Jazz live
Publié le 26 Fév 2017

Il y a 100, le jazz! Quel drôle de nom…

Il y a 100 ans, l’Original Dixieland Jazz Band enregistrait le premier disque de jazz. Le numéro de mars de Jazzmag tout juste parvenu en kiosque nous rappelle les circonstances de cet enregistrement et balaie ces 100 ans d’histoire en 100 morceaux qui, par association d’idée vous en inspireront 100 fois plus… Mais “jazz”, d’où vient ce mot?

De nombreuses hypothèses circulent concernant l’apparition du mot jazz. Concurrentes et contradictoires, elles reposent sur des étymologies plus ou moins crédibles ou fantaisistes, latine (jacere = lancer), africaines (dinza, jasi, yas, jaja, variantes autour du thème de la force vitale), arabe (jazib), française (jaser, chassé évoquant le pas glissé du shuffle, jasmin dont l’odeur était appréciée des prostituées de La Nouvelle-Orléans), française créole (jazz-a-belle prononcé jezebel = prostituée), gaëlique (teas prononcé tyas = chaleur, excitation, ardeur), américaines  (gism et jasm, voir plus bas).

Jasbro BrownVers 1824. Un danseur esclave d’une plantation louisianaise, Jasper, est surnommé “Jazz”. À la même époque remonte la légende d’un musicien itinérant du Mississippi, Jasbo Brown auquel Dubose Heyward fera jouer un blues dans Porgy and Bess.

1842. L’usage du mot “jism” (qui devient “gism” dans le Dictionnaire des américanismes de J.R. Bartlett en 1877) est attesté par les dictionnaires d’étymologie pour désigner « spirit, energy, spunk. », “spunk” étant un autre mot pour “énergie” et “courage”, l’argot américain donnant également à ces deux mots le sens de sperme.

missgilberts00hollrich1860. L’Historical Dictionary of American Slang atteste l’existence du mot “jasm” dérivé de “jism”, signifian esprit, énergie, vigueur.

 1863. Dans Miss Gilbert’s Career, An American Story de J.G. Holland, il est question d’une femme « Pleine de jasm… Imaginez une femme chez qui se combineraient le ténor, la foudre, l’énergie d’un bateau à vapeur et le bourdonnement d’une scie : voilà le jasm. »

Vers 1909. A San Francisco, l’acteur-violoncelliste Bill Demarest se souvient avoir été interpelé  ainsi: « Come on, jazz it up ! » ce qui aurait signifié « avec plus d’énergie, plus d’élan. »

Ben Henderson1912. Le 2 avril, dans le Los Angeles Times, sous le titre Ben’s Jazz Curve, un journaliste sportif citant le lanceur des Portland Beavers, Ben Henderson, qualifie de « jazz ball », le fait de donner à sa balle une trajectoire irrécupérable.

1913. Début mars, l’équipe de baseball des San Francisco Seals s’entraîne à Boyes Springs (au nord de San Francisco) où le bouillonnement des sources chaudes suscite l’expression de « jazz water ». E. T. ‘Scoop’ Gleeson, correspondant du San Francisco Bulletin, rapporte dans le numéro du 6 mars que l’équipe revient en ville « full of the old jazz », une expression signifiant qu’elle revient pleine d’enthousiasme et qu’il tient de William “Spike” Slattery, journaliste sportif du San Francisco Call-Bulletin. Ce dernier dira l’avoir lui-même empruntée aux joueurs de craps lorsqu’ils invoquent la chance en jetant leurs dés : « That’s the jazz, boy ! » ou « Come on, the old jazz ! ». D’autres témoins font s’interpeler les joueurs baseball entre eux : « Come on, let’s Jazz it up ! »

Art Hickman Hotel St. FrancisPendant la période d’entraînement à Boyes Springs, l’orchestre de variété syncopée d’Art Hickman (ancêtre possible de la section de saxophones et préfiguration du grand orchestre de Paul Whiteman) assure l’animation des soirées. Engagé ensuite à l’Hotel St. Francis de San Francisco, Art Hickman utilisera à son tour le mot “jazz” pour décrire l’énergie et le “pep” de sa musique, qu’il refusera par la suite d’assimiler à ce que l’on appellera bientôt le jazz.

Praise of JazzIl semble que le mot se soit rapidement répandu à travers les Etats-Unis, puis que le site oxforddictionaries.com  le signale dans un journal à Duluth (Minnesota) fin 1913.

Mais dès le 5 avril, le San Francisco Bulletin publie In Praise of “jazz”, a Futurist Word Which Has Just Joined the Language par Ernest J. Hopkins sous-titré Un mot futuriste qui vient d’entrer dans notre vocabulaire. Il y voit « quelque chose comme la vie, la vigueur, l’effervescence de l’esprit, la joie, le dynamisme, le magnétisme, la verve, la virilité, le courage, le bonheur – oh, comment dit-on ? – jazz. Il n’y pas d’autre mot pour exprimer ça. »

Le cornettiste Ray Lopez se souvient avoir entendu Bill Demarest lancer à l’intention d’un chef d’orchestre à l’Orpheum Theatre de New Orleans : « Jazz it up – loud and snappy. »

1914. Dans un article publié en 1956 dans Variety, le banjoïste Bert Kelly prétendra qu’il qualifiait déjà sa musique de “jazz” en 1914 lorsqu’il arriva de San Francisco à Chicago avec son Frisco Ragtime Four (banjo-mandoline, saxophone, piano et batterie).

banana Peel Rag1915. En mai, au Lamb’s Café de Chicago, à la fin d’Hawaïan Butterfly par le Brown’s Band From Dixieland originaire de La Nouvelle-Orléans, un client, Darby Kelly, s’écrie « Jazz it up ! ». L’orchestre enchaîne sur un tempo plus élevé Banana Peel Rag qui fait entre rle public en transe. Cherchant le mot “jazz” dans un dictionnaire, le patron du Lamb’s ne trouve que « Jade : une femme vicieuse ». Quand à Kelly, il explique que cette musique lui donne envie de baiser, ce que signifie d’après lui le mot “jazz” dans l’argot des maisons closes du Sud.

Tom Brown's Band From DixielandSelon un autre récit, l’Union syndicale des musiciens de Chicago aurait tenté de faire mauvaise réputation à cette musique venue du Sud et jouée sans partition en brandissant à l’entrée du Lamb’s Café un panneau « Don’t patronize this jass music » ce qui aurait signifié : « Ne soutenez pas cette musique de baise. » Le Lamb’s en aurait fait aussitôt un argument publicitaire en affichant : « Brown’s Dixieland Jass Band, direct from New Orleans. » (avec des variantes dans la presse de Chicago : “jab” ou “jad”).

Le Chicago Tribune du 11 juillet 1915 publie un article intitulé Blues Is Jazz And Jazz Is Blues.

1916. Le Daily Californian’s du 18 février 1916 orthographie le mot “jaz-m”, en faisant le même usage que du mot “jazz” dans d’autres pages.

Alors que le Stein’s Band se produit en mars au Schiller’s Café, un client s’écrie « Jazz it up Boys ! » Il est invité à répéter son interpellation aussi souvent qu’il le désire et l’orchestre est rebaptisé Stein’s Dixie Jass Band qui deviendra, après remaniement du personnel, Original Dixieland Jass Band.

Le 30 septembre 1916, le Chicago Defender mentionne le « jass band » du pianiste et chanteur noir H. Benton Overstreet qui accompagne la chanteuse de vaudeville Estella Harris.

That Funny Jazz BandLe 8 novembre, la partition de That Funny Jas Band est déposée (music : Henry I. Marshall – lyrics : Gus Kahn) et fait le 1er décembre l’objet de deux enregistrements par les chanteurs Arthur Collins et Byron G. Harlan, la première prise étant publiée sur cylindre Edison Blue Amberol Recordings en avril 1917, la seconde sur Edison Diamond Disc en juillet. L’orchestre non identifié pratique une improvisation collective assez proche du Livery Stable Blues que l’Original Dixieland Jazz Band enregistrera quatre mois plus tard.

1917. Le 12 janvier 1917, Arthur Collins et Byron G. Harlan enregistrent pour Victor une troisième prise de That Funny Jas Band From Dixieland.

Le 15 janvier, on trouve une publicité en pleine page dans le New York Times où est annoncé au Paradise Ballroom du Reisenweber Building (8ème avenue, 58ème rue) : « The First Sensational Amusement Novelty of 1917, “The Jasz Band” » Il y est précisé : « The Jasz Band is the latest craze that is sweeping the nation like a musical thunderstorm. »

Le 2 février, dans le New York Times est annoncé « The first eastern appareance of the famous Original Dixieland Jazz Band » et s’affiche bientôt lettres lumineuses sur Columbus Circle « The Original Jazz Band – Creator of Jazz. »

Pourquoi ce passage de “jass” à “jazz” ? Nick LaRocca, le cornettiste et leader de l’Original Dixieland Jazz Band racontera que les gens s’amusaient sur les affiches à effacer le “j” de “jass”, ce qui donnait “ass” (cul).

Original Dixieland Jass One stepLe 26 février, l’Original Dixieland Jass Band, toujours orthographié “jass”, enregistre le premier disque qualifié “jazz”. Cette orthographe avec deux “s” ne suvivra pas au succès du disque et, aussitôt, le mot “jazz” se répand, notamment dans le titre des chansons, telle When I Hear That Jazz Band Play  (music : Dave Stamper – paroles : Gene Buck) enregistrée le 18 juillet pour Victor par Marion Harris avec le King’s Orchestra d’Edward T. King.

Franck Bergerot

Merci à Jean-Pierre Lion (auteur de Bix chez Outre Mesure, décédé en 2010) qui porta à ma connaissance bon nombre des documents cités ci-dessus et à Martin Guerpin qui, à l’issue de l’émission Les Lundis du Duc sur TSF (), attira récemment mon attention sur That Funny Jas Band dont je retrouve la version Victor dans ma discothèque, dans le coffret de 10 CD “That Devilin’ Tune, a Jazz History, Volume 1, 1895-1927” (West Hill Radio Archives). Faute d’autres éditions CD, on pourra en retrouver chez YouTube les éditions Edison sur cylindre  et sur 78-tours , ainsi qu’à la Library of Congress l’édition Victor.

Byron G. Harlan & Arthur CollinsEn trouvera ci-cessous le texte (paroles et dialogue interprétés par Arthur Collins et Byron G. Harlan, de gauche à droite sur la photo ) qui n’est pas sans évoquer l’Alexander’s Ragtime Band, grand succès d’Irving Berlin en 1911.

That Funny Jas Band

Oh honey dear,
I want you to hear
That harmony queer
When you listen to
Mad musicians playing rhythm
Everybody dancing with ’em
Hold me close in your arms
I’m in love with your charms and
The funny jas band from dixieland

Harlan: « Say, Henry, what is a jas band? »

Collins: « Why, a jas band am essentially different from the generalities of bands. »

Harlan: « In what particularity, Henry? »

Collins: « Oh, in many ways, Mandy. Now, for instance . . . «  [A slide trombone roars]

Harlan: « Lordy, lordy! Is that one of the ways? »

Collins: « Uh-huh. And another is . . . «  [Clarinets play]

Harlan: « Is there any more, Henry? »

Collins: « Oh yes, and it goes something like . . . «  [Drum roll, bugle call, crashing of cymbals]

Harlan: « Well, I must say, Henry, your explanation am lucidiously comprehensible! »

Collins: « And does you like the jas band, Mandy? »

Harlan: « Ah sure do. »

Collins: « Then we’ll sing some more. »

 

 |Il y a 100 ans, l’Original Dixieland Jazz Band enregistrait le premier disque de jazz. Le numéro de mars de Jazzmag tout juste parvenu en kiosque nous rappelle les circonstances de cet enregistrement et balaie ces 100 ans d’histoire en 100 morceaux qui, par association d’idée vous en inspireront 100 fois plus… Mais “jazz”, d’où vient ce mot?

De nombreuses hypothèses circulent concernant l’apparition du mot jazz. Concurrentes et contradictoires, elles reposent sur des étymologies plus ou moins crédibles ou fantaisistes, latine (jacere = lancer), africaines (dinza, jasi, yas, jaja, variantes autour du thème de la force vitale), arabe (jazib), française (jaser, chassé évoquant le pas glissé du shuffle, jasmin dont l’odeur était appréciée des prostituées de La Nouvelle-Orléans), française créole (jazz-a-belle prononcé jezebel = prostituée), gaëlique (teas prononcé tyas = chaleur, excitation, ardeur), américaines  (gism et jasm, voir plus bas).

Jasbro BrownVers 1824. Un danseur esclave d’une plantation louisianaise, Jasper, est surnommé “Jazz”. À la même époque remonte la légende d’un musicien itinérant du Mississippi, Jasbo Brown auquel Dubose Heyward fera jouer un blues dans Porgy and Bess.

1842. L’usage du mot “jism” (qui devient “gism” dans le Dictionnaire des américanismes de J.R. Bartlett en 1877) est attesté par les dictionnaires d’étymologie pour désigner « spirit, energy, spunk. », “spunk” étant un autre mot pour “énergie” et “courage”, l’argot américain donnant également à ces deux mots le sens de sperme.

missgilberts00hollrich1860. L’Historical Dictionary of American Slang atteste l’existence du mot “jasm” dérivé de “jism”, signifian esprit, énergie, vigueur.

 1863. Dans Miss Gilbert’s Career, An American Story de J.G. Holland, il est question d’une femme « Pleine de jasm… Imaginez une femme chez qui se combineraient le ténor, la foudre, l’énergie d’un bateau à vapeur et le bourdonnement d’une scie : voilà le jasm. »

Vers 1909. A San Francisco, l’acteur-violoncelliste Bill Demarest se souvient avoir été interpelé  ainsi: « Come on, jazz it up ! » ce qui aurait signifié « avec plus d’énergie, plus d’élan. »

Ben Henderson1912. Le 2 avril, dans le Los Angeles Times, sous le titre Ben’s Jazz Curve, un journaliste sportif citant le lanceur des Portland Beavers, Ben Henderson, qualifie de « jazz ball », le fait de donner à sa balle une trajectoire irrécupérable.

1913. Début mars, l’équipe de baseball des San Francisco Seals s’entraîne à Boyes Springs (au nord de San Francisco) où le bouillonnement des sources chaudes suscite l’expression de « jazz water ». E. T. ‘Scoop’ Gleeson, correspondant du San Francisco Bulletin, rapporte dans le numéro du 6 mars que l’équipe revient en ville « full of the old jazz », une expression signifiant qu’elle revient pleine d’enthousiasme et qu’il tient de William “Spike” Slattery, journaliste sportif du San Francisco Call-Bulletin. Ce dernier dira l’avoir lui-même empruntée aux joueurs de craps lorsqu’ils invoquent la chance en jetant leurs dés : « That’s the jazz, boy ! » ou « Come on, the old jazz ! ». D’autres témoins font s’interpeler les joueurs baseball entre eux : « Come on, let’s Jazz it up ! »

Art Hickman Hotel St. FrancisPendant la période d’entraînement à Boyes Springs, l’orchestre de variété syncopée d’Art Hickman (ancêtre possible de la section de saxophones et préfiguration du grand orchestre de Paul Whiteman) assure l’animation des soirées. Engagé ensuite à l’Hotel St. Francis de San Francisco, Art Hickman utilisera à son tour le mot “jazz” pour décrire l’énergie et le “pep” de sa musique, qu’il refusera par la suite d’assimiler à ce que l’on appellera bientôt le jazz.

Praise of JazzIl semble que le mot se soit rapidement répandu à travers les Etats-Unis, puis que le site oxforddictionaries.com  le signale dans un journal à Duluth (Minnesota) fin 1913.

Mais dès le 5 avril, le San Francisco Bulletin publie In Praise of “jazz”, a Futurist Word Which Has Just Joined the Language par Ernest J. Hopkins sous-titré Un mot futuriste qui vient d’entrer dans notre vocabulaire. Il y voit « quelque chose comme la vie, la vigueur, l’effervescence de l’esprit, la joie, le dynamisme, le magnétisme, la verve, la virilité, le courage, le bonheur – oh, comment dit-on ? – jazz. Il n’y pas d’autre mot pour exprimer ça. »

Le cornettiste Ray Lopez se souvient avoir entendu Bill Demarest lancer à l’intention d’un chef d’orchestre à l’Orpheum Theatre de New Orleans : « Jazz it up – loud and snappy. »

1914. Dans un article publié en 1956 dans Variety, le banjoïste Bert Kelly prétendra qu’il qualifiait déjà sa musique de “jazz” en 1914 lorsqu’il arriva de San Francisco à Chicago avec son Frisco Ragtime Four (banjo-mandoline, saxophone, piano et batterie).

banana Peel Rag1915. En mai, au Lamb’s Café de Chicago, à la fin d’Hawaïan Butterfly par le Brown’s Band From Dixieland originaire de La Nouvelle-Orléans, un client, Darby Kelly, s’écrie « Jazz it up ! ». L’orchestre enchaîne sur un tempo plus élevé Banana Peel Rag qui fait entre rle public en transe. Cherchant le mot “jazz” dans un dictionnaire, le patron du Lamb’s ne trouve que « Jade : une femme vicieuse ». Quand à Kelly, il explique que cette musique lui donne envie de baiser, ce que signifie d’après lui le mot “jazz” dans l’argot des maisons closes du Sud.

Tom Brown's Band From DixielandSelon un autre récit, l’Union syndicale des musiciens de Chicago aurait tenté de faire mauvaise réputation à cette musique venue du Sud et jouée sans partition en brandissant à l’entrée du Lamb’s Café un panneau « Don’t patronize this jass music » ce qui aurait signifié : « Ne soutenez pas cette musique de baise. » Le Lamb’s en aurait fait aussitôt un argument publicitaire en affichant : « Brown’s Dixieland Jass Band, direct from New Orleans. » (avec des variantes dans la presse de Chicago : “jab” ou “jad”).

Le Chicago Tribune du 11 juillet 1915 publie un article intitulé Blues Is Jazz And Jazz Is Blues.

1916. Le Daily Californian’s du 18 février 1916 orthographie le mot “jaz-m”, en faisant le même usage que du mot “jazz” dans d’autres pages.

Alors que le Stein’s Band se produit en mars au Schiller’s Café, un client s’écrie « Jazz it up Boys ! » Il est invité à répéter son interpellation aussi souvent qu’il le désire et l’orchestre est rebaptisé Stein’s Dixie Jass Band qui deviendra, après remaniement du personnel, Original Dixieland Jass Band.

Le 30 septembre 1916, le Chicago Defender mentionne le « jass band » du pianiste et chanteur noir H. Benton Overstreet qui accompagne la chanteuse de vaudeville Estella Harris.

That Funny Jazz BandLe 8 novembre, la partition de That Funny Jas Band est déposée (music : Henry I. Marshall – lyrics : Gus Kahn) et fait le 1er décembre l’objet de deux enregistrements par les chanteurs Arthur Collins et Byron G. Harlan, la première prise étant publiée sur cylindre Edison Blue Amberol Recordings en avril 1917, la seconde sur Edison Diamond Disc en juillet. L’orchestre non identifié pratique une improvisation collective assez proche du Livery Stable Blues que l’Original Dixieland Jazz Band enregistrera quatre mois plus tard.

1917. Le 12 janvier 1917, Arthur Collins et Byron G. Harlan enregistrent pour Victor une troisième prise de That Funny Jas Band From Dixieland.

Le 15 janvier, on trouve une publicité en pleine page dans le New York Times où est annoncé au Paradise Ballroom du Reisenweber Building (8ème avenue, 58ème rue) : « The First Sensational Amusement Novelty of 1917, “The Jasz Band” » Il y est précisé : « The Jasz Band is the latest craze that is sweeping the nation like a musical thunderstorm. »

Le 2 février, dans le New York Times est annoncé « The first eastern appareance of the famous Original Dixieland Jazz Band » et s’affiche bientôt lettres lumineuses sur Columbus Circle « The Original Jazz Band – Creator of Jazz. »

Pourquoi ce passage de “jass” à “jazz” ? Nick LaRocca, le cornettiste et leader de l’Original Dixieland Jazz Band racontera que les gens s’amusaient sur les affiches à effacer le “j” de “jass”, ce qui donnait “ass” (cul).

Original Dixieland Jass One stepLe 26 février, l’Original Dixieland Jass Band, toujours orthographié “jass”, enregistre le premier disque qualifié “jazz”. Cette orthographe avec deux “s” ne suvivra pas au succès du disque et, aussitôt, le mot “jazz” se répand, notamment dans le titre des chansons, telle When I Hear That Jazz Band Play  (music : Dave Stamper – paroles : Gene Buck) enregistrée le 18 juillet pour Victor par Marion Harris avec le King’s Orchestra d’Edward T. King.

Franck Bergerot

Merci à Jean-Pierre Lion (auteur de Bix chez Outre Mesure, décédé en 2010) qui porta à ma connaissance bon nombre des documents cités ci-dessus et à Martin Guerpin qui, à l’issue de l’émission Les Lundis du Duc sur TSF (), attira récemment mon attention sur That Funny Jas Band dont je retrouve la version Victor dans ma discothèque, dans le coffret de 10 CD “That Devilin’ Tune, a Jazz History, Volume 1, 1895-1927” (West Hill Radio Archives). Faute d’autres éditions CD, on pourra en retrouver chez YouTube les éditions Edison sur cylindre  et sur 78-tours , ainsi qu’à la Library of Congress l’édition Victor.

Byron G. Harlan & Arthur CollinsEn trouvera ci-cessous le texte (paroles et dialogue interprétés par Arthur Collins et Byron G. Harlan, de gauche à droite sur la photo ) qui n’est pas sans évoquer l’Alexander’s Ragtime Band, grand succès d’Irving Berlin en 1911.

That Funny Jas Band

Oh honey dear,
I want you to hear
That harmony queer
When you listen to
Mad musicians playing rhythm
Everybody dancing with ’em
Hold me close in your arms
I’m in love with your charms and
The funny jas band from dixieland

Harlan: « Say, Henry, what is a jas band? »

Collins: « Why, a jas band am essentially different from the generalities of bands. »

Harlan: « In what particularity, Henry? »

Collins: « Oh, in many ways, Mandy. Now, for instance . . . «  [A slide trombone roars]

Harlan: « Lordy, lordy! Is that one of the ways? »

Collins: « Uh-huh. And another is . . . «  [Clarinets play]

Harlan: « Is there any more, Henry? »

Collins: « Oh yes, and it goes something like . . . «  [Drum roll, bugle call, crashing of cymbals]

Harlan: « Well, I must say, Henry, your explanation am lucidiously comprehensible! »

Collins: « And does you like the jas band, Mandy? »

Harlan: « Ah sure do. »

Collins: « Then we’ll sing some more. »

 

 |Il y a 100 ans, l’Original Dixieland Jazz Band enregistrait le premier disque de jazz. Le numéro de mars de Jazzmag tout juste parvenu en kiosque nous rappelle les circonstances de cet enregistrement et balaie ces 100 ans d’histoire en 100 morceaux qui, par association d’idée vous en inspireront 100 fois plus… Mais “jazz”, d’où vient ce mot?

De nombreuses hypothèses circulent concernant l’apparition du mot jazz. Concurrentes et contradictoires, elles reposent sur des étymologies plus ou moins crédibles ou fantaisistes, latine (jacere = lancer), africaines (dinza, jasi, yas, jaja, variantes autour du thème de la force vitale), arabe (jazib), française (jaser, chassé évoquant le pas glissé du shuffle, jasmin dont l’odeur était appréciée des prostituées de La Nouvelle-Orléans), française créole (jazz-a-belle prononcé jezebel = prostituée), gaëlique (teas prononcé tyas = chaleur, excitation, ardeur), américaines  (gism et jasm, voir plus bas).

Jasbro BrownVers 1824. Un danseur esclave d’une plantation louisianaise, Jasper, est surnommé “Jazz”. À la même époque remonte la légende d’un musicien itinérant du Mississippi, Jasbo Brown auquel Dubose Heyward fera jouer un blues dans Porgy and Bess.

1842. L’usage du mot “jism” (qui devient “gism” dans le Dictionnaire des américanismes de J.R. Bartlett en 1877) est attesté par les dictionnaires d’étymologie pour désigner « spirit, energy, spunk. », “spunk” étant un autre mot pour “énergie” et “courage”, l’argot américain donnant également à ces deux mots le sens de sperme.

missgilberts00hollrich1860. L’Historical Dictionary of American Slang atteste l’existence du mot “jasm” dérivé de “jism”, signifian esprit, énergie, vigueur.

 1863. Dans Miss Gilbert’s Career, An American Story de J.G. Holland, il est question d’une femme « Pleine de jasm… Imaginez une femme chez qui se combineraient le ténor, la foudre, l’énergie d’un bateau à vapeur et le bourdonnement d’une scie : voilà le jasm. »

Vers 1909. A San Francisco, l’acteur-violoncelliste Bill Demarest se souvient avoir été interpelé  ainsi: « Come on, jazz it up ! » ce qui aurait signifié « avec plus d’énergie, plus d’élan. »

Ben Henderson1912. Le 2 avril, dans le Los Angeles Times, sous le titre Ben’s Jazz Curve, un journaliste sportif citant le lanceur des Portland Beavers, Ben Henderson, qualifie de « jazz ball », le fait de donner à sa balle une trajectoire irrécupérable.

1913. Début mars, l’équipe de baseball des San Francisco Seals s’entraîne à Boyes Springs (au nord de San Francisco) où le bouillonnement des sources chaudes suscite l’expression de « jazz water ». E. T. ‘Scoop’ Gleeson, correspondant du San Francisco Bulletin, rapporte dans le numéro du 6 mars que l’équipe revient en ville « full of the old jazz », une expression signifiant qu’elle revient pleine d’enthousiasme et qu’il tient de William “Spike” Slattery, journaliste sportif du San Francisco Call-Bulletin. Ce dernier dira l’avoir lui-même empruntée aux joueurs de craps lorsqu’ils invoquent la chance en jetant leurs dés : « That’s the jazz, boy ! » ou « Come on, the old jazz ! ». D’autres témoins font s’interpeler les joueurs baseball entre eux : « Come on, let’s Jazz it up ! »

Art Hickman Hotel St. FrancisPendant la période d’entraînement à Boyes Springs, l’orchestre de variété syncopée d’Art Hickman (ancêtre possible de la section de saxophones et préfiguration du grand orchestre de Paul Whiteman) assure l’animation des soirées. Engagé ensuite à l’Hotel St. Francis de San Francisco, Art Hickman utilisera à son tour le mot “jazz” pour décrire l’énergie et le “pep” de sa musique, qu’il refusera par la suite d’assimiler à ce que l’on appellera bientôt le jazz.

Praise of JazzIl semble que le mot se soit rapidement répandu à travers les Etats-Unis, puis que le site oxforddictionaries.com  le signale dans un journal à Duluth (Minnesota) fin 1913.

Mais dès le 5 avril, le San Francisco Bulletin publie In Praise of “jazz”, a Futurist Word Which Has Just Joined the Language par Ernest J. Hopkins sous-titré Un mot futuriste qui vient d’entrer dans notre vocabulaire. Il y voit « quelque chose comme la vie, la vigueur, l’effervescence de l’esprit, la joie, le dynamisme, le magnétisme, la verve, la virilité, le courage, le bonheur – oh, comment dit-on ? – jazz. Il n’y pas d’autre mot pour exprimer ça. »

Le cornettiste Ray Lopez se souvient avoir entendu Bill Demarest lancer à l’intention d’un chef d’orchestre à l’Orpheum Theatre de New Orleans : « Jazz it up – loud and snappy. »

1914. Dans un article publié en 1956 dans Variety, le banjoïste Bert Kelly prétendra qu’il qualifiait déjà sa musique de “jazz” en 1914 lorsqu’il arriva de San Francisco à Chicago avec son Frisco Ragtime Four (banjo-mandoline, saxophone, piano et batterie).

banana Peel Rag1915. En mai, au Lamb’s Café de Chicago, à la fin d’Hawaïan Butterfly par le Brown’s Band From Dixieland originaire de La Nouvelle-Orléans, un client, Darby Kelly, s’écrie « Jazz it up ! ». L’orchestre enchaîne sur un tempo plus élevé Banana Peel Rag qui fait entre rle public en transe. Cherchant le mot “jazz” dans un dictionnaire, le patron du Lamb’s ne trouve que « Jade : une femme vicieuse ». Quand à Kelly, il explique que cette musique lui donne envie de baiser, ce que signifie d’après lui le mot “jazz” dans l’argot des maisons closes du Sud.

Tom Brown's Band From DixielandSelon un autre récit, l’Union syndicale des musiciens de Chicago aurait tenté de faire mauvaise réputation à cette musique venue du Sud et jouée sans partition en brandissant à l’entrée du Lamb’s Café un panneau « Don’t patronize this jass music » ce qui aurait signifié : « Ne soutenez pas cette musique de baise. » Le Lamb’s en aurait fait aussitôt un argument publicitaire en affichant : « Brown’s Dixieland Jass Band, direct from New Orleans. » (avec des variantes dans la presse de Chicago : “jab” ou “jad”).

Le Chicago Tribune du 11 juillet 1915 publie un article intitulé Blues Is Jazz And Jazz Is Blues.

1916. Le Daily Californian’s du 18 février 1916 orthographie le mot “jaz-m”, en faisant le même usage que du mot “jazz” dans d’autres pages.

Alors que le Stein’s Band se produit en mars au Schiller’s Café, un client s’écrie « Jazz it up Boys ! » Il est invité à répéter son interpellation aussi souvent qu’il le désire et l’orchestre est rebaptisé Stein’s Dixie Jass Band qui deviendra, après remaniement du personnel, Original Dixieland Jass Band.

Le 30 septembre 1916, le Chicago Defender mentionne le « jass band » du pianiste et chanteur noir H. Benton Overstreet qui accompagne la chanteuse de vaudeville Estella Harris.

That Funny Jazz BandLe 8 novembre, la partition de That Funny Jas Band est déposée (music : Henry I. Marshall – lyrics : Gus Kahn) et fait le 1er décembre l’objet de deux enregistrements par les chanteurs Arthur Collins et Byron G. Harlan, la première prise étant publiée sur cylindre Edison Blue Amberol Recordings en avril 1917, la seconde sur Edison Diamond Disc en juillet. L’orchestre non identifié pratique une improvisation collective assez proche du Livery Stable Blues que l’Original Dixieland Jazz Band enregistrera quatre mois plus tard.

1917. Le 12 janvier 1917, Arthur Collins et Byron G. Harlan enregistrent pour Victor une troisième prise de That Funny Jas Band From Dixieland.

Le 15 janvier, on trouve une publicité en pleine page dans le New York Times où est annoncé au Paradise Ballroom du Reisenweber Building (8ème avenue, 58ème rue) : « The First Sensational Amusement Novelty of 1917, “The Jasz Band” » Il y est précisé : « The Jasz Band is the latest craze that is sweeping the nation like a musical thunderstorm. »

Le 2 février, dans le New York Times est annoncé « The first eastern appareance of the famous Original Dixieland Jazz Band » et s’affiche bientôt lettres lumineuses sur Columbus Circle « The Original Jazz Band – Creator of Jazz. »

Pourquoi ce passage de “jass” à “jazz” ? Nick LaRocca, le cornettiste et leader de l’Original Dixieland Jazz Band racontera que les gens s’amusaient sur les affiches à effacer le “j” de “jass”, ce qui donnait “ass” (cul).

Original Dixieland Jass One stepLe 26 février, l’Original Dixieland Jass Band, toujours orthographié “jass”, enregistre le premier disque qualifié “jazz”. Cette orthographe avec deux “s” ne suvivra pas au succès du disque et, aussitôt, le mot “jazz” se répand, notamment dans le titre des chansons, telle When I Hear That Jazz Band Play  (music : Dave Stamper – paroles : Gene Buck) enregistrée le 18 juillet pour Victor par Marion Harris avec le King’s Orchestra d’Edward T. King.

Franck Bergerot

Merci à Jean-Pierre Lion (auteur de Bix chez Outre Mesure, décédé en 2010) qui porta à ma connaissance bon nombre des documents cités ci-dessus et à Martin Guerpin qui, à l’issue de l’émission Les Lundis du Duc sur TSF (), attira récemment mon attention sur That Funny Jas Band dont je retrouve la version Victor dans ma discothèque, dans le coffret de 10 CD “That Devilin’ Tune, a Jazz History, Volume 1, 1895-1927” (West Hill Radio Archives). Faute d’autres éditions CD, on pourra en retrouver chez YouTube les éditions Edison sur cylindre  et sur 78-tours , ainsi qu’à la Library of Congress l’édition Victor.

Byron G. Harlan & Arthur CollinsEn trouvera ci-cessous le texte (paroles et dialogue interprétés par Arthur Collins et Byron G. Harlan, de gauche à droite sur la photo ) qui n’est pas sans évoquer l’Alexander’s Ragtime Band, grand succès d’Irving Berlin en 1911.

That Funny Jas Band

Oh honey dear,
I want you to hear
That harmony queer
When you listen to
Mad musicians playing rhythm
Everybody dancing with ’em
Hold me close in your arms
I’m in love with your charms and
The funny jas band from dixieland

Harlan: « Say, Henry, what is a jas band? »

Collins: « Why, a jas band am essentially different from the generalities of bands. »

Harlan: « In what particularity, Henry? »

Collins: « Oh, in many ways, Mandy. Now, for instance . . . «  [A slide trombone roars]

Harlan: « Lordy, lordy! Is that one of the ways? »

Collins: « Uh-huh. And another is . . . «  [Clarinets play]

Harlan: « Is there any more, Henry? »

Collins: « Oh yes, and it goes something like . . . «  [Drum roll, bugle call, crashing of cymbals]

Harlan: « Well, I must say, Henry, your explanation am lucidiously comprehensible! »

Collins: « And does you like the jas band, Mandy? »

Harlan: « Ah sure do. »

Collins: « Then we’ll sing some more. »

 

 |Il y a 100 ans, l’Original Dixieland Jazz Band enregistrait le premier disque de jazz. Le numéro de mars de Jazzmag tout juste parvenu en kiosque nous rappelle les circonstances de cet enregistrement et balaie ces 100 ans d’histoire en 100 morceaux qui, par association d’idée vous en inspireront 100 fois plus… Mais “jazz”, d’où vient ce mot?

De nombreuses hypothèses circulent concernant l’apparition du mot jazz. Concurrentes et contradictoires, elles reposent sur des étymologies plus ou moins crédibles ou fantaisistes, latine (jacere = lancer), africaines (dinza, jasi, yas, jaja, variantes autour du thème de la force vitale), arabe (jazib), française (jaser, chassé évoquant le pas glissé du shuffle, jasmin dont l’odeur était appréciée des prostituées de La Nouvelle-Orléans), française créole (jazz-a-belle prononcé jezebel = prostituée), gaëlique (teas prononcé tyas = chaleur, excitation, ardeur), américaines  (gism et jasm, voir plus bas).

Jasbro BrownVers 1824. Un danseur esclave d’une plantation louisianaise, Jasper, est surnommé “Jazz”. À la même époque remonte la légende d’un musicien itinérant du Mississippi, Jasbo Brown auquel Dubose Heyward fera jouer un blues dans Porgy and Bess.

1842. L’usage du mot “jism” (qui devient “gism” dans le Dictionnaire des américanismes de J.R. Bartlett en 1877) est attesté par les dictionnaires d’étymologie pour désigner « spirit, energy, spunk. », “spunk” étant un autre mot pour “énergie” et “courage”, l’argot américain donnant également à ces deux mots le sens de sperme.

missgilberts00hollrich1860. L’Historical Dictionary of American Slang atteste l’existence du mot “jasm” dérivé de “jism”, signifian esprit, énergie, vigueur.

 1863. Dans Miss Gilbert’s Career, An American Story de J.G. Holland, il est question d’une femme « Pleine de jasm… Imaginez une femme chez qui se combineraient le ténor, la foudre, l’énergie d’un bateau à vapeur et le bourdonnement d’une scie : voilà le jasm. »

Vers 1909. A San Francisco, l’acteur-violoncelliste Bill Demarest se souvient avoir été interpelé  ainsi: « Come on, jazz it up ! » ce qui aurait signifié « avec plus d’énergie, plus d’élan. »

Ben Henderson1912. Le 2 avril, dans le Los Angeles Times, sous le titre Ben’s Jazz Curve, un journaliste sportif citant le lanceur des Portland Beavers, Ben Henderson, qualifie de « jazz ball », le fait de donner à sa balle une trajectoire irrécupérable.

1913. Début mars, l’équipe de baseball des San Francisco Seals s’entraîne à Boyes Springs (au nord de San Francisco) où le bouillonnement des sources chaudes suscite l’expression de « jazz water ». E. T. ‘Scoop’ Gleeson, correspondant du San Francisco Bulletin, rapporte dans le numéro du 6 mars que l’équipe revient en ville « full of the old jazz », une expression signifiant qu’elle revient pleine d’enthousiasme et qu’il tient de William “Spike” Slattery, journaliste sportif du San Francisco Call-Bulletin. Ce dernier dira l’avoir lui-même empruntée aux joueurs de craps lorsqu’ils invoquent la chance en jetant leurs dés : « That’s the jazz, boy ! » ou « Come on, the old jazz ! ». D’autres témoins font s’interpeler les joueurs baseball entre eux : « Come on, let’s Jazz it up ! »

Art Hickman Hotel St. FrancisPendant la période d’entraînement à Boyes Springs, l’orchestre de variété syncopée d’Art Hickman (ancêtre possible de la section de saxophones et préfiguration du grand orchestre de Paul Whiteman) assure l’animation des soirées. Engagé ensuite à l’Hotel St. Francis de San Francisco, Art Hickman utilisera à son tour le mot “jazz” pour décrire l’énergie et le “pep” de sa musique, qu’il refusera par la suite d’assimiler à ce que l’on appellera bientôt le jazz.

Praise of JazzIl semble que le mot se soit rapidement répandu à travers les Etats-Unis, puis que le site oxforddictionaries.com  le signale dans un journal à Duluth (Minnesota) fin 1913.

Mais dès le 5 avril, le San Francisco Bulletin publie In Praise of “jazz”, a Futurist Word Which Has Just Joined the Language par Ernest J. Hopkins sous-titré Un mot futuriste qui vient d’entrer dans notre vocabulaire. Il y voit « quelque chose comme la vie, la vigueur, l’effervescence de l’esprit, la joie, le dynamisme, le magnétisme, la verve, la virilité, le courage, le bonheur – oh, comment dit-on ? – jazz. Il n’y pas d’autre mot pour exprimer ça. »

Le cornettiste Ray Lopez se souvient avoir entendu Bill Demarest lancer à l’intention d’un chef d’orchestre à l’Orpheum Theatre de New Orleans : « Jazz it up – loud and snappy. »

1914. Dans un article publié en 1956 dans Variety, le banjoïste Bert Kelly prétendra qu’il qualifiait déjà sa musique de “jazz” en 1914 lorsqu’il arriva de San Francisco à Chicago avec son Frisco Ragtime Four (banjo-mandoline, saxophone, piano et batterie).

banana Peel Rag1915. En mai, au Lamb’s Café de Chicago, à la fin d’Hawaïan Butterfly par le Brown’s Band From Dixieland originaire de La Nouvelle-Orléans, un client, Darby Kelly, s’écrie « Jazz it up ! ». L’orchestre enchaîne sur un tempo plus élevé Banana Peel Rag qui fait entre rle public en transe. Cherchant le mot “jazz” dans un dictionnaire, le patron du Lamb’s ne trouve que « Jade : une femme vicieuse ». Quand à Kelly, il explique que cette musique lui donne envie de baiser, ce que signifie d’après lui le mot “jazz” dans l’argot des maisons closes du Sud.

Tom Brown's Band From DixielandSelon un autre récit, l’Union syndicale des musiciens de Chicago aurait tenté de faire mauvaise réputation à cette musique venue du Sud et jouée sans partition en brandissant à l’entrée du Lamb’s Café un panneau « Don’t patronize this jass music » ce qui aurait signifié : « Ne soutenez pas cette musique de baise. » Le Lamb’s en aurait fait aussitôt un argument publicitaire en affichant : « Brown’s Dixieland Jass Band, direct from New Orleans. » (avec des variantes dans la presse de Chicago : “jab” ou “jad”).

Le Chicago Tribune du 11 juillet 1915 publie un article intitulé Blues Is Jazz And Jazz Is Blues.

1916. Le Daily Californian’s du 18 février 1916 orthographie le mot “jaz-m”, en faisant le même usage que du mot “jazz” dans d’autres pages.

Alors que le Stein’s Band se produit en mars au Schiller’s Café, un client s’écrie « Jazz it up Boys ! » Il est invité à répéter son interpellation aussi souvent qu’il le désire et l’orchestre est rebaptisé Stein’s Dixie Jass Band qui deviendra, après remaniement du personnel, Original Dixieland Jass Band.

Le 30 septembre 1916, le Chicago Defender mentionne le « jass band » du pianiste et chanteur noir H. Benton Overstreet qui accompagne la chanteuse de vaudeville Estella Harris.

That Funny Jazz BandLe 8 novembre, la partition de That Funny Jas Band est déposée (music : Henry I. Marshall – lyrics : Gus Kahn) et fait le 1er décembre l’objet de deux enregistrements par les chanteurs Arthur Collins et Byron G. Harlan, la première prise étant publiée sur cylindre Edison Blue Amberol Recordings en avril 1917, la seconde sur Edison Diamond Disc en juillet. L’orchestre non identifié pratique une improvisation collective assez proche du Livery Stable Blues que l’Original Dixieland Jazz Band enregistrera quatre mois plus tard.

1917. Le 12 janvier 1917, Arthur Collins et Byron G. Harlan enregistrent pour Victor une troisième prise de That Funny Jas Band From Dixieland.

Le 15 janvier, on trouve une publicité en pleine page dans le New York Times où est annoncé au Paradise Ballroom du Reisenweber Building (8ème avenue, 58ème rue) : « The First Sensational Amusement Novelty of 1917, “The Jasz Band” » Il y est précisé : « The Jasz Band is the latest craze that is sweeping the nation like a musical thunderstorm. »

Le 2 février, dans le New York Times est annoncé « The first eastern appareance of the famous Original Dixieland Jazz Band » et s’affiche bientôt lettres lumineuses sur Columbus Circle « The Original Jazz Band – Creator of Jazz. »

Pourquoi ce passage de “jass” à “jazz” ? Nick LaRocca, le cornettiste et leader de l’Original Dixieland Jazz Band racontera que les gens s’amusaient sur les affiches à effacer le “j” de “jass”, ce qui donnait “ass” (cul).

Original Dixieland Jass One stepLe 26 février, l’Original Dixieland Jass Band, toujours orthographié “jass”, enregistre le premier disque qualifié “jazz”. Cette orthographe avec deux “s” ne suvivra pas au succès du disque et, aussitôt, le mot “jazz” se répand, notamment dans le titre des chansons, telle When I Hear That Jazz Band Play  (music : Dave Stamper – paroles : Gene Buck) enregistrée le 18 juillet pour Victor par Marion Harris avec le King’s Orchestra d’Edward T. King.

Franck Bergerot

Merci à Jean-Pierre Lion (auteur de Bix chez Outre Mesure, décédé en 2010) qui porta à ma connaissance bon nombre des documents cités ci-dessus et à Martin Guerpin qui, à l’issue de l’émission Les Lundis du Duc sur TSF (), attira récemment mon attention sur That Funny Jas Band dont je retrouve la version Victor dans ma discothèque, dans le coffret de 10 CD “That Devilin’ Tune, a Jazz History, Volume 1, 1895-1927” (West Hill Radio Archives). Faute d’autres éditions CD, on pourra en retrouver chez YouTube les éditions Edison sur cylindre  et sur 78-tours , ainsi qu’à la Library of Congress l’édition Victor.

Byron G. Harlan & Arthur CollinsEn trouvera ci-cessous le texte (paroles et dialogue interprétés par Arthur Collins et Byron G. Harlan, de gauche à droite sur la photo ) qui n’est pas sans évoquer l’Alexander’s Ragtime Band, grand succès d’Irving Berlin en 1911.

That Funny Jas Band

Oh honey dear,
I want you to hear
That harmony queer
When you listen to
Mad musicians playing rhythm
Everybody dancing with ’em
Hold me close in your arms
I’m in love with your charms and
The funny jas band from dixieland

Harlan: « Say, Henry, what is a jas band? »

Collins: « Why, a jas band am essentially different from the generalities of bands. »

Harlan: « In what particularity, Henry? »

Collins: « Oh, in many ways, Mandy. Now, for instance . . . «  [A slide trombone roars]

Harlan: « Lordy, lordy! Is that one of the ways? »

Collins: « Uh-huh. And another is . . . «  [Clarinets play]

Harlan: « Is there any more, Henry? »

Collins: « Oh yes, and it goes something like . . . «  [Drum roll, bugle call, crashing of cymbals]

Harlan: « Well, I must say, Henry, your explanation am lucidiously comprehensible! »

Collins: « And does you like the jas band, Mandy? »

Harlan: « Ah sure do. »

Collins: « Then we’ll sing some more. »