessaires et fructueux dans les tournées festivalières sur le vieux continent) Sauf que lorsque quatre pianistes de calibre en font leur affaire de musiciens éclairés, inspirés, ça marche. Ça devient un plaisir. Eric Reed, Benny Green, Cyril Chestnut, Kenny Barron enfin, se succèdent sur l’immense scène de Mendizorrotza. Seul face au clavier, en duo et en face à face, les deux pianos s’accouplant par leur ventre. Ils se succèdent, s’épaulent au point de garder le rythme sur un accord de main droite estampillé Monk le temps pour le suivant de prendre à son tour possession de l’ensemble du clavier. Monk’s dream, Ruby My dear, Blue Mon, Ask me now etc. Le public partage le plaisir d’entendre, de chanter intérieurement qui sait les mélodies, silences et formules en rupture caractéristique de la musique du pianiste « boper » demeuré inclassable. Car ce carré d’as ne donne pas dans le récital au sens marqué du récit. Non chacun, à sa manière fait vivre le thème choisi dans une mise à jour personnalisée, immédiate, originale dans le ressenti. Témoin par l’exemple -s’il fallait en désigner un: Cyril Chestnut prend Monk’s mood dans un plan ragtime que n’aurait pas désavoué James P Johnson ou Fats Waller, pont pianistique du jazz d’hier à celui de toujours jeté par le sens architectural de Monk, talent tellement insensé. Moment mémorisé, inattendu donc jouissif cqfd.
Célébration encore. Cette fois pourtant un Monk se tient là, en chair et en os sur les planches du Palais des Sports. TS Monk, je prend le fils, batteur de son métier est, s’il faut l’en croire, le troisième de la dynastie de musicien de jazz répondant à ce patronyme: « Il y eut d’abord mon grand père, lequel baptisa Thélonious, son fils, Monk Junior. Je suis donc Monk 3… » Thelonious S Monk, batteur, légataire universel de la Fondation du même nom -ce qui, eu égard aux royalties des compositions de son père lui permet de vivre confortablement sans besoin de baronne en soutien- ne peut revendiquer lui aucun génie sur son instrument. Son sextet bâti pour la tournée européenne d’été produit un jazz carré, un hard bop plutôt bien frappé. du sceau des thèmes de son père inoubliables car devenus standards de jazz (Evidence, Rythm a Ning, Nature Boy) De ses compositions également. Dont Sierra, fruit d’une mélodie séduisante écrite pour sa fille, renforcée par des arrangements (trois pupitres de cuivre utilisés avec goût) Deux membres de l’orchestre en ressortent distingués : Patience (!) Higgins, alto sax emblématique de Harlem aux phrases tranchantes. Nnenna Freelon, dont on retrouve la voix forte, étoffée, avec un sens de la nuance apte à faire vivre les histoires chantées (Nature boy ou surtout Skylark -magnifique texte et musique signé Hoagy Charmichael dans les années 30- pris délicatement en duo avec la basse) Le final sur Round Midnight -« Le thème le plus joué dans l’histoire du jazz » selon TS Monk 3- exposé en collectif à l’heure pile, valait pour titre bonus.
Robert Latxague
Jazz a Vitoria
14/07 Théâtre: Linda May Quartet
Mendizorrotza: JL Ponty/B Lagrene/K Eastwood; Patti Austin « For Ella »
15/07 Théâtre: Theo Croker
Mendizorrotza: Woman to Woman/ Renee Rosnes; Ruben Blades