YVES ROUSSEAU, ‘Fragments’ au Comptoir de Fontenay-sous-Bois
Un an après la sortie du disque, et des concerts raréfiés par la pandémie, le septette d’Yves Rousseau reprend la route et inaugure cette nouvelle série au Comptoir de la Halle Roublot, à Fontenay-sous-Bois
Géraldine Laurent (saxophone alto), Thomas Savy (clarinette basse), Jean-Louis Pommier (trombone), Csaba Palotaï (guitare), Étienne Manchon (claviers), Vincent Tortiller (batterie), Yves Rousseau (contrebasse, composition)
Fontenay-sous-Bois, Le Comptoir, 15 octobre 2021, 21h
Le disque m’avait conquis, et j’avais jusqu’alors manqué les quelques occasions d’écouter sur scène ce nouveau programme. Ce fut chose faite à Fontenay, et le bonheur fut total. Imagine-t-on pari plus risqué que d’explorer la mémoire adolescente et ses émois esthétiques sans sombrer dans le rabâchage ou le sentimentalisme complaisant ? Pari tenu, et gagné haut la main par Yves Rousseau et toute sa bande. Le matériau musical n’est pas littéral, si l’on excepte la reprise, métamorphosée en très beau solo de contrebasse, du thème The Court of the Crimson King, du disque éponyme de King Crimson. La matière musicale, c’est le souvenir conservé, ou plutôt reconstruit, resongé, de ces musiques de la fin des années 60 et du début des années 70 que l’on baptisait, faute de mieux, rock progressif. Et le groupe travaille cette matière en jouant sur les contrastes, les nuances, les envolées lyriques et les proférations massives. Le trio à vent s’épanouit dans des arrangements consonants nourris de tensions transgressives ; les plus jeunes de la bande (batterie et claviers) travaillent le binaire et le ternaire avec effronterie ; la guitare se promène depuis le presque acoustique jusqu’au fracas saturé ; la contrebasse arbitre, parfois en silence, laissant advenir le mystère. Saxophone, clarinette basse et trombone oscillent entre effet choral et temps forts d’expression individuelle, lyrisme assumé ou fracture, éloge du chant ou plaidoyer ardent pour le discontinu. Chaque membre du groupe se voit ainsi offrir un espace, dans un esprit vraiment collectif. Car si le répertoire a surgi des souvenirs du contrebassiste, c’est une musique de groupe qui s’offre à nous. J’en veux pour preuve le fait que, selon le degré d’implication de chacun ou chacune dans la fabrication de la musique à un instant ‘T’, c’est celui ou celle qui se trouve disponible qui fait le signe, donne le compte des mesures, avant la transition vers une nuance ou un nouveau rebond thématique. Il y a aussi plein de dialogues entre les solistes, qui toujours ouvrent l’espace d’une émergence sonore ou thématique. Ici vers une cursivité ‘plein jazz’, ailleurs vers un développement très rock. Bref si l’on a beaucoup glosé depuis des décennies sur une possible fusion entre jazz/rock/pop ou toute autre matière miscible, il me semble que cette musique, par delà l’incomplétude de tout discours, propose un horizon neuf, une perspective rénovée, pure invention d’une mémoire savamment conduite par un esprit de liberté. Magnifique !
Xavier Prévost
Le groupe sera en concert le 19 novembre 2021 à La Garance, scène nationale de Cavaillon, le 20 novembre au Sémaphore de Port-de-Bouc, puis le 3 décembre au Centre des Arts d’Enghien-Les-Bains dans le cadre du festival Jazz au Fil de l’Oise