Week-end Zorn by Zorn 3: Une nuit au musée
Suite à un concert de musique de chambre de haute volée l’après-midi à la Cité de la Musique, place le samedi soir à ce qui s’annonçait comme l’un des événements du week-end : après le Met et le Guggenheim à New York, John Zorn prenait possession du Musée du Louvre. Suivez le guide !
Entrée en matière-coup de poing sous la grande Pyramide (un lieu à l’acoustique bien difficile), avec un bref duo entre John Zorn (alto hurleur) et Dave Lombardo (ex-Slayer, marteleur de fûts tendance trash metal). Une furie mêlant la liberté de la musique improvisée à l’agressivité du rock extrême, tout à fait dans l’esprit du groupe Bladerunner que les deux hommes avaient fondé autour de l’an 2000 avec Fred Frith à la guitare et Bill Laswell à la basse. On s’en était à peine remis que le temps était déjà venu pour les spectateurs de se rassembler en groupes distincts pour partir à la découverte du musée. Trois parcours différents étaient proposés, avec deux horaires possibles (20 heures et 21 heures 30), chaque itinéraire comportant deux prestations musicales intimistes et entièrement acoustiques. Un choix cruel s’imposait au fan, puisqu’il n’était possible de voir que deux propositions sur les trois… Nous optâmes pour les parcours 2 et 1 (dans cet ordre).
Parcours 2 : Aile Denon
Après avoir traversé une partie des collections au pas de charge, première étape dans la salle Murillo pour le duo de guitares acoustiques de Julian Lage (cordes d’acier) et Giyan Riley (cordes nylon), deux nouveaux venus dans la sphère zornienne. Une belle complicité et un engagement de tous les instants unit ces deux virtuoses modestes, même si le son de leurs instruments se perdait un peu dans l’immensité de la pièce. Inédites au disque – voire inédites tout court –, les pièces du recueil Midsummer Moons rappellent par leur pureté mélodique et leurs arpèges aériens le répertoire du Gnostic Trio (qu’on pouvait entendre par ailleurs dans le parcours 3), tout en se teintant d’une touche d’alegria ibérique qui n’entrait que très vaguement en résonance avec les toiles plus austères et hiératiques des grand maîtres de l’école espagnole. Assis au milieu du public, Zorn savoure intensément chaque note de son œuvre, exactement comme dans le film de Mathieu Amalric projeté la veille.
Après les applaudissements de rigueur, direction la salle des États pour ce qui allait rester comme l’un des grands souvenirs de cette soirée. Débarrassée des hordes de touristes qui l’entourent d’ordinaire, la Joconde nous fait face, sourire énigmatique aux lèvres comme à son habitude. Six chanteuses – connues par les zornophiles sous le sobriquet collectif de Saphites – s’alignent dos à elle, six femmes magnifiques dont on devine à la coiffure et à l’attitude les fortes personnalités, mais qui pourtant vont fonctionner tout au long de leur performance comme les six tuyaux d’un fascinant orgue humain parfaitement homogène. Sous le regard bienveillant de Mona Lisa, dont la présence silencieuse est pour beaucoup dans la magie de ces instants, le sextuor interprète ce qui demeure sans doute la pièce vocale a cappela la plus virtuose du répertoire zornien, les Madrigals. Un recueil déjà enregistré en 2014-2015, mais qui prend tout son relief en live, avec son étourdissante verve rythmique nourrie au lait de l’école minimaliste américaine. Assurément le grand moment de la soirée, pour le public comme pour Zorn qui assistait à la scène d’un air ravi.
Parcours 1 : Aile Richelieu
Nous quittons la Renaissance italienne pour un bond temporel et géographique qui nous ramène en 706 avant Jésus-Christ dans le cours Khorsabad, magnifique espace mettant en scène des vestiges monumentaux de la civilisation assyrienne. C’est devant des bas-reliefs représentant de nobles personnages barbus que le violoncelliste Erik Friedlander va interpréter des thèmes issus du fameux Masada Songbook. Je n’ergoterai pas pour savoir s’il était historiquement opportun d’interpréter cette musique d’inspiration juive au milieu de ces témoignages de civilisation païenne. John Zorn n’a jamais été un intégriste ni un puriste (ce serait même plutôt contraire !), et on se laisse volontiers emporter par cette scénographie à la fois intime et spectaculaire, d’autant que le jeu de Friedlander, alternant entre le pizzicato et l’archet, se trouve être particulièrement inspiré, entre intensité et recueillement.
Dernière étape sous la verrière du majestueux cour Puget, abritant notamment, entre autres statues au goût antique, le fameux Milon de Crotone. L’exécution des Three Preludes for piano par le formidable Steve Gosling constituait en elle-même un petit événement. En effet, malgré une importante production de musique de chambre, Zorn n’a quasiment rien écrit pour piano seul depuis son classique Carny (1991), à l’exception d’une composition de 2005,·. (fay çe que vouldras). Dédiées respectivement au poète romantique allemand Novalis, à la poétesse grecque Nossis et au chorégraphe et danseur russe Nijinsky, les trois pièces m’ont semblé donner l’image d’un Zorn lyrique et comme assagi, une impression peut-être trompeuse qu’on pourrait mettre sur le compte d’une acoustique gommant les attaques et nimbant chaque note d’un halo de mystère. Aussi m’apparaît-il plus prudent de vous renvoyer à la description que Zorn en donne lui-même dans le catalogue de sa maison d’édition, Hips Road (rubrique « Solo Instrumental »).
Et le parcours 3, alors ? Comme je vous le disais, je n’ai pu y assister. Mais je crois savoir que mes estimés collègues Jean-François Mondot et Annie-Claire Alvoët y étaient, ce qui pourrait augurer d’un prochain compte-rendu illustré dans les colonnes de ce blog. À suivre, donc !
Et pour le compte-rendu de la dernière soirée du week-end, c’est par ici!
Pascal Rozat|Suite à un concert de musique de chambre de haute volée l’après-midi à la Cité de la Musique, place le samedi soir à ce qui s’annonçait comme l’un des événements du week-end : après le Met et le Guggenheim à New York, John Zorn prenait possession du Musée du Louvre. Suivez le guide !
Entrée en matière-coup de poing sous la grande Pyramide (un lieu à l’acoustique bien difficile), avec un bref duo entre John Zorn (alto hurleur) et Dave Lombardo (ex-Slayer, marteleur de fûts tendance trash metal). Une furie mêlant la liberté de la musique improvisée à l’agressivité du rock extrême, tout à fait dans l’esprit du groupe Bladerunner que les deux hommes avaient fondé autour de l’an 2000 avec Fred Frith à la guitare et Bill Laswell à la basse. On s’en était à peine remis que le temps était déjà venu pour les spectateurs de se rassembler en groupes distincts pour partir à la découverte du musée. Trois parcours différents étaient proposés, avec deux horaires possibles (20 heures et 21 heures 30), chaque itinéraire comportant deux prestations musicales intimistes et entièrement acoustiques. Un choix cruel s’imposait au fan, puisqu’il n’était possible de voir que deux propositions sur les trois… Nous optâmes pour les parcours 2 et 1 (dans cet ordre).
Parcours 2 : Aile Denon
Après avoir traversé une partie des collections au pas de charge, première étape dans la salle Murillo pour le duo de guitares acoustiques de Julian Lage (cordes d’acier) et Giyan Riley (cordes nylon), deux nouveaux venus dans la sphère zornienne. Une belle complicité et un engagement de tous les instants unit ces deux virtuoses modestes, même si le son de leurs instruments se perdait un peu dans l’immensité de la pièce. Inédites au disque – voire inédites tout court –, les pièces du recueil Midsummer Moons rappellent par leur pureté mélodique et leurs arpèges aériens le répertoire du Gnostic Trio (qu’on pouvait entendre par ailleurs dans le parcours 3), tout en se teintant d’une touche d’alegria ibérique qui n’entrait que très vaguement en résonance avec les toiles plus austères et hiératiques des grand maîtres de l’école espagnole. Assis au milieu du public, Zorn savoure intensément chaque note de son œuvre, exactement comme dans le film de Mathieu Amalric projeté la veille.
Après les applaudissements de rigueur, direction la salle des États pour ce qui allait rester comme l’un des grands souvenirs de cette soirée. Débarrassée des hordes de touristes qui l’entourent d’ordinaire, la Joconde nous fait face, sourire énigmatique aux lèvres comme à son habitude. Six chanteuses – connues par les zornophiles sous le sobriquet collectif de Saphites – s’alignent dos à elle, six femmes magnifiques dont on devine à la coiffure et à l’attitude les fortes personnalités, mais qui pourtant vont fonctionner tout au long de leur performance comme les six tuyaux d’un fascinant orgue humain parfaitement homogène. Sous le regard bienveillant de Mona Lisa, dont la présence silencieuse est pour beaucoup dans la magie de ces instants, le sextuor interprète ce qui demeure sans doute la pièce vocale a cappela la plus virtuose du répertoire zornien, les Madrigals. Un recueil déjà enregistré en 2014-2015, mais qui prend tout son relief en live, avec son étourdissante verve rythmique nourrie au lait de l’école minimaliste américaine. Assurément le grand moment de la soirée, pour le public comme pour Zorn qui assistait à la scène d’un air ravi.
Parcours 1 : Aile Richelieu
Nous quittons la Renaissance italienne pour un bond temporel et géographique qui nous ramène en 706 avant Jésus-Christ dans le cours Khorsabad, magnifique espace mettant en scène des vestiges monumentaux de la civilisation assyrienne. C’est devant des bas-reliefs représentant de nobles personnages barbus que le violoncelliste Erik Friedlander va interpréter des thèmes issus du fameux Masada Songbook. Je n’ergoterai pas pour savoir s’il était historiquement opportun d’interpréter cette musique d’inspiration juive au milieu de ces témoignages de civilisation païenne. John Zorn n’a jamais été un intégriste ni un puriste (ce serait même plutôt contraire !), et on se laisse volontiers emporter par cette scénographie à la fois intime et spectaculaire, d’autant que le jeu de Friedlander, alternant entre le pizzicato et l’archet, se trouve être particulièrement inspiré, entre intensité et recueillement.
Dernière étape sous la verrière du majestueux cour Puget, abritant notamment, entre autres statues au goût antique, le fameux Milon de Crotone. L’exécution des Three Preludes for piano par le formidable Steve Gosling constituait en elle-même un petit événement. En effet, malgré une importante production de musique de chambre, Zorn n’a quasiment rien écrit pour piano seul depuis son classique Carny (1991), à l’exception d’une composition de 2005,·. (fay çe que vouldras). Dédiées respectivement au poète romantique allemand Novalis, à la poétesse grecque Nossis et au chorégraphe et danseur russe Nijinsky, les trois pièces m’ont semblé donner l’image d’un Zorn lyrique et comme assagi, une impression peut-être trompeuse qu’on pourrait mettre sur le compte d’une acoustique gommant les attaques et nimbant chaque note d’un halo de mystère. Aussi m’apparaît-il plus prudent de vous renvoyer à la description que Zorn en donne lui-même dans le catalogue de sa maison d’édition, Hips Road (rubrique « Solo Instrumental »).
Et le parcours 3, alors ? Comme je vous le disais, je n’ai pu y assister. Mais je crois savoir que mes estimés collègues Jean-François Mondot et Annie-Claire Alvoët y étaient, ce qui pourrait augurer d’un prochain compte-rendu illustré dans les colonnes de ce blog. À suivre, donc !
Et pour le compte-rendu de la dernière soirée du week-end, c’est par ici!
Pascal Rozat|Suite à un concert de musique de chambre de haute volée l’après-midi à la Cité de la Musique, place le samedi soir à ce qui s’annonçait comme l’un des événements du week-end : après le Met et le Guggenheim à New York, John Zorn prenait possession du Musée du Louvre. Suivez le guide !
Entrée en matière-coup de poing sous la grande Pyramide (un lieu à l’acoustique bien difficile), avec un bref duo entre John Zorn (alto hurleur) et Dave Lombardo (ex-Slayer, marteleur de fûts tendance trash metal). Une furie mêlant la liberté de la musique improvisée à l’agressivité du rock extrême, tout à fait dans l’esprit du groupe Bladerunner que les deux hommes avaient fondé autour de l’an 2000 avec Fred Frith à la guitare et Bill Laswell à la basse. On s’en était à peine remis que le temps était déjà venu pour les spectateurs de se rassembler en groupes distincts pour partir à la découverte du musée. Trois parcours différents étaient proposés, avec deux horaires possibles (20 heures et 21 heures 30), chaque itinéraire comportant deux prestations musicales intimistes et entièrement acoustiques. Un choix cruel s’imposait au fan, puisqu’il n’était possible de voir que deux propositions sur les trois… Nous optâmes pour les parcours 2 et 1 (dans cet ordre).
Parcours 2 : Aile Denon
Après avoir traversé une partie des collections au pas de charge, première étape dans la salle Murillo pour le duo de guitares acoustiques de Julian Lage (cordes d’acier) et Giyan Riley (cordes nylon), deux nouveaux venus dans la sphère zornienne. Une belle complicité et un engagement de tous les instants unit ces deux virtuoses modestes, même si le son de leurs instruments se perdait un peu dans l’immensité de la pièce. Inédites au disque – voire inédites tout court –, les pièces du recueil Midsummer Moons rappellent par leur pureté mélodique et leurs arpèges aériens le répertoire du Gnostic Trio (qu’on pouvait entendre par ailleurs dans le parcours 3), tout en se teintant d’une touche d’alegria ibérique qui n’entrait que très vaguement en résonance avec les toiles plus austères et hiératiques des grand maîtres de l’école espagnole. Assis au milieu du public, Zorn savoure intensément chaque note de son œuvre, exactement comme dans le film de Mathieu Amalric projeté la veille.
Après les applaudissements de rigueur, direction la salle des États pour ce qui allait rester comme l’un des grands souvenirs de cette soirée. Débarrassée des hordes de touristes qui l’entourent d’ordinaire, la Joconde nous fait face, sourire énigmatique aux lèvres comme à son habitude. Six chanteuses – connues par les zornophiles sous le sobriquet collectif de Saphites – s’alignent dos à elle, six femmes magnifiques dont on devine à la coiffure et à l’attitude les fortes personnalités, mais qui pourtant vont fonctionner tout au long de leur performance comme les six tuyaux d’un fascinant orgue humain parfaitement homogène. Sous le regard bienveillant de Mona Lisa, dont la présence silencieuse est pour beaucoup dans la magie de ces instants, le sextuor interprète ce qui demeure sans doute la pièce vocale a cappela la plus virtuose du répertoire zornien, les Madrigals. Un recueil déjà enregistré en 2014-2015, mais qui prend tout son relief en live, avec son étourdissante verve rythmique nourrie au lait de l’école minimaliste américaine. Assurément le grand moment de la soirée, pour le public comme pour Zorn qui assistait à la scène d’un air ravi.
Parcours 1 : Aile Richelieu
Nous quittons la Renaissance italienne pour un bond temporel et géographique qui nous ramène en 706 avant Jésus-Christ dans le cours Khorsabad, magnifique espace mettant en scène des vestiges monumentaux de la civilisation assyrienne. C’est devant des bas-reliefs représentant de nobles personnages barbus que le violoncelliste Erik Friedlander va interpréter des thèmes issus du fameux Masada Songbook. Je n’ergoterai pas pour savoir s’il était historiquement opportun d’interpréter cette musique d’inspiration juive au milieu de ces témoignages de civilisation païenne. John Zorn n’a jamais été un intégriste ni un puriste (ce serait même plutôt contraire !), et on se laisse volontiers emporter par cette scénographie à la fois intime et spectaculaire, d’autant que le jeu de Friedlander, alternant entre le pizzicato et l’archet, se trouve être particulièrement inspiré, entre intensité et recueillement.
Dernière étape sous la verrière du majestueux cour Puget, abritant notamment, entre autres statues au goût antique, le fameux Milon de Crotone. L’exécution des Three Preludes for piano par le formidable Steve Gosling constituait en elle-même un petit événement. En effet, malgré une importante production de musique de chambre, Zorn n’a quasiment rien écrit pour piano seul depuis son classique Carny (1991), à l’exception d’une composition de 2005,·. (fay çe que vouldras). Dédiées respectivement au poète romantique allemand Novalis, à la poétesse grecque Nossis et au chorégraphe et danseur russe Nijinsky, les trois pièces m’ont semblé donner l’image d’un Zorn lyrique et comme assagi, une impression peut-être trompeuse qu’on pourrait mettre sur le compte d’une acoustique gommant les attaques et nimbant chaque note d’un halo de mystère. Aussi m’apparaît-il plus prudent de vous renvoyer à la description que Zorn en donne lui-même dans le catalogue de sa maison d’édition, Hips Road (rubrique « Solo Instrumental »).
Et le parcours 3, alors ? Comme je vous le disais, je n’ai pu y assister. Mais je crois savoir que mes estimés collègues Jean-François Mondot et Annie-Claire Alvoët y étaient, ce qui pourrait augurer d’un prochain compte-rendu illustré dans les colonnes de ce blog. À suivre, donc !
Et pour le compte-rendu de la dernière soirée du week-end, c’est par ici!
Pascal Rozat|Suite à un concert de musique de chambre de haute volée l’après-midi à la Cité de la Musique, place le samedi soir à ce qui s’annonçait comme l’un des événements du week-end : après le Met et le Guggenheim à New York, John Zorn prenait possession du Musée du Louvre. Suivez le guide !
Entrée en matière-coup de poing sous la grande Pyramide (un lieu à l’acoustique bien difficile), avec un bref duo entre John Zorn (alto hurleur) et Dave Lombardo (ex-Slayer, marteleur de fûts tendance trash metal). Une furie mêlant la liberté de la musique improvisée à l’agressivité du rock extrême, tout à fait dans l’esprit du groupe Bladerunner que les deux hommes avaient fondé autour de l’an 2000 avec Fred Frith à la guitare et Bill Laswell à la basse. On s’en était à peine remis que le temps était déjà venu pour les spectateurs de se rassembler en groupes distincts pour partir à la découverte du musée. Trois parcours différents étaient proposés, avec deux horaires possibles (20 heures et 21 heures 30), chaque itinéraire comportant deux prestations musicales intimistes et entièrement acoustiques. Un choix cruel s’imposait au fan, puisqu’il n’était possible de voir que deux propositions sur les trois… Nous optâmes pour les parcours 2 et 1 (dans cet ordre).
Parcours 2 : Aile Denon
Après avoir traversé une partie des collections au pas de charge, première étape dans la salle Murillo pour le duo de guitares acoustiques de Julian Lage (cordes d’acier) et Giyan Riley (cordes nylon), deux nouveaux venus dans la sphère zornienne. Une belle complicité et un engagement de tous les instants unit ces deux virtuoses modestes, même si le son de leurs instruments se perdait un peu dans l’immensité de la pièce. Inédites au disque – voire inédites tout court –, les pièces du recueil Midsummer Moons rappellent par leur pureté mélodique et leurs arpèges aériens le répertoire du Gnostic Trio (qu’on pouvait entendre par ailleurs dans le parcours 3), tout en se teintant d’une touche d’alegria ibérique qui n’entrait que très vaguement en résonance avec les toiles plus austères et hiératiques des grand maîtres de l’école espagnole. Assis au milieu du public, Zorn savoure intensément chaque note de son œuvre, exactement comme dans le film de Mathieu Amalric projeté la veille.
Après les applaudissements de rigueur, direction la salle des États pour ce qui allait rester comme l’un des grands souvenirs de cette soirée. Débarrassée des hordes de touristes qui l’entourent d’ordinaire, la Joconde nous fait face, sourire énigmatique aux lèvres comme à son habitude. Six chanteuses – connues par les zornophiles sous le sobriquet collectif de Saphites – s’alignent dos à elle, six femmes magnifiques dont on devine à la coiffure et à l’attitude les fortes personnalités, mais qui pourtant vont fonctionner tout au long de leur performance comme les six tuyaux d’un fascinant orgue humain parfaitement homogène. Sous le regard bienveillant de Mona Lisa, dont la présence silencieuse est pour beaucoup dans la magie de ces instants, le sextuor interprète ce qui demeure sans doute la pièce vocale a cappela la plus virtuose du répertoire zornien, les Madrigals. Un recueil déjà enregistré en 2014-2015, mais qui prend tout son relief en live, avec son étourdissante verve rythmique nourrie au lait de l’école minimaliste américaine. Assurément le grand moment de la soirée, pour le public comme pour Zorn qui assistait à la scène d’un air ravi.
Parcours 1 : Aile Richelieu
Nous quittons la Renaissance italienne pour un bond temporel et géographique qui nous ramène en 706 avant Jésus-Christ dans le cours Khorsabad, magnifique espace mettant en scène des vestiges monumentaux de la civilisation assyrienne. C’est devant des bas-reliefs représentant de nobles personnages barbus que le violoncelliste Erik Friedlander va interpréter des thèmes issus du fameux Masada Songbook. Je n’ergoterai pas pour savoir s’il était historiquement opportun d’interpréter cette musique d’inspiration juive au milieu de ces témoignages de civilisation païenne. John Zorn n’a jamais été un intégriste ni un puriste (ce serait même plutôt contraire !), et on se laisse volontiers emporter par cette scénographie à la fois intime et spectaculaire, d’autant que le jeu de Friedlander, alternant entre le pizzicato et l’archet, se trouve être particulièrement inspiré, entre intensité et recueillement.
Dernière étape sous la verrière du majestueux cour Puget, abritant notamment, entre autres statues au goût antique, le fameux Milon de Crotone. L’exécution des Three Preludes for piano par le formidable Steve Gosling constituait en elle-même un petit événement. En effet, malgré une importante production de musique de chambre, Zorn n’a quasiment rien écrit pour piano seul depuis son classique Carny (1991), à l’exception d’une composition de 2005,·. (fay çe que vouldras). Dédiées respectivement au poète romantique allemand Novalis, à la poétesse grecque Nossis et au chorégraphe et danseur russe Nijinsky, les trois pièces m’ont semblé donner l’image d’un Zorn lyrique et comme assagi, une impression peut-être trompeuse qu’on pourrait mettre sur le compte d’une acoustique gommant les attaques et nimbant chaque note d’un halo de mystère. Aussi m’apparaît-il plus prudent de vous renvoyer à la description que Zorn en donne lui-même dans le catalogue de sa maison d’édition, Hips Road (rubrique « Solo Instrumental »).
Et le parcours 3, alors ? Comme je vous le disais, je n’ai pu y assister. Mais je crois savoir que mes estimés collègues Jean-François Mondot et Annie-Claire Alvoët y étaient, ce qui pourrait augurer d’un prochain compte-rendu illustré dans les colonnes de ce blog. À suivre, donc !
Et pour le compte-rendu de la dernière soirée du week-end, c’est par ici!
Pascal Rozat