Yonathan Avishai et les matins du jazz
L’album de Yonathan Avishai, qui a été célébré comme il se doit dans Jazz magazine, est l’un des plus intelligents que j’aie entendus en 2016. J’étais donc curieux et impatient d’en entendre la traduction scénique…
Yonathan Avishai (p), Yoni Zelnik (b), Donald Kontomanou (dm), Inor Sotolongo (perc), César Poirier (sax alto, clarinette), Studio de l’Ermitage, Mercredi 22 février 2017
Quand je parle d’intelligence à propos de la musique de Yonathan Avishai, je n’entends pas signifier qu’il s’agit d’une musique cérébrale, sèche, et abstraite, on verra plus loin que c’est tout le contraire, c’est une musique festive, colorée, latine, fraîche comme la rosée du matin. L’intelligence à laquelle je fais allusion renvoie à la construction de chacun des morceaux, très tenue, où tout est au service de l’effet d’ensemble sans qu’on ait l’impression pourtant qu’aucun instrument ne soit corseté. Cette intelligence désigne aussi la construction globale du disque, avec de légers petits fils d’argent qui relient tous ces morceaux. Le disque est si bien composé qu’il suggère inévitablement une trame générale derrière tous ces morceaux. C’est bien sûr à chacun de se tricoter son petit scénario personnel. Quant à moi, en écoutant le disque, j’ai imaginé le bouillonnement originel ayant présidé à la naissance du jazz. Je me suis senti transporté dans un bouge douteux de la Nouvelle Orléans, où des noirs, fils et petits-fils d’esclaves, croisent des émigrés cubains, et où s’échangent coups de poings, idées, notes, et surtout rythmes. C’est le matin du jazz, l’aube d’une nouvelle musique…
Bon. J’ai peut-être rêvé, fumé le tapis, la moquette et les rideaux. En tous cas, ce qui ne relève pas du domaine de la subjectivité, c’est que le rythme est à la source de la musique de Yonathan Avishai.
On en a la preuve dès le premier morceau. Il commence par un petit riff du percussionniste Inor Sotolongo, léger et entêtant, exécuté avec des sortes de maracas. Ensuite tous les éléments se mettent en place les uns après les autres, dans une sorte de balai réglé avec minutie. Piano et contrebasse contruisent une sorte d’ostinato, d’élégantes volutes caribéennes sortent de la clarinette de César Poirier. Le piano de Yonathan Avishai concourt aussi à cette impression que le rythme est premier dans sa musique. C’est un jeu dense, percussif, clair, avec parfois quelque chose qui vient vriller la limpidité de ses traits, des sorties de route aussi brèves que fulgurantes.
Dans le morceau suivant , L’arbre et l’écureuil, Avishai se montre sous une facette délicate et sensible. La mélodie est exposée à deux voix avec le contrebassiste Yoni Zelnik (quelle complicité entre ces deux-là!) et les notes de ce dernier viennent couronner la mélodie avec une sorte de nécessité gracieuse. Puis les autres instrumentistes rentrent. Dans ce morceau encore, les différents instruments s’agencent élément par élément. Yonathan Avishai construit sa musique pas à pas, non comme un architecte méthodique, mais plutôt comme un metteur en scène ménageant ses effets. De fait, l’irruption progressive des différents instruments leur donne un caractère dramatique et parfois bouleversant. L’ambiance reste toujours très latine, Inor Sotolongo fait des merveilles avec une sorte de barre où sont suspendues des dizaines et des dizaines de clés. Dans le morceau suivant (Once upon a time) il est tranchant aux bongos, et son soutien propulse César Poirier, aussi incisif au saxophone alto qu’il est suave à la clarinette. Le morceau évoque une sorte de folk song originelle baignée de blues. Une fois encore, on est dans l’humus du jazz.
Le morceau suivant est un peu particulier. C’est le seul standard du disque et du concert. Il s’agit de Django, la plus célèbre composition de John Lewis.
César Poirier l’expose au sax alto avec une limpidité qui par moment devient un peu baveuse, comme si -c’est la consigne que lui avait donnée explicitement Yonathan Avishai-c’était Ornette Coleman qui interprétait le morceau. C’est beau et troublant. Inor Sotolongo donne sur sa woodbox des accents qui résonnent comme un glas. Donald Kontomanou fait monter aux balais une pulsation légère et mousseuse comme de la crème Chantilly.
Sur le morceau suivant , Simgik, on retrouve César Poirier à la clarinette. Mordantes au sax alto, ses phrases à la clarinette ont quelque chose de suave, d’ingénu, et même d’édénique, comme si la clarinette avait été taillée la veille dans du bois de palissandre. Mais c’est toute la musique qui est empreinte de cette fraîcheur. Le concert multiplie les moments précieux: le chorus de Yoni Zelnik dans Death of a river, le mano a mano entre Inor Sotolongo et Donald Kontomanou dans le bien nommé the battle.
La musique met plus que jamais la percussion à l’honneur lorsque Joel Irzuelo vient remplacer Inor Sotolongo pour un morceau, The parade.
Le concert se termine par un moment superbe, Yonathan Avishai joue en solo une version réharmonisée du vieux Sweet Lorraine. Yonathan Avishai possède ce qu’aucun cours de jazz n’enseignera jamais, cette capacité à faire surgir une église en trois accords. Après avoir imposé cette atmosphère recueillie, il développe ses lignes limpides et claires , épicées de quelques dissonances et frottements. A un certain moment (c’est ce qui rend ce pianiste si inclassable) les accords se bousculent, se précipitent, la limipidité est brisée par une sorte de brève et saisissante irruption cubiste. Voilà qui donne très envie d’entendre à nouveau Yonathan Avishai en solo.
Je termine en mentionnant la première partie de ce concert, avec le saxophoniste Christophe Panzani qui a rejoué quelques morceaux de son album Les âmes perdues, dont nous avions fait le compte-rendu en juin 2016. Il avait invité trois des sept pianistes qui figurent sur le disque, avec bien sûr Tony paelman à qui le relie une complicité évidente. je suis frappé, comme je l’avais été au mois de juin de constater la puissance de suggestion que Christophe Panzani met dans son jeu en apparence si fragile, où le souffle et le son se tressent de manière si intime. Sur Sisyphe, Tony paelman accompagne Panzani avec une intensité et une écoute incroyable. Puis Yonathan Avishai et Guillaume Poncelet se succèdent pour accompagner cette musique très intérieure. Chacun possède un univers très personnel, mais tous semblent partager le refus des phrases toutes faites et la volonté de tenir en laisse leur virtuosité.
Texte: JF Mondot
Dessins: AC Alvoët (Autres dessins , peintures, et gravures à découvrir sur son site www.annie-claire.com.
On peut acheter certains des dessins à l’encre qui figurent sur ce blog en adressant à l’artiste une lettre de motivation bien tournée à l’adresse suivante: annie_claire@hotmail.com)
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L’album de Yonathan Avishai, qui a été célébré comme il se doit dans Jazz magazine, est l’un des plus intelligents que j’aie entendus en 2016. J’étais donc curieux et impatient d’en entendre la traduction scénique…
Yonathan Avishai (p), Yoni Zelnik (b), Donald Kontomanou (dm), Inor Sotolongo (perc), César Poirier (sax alto, clarinette), Studio de l’Ermitage, Mercredi 22 février 2017
Quand je parle d’intelligence à propos de la musique de Yonathan Avishai, je n’entends pas signifier qu’il s’agit d’une musique cérébrale, sèche, et abstraite, on verra plus loin que c’est tout le contraire, c’est une musique festive, colorée, latine, fraîche comme la rosée du matin. L’intelligence à laquelle je fais allusion renvoie à la construction de chacun des morceaux, très tenue, où tout est au service de l’effet d’ensemble sans qu’on ait l’impression pourtant qu’aucun instrument ne soit corseté. Cette intelligence désigne aussi la construction globale du disque, avec de légers petits fils d’argent qui relient tous ces morceaux. Le disque est si bien composé qu’il suggère inévitablement une trame générale derrière tous ces morceaux. C’est bien sûr à chacun de se tricoter son petit scénario personnel. Quant à moi, en écoutant le disque, j’ai imaginé le bouillonnement originel ayant présidé à la naissance du jazz. Je me suis senti transporté dans un bouge douteux de la Nouvelle Orléans, où des noirs, fils et petits-fils d’esclaves, croisent des émigrés cubains, et où s’échangent coups de poings, idées, notes, et surtout rythmes. C’est le matin du jazz, l’aube d’une nouvelle musique…
Bon. J’ai peut-être rêvé, fumé le tapis, la moquette et les rideaux. En tous cas, ce qui ne relève pas du domaine de la subjectivité, c’est que le rythme est à la source de la musique de Yonathan Avishai.
On en a la preuve dès le premier morceau. Il commence par un petit riff du percussionniste Inor Sotolongo, léger et entêtant, exécuté avec des sortes de maracas. Ensuite tous les éléments se mettent en place les uns après les autres, dans une sorte de balai réglé avec minutie. Piano et contrebasse contruisent une sorte d’ostinato, d’élégantes volutes caribéennes sortent de la clarinette de César Poirier. Le piano de Yonathan Avishai concourt aussi à cette impression que le rythme est premier dans sa musique. C’est un jeu dense, percussif, clair, avec parfois quelque chose qui vient vriller la limpidité de ses traits, des sorties de route aussi brèves que fulgurantes.
Dans le morceau suivant , L’arbre et l’écureuil, Avishai se montre sous une facette délicate et sensible. La mélodie est exposée à deux voix avec le contrebassiste Yoni Zelnik (quelle complicité entre ces deux-là!) et les notes de ce dernier viennent couronner la mélodie avec une sorte de nécessité gracieuse. Puis les autres instrumentistes rentrent. Dans ce morceau encore, les différents instruments s’agencent élément par élément. Yonathan Avishai construit sa musique pas à pas, non comme un architecte méthodique, mais plutôt comme un metteur en scène ménageant ses effets. De fait, l’irruption progressive des différents instruments leur donne un caractère dramatique et parfois bouleversant. L’ambiance reste toujours très latine, Inor Sotolongo fait des merveilles avec une sorte de barre où sont suspendues des dizaines et des dizaines de clés. Dans le morceau suivant (Once upon a time) il est tranchant aux bongos, et son soutien propulse César Poirier, aussi incisif au saxophone alto qu’il est suave à la clarinette. Le morceau évoque une sorte de folk song originelle baignée de blues. Une fois encore, on est dans l’humus du jazz.
Le morceau suivant est un peu particulier. C’est le seul standard du disque et du concert. Il s’agit de Django, la plus célèbre composition de John Lewis.
César Poirier l’expose au sax alto avec une limpidité qui par moment devient un peu baveuse, comme si -c’est la consigne que lui avait donnée explicitement Yonathan Avishai-c’était Ornette Coleman qui interprétait le morceau. C’est beau et troublant. Inor Sotolongo donne sur sa woodbox des accents qui résonnent comme un glas. Donald Kontomanou fait monter aux balais une pulsation légère et mousseuse comme de la crème Chantilly.
Sur le morceau suivant , Simgik, on retrouve César Poirier à la clarinette. Mordantes au sax alto, ses phrases à la clarinette ont quelque chose de suave, d’ingénu, et même d’édénique, comme si la clarinette avait été taillée la veille dans du bois de palissandre. Mais c’est toute la musique qui est empreinte de cette fraîcheur. Le concert multiplie les moments précieux: le chorus de Yoni Zelnik dans Death of a river, le mano a mano entre Inor Sotolongo et Donald Kontomanou dans le bien nommé the battle.
La musique met plus que jamais la percussion à l’honneur lorsque Joel Irzuelo vient remplacer Inor Sotolongo pour un morceau, The parade.
Le concert se termine par un moment superbe, Yonathan Avishai joue en solo une version réharmonisée du vieux Sweet Lorraine. Yonathan Avishai possède ce qu’aucun cours de jazz n’enseignera jamais, cette capacité à faire surgir une église en trois accords. Après avoir imposé cette atmosphère recueillie, il développe ses lignes limpides et claires , épicées de quelques dissonances et frottements. A un certain moment (c’est ce qui rend ce pianiste si inclassable) les accords se bousculent, se précipitent, la limipidité est brisée par une sorte de brève et saisissante irruption cubiste. Voilà qui donne très envie d’entendre à nouveau Yonathan Avishai en solo.
Je termine en mentionnant la première partie de ce concert, avec le saxophoniste Christophe Panzani qui a rejoué quelques morceaux de son album Les âmes perdues, dont nous avions fait le compte-rendu en juin 2016. Il avait invité trois des sept pianistes qui figurent sur le disque, avec bien sûr Tony paelman à qui le relie une complicité évidente. je suis frappé, comme je l’avais été au mois de juin de constater la puissance de suggestion que Christophe Panzani met dans son jeu en apparence si fragile, où le souffle et le son se tressent de manière si intime. Sur Sisyphe, Tony paelman accompagne Panzani avec une intensité et une écoute incroyable. Puis Yonathan Avishai et Guillaume Poncelet se succèdent pour accompagner cette musique très intérieure. Chacun possède un univers très personnel, mais tous semblent partager le refus des phrases toutes faites et la volonté de tenir en laisse leur virtuosité.
Texte: JF Mondot
Dessins: AC Alvoët (Autres dessins , peintures, et gravures à découvrir sur son site www.annie-claire.com.
On peut acheter certains des dessins à l’encre qui figurent sur ce blog en adressant à l’artiste une lettre de motivation bien tournée à l’adresse suivante: annie_claire@hotmail.com)
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L’album de Yonathan Avishai, qui a été célébré comme il se doit dans Jazz magazine, est l’un des plus intelligents que j’aie entendus en 2016. J’étais donc curieux et impatient d’en entendre la traduction scénique…
Yonathan Avishai (p), Yoni Zelnik (b), Donald Kontomanou (dm), Inor Sotolongo (perc), César Poirier (sax alto, clarinette), Studio de l’Ermitage, Mercredi 22 février 2017
Quand je parle d’intelligence à propos de la musique de Yonathan Avishai, je n’entends pas signifier qu’il s’agit d’une musique cérébrale, sèche, et abstraite, on verra plus loin que c’est tout le contraire, c’est une musique festive, colorée, latine, fraîche comme la rosée du matin. L’intelligence à laquelle je fais allusion renvoie à la construction de chacun des morceaux, très tenue, où tout est au service de l’effet d’ensemble sans qu’on ait l’impression pourtant qu’aucun instrument ne soit corseté. Cette intelligence désigne aussi la construction globale du disque, avec de légers petits fils d’argent qui relient tous ces morceaux. Le disque est si bien composé qu’il suggère inévitablement une trame générale derrière tous ces morceaux. C’est bien sûr à chacun de se tricoter son petit scénario personnel. Quant à moi, en écoutant le disque, j’ai imaginé le bouillonnement originel ayant présidé à la naissance du jazz. Je me suis senti transporté dans un bouge douteux de la Nouvelle Orléans, où des noirs, fils et petits-fils d’esclaves, croisent des émigrés cubains, et où s’échangent coups de poings, idées, notes, et surtout rythmes. C’est le matin du jazz, l’aube d’une nouvelle musique…
Bon. J’ai peut-être rêvé, fumé le tapis, la moquette et les rideaux. En tous cas, ce qui ne relève pas du domaine de la subjectivité, c’est que le rythme est à la source de la musique de Yonathan Avishai.
On en a la preuve dès le premier morceau. Il commence par un petit riff du percussionniste Inor Sotolongo, léger et entêtant, exécuté avec des sortes de maracas. Ensuite tous les éléments se mettent en place les uns après les autres, dans une sorte de balai réglé avec minutie. Piano et contrebasse contruisent une sorte d’ostinato, d’élégantes volutes caribéennes sortent de la clarinette de César Poirier. Le piano de Yonathan Avishai concourt aussi à cette impression que le rythme est premier dans sa musique. C’est un jeu dense, percussif, clair, avec parfois quelque chose qui vient vriller la limpidité de ses traits, des sorties de route aussi brèves que fulgurantes.
Dans le morceau suivant , L’arbre et l’écureuil, Avishai se montre sous une facette délicate et sensible. La mélodie est exposée à deux voix avec le contrebassiste Yoni Zelnik (quelle complicité entre ces deux-là!) et les notes de ce dernier viennent couronner la mélodie avec une sorte de nécessité gracieuse. Puis les autres instrumentistes rentrent. Dans ce morceau encore, les différents instruments s’agencent élément par élément. Yonathan Avishai construit sa musique pas à pas, non comme un architecte méthodique, mais plutôt comme un metteur en scène ménageant ses effets. De fait, l’irruption progressive des différents instruments leur donne un caractère dramatique et parfois bouleversant. L’ambiance reste toujours très latine, Inor Sotolongo fait des merveilles avec une sorte de barre où sont suspendues des dizaines et des dizaines de clés. Dans le morceau suivant (Once upon a time) il est tranchant aux bongos, et son soutien propulse César Poirier, aussi incisif au saxophone alto qu’il est suave à la clarinette. Le morceau évoque une sorte de folk song originelle baignée de blues. Une fois encore, on est dans l’humus du jazz.
Le morceau suivant est un peu particulier. C’est le seul standard du disque et du concert. Il s’agit de Django, la plus célèbre composition de John Lewis.
César Poirier l’expose au sax alto avec une limpidité qui par moment devient un peu baveuse, comme si -c’est la consigne que lui avait donnée explicitement Yonathan Avishai-c’était Ornette Coleman qui interprétait le morceau. C’est beau et troublant. Inor Sotolongo donne sur sa woodbox des accents qui résonnent comme un glas. Donald Kontomanou fait monter aux balais une pulsation légère et mousseuse comme de la crème Chantilly.
Sur le morceau suivant , Simgik, on retrouve César Poirier à la clarinette. Mordantes au sax alto, ses phrases à la clarinette ont quelque chose de suave, d’ingénu, et même d’édénique, comme si la clarinette avait été taillée la veille dans du bois de palissandre. Mais c’est toute la musique qui est empreinte de cette fraîcheur. Le concert multiplie les moments précieux: le chorus de Yoni Zelnik dans Death of a river, le mano a mano entre Inor Sotolongo et Donald Kontomanou dans le bien nommé the battle.
La musique met plus que jamais la percussion à l’honneur lorsque Joel Irzuelo vient remplacer Inor Sotolongo pour un morceau, The parade.
Le concert se termine par un moment superbe, Yonathan Avishai joue en solo une version réharmonisée du vieux Sweet Lorraine. Yonathan Avishai possède ce qu’aucun cours de jazz n’enseignera jamais, cette capacité à faire surgir une église en trois accords. Après avoir imposé cette atmosphère recueillie, il développe ses lignes limpides et claires , épicées de quelques dissonances et frottements. A un certain moment (c’est ce qui rend ce pianiste si inclassable) les accords se bousculent, se précipitent, la limipidité est brisée par une sorte de brève et saisissante irruption cubiste. Voilà qui donne très envie d’entendre à nouveau Yonathan Avishai en solo.
Je termine en mentionnant la première partie de ce concert, avec le saxophoniste Christophe Panzani qui a rejoué quelques morceaux de son album Les âmes perdues, dont nous avions fait le compte-rendu en juin 2016. Il avait invité trois des sept pianistes qui figurent sur le disque, avec bien sûr Tony paelman à qui le relie une complicité évidente. je suis frappé, comme je l’avais été au mois de juin de constater la puissance de suggestion que Christophe Panzani met dans son jeu en apparence si fragile, où le souffle et le son se tressent de manière si intime. Sur Sisyphe, Tony paelman accompagne Panzani avec une intensité et une écoute incroyable. Puis Yonathan Avishai et Guillaume Poncelet se succèdent pour accompagner cette musique très intérieure. Chacun possède un univers très personnel, mais tous semblent partager le refus des phrases toutes faites et la volonté de tenir en laisse leur virtuosité.
Texte: JF Mondot
Dessins: AC Alvoët (Autres dessins , peintures, et gravures à découvrir sur son site www.annie-claire.com.
On peut acheter certains des dessins à l’encre qui figurent sur ce blog en adressant à l’artiste une lettre de motivation bien tournée à l’adresse suivante: annie_claire@hotmail.com)
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L’album de Yonathan Avishai, qui a été célébré comme il se doit dans Jazz magazine, est l’un des plus intelligents que j’aie entendus en 2016. J’étais donc curieux et impatient d’en entendre la traduction scénique…
Yonathan Avishai (p), Yoni Zelnik (b), Donald Kontomanou (dm), Inor Sotolongo (perc), César Poirier (sax alto, clarinette), Studio de l’Ermitage, Mercredi 22 février 2017
Quand je parle d’intelligence à propos de la musique de Yonathan Avishai, je n’entends pas signifier qu’il s’agit d’une musique cérébrale, sèche, et abstraite, on verra plus loin que c’est tout le contraire, c’est une musique festive, colorée, latine, fraîche comme la rosée du matin. L’intelligence à laquelle je fais allusion renvoie à la construction de chacun des morceaux, très tenue, où tout est au service de l’effet d’ensemble sans qu’on ait l’impression pourtant qu’aucun instrument ne soit corseté. Cette intelligence désigne aussi la construction globale du disque, avec de légers petits fils d’argent qui relient tous ces morceaux. Le disque est si bien composé qu’il suggère inévitablement une trame générale derrière tous ces morceaux. C’est bien sûr à chacun de se tricoter son petit scénario personnel. Quant à moi, en écoutant le disque, j’ai imaginé le bouillonnement originel ayant présidé à la naissance du jazz. Je me suis senti transporté dans un bouge douteux de la Nouvelle Orléans, où des noirs, fils et petits-fils d’esclaves, croisent des émigrés cubains, et où s’échangent coups de poings, idées, notes, et surtout rythmes. C’est le matin du jazz, l’aube d’une nouvelle musique…
Bon. J’ai peut-être rêvé, fumé le tapis, la moquette et les rideaux. En tous cas, ce qui ne relève pas du domaine de la subjectivité, c’est que le rythme est à la source de la musique de Yonathan Avishai.
On en a la preuve dès le premier morceau. Il commence par un petit riff du percussionniste Inor Sotolongo, léger et entêtant, exécuté avec des sortes de maracas. Ensuite tous les éléments se mettent en place les uns après les autres, dans une sorte de balai réglé avec minutie. Piano et contrebasse contruisent une sorte d’ostinato, d’élégantes volutes caribéennes sortent de la clarinette de César Poirier. Le piano de Yonathan Avishai concourt aussi à cette impression que le rythme est premier dans sa musique. C’est un jeu dense, percussif, clair, avec parfois quelque chose qui vient vriller la limpidité de ses traits, des sorties de route aussi brèves que fulgurantes.
Dans le morceau suivant , L’arbre et l’écureuil, Avishai se montre sous une facette délicate et sensible. La mélodie est exposée à deux voix avec le contrebassiste Yoni Zelnik (quelle complicité entre ces deux-là!) et les notes de ce dernier viennent couronner la mélodie avec une sorte de nécessité gracieuse. Puis les autres instrumentistes rentrent. Dans ce morceau encore, les différents instruments s’agencent élément par élément. Yonathan Avishai construit sa musique pas à pas, non comme un architecte méthodique, mais plutôt comme un metteur en scène ménageant ses effets. De fait, l’irruption progressive des différents instruments leur donne un caractère dramatique et parfois bouleversant. L’ambiance reste toujours très latine, Inor Sotolongo fait des merveilles avec une sorte de barre où sont suspendues des dizaines et des dizaines de clés. Dans le morceau suivant (Once upon a time) il est tranchant aux bongos, et son soutien propulse César Poirier, aussi incisif au saxophone alto qu’il est suave à la clarinette. Le morceau évoque une sorte de folk song originelle baignée de blues. Une fois encore, on est dans l’humus du jazz.
Le morceau suivant est un peu particulier. C’est le seul standard du disque et du concert. Il s’agit de Django, la plus célèbre composition de John Lewis.
César Poirier l’expose au sax alto avec une limpidité qui par moment devient un peu baveuse, comme si -c’est la consigne que lui avait donnée explicitement Yonathan Avishai-c’était Ornette Coleman qui interprétait le morceau. C’est beau et troublant. Inor Sotolongo donne sur sa woodbox des accents qui résonnent comme un glas. Donald Kontomanou fait monter aux balais une pulsation légère et mousseuse comme de la crème Chantilly.
Sur le morceau suivant , Simgik, on retrouve César Poirier à la clarinette. Mordantes au sax alto, ses phrases à la clarinette ont quelque chose de suave, d’ingénu, et même d’édénique, comme si la clarinette avait été taillée la veille dans du bois de palissandre. Mais c’est toute la musique qui est empreinte de cette fraîcheur. Le concert multiplie les moments précieux: le chorus de Yoni Zelnik dans Death of a river, le mano a mano entre Inor Sotolongo et Donald Kontomanou dans le bien nommé the battle.
La musique met plus que jamais la percussion à l’honneur lorsque Joel Irzuelo vient remplacer Inor Sotolongo pour un morceau, The parade.
Le concert se termine par un moment superbe, Yonathan Avishai joue en solo une version réharmonisée du vieux Sweet Lorraine. Yonathan Avishai possède ce qu’aucun cours de jazz n’enseignera jamais, cette capacité à faire surgir une église en trois accords. Après avoir imposé cette atmosphère recueillie, il développe ses lignes limpides et claires , épicées de quelques dissonances et frottements. A un certain moment (c’est ce qui rend ce pianiste si inclassable) les accords se bousculent, se précipitent, la limipidité est brisée par une sorte de brève et saisissante irruption cubiste. Voilà qui donne très envie d’entendre à nouveau Yonathan Avishai en solo.
Je termine en mentionnant la première partie de ce concert, avec le saxophoniste Christophe Panzani qui a rejoué quelques morceaux de son album Les âmes perdues, dont nous avions fait le compte-rendu en juin 2016. Il avait invité trois des sept pianistes qui figurent sur le disque, avec bien sûr Tony paelman à qui le relie une complicité évidente. je suis frappé, comme je l’avais été au mois de juin de constater la puissance de suggestion que Christophe Panzani met dans son jeu en apparence si fragile, où le souffle et le son se tressent de manière si intime. Sur Sisyphe, Tony paelman accompagne Panzani avec une intensité et une écoute incroyable. Puis Yonathan Avishai et Guillaume Poncelet se succèdent pour accompagner cette musique très intérieure. Chacun possède un univers très personnel, mais tous semblent partager le refus des phrases toutes faites et la volonté de tenir en laisse leur virtuosité.
Texte: JF Mondot
Dessins: AC Alvoët (Autres dessins , peintures, et gravures à découvrir sur son site www.annie-claire.com.
On peut acheter certains des dessins à l’encre qui figurent sur ce blog en adressant à l’artiste une lettre de motivation bien tournée à l’adresse suivante: annie_claire@hotmail.com)