yonathan Avishai X2
Yonathan Avishai deux fois, pour deux occasions très spéciales, un magnifique duo avec Gilad Hekselman à l’Ecuje, et un spectacle musical et théâtral au 360 (32 rue Myrrha)
D’abord, cette conversation musicale, en toute liberté, en toute amitié avec le guitariste Gilad Hekselman, pour l’ouverture de la deuxième saison de l’Ecuje (Espace culturel et universitaire juif d’Europe, 110 rue Lafayette 75010). Soirée riche en instants précieux, en funambulisme transformé en pas de danse. Par exemple, à la fin du concert, ce Stompin at the savoy détourné, vrillé, caressé à rebrousse poil.
On admire le toucher de Gilad Hekselman, sa manière d’ajuster pour chaque note la nuance exacte, et d’utiliser son attirail électronique avec un goût exquis, toujours dans l’intérêt supérieur de la mélodie. Quant à Yonathan Avishai, on retrouve ses lignes mélodiques qui évoluent aussi inéluctablement vers le blues que les aiguilles de la boussole vers le nord magnétique, son jeu retenu mais émotif, avec ces bouffées d’exubérance qui s’emparent parfois de lui.
On retrouve aussi ses ostinato qu’il fait grandir, monter, avant de regarder avec curiosité où elles iront se promener, comme un romancier surpris par les initiatives de ses personnages. Il prend un magnifique chorus sur My song, l’immortelle composition de Jarrett, sans jamais mettre ses pas dans les empreintes du maître. Dans We See, au début du concert, Gilad Hekselman et Yonathan Avishai jouent avec leur vertige, accélèrent dans les virages, et emmènent la composition de Monk dans des paysages qui ne figurent sur aucune carte de géographie: c’est ce que savent faire les musiciens de jazz, dans leurs grands moments.
Quelques jours plus tard, Yonathan Avishai jouait au 360, 32 rue Myrha, pour un spectacle original, audacieux (mise en scène Sharon Mohar, scénographie: Grangil) qui pourrait s’intituler « Dans la tête d’un pianiste de jazz ». Sur scène une table, une fenêtre. On pourrait être chez Yonathan Avishai, le jour précédent un concert. Que fait un pianiste avant un concert ? Il joue, il rêve. Il se lève de son piano, y revient. Ses pensées vagabondent. Il va vers la fenêtre, revient à son piano. L’un des premiers morceaux joués par Yonathan Avishai avait la saveur d’une composition de Nino Rota, une de ces valses avec les yeux qui piquent qu’on retrouve chez Fellini. Un peu plus tard, ce qui sortait de son piano était plus âpre, plus abstrait, et l’on pouvait alors se dire que le pianiste était en train de chercher quelque chose, peut-être une nouvelle composition. pendant quelques instants, Yonathan Avishai semble enfermé dans son idée, mais tout à coup les grilles s’ouvrent, une issue est trouvée: il s’échappe vers le blues. Puis il se lève, et le piano continue de jouer (magnifique idée, car pour un jazzman, la musique est toujours là, que le couvercle soit fermé ou pas).
On entend Louis Armstrong, after you’ve gone. Le visage de Yonathan Avishai s’illumine. Il chante l’immortel chorus de trompette, il danse même quelques instants, avec une grâce maladroite et touchante, on pense furtivement à Charlie Chaplin, puis il se met au piano pour accompagner la fin du morceau. Mais un pianiste ne fait pas que rêver : il faut bien qu’il travaille. Alors Yonathan Avishai joue, avec ferveur, la sonate en ré mineur de Bach. Ses pensées vagabondent de nouveaux, mais vers d’autres domaines que la musique : « je suis jaloux de ceux qui écrivent » avoue t’il. Il dit un petit poème écrit par lui (« Simplement dire, dire simplement« ). Il chante une chanson en anglais dont je ne retrouve pas l’auteur, et qui raconte l’odyssée de réfugiés, dont le refrain est « God is too busy », et un poème en hébreu de Zelda, grande écrivaine israélienne.
Il faut beaucoup de courage pour abandonner le terrain de la maîtrise, et se risquer dans des domaines (le chant, la danse, la poésie) où l’on bredouille, où l’on hésite, où l’on est à nu. Yonathan Avishai a ce courage là. J’imagine qu’un tel spectacle est pour lui une manière de trouver une autre manière de communiquer avec le public, de lui partager un univers artistique qui ne se résume pas aux 88 touches de son piano, et de lui montrer qu’un pianiste est aussi faillible que n’importe lequel d’entre nous. Il en découle un spectacle inclassable avec des moments touchants, maladroits, gracieux, et qui est finalement, à l’image de sa musique: humaine et fraternelle.
Texte JF Mondot
Dessins et peintures AC Alvoët (autres dessins et peintures sur son site www.annie-claire.com)