Jazz live
Publié le 26 Juil 2016

Le Workshop de Lyon… Bientôt le mi-centenaire!

Superbe concert au Festival de Donostia/San Sebastian d’un groupe né il y a bientôt 50 ans…

 

Jean-Paul Autin (anches, bcl), Jean Aussanaire (anches), Jean Bolcato (contrebasse), Christian Rollet (dr, perc). Museo San Telmo, Donostia/San Sebastian, 24 juillet, 12 h 30.

Au début des années 60 le petit monde du jazz est secoué par une nouvelle bataille d’Hernani. Après les querelles de l’après-guerre entre « figues moisies et raisins verts » (Boris Vian désignant ainsi les partisans du jazz classique vs les modernistes) le jazz « moderne » (le be-bop et ses principales déclinaisons : hard bop, cool, …) est alors bien installé dans le paysage jazzistique. Avec l’émergence du free jazz les polémiques reprennent. Véhémentes. La sortie du disque « Free Jazz » d’Ornette Coleman en 1960 déclenche moult débats dans la presse spécialisée. Sous l’impulsion de Philippe Carles (futur co-auteur avec J.L. Comolli du mythique « Free jazz Black Power » chez Champ Libre, paru en 1971) Jazz Magazine publie de nombreux reportages et analyses sur l’émergence et le développement de la New Thing à New-York. Ce mouvement musical et politique va, de 1960 à 1970, bouleverser la jazzosphère.
En France une poignée de jeunes musiciens rejoignent la « Nouvelle Chose ». Francois Tusques enregistre (en 1965 pour le label Mouloudji) l’album (collector…) Free Jazz avec Michel Portal, Fançois Jeanneau et Beb Guerin. En 1967 il persiste et signe avec « Le Nouveau Jazz » (avec Barney Wilen), le texte de pochette, très politique, est signé Philippe Carles.
Et pendant ce temps là… à Lyon de tous jeunes musiciens créent le Free Jazz Workshop de Lyon.
Cheville ouvrière du projet : Jean Mereu, trompettiste et militant qui se confie à Pablo Cueco dans les Allumés du Jazz (n° 28, 2011): « Je souhaitais m’inspirer du modèle musical du free jazz américain et de son modèle d’organisation. Je faisais partie des gens qui suivaient cela de très près. Il y avait parallèlement la dimension musicale et la dimension politique et sociologique des choses, c’était inséparable ; c’était aussi l’enseignement qu’on pouvait percevoir du free jazz, son lien avec la société, son lien avec les luttes. Pour les Etats-Unis, c’était les luttes antiraciales, c’était les luttes pour l’émancipation… L’idée, c’était aussi de transposer ces luttes sur le terrain politique français. ».
Dans ces années là, à Grenoble, nous étions une poignée de lecteurs de Jazz Magazine passionnés par la New-Thing. Quand en 1967 le Jazz Club Grenoblois annonça la programmation du Free Jazz Workshop de Lyon les quelques « fous du free » de la capitale du Dauphiné tombèrent de l’armoire… Cette première mouture du Workshop (tp, anches, b, dr et piano) les enthousiasma. Mais ce ne ne fut pas le cas pour la plupart des adhérents du Jazz Club! Les débats furent vifs à Grenoble. Comme ailleurs…
Faisant fi des jazzfans qui n’adhéraient pas à leur démarche le groupe monta régulièrement en puissance dans les années qui suivirent. Le piano disparut et très vite c’est en quartet que le Workshop creusa avec talent, inventivité et ténacité son sillon: des centaines de concerts, des tournées partout dans le monde, des rencontres musicales, de très nombreuses compositions, des projets durables ou épisodiques et une douzaine de disques…
Plus tard, suite aux départs de Jean Mereu et de Louis Sclavis (membre du groupe dans les 70’) et au décès en 2003 d’un des piliers du Workshop (Maurice Merle, compositeur prolixe et soliste étonnant) la composition du quartet s’est stabilisée autour de la rythmique. Jean Bolcato (cb) et Christian Rollet (dr), piliers inamovibles, sont là depuis le début de l’aventure.
Avec humour Bolcato annonce de grandes surprises pour 2017 : « L’année du mi-centenaire! ». A 75 ans il pète le feu et a le regard toujours aussi vif…
Le festival de Donostia/San Sebastian avait programmé le Workshop à 12 h 30. Un horaire où en France il n’y aurait eu vraiment personne… Mais ici on commence à manger des tapas vers 14 h et on déjeune à partir de 15 heures… Et le concert dans un patio du magnifique Musée San Telmo fut Sold out (comme on dit en basque!).
Le programme était celui de leur superbe dernier cd de 2014 (Arfi AM 59) : « Lettres à des amis lointains ». Une dizaine de thèmes évoquant amitiés et souvenirs musicaux ou extra-musicaux. Quelques moments forts : le thème dédié à Maurice Merle (à 2 sopranos lyriques), l’hommage à la grande Colette Magny (bien oubliée aujourd’hui et qui avait enregistré avec le Workshop en 1975), l’évocation d’une grande rencontre avec des musiciens sud-africains. Mirian meets Ornette, « carte postale » en deux parties, leur permet d’exposer longuement leurs passions pour l’Afrique et pour le « père » du free jazz. Sur quelques thèmes ils « jouent » aussi avec des musiques folkloriques alpines ou auvergnates. Références explicites et pleines d’humour au Collectif que les membres du Quartet ont contribué à créer en 1977 : l’Arfi (Association à la recherche d’un Folklore Imaginaire).
Les solos des anches, en amples vibratos, sont lyriques. Ayler est parfois là en ange tutélaire.
Le public apprécie vraiment: applaudissements chaleureux à la fin de chaque morceau et 2 rappels au final.
Le quartet est serein et tourne comme une horloge suisse. Une comparaison possible : le Masada de John Zorn avec  Joey Baron (dr) et Greg Cohen (b).
Thèmes lumineux, dansants, chantants suivis d’improvisations libertaires.  Bolcato et Rollet assurent une continuité sans faille et les solistes portés par ce soutien précis et puissant peuvent se permettre toutes les audaces.
Tout cela fort loin d’un fourre-tout nostalgique. Reflets de « plaisirs thésaurisé, de rencontres et de moments que l’on voudrait sans fin, échappant à l’érosion de la banalité, à la rentabilité annoncée ou à l’opportunisme culturel. » (Christian Rollet).
Le Workshop de Lyon parle une langue plurielle, vivante, savante et populaire, traditionnelle et actuelle, libre et mystérieuse.
Depuis 1967 le Workshop de Lyon chante, invente, revisite, triture, tonitrue, démonte, reconstruit, désosse, innove, explore et improvise sa musique: étonnante longévité dans les idées, la drôlerie, l’amour de la musique et l’amitié fidèle.
Pratiquement un demi-siècle après le concert de Grenoble j’ai rejoint mes pénates paloises de vieil amoureux de la « révolution » free complètement ébaubi…
Pierre-Henri Ardonceau|Superbe concert au Festival de Donostia/San Sebastian d’un groupe né il y a bientôt 50 ans…

 

Jean-Paul Autin (anches, bcl), Jean Aussanaire (anches), Jean Bolcato (contrebasse), Christian Rollet (dr, perc). Museo San Telmo, Donostia/San Sebastian, 24 juillet, 12 h 30.

Au début des années 60 le petit monde du jazz est secoué par une nouvelle bataille d’Hernani. Après les querelles de l’après-guerre entre « figues moisies et raisins verts » (Boris Vian désignant ainsi les partisans du jazz classique vs les modernistes) le jazz « moderne » (le be-bop et ses principales déclinaisons : hard bop, cool, …) est alors bien installé dans le paysage jazzistique. Avec l’émergence du free jazz les polémiques reprennent. Véhémentes. La sortie du disque « Free Jazz » d’Ornette Coleman en 1960 déclenche moult débats dans la presse spécialisée. Sous l’impulsion de Philippe Carles (futur co-auteur avec J.L. Comolli du mythique « Free jazz Black Power » chez Champ Libre, paru en 1971) Jazz Magazine publie de nombreux reportages et analyses sur l’émergence et le développement de la New Thing à New-York. Ce mouvement musical et politique va, de 1960 à 1970, bouleverser la jazzosphère.
En France une poignée de jeunes musiciens rejoignent la « Nouvelle Chose ». Francois Tusques enregistre (en 1965 pour le label Mouloudji) l’album (collector…) Free Jazz avec Michel Portal, Fançois Jeanneau et Beb Guerin. En 1967 il persiste et signe avec « Le Nouveau Jazz » (avec Barney Wilen), le texte de pochette, très politique, est signé Philippe Carles.
Et pendant ce temps là… à Lyon de tous jeunes musiciens créent le Free Jazz Workshop de Lyon.
Cheville ouvrière du projet : Jean Mereu, trompettiste et militant qui se confie à Pablo Cueco dans les Allumés du Jazz (n° 28, 2011): « Je souhaitais m’inspirer du modèle musical du free jazz américain et de son modèle d’organisation. Je faisais partie des gens qui suivaient cela de très près. Il y avait parallèlement la dimension musicale et la dimension politique et sociologique des choses, c’était inséparable ; c’était aussi l’enseignement qu’on pouvait percevoir du free jazz, son lien avec la société, son lien avec les luttes. Pour les Etats-Unis, c’était les luttes antiraciales, c’était les luttes pour l’émancipation… L’idée, c’était aussi de transposer ces luttes sur le terrain politique français. ».
Dans ces années là, à Grenoble, nous étions une poignée de lecteurs de Jazz Magazine passionnés par la New-Thing. Quand en 1967 le Jazz Club Grenoblois annonça la programmation du Free Jazz Workshop de Lyon les quelques « fous du free » de la capitale du Dauphiné tombèrent de l’armoire… Cette première mouture du Workshop (tp, anches, b, dr et piano) les enthousiasma. Mais ce ne ne fut pas le cas pour la plupart des adhérents du Jazz Club! Les débats furent vifs à Grenoble. Comme ailleurs…
Faisant fi des jazzfans qui n’adhéraient pas à leur démarche le groupe monta régulièrement en puissance dans les années qui suivirent. Le piano disparut et très vite c’est en quartet que le Workshop creusa avec talent, inventivité et ténacité son sillon: des centaines de concerts, des tournées partout dans le monde, des rencontres musicales, de très nombreuses compositions, des projets durables ou épisodiques et une douzaine de disques…
Plus tard, suite aux départs de Jean Mereu et de Louis Sclavis (membre du groupe dans les 70’) et au décès en 2003 d’un des piliers du Workshop (Maurice Merle, compositeur prolixe et soliste étonnant) la composition du quartet s’est stabilisée autour de la rythmique. Jean Bolcato (cb) et Christian Rollet (dr), piliers inamovibles, sont là depuis le début de l’aventure.
Avec humour Bolcato annonce de grandes surprises pour 2017 : « L’année du mi-centenaire! ». A 75 ans il pète le feu et a le regard toujours aussi vif…
Le festival de Donostia/San Sebastian avait programmé le Workshop à 12 h 30. Un horaire où en France il n’y aurait eu vraiment personne… Mais ici on commence à manger des tapas vers 14 h et on déjeune à partir de 15 heures… Et le concert dans un patio du magnifique Musée San Telmo fut Sold out (comme on dit en basque!).
Le programme était celui de leur superbe dernier cd de 2014 (Arfi AM 59) : « Lettres à des amis lointains ». Une dizaine de thèmes évoquant amitiés et souvenirs musicaux ou extra-musicaux. Quelques moments forts : le thème dédié à Maurice Merle (à 2 sopranos lyriques), l’hommage à la grande Colette Magny (bien oubliée aujourd’hui et qui avait enregistré avec le Workshop en 1975), l’évocation d’une grande rencontre avec des musiciens sud-africains. Mirian meets Ornette, « carte postale » en deux parties, leur permet d’exposer longuement leurs passions pour l’Afrique et pour le « père » du free jazz. Sur quelques thèmes ils « jouent » aussi avec des musiques folkloriques alpines ou auvergnates. Références explicites et pleines d’humour au Collectif que les membres du Quartet ont contribué à créer en 1977 : l’Arfi (Association à la recherche d’un Folklore Imaginaire).
Les solos des anches, en amples vibratos, sont lyriques. Ayler est parfois là en ange tutélaire.
Le public apprécie vraiment: applaudissements chaleureux à la fin de chaque morceau et 2 rappels au final.
Le quartet est serein et tourne comme une horloge suisse. Une comparaison possible : le Masada de John Zorn avec  Joey Baron (dr) et Greg Cohen (b).
Thèmes lumineux, dansants, chantants suivis d’improvisations libertaires.  Bolcato et Rollet assurent une continuité sans faille et les solistes portés par ce soutien précis et puissant peuvent se permettre toutes les audaces.
Tout cela fort loin d’un fourre-tout nostalgique. Reflets de « plaisirs thésaurisé, de rencontres et de moments que l’on voudrait sans fin, échappant à l’érosion de la banalité, à la rentabilité annoncée ou à l’opportunisme culturel. » (Christian Rollet).
Le Workshop de Lyon parle une langue plurielle, vivante, savante et populaire, traditionnelle et actuelle, libre et mystérieuse.
Depuis 1967 le Workshop de Lyon chante, invente, revisite, triture, tonitrue, démonte, reconstruit, désosse, innove, explore et improvise sa musique: étonnante longévité dans les idées, la drôlerie, l’amour de la musique et l’amitié fidèle.
Pratiquement un demi-siècle après le concert de Grenoble j’ai rejoint mes pénates paloises de vieil amoureux de la « révolution » free complètement ébaubi…
Pierre-Henri Ardonceau|Superbe concert au Festival de Donostia/San Sebastian d’un groupe né il y a bientôt 50 ans…

 

Jean-Paul Autin (anches, bcl), Jean Aussanaire (anches), Jean Bolcato (contrebasse), Christian Rollet (dr, perc). Museo San Telmo, Donostia/San Sebastian, 24 juillet, 12 h 30.

Au début des années 60 le petit monde du jazz est secoué par une nouvelle bataille d’Hernani. Après les querelles de l’après-guerre entre « figues moisies et raisins verts » (Boris Vian désignant ainsi les partisans du jazz classique vs les modernistes) le jazz « moderne » (le be-bop et ses principales déclinaisons : hard bop, cool, …) est alors bien installé dans le paysage jazzistique. Avec l’émergence du free jazz les polémiques reprennent. Véhémentes. La sortie du disque « Free Jazz » d’Ornette Coleman en 1960 déclenche moult débats dans la presse spécialisée. Sous l’impulsion de Philippe Carles (futur co-auteur avec J.L. Comolli du mythique « Free jazz Black Power » chez Champ Libre, paru en 1971) Jazz Magazine publie de nombreux reportages et analyses sur l’émergence et le développement de la New Thing à New-York. Ce mouvement musical et politique va, de 1960 à 1970, bouleverser la jazzosphère.
En France une poignée de jeunes musiciens rejoignent la « Nouvelle Chose ». Francois Tusques enregistre (en 1965 pour le label Mouloudji) l’album (collector…) Free Jazz avec Michel Portal, Fançois Jeanneau et Beb Guerin. En 1967 il persiste et signe avec « Le Nouveau Jazz » (avec Barney Wilen), le texte de pochette, très politique, est signé Philippe Carles.
Et pendant ce temps là… à Lyon de tous jeunes musiciens créent le Free Jazz Workshop de Lyon.
Cheville ouvrière du projet : Jean Mereu, trompettiste et militant qui se confie à Pablo Cueco dans les Allumés du Jazz (n° 28, 2011): « Je souhaitais m’inspirer du modèle musical du free jazz américain et de son modèle d’organisation. Je faisais partie des gens qui suivaient cela de très près. Il y avait parallèlement la dimension musicale et la dimension politique et sociologique des choses, c’était inséparable ; c’était aussi l’enseignement qu’on pouvait percevoir du free jazz, son lien avec la société, son lien avec les luttes. Pour les Etats-Unis, c’était les luttes antiraciales, c’était les luttes pour l’émancipation… L’idée, c’était aussi de transposer ces luttes sur le terrain politique français. ».
Dans ces années là, à Grenoble, nous étions une poignée de lecteurs de Jazz Magazine passionnés par la New-Thing. Quand en 1967 le Jazz Club Grenoblois annonça la programmation du Free Jazz Workshop de Lyon les quelques « fous du free » de la capitale du Dauphiné tombèrent de l’armoire… Cette première mouture du Workshop (tp, anches, b, dr et piano) les enthousiasma. Mais ce ne ne fut pas le cas pour la plupart des adhérents du Jazz Club! Les débats furent vifs à Grenoble. Comme ailleurs…
Faisant fi des jazzfans qui n’adhéraient pas à leur démarche le groupe monta régulièrement en puissance dans les années qui suivirent. Le piano disparut et très vite c’est en quartet que le Workshop creusa avec talent, inventivité et ténacité son sillon: des centaines de concerts, des tournées partout dans le monde, des rencontres musicales, de très nombreuses compositions, des projets durables ou épisodiques et une douzaine de disques…
Plus tard, suite aux départs de Jean Mereu et de Louis Sclavis (membre du groupe dans les 70’) et au décès en 2003 d’un des piliers du Workshop (Maurice Merle, compositeur prolixe et soliste étonnant) la composition du quartet s’est stabilisée autour de la rythmique. Jean Bolcato (cb) et Christian Rollet (dr), piliers inamovibles, sont là depuis le début de l’aventure.
Avec humour Bolcato annonce de grandes surprises pour 2017 : « L’année du mi-centenaire! ». A 75 ans il pète le feu et a le regard toujours aussi vif…
Le festival de Donostia/San Sebastian avait programmé le Workshop à 12 h 30. Un horaire où en France il n’y aurait eu vraiment personne… Mais ici on commence à manger des tapas vers 14 h et on déjeune à partir de 15 heures… Et le concert dans un patio du magnifique Musée San Telmo fut Sold out (comme on dit en basque!).
Le programme était celui de leur superbe dernier cd de 2014 (Arfi AM 59) : « Lettres à des amis lointains ». Une dizaine de thèmes évoquant amitiés et souvenirs musicaux ou extra-musicaux. Quelques moments forts : le thème dédié à Maurice Merle (à 2 sopranos lyriques), l’hommage à la grande Colette Magny (bien oubliée aujourd’hui et qui avait enregistré avec le Workshop en 1975), l’évocation d’une grande rencontre avec des musiciens sud-africains. Mirian meets Ornette, « carte postale » en deux parties, leur permet d’exposer longuement leurs passions pour l’Afrique et pour le « père » du free jazz. Sur quelques thèmes ils « jouent » aussi avec des musiques folkloriques alpines ou auvergnates. Références explicites et pleines d’humour au Collectif que les membres du Quartet ont contribué à créer en 1977 : l’Arfi (Association à la recherche d’un Folklore Imaginaire).
Les solos des anches, en amples vibratos, sont lyriques. Ayler est parfois là en ange tutélaire.
Le public apprécie vraiment: applaudissements chaleureux à la fin de chaque morceau et 2 rappels au final.
Le quartet est serein et tourne comme une horloge suisse. Une comparaison possible : le Masada de John Zorn avec  Joey Baron (dr) et Greg Cohen (b).
Thèmes lumineux, dansants, chantants suivis d’improvisations libertaires.  Bolcato et Rollet assurent une continuité sans faille et les solistes portés par ce soutien précis et puissant peuvent se permettre toutes les audaces.
Tout cela fort loin d’un fourre-tout nostalgique. Reflets de « plaisirs thésaurisé, de rencontres et de moments que l’on voudrait sans fin, échappant à l’érosion de la banalité, à la rentabilité annoncée ou à l’opportunisme culturel. » (Christian Rollet).
Le Workshop de Lyon parle une langue plurielle, vivante, savante et populaire, traditionnelle et actuelle, libre et mystérieuse.
Depuis 1967 le Workshop de Lyon chante, invente, revisite, triture, tonitrue, démonte, reconstruit, désosse, innove, explore et improvise sa musique: étonnante longévité dans les idées, la drôlerie, l’amour de la musique et l’amitié fidèle.
Pratiquement un demi-siècle après le concert de Grenoble j’ai rejoint mes pénates paloises de vieil amoureux de la « révolution » free complètement ébaubi…
Pierre-Henri Ardonceau|Superbe concert au Festival de Donostia/San Sebastian d’un groupe né il y a bientôt 50 ans…

 

Jean-Paul Autin (anches, bcl), Jean Aussanaire (anches), Jean Bolcato (contrebasse), Christian Rollet (dr, perc). Museo San Telmo, Donostia/San Sebastian, 24 juillet, 12 h 30.

Au début des années 60 le petit monde du jazz est secoué par une nouvelle bataille d’Hernani. Après les querelles de l’après-guerre entre « figues moisies et raisins verts » (Boris Vian désignant ainsi les partisans du jazz classique vs les modernistes) le jazz « moderne » (le be-bop et ses principales déclinaisons : hard bop, cool, …) est alors bien installé dans le paysage jazzistique. Avec l’émergence du free jazz les polémiques reprennent. Véhémentes. La sortie du disque « Free Jazz » d’Ornette Coleman en 1960 déclenche moult débats dans la presse spécialisée. Sous l’impulsion de Philippe Carles (futur co-auteur avec J.L. Comolli du mythique « Free jazz Black Power » chez Champ Libre, paru en 1971) Jazz Magazine publie de nombreux reportages et analyses sur l’émergence et le développement de la New Thing à New-York. Ce mouvement musical et politique va, de 1960 à 1970, bouleverser la jazzosphère.
En France une poignée de jeunes musiciens rejoignent la « Nouvelle Chose ». Francois Tusques enregistre (en 1965 pour le label Mouloudji) l’album (collector…) Free Jazz avec Michel Portal, Fançois Jeanneau et Beb Guerin. En 1967 il persiste et signe avec « Le Nouveau Jazz » (avec Barney Wilen), le texte de pochette, très politique, est signé Philippe Carles.
Et pendant ce temps là… à Lyon de tous jeunes musiciens créent le Free Jazz Workshop de Lyon.
Cheville ouvrière du projet : Jean Mereu, trompettiste et militant qui se confie à Pablo Cueco dans les Allumés du Jazz (n° 28, 2011): « Je souhaitais m’inspirer du modèle musical du free jazz américain et de son modèle d’organisation. Je faisais partie des gens qui suivaient cela de très près. Il y avait parallèlement la dimension musicale et la dimension politique et sociologique des choses, c’était inséparable ; c’était aussi l’enseignement qu’on pouvait percevoir du free jazz, son lien avec la société, son lien avec les luttes. Pour les Etats-Unis, c’était les luttes antiraciales, c’était les luttes pour l’émancipation… L’idée, c’était aussi de transposer ces luttes sur le terrain politique français. ».
Dans ces années là, à Grenoble, nous étions une poignée de lecteurs de Jazz Magazine passionnés par la New-Thing. Quand en 1967 le Jazz Club Grenoblois annonça la programmation du Free Jazz Workshop de Lyon les quelques « fous du free » de la capitale du Dauphiné tombèrent de l’armoire… Cette première mouture du Workshop (tp, anches, b, dr et piano) les enthousiasma. Mais ce ne ne fut pas le cas pour la plupart des adhérents du Jazz Club! Les débats furent vifs à Grenoble. Comme ailleurs…
Faisant fi des jazzfans qui n’adhéraient pas à leur démarche le groupe monta régulièrement en puissance dans les années qui suivirent. Le piano disparut et très vite c’est en quartet que le Workshop creusa avec talent, inventivité et ténacité son sillon: des centaines de concerts, des tournées partout dans le monde, des rencontres musicales, de très nombreuses compositions, des projets durables ou épisodiques et une douzaine de disques…
Plus tard, suite aux départs de Jean Mereu et de Louis Sclavis (membre du groupe dans les 70’) et au décès en 2003 d’un des piliers du Workshop (Maurice Merle, compositeur prolixe et soliste étonnant) la composition du quartet s’est stabilisée autour de la rythmique. Jean Bolcato (cb) et Christian Rollet (dr), piliers inamovibles, sont là depuis le début de l’aventure.
Avec humour Bolcato annonce de grandes surprises pour 2017 : « L’année du mi-centenaire! ». A 75 ans il pète le feu et a le regard toujours aussi vif…
Le festival de Donostia/San Sebastian avait programmé le Workshop à 12 h 30. Un horaire où en France il n’y aurait eu vraiment personne… Mais ici on commence à manger des tapas vers 14 h et on déjeune à partir de 15 heures… Et le concert dans un patio du magnifique Musée San Telmo fut Sold out (comme on dit en basque!).
Le programme était celui de leur superbe dernier cd de 2014 (Arfi AM 59) : « Lettres à des amis lointains ». Une dizaine de thèmes évoquant amitiés et souvenirs musicaux ou extra-musicaux. Quelques moments forts : le thème dédié à Maurice Merle (à 2 sopranos lyriques), l’hommage à la grande Colette Magny (bien oubliée aujourd’hui et qui avait enregistré avec le Workshop en 1975), l’évocation d’une grande rencontre avec des musiciens sud-africains. Mirian meets Ornette, « carte postale » en deux parties, leur permet d’exposer longuement leurs passions pour l’Afrique et pour le « père » du free jazz. Sur quelques thèmes ils « jouent » aussi avec des musiques folkloriques alpines ou auvergnates. Références explicites et pleines d’humour au Collectif que les membres du Quartet ont contribué à créer en 1977 : l’Arfi (Association à la recherche d’un Folklore Imaginaire).
Les solos des anches, en amples vibratos, sont lyriques. Ayler est parfois là en ange tutélaire.
Le public apprécie vraiment: applaudissements chaleureux à la fin de chaque morceau et 2 rappels au final.
Le quartet est serein et tourne comme une horloge suisse. Une comparaison possible : le Masada de John Zorn avec  Joey Baron (dr) et Greg Cohen (b).
Thèmes lumineux, dansants, chantants suivis d’improvisations libertaires.  Bolcato et Rollet assurent une continuité sans faille et les solistes portés par ce soutien précis et puissant peuvent se permettre toutes les audaces.
Tout cela fort loin d’un fourre-tout nostalgique. Reflets de « plaisirs thésaurisé, de rencontres et de moments que l’on voudrait sans fin, échappant à l’érosion de la banalité, à la rentabilité annoncée ou à l’opportunisme culturel. » (Christian Rollet).
Le Workshop de Lyon parle une langue plurielle, vivante, savante et populaire, traditionnelle et actuelle, libre et mystérieuse.
Depuis 1967 le Workshop de Lyon chante, invente, revisite, triture, tonitrue, démonte, reconstruit, désosse, innove, explore et improvise sa musique: étonnante longévité dans les idées, la drôlerie, l’amour de la musique et l’amitié fidèle.
Pratiquement un demi-siècle après le concert de Grenoble j’ai rejoint mes pénates paloises de vieil amoureux de la « révolution » free complètement ébaubi…
Pierre-Henri Ardonceau