Yves Torchinsky’s European Jazz Family à l’Ermitage
Ce 25 mars, Yves Tochinsky réunissait de vieux compagnons de route autour d’un son qu’il avait en tête, remontant à de vieilles amours, avant tout pour le sextette d’Herbie Hancock au tournant des années 70.
Studio de l’Ermitage, Paris (75), le 25 mars 2014.
Yves Torchinsky’s European Jazz Family : Claus Stötter (trompette, bugle), Samuel Blaser (trombone), Pierre-Olivier Govin (sax alto), Simon Spang-Hassen (sax ténor, flûtes), Philippe Michel (piano, arrangement, composition), Yves Torchinsky (contrebasse, arrangement composition), François Laizeau (batterie).
Ayant l’habitude de fréquenter ces lieux entouré de jeunes gens dont je pourrais être le père voire le grand-père, et ronchonnant parfois intérieurement « mais où sont passé les vieux potes avec qui je me pochetronnais autrefois au bar ? » , je ne pouvrais que répondre à l’annonce de cette réunion de vieux baroudeurs quinqua – si l’on fait exception de Samuel Blaser qu’Yves Torchinsky eut comme élève lors d’un stage – “avec qui” j’ai grandi. “Torch” que j’ai connu dans les couloirs du Cim d’Alain Guerrini alors qu’il jouait le répertoire de Joe Venuti et Eddie Lang avec Dominique Cravic, Didier Roussin et Dominique Pifarély, et du blues avec les mêmes et d’autres au sein de Bluestory et du Chicot à bois sec. Simon Spang-Hansen à qui j’avais ouvert la réserve de la Discothèque municipale de Montrouge pour qu’il puisse faire ses gammes sans déranger ses voisins (des gammes déjà très développées, puisqu’il venait de débarquer du Danemark dans le groupe de Néné, batteur qui venait d’enregistrer “Em Familia”, l’un des plus beaux albums d’Egberto Gismonti). Quant à P.O. (Govin), l’un de mes premiers comptes rendus de concert pour Jazz Hot, en 1979, fut pour le premier concert du big band Lumière de Laurent Cugny dont il fut, en quelque sorte, le Johnny Hodges.
Après avoir salué dans la salle Yves Rousseau que j’ai connu au Cim à la même époque et retournant vers le fond où j’aime me fondre, je découvre, assis seul à une table, en plein centre, au premier rang, Jean-Louis Chautemps qui, lui, pourrait être mon père. Je m’invite à sa table. On apprend toujours quelque chose avec Jean-Louis Chautemps et l’on ne s’ennuie jamais. Et comme il est aussi vif qu’impitoyable, on peut même l’entendre décocher quelque vacherie sur ce qu’il entend. Lorsque l’on a rien à dire, ça peut toujours servir. Mais il ne dira rien… ne me signalant même pas cet emprunt à Countdown que j’ai dû laisser passer, mais que mentionnera Yves Torchinsky dans notre échange à l’entracte. Rien, sinon le fait que l’on ne commence pas à l’heure (21h12 griffonne-t-il sur un papier traînant au fond de ses poches… car Jean-Louis Chautemps prend toujours quelques notes), rappelant combien René Urterger (dont Yves Torchinksy est le contrebassiste) est ponctuel, un ponctualité qu’il rapproche de son non (Uhr Träger=le porteur de montre). Plus l’éloge, avant de prendre congé à l’entracte, de François Laizeau, sans commentaires ni qualificatifs (il a probablement deviné les raisons inavouables qui m’on incité à m’asseoir à sa table). On retrouvera bientôt Jean-Louis dans la programmation que Jean-Jacques Pussiau inaugure lundi 31 mars sur la péniche La Nouvelle Seine (3 quai de Montebello) avec le trio de Didier Lockwood (trio acoustique avec Adrien Moignard et Maurizio Congiu). Jean-Louis y jouera le 28 avril avec Eric Le Lann, Sylvain Romano et Donald Kontomanou.
Mais, chut, la musique commence, que, par facilité, je commence par qualifier de musique de contrebassiste. C’est ancré sur des ostinatos solides et des bases harmoniques puissantes, aux cloisons bien dessinées, portées par grooves binaires… Puis, quelques audacieux frottements harmoniques parmi la front line me font penser à une musique de tromboniste (venus du cœur de l’orchestre, les trombonistes ont toujours de belles idées), Slide Hampton, Bob Brookmeyer… mais aussi Thad Jones, voire Kenny Wheeler. Foin des clichés, voilà en tout cas une musique qui a mon âge, en tout cas l’âge de mon âge de découvrir, consciemment, le jazz. Les premières annonces de morceaux (« pourquoi ne nous annonce-t-on pas les morceaux ? » , s’agace tout de même Chautemps, sous cape, mais qui semble être entendu) révèle I Have a Dream d’Herbie Hancock. Cette musique a beau avoir “mon âge”, je n’ai jamais vraiment fréquenté le disque d’où c’est tiré (“The Prisoner”), mais le nom de Buster Williams m’avait déjà effleuré en imaginant une “musique de contrebassiste”. C’était une époque où, avec les nouveaux systèmes d’amplification, la contrebasse prenait, sinon le pouvoir, du moins du pouvoir. Et les choses s’éclaireront à l’entracte en discutant avec Yves : au départ de cette formation, il y eut l’envie de jouer la musique de “The Prisoner, envie partagée avec Philippe Michel (ici entre piano et Rhodes… on tire parfois vers les hésitations des faces Warner d’Hancock), qui partage également avec le contrebassiste les arrangements, la composition des originaux du répertoire et le goût pour un son qui dicta le choix de ces quatre soufflants, tous compagnons de nombreux voyages musicaux.
Pierre Olivier Govin : l’élégance des loopings et des traînes mélodiques flottantes. Claus Stötter, de la très belle trompette, sans les défauts de la très belle trompette, un bugle très chaud, un aménagement de l’espace et une angularité toujours réinventée. Samuel Blaser plus conjoint, voir hyper conjoint lorsqu’il fonce tout droit à travers les slaloms spéciaux, puis soudain bondissant comme en snowboard à tort à travers des lignes droites. “Spang” avec une furia peu coltranienne, peut-être hendersonienne (il pourrait en avoir le son, lui que par le passé je qualifiais toujours de gordonien, lorsque je ne savais pas comment lui dire mon admiration), avec des phrases courtes d’une énergie presque texane, traversées de traits à la célérité chicagoane, des tendresses soudaines et quelques belles contribution à la flûte.
Au fil des morceaux, la musique semble s’ouvrir, déborder de ses cadres, gagner en ambiguïté (lorsque l’on invoque Hancock qui à l’époque de ce répertoire, quittait le second quintette de Miles, c’est bien le moins), une ouverture culminant avec une belle introduction “a capella” des deux cuivres en duo, le tout porté par François Laizeau dont le large vocabulaire fluidifie l’énergie déployée par la contrebasse, avec un bonheur
constant qui se lit dans la décontraction de ses gestes. Franck Bergerot
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Ce 25 mars, Yves Tochinsky réunissait de vieux compagnons de route autour d’un son qu’il avait en tête, remontant à de vieilles amours, avant tout pour le sextette d’Herbie Hancock au tournant des années 70.
Studio de l’Ermitage, Paris (75), le 25 mars 2014.
Yves Torchinsky’s European Jazz Family : Claus Stötter (trompette, bugle), Samuel Blaser (trombone), Pierre-Olivier Govin (sax alto), Simon Spang-Hassen (sax ténor, flûtes), Philippe Michel (piano, arrangement, composition), Yves Torchinsky (contrebasse, arrangement composition), François Laizeau (batterie).
Ayant l’habitude de fréquenter ces lieux entouré de jeunes gens dont je pourrais être le père voire le grand-père, et ronchonnant parfois intérieurement « mais où sont passé les vieux potes avec qui je me pochetronnais autrefois au bar ? » , je ne pouvrais que répondre à l’annonce de cette réunion de vieux baroudeurs quinqua – si l’on fait exception de Samuel Blaser qu’Yves Torchinsky eut comme élève lors d’un stage – “avec qui” j’ai grandi. “Torch” que j’ai connu dans les couloirs du Cim d’Alain Guerrini alors qu’il jouait le répertoire de Joe Venuti et Eddie Lang avec Dominique Cravic, Didier Roussin et Dominique Pifarély, et du blues avec les mêmes et d’autres au sein de Bluestory et du Chicot à bois sec. Simon Spang-Hansen à qui j’avais ouvert la réserve de la Discothèque municipale de Montrouge pour qu’il puisse faire ses gammes sans déranger ses voisins (des gammes déjà très développées, puisqu’il venait de débarquer du Danemark dans le groupe de Néné, batteur qui venait d’enregistrer “Em Familia”, l’un des plus beaux albums d’Egberto Gismonti). Quant à P.O. (Govin), l’un de mes premiers comptes rendus de concert pour Jazz Hot, en 1979, fut pour le premier concert du big band Lumière de Laurent Cugny dont il fut, en quelque sorte, le Johnny Hodges.
Après avoir salué dans la salle Yves Rousseau que j’ai connu au Cim à la même époque et retournant vers le fond où j’aime me fondre, je découvre, assis seul à une table, en plein centre, au premier rang, Jean-Louis Chautemps qui, lui, pourrait être mon père. Je m’invite à sa table. On apprend toujours quelque chose avec Jean-Louis Chautemps et l’on ne s’ennuie jamais. Et comme il est aussi vif qu’impitoyable, on peut même l’entendre décocher quelque vacherie sur ce qu’il entend. Lorsque l’on a rien à dire, ça peut toujours servir. Mais il ne dira rien… ne me signalant même pas cet emprunt à Countdown que j’ai dû laisser passer, mais que mentionnera Yves Torchinsky dans notre échange à l’entracte. Rien, sinon le fait que l’on ne commence pas à l’heure (21h12 griffonne-t-il sur un papier traînant au fond de ses poches… car Jean-Louis Chautemps prend toujours quelques notes), rappelant combien René Urterger (dont Yves Torchinksy est le contrebassiste) est ponctuel, un ponctualité qu’il rapproche de son non (Uhr Träger=le porteur de montre). Plus l’éloge, avant de prendre congé à l’entracte, de François Laizeau, sans commentaires ni qualificatifs (il a probablement deviné les raisons inavouables qui m’on incité à m’asseoir à sa table). On retrouvera bientôt Jean-Louis dans la programmation que Jean-Jacques Pussiau inaugure lundi 31 mars sur la péniche La Nouvelle Seine (3 quai de Montebello) avec le trio de Didier Lockwood (trio acoustique avec Adrien Moignard et Maurizio Congiu). Jean-Louis y jouera le 28 avril avec Eric Le Lann, Sylvain Romano et Donald Kontomanou.
Mais, chut, la musique commence, que, par facilité, je commence par qualifier de musique de contrebassiste. C’est ancré sur des ostinatos solides et des bases harmoniques puissantes, aux cloisons bien dessinées, portées par grooves binaires… Puis, quelques audacieux frottements harmoniques parmi la front line me font penser à une musique de tromboniste (venus du cœur de l’orchestre, les trombonistes ont toujours de belles idées), Slide Hampton, Bob Brookmeyer… mais aussi Thad Jones, voire Kenny Wheeler. Foin des clichés, voilà en tout cas une musique qui a mon âge, en tout cas l’âge de mon âge de découvrir, consciemment, le jazz. Les premières annonces de morceaux (« pourquoi ne nous annonce-t-on pas les morceaux ? » , s’agace tout de même Chautemps, sous cape, mais qui semble être entendu) révèle I Have a Dream d’Herbie Hancock. Cette musique a beau avoir “mon âge”, je n’ai jamais vraiment fréquenté le disque d’où c’est tiré (“The Prisoner”), mais le nom de Buster Williams m’avait déjà effleuré en imaginant une “musique de contrebassiste”. C’était une époque où, avec les nouveaux systèmes d’amplification, la contrebasse prenait, sinon le pouvoir, du moins du pouvoir. Et les choses s’éclaireront à l’entracte en discutant avec Yves : au départ de cette formation, il y eut l’envie de jouer la musique de “The Prisoner, envie partagée avec Philippe Michel (ici entre piano et Rhodes… on tire parfois vers les hésitations des faces Warner d’Hancock), qui partage également avec le contrebassiste les arrangements, la composition des originaux du répertoire et le goût pour un son qui dicta le choix de ces quatre soufflants, tous compagnons de nombreux voyages musicaux.
Pierre Olivier Govin : l’élégance des loopings et des traînes mélodiques flottantes. Claus Stötter, de la très belle trompette, sans les défauts de la très belle trompette, un bugle très chaud, un aménagement de l’espace et une angularité toujours réinventée. Samuel Blaser plus conjoint, voir hyper conjoint lorsqu’il fonce tout droit à travers les slaloms spéciaux, puis soudain bondissant comme en snowboard à tort à travers des lignes droites. “Spang” avec une furia peu coltranienne, peut-être hendersonienne (il pourrait en avoir le son, lui que par le passé je qualifiais toujours de gordonien, lorsque je ne savais pas comment lui dire mon admiration), avec des phrases courtes d’une énergie presque texane, traversées de traits à la célérité chicagoane, des tendresses soudaines et quelques belles contribution à la flûte.
Au fil des morceaux, la musique semble s’ouvrir, déborder de ses cadres, gagner en ambiguïté (lorsque l’on invoque Hancock qui à l’époque de ce répertoire, quittait le second quintette de Miles, c’est bien le moins), une ouverture culminant avec une belle introduction “a capella” des deux cuivres en duo, le tout porté par François Laizeau dont le large vocabulaire fluidifie l’énergie déployée par la contrebasse, avec un bonheur
constant qui se lit dans la décontraction de ses gestes. Franck Bergerot
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Ce 25 mars, Yves Tochinsky réunissait de vieux compagnons de route autour d’un son qu’il avait en tête, remontant à de vieilles amours, avant tout pour le sextette d’Herbie Hancock au tournant des années 70.
Studio de l’Ermitage, Paris (75), le 25 mars 2014.
Yves Torchinsky’s European Jazz Family : Claus Stötter (trompette, bugle), Samuel Blaser (trombone), Pierre-Olivier Govin (sax alto), Simon Spang-Hassen (sax ténor, flûtes), Philippe Michel (piano, arrangement, composition), Yves Torchinsky (contrebasse, arrangement composition), François Laizeau (batterie).
Ayant l’habitude de fréquenter ces lieux entouré de jeunes gens dont je pourrais être le père voire le grand-père, et ronchonnant parfois intérieurement « mais où sont passé les vieux potes avec qui je me pochetronnais autrefois au bar ? » , je ne pouvrais que répondre à l’annonce de cette réunion de vieux baroudeurs quinqua – si l’on fait exception de Samuel Blaser qu’Yves Torchinsky eut comme élève lors d’un stage – “avec qui” j’ai grandi. “Torch” que j’ai connu dans les couloirs du Cim d’Alain Guerrini alors qu’il jouait le répertoire de Joe Venuti et Eddie Lang avec Dominique Cravic, Didier Roussin et Dominique Pifarély, et du blues avec les mêmes et d’autres au sein de Bluestory et du Chicot à bois sec. Simon Spang-Hansen à qui j’avais ouvert la réserve de la Discothèque municipale de Montrouge pour qu’il puisse faire ses gammes sans déranger ses voisins (des gammes déjà très développées, puisqu’il venait de débarquer du Danemark dans le groupe de Néné, batteur qui venait d’enregistrer “Em Familia”, l’un des plus beaux albums d’Egberto Gismonti). Quant à P.O. (Govin), l’un de mes premiers comptes rendus de concert pour Jazz Hot, en 1979, fut pour le premier concert du big band Lumière de Laurent Cugny dont il fut, en quelque sorte, le Johnny Hodges.
Après avoir salué dans la salle Yves Rousseau que j’ai connu au Cim à la même époque et retournant vers le fond où j’aime me fondre, je découvre, assis seul à une table, en plein centre, au premier rang, Jean-Louis Chautemps qui, lui, pourrait être mon père. Je m’invite à sa table. On apprend toujours quelque chose avec Jean-Louis Chautemps et l’on ne s’ennuie jamais. Et comme il est aussi vif qu’impitoyable, on peut même l’entendre décocher quelque vacherie sur ce qu’il entend. Lorsque l’on a rien à dire, ça peut toujours servir. Mais il ne dira rien… ne me signalant même pas cet emprunt à Countdown que j’ai dû laisser passer, mais que mentionnera Yves Torchinsky dans notre échange à l’entracte. Rien, sinon le fait que l’on ne commence pas à l’heure (21h12 griffonne-t-il sur un papier traînant au fond de ses poches… car Jean-Louis Chautemps prend toujours quelques notes), rappelant combien René Urterger (dont Yves Torchinksy est le contrebassiste) est ponctuel, un ponctualité qu’il rapproche de son non (Uhr Träger=le porteur de montre). Plus l’éloge, avant de prendre congé à l’entracte, de François Laizeau, sans commentaires ni qualificatifs (il a probablement deviné les raisons inavouables qui m’on incité à m’asseoir à sa table). On retrouvera bientôt Jean-Louis dans la programmation que Jean-Jacques Pussiau inaugure lundi 31 mars sur la péniche La Nouvelle Seine (3 quai de Montebello) avec le trio de Didier Lockwood (trio acoustique avec Adrien Moignard et Maurizio Congiu). Jean-Louis y jouera le 28 avril avec Eric Le Lann, Sylvain Romano et Donald Kontomanou.
Mais, chut, la musique commence, que, par facilité, je commence par qualifier de musique de contrebassiste. C’est ancré sur des ostinatos solides et des bases harmoniques puissantes, aux cloisons bien dessinées, portées par grooves binaires… Puis, quelques audacieux frottements harmoniques parmi la front line me font penser à une musique de tromboniste (venus du cœur de l’orchestre, les trombonistes ont toujours de belles idées), Slide Hampton, Bob Brookmeyer… mais aussi Thad Jones, voire Kenny Wheeler. Foin des clichés, voilà en tout cas une musique qui a mon âge, en tout cas l’âge de mon âge de découvrir, consciemment, le jazz. Les premières annonces de morceaux (« pourquoi ne nous annonce-t-on pas les morceaux ? » , s’agace tout de même Chautemps, sous cape, mais qui semble être entendu) révèle I Have a Dream d’Herbie Hancock. Cette musique a beau avoir “mon âge”, je n’ai jamais vraiment fréquenté le disque d’où c’est tiré (“The Prisoner”), mais le nom de Buster Williams m’avait déjà effleuré en imaginant une “musique de contrebassiste”. C’était une époque où, avec les nouveaux systèmes d’amplification, la contrebasse prenait, sinon le pouvoir, du moins du pouvoir. Et les choses s’éclaireront à l’entracte en discutant avec Yves : au départ de cette formation, il y eut l’envie de jouer la musique de “The Prisoner, envie partagée avec Philippe Michel (ici entre piano et Rhodes… on tire parfois vers les hésitations des faces Warner d’Hancock), qui partage également avec le contrebassiste les arrangements, la composition des originaux du répertoire et le goût pour un son qui dicta le choix de ces quatre soufflants, tous compagnons de nombreux voyages musicaux.
Pierre Olivier Govin : l’élégance des loopings et des traînes mélodiques flottantes. Claus Stötter, de la très belle trompette, sans les défauts de la très belle trompette, un bugle très chaud, un aménagement de l’espace et une angularité toujours réinventée. Samuel Blaser plus conjoint, voir hyper conjoint lorsqu’il fonce tout droit à travers les slaloms spéciaux, puis soudain bondissant comme en snowboard à tort à travers des lignes droites. “Spang” avec une furia peu coltranienne, peut-être hendersonienne (il pourrait en avoir le son, lui que par le passé je qualifiais toujours de gordonien, lorsque je ne savais pas comment lui dire mon admiration), avec des phrases courtes d’une énergie presque texane, traversées de traits à la célérité chicagoane, des tendresses soudaines et quelques belles contribution à la flûte.
Au fil des morceaux, la musique semble s’ouvrir, déborder de ses cadres, gagner en ambiguïté (lorsque l’on invoque Hancock qui à l’époque de ce répertoire, quittait le second quintette de Miles, c’est bien le moins), une ouverture culminant avec une belle introduction “a capella” des deux cuivres en duo, le tout porté par François Laizeau dont le large vocabulaire fluidifie l’énergie déployée par la contrebasse, avec un bonheur
constant qui se lit dans la décontraction de ses gestes. Franck Bergerot
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Ce 25 mars, Yves Tochinsky réunissait de vieux compagnons de route autour d’un son qu’il avait en tête, remontant à de vieilles amours, avant tout pour le sextette d’Herbie Hancock au tournant des années 70.
Studio de l’Ermitage, Paris (75), le 25 mars 2014.
Yves Torchinsky’s European Jazz Family : Claus Stötter (trompette, bugle), Samuel Blaser (trombone), Pierre-Olivier Govin (sax alto), Simon Spang-Hassen (sax ténor, flûtes), Philippe Michel (piano, arrangement, composition), Yves Torchinsky (contrebasse, arrangement composition), François Laizeau (batterie).
Ayant l’habitude de fréquenter ces lieux entouré de jeunes gens dont je pourrais être le père voire le grand-père, et ronchonnant parfois intérieurement « mais où sont passé les vieux potes avec qui je me pochetronnais autrefois au bar ? » , je ne pouvrais que répondre à l’annonce de cette réunion de vieux baroudeurs quinqua – si l’on fait exception de Samuel Blaser qu’Yves Torchinsky eut comme élève lors d’un stage – “avec qui” j’ai grandi. “Torch” que j’ai connu dans les couloirs du Cim d’Alain Guerrini alors qu’il jouait le répertoire de Joe Venuti et Eddie Lang avec Dominique Cravic, Didier Roussin et Dominique Pifarély, et du blues avec les mêmes et d’autres au sein de Bluestory et du Chicot à bois sec. Simon Spang-Hansen à qui j’avais ouvert la réserve de la Discothèque municipale de Montrouge pour qu’il puisse faire ses gammes sans déranger ses voisins (des gammes déjà très développées, puisqu’il venait de débarquer du Danemark dans le groupe de Néné, batteur qui venait d’enregistrer “Em Familia”, l’un des plus beaux albums d’Egberto Gismonti). Quant à P.O. (Govin), l’un de mes premiers comptes rendus de concert pour Jazz Hot, en 1979, fut pour le premier concert du big band Lumière de Laurent Cugny dont il fut, en quelque sorte, le Johnny Hodges.
Après avoir salué dans la salle Yves Rousseau que j’ai connu au Cim à la même époque et retournant vers le fond où j’aime me fondre, je découvre, assis seul à une table, en plein centre, au premier rang, Jean-Louis Chautemps qui, lui, pourrait être mon père. Je m’invite à sa table. On apprend toujours quelque chose avec Jean-Louis Chautemps et l’on ne s’ennuie jamais. Et comme il est aussi vif qu’impitoyable, on peut même l’entendre décocher quelque vacherie sur ce qu’il entend. Lorsque l’on a rien à dire, ça peut toujours servir. Mais il ne dira rien… ne me signalant même pas cet emprunt à Countdown que j’ai dû laisser passer, mais que mentionnera Yves Torchinsky dans notre échange à l’entracte. Rien, sinon le fait que l’on ne commence pas à l’heure (21h12 griffonne-t-il sur un papier traînant au fond de ses poches… car Jean-Louis Chautemps prend toujours quelques notes), rappelant combien René Urterger (dont Yves Torchinksy est le contrebassiste) est ponctuel, un ponctualité qu’il rapproche de son non (Uhr Träger=le porteur de montre). Plus l’éloge, avant de prendre congé à l’entracte, de François Laizeau, sans commentaires ni qualificatifs (il a probablement deviné les raisons inavouables qui m’on incité à m’asseoir à sa table). On retrouvera bientôt Jean-Louis dans la programmation que Jean-Jacques Pussiau inaugure lundi 31 mars sur la péniche La Nouvelle Seine (3 quai de Montebello) avec le trio de Didier Lockwood (trio acoustique avec Adrien Moignard et Maurizio Congiu). Jean-Louis y jouera le 28 avril avec Eric Le Lann, Sylvain Romano et Donald Kontomanou.
Mais, chut, la musique commence, que, par facilité, je commence par qualifier de musique de contrebassiste. C’est ancré sur des ostinatos solides et des bases harmoniques puissantes, aux cloisons bien dessinées, portées par grooves binaires… Puis, quelques audacieux frottements harmoniques parmi la front line me font penser à une musique de tromboniste (venus du cœur de l’orchestre, les trombonistes ont toujours de belles idées), Slide Hampton, Bob Brookmeyer… mais aussi Thad Jones, voire Kenny Wheeler. Foin des clichés, voilà en tout cas une musique qui a mon âge, en tout cas l’âge de mon âge de découvrir, consciemment, le jazz. Les premières annonces de morceaux (« pourquoi ne nous annonce-t-on pas les morceaux ? » , s’agace tout de même Chautemps, sous cape, mais qui semble être entendu) révèle I Have a Dream d’Herbie Hancock. Cette musique a beau avoir “mon âge”, je n’ai jamais vraiment fréquenté le disque d’où c’est tiré (“The Prisoner”), mais le nom de Buster Williams m’avait déjà effleuré en imaginant une “musique de contrebassiste”. C’était une époque où, avec les nouveaux systèmes d’amplification, la contrebasse prenait, sinon le pouvoir, du moins du pouvoir. Et les choses s’éclaireront à l’entracte en discutant avec Yves : au départ de cette formation, il y eut l’envie de jouer la musique de “The Prisoner, envie partagée avec Philippe Michel (ici entre piano et Rhodes… on tire parfois vers les hésitations des faces Warner d’Hancock), qui partage également avec le contrebassiste les arrangements, la composition des originaux du répertoire et le goût pour un son qui dicta le choix de ces quatre soufflants, tous compagnons de nombreux voyages musicaux.
Pierre Olivier Govin : l’élégance des loopings et des traînes mélodiques flottantes. Claus Stötter, de la très belle trompette, sans les défauts de la très belle trompette, un bugle très chaud, un aménagement de l’espace et une angularité toujours réinventée. Samuel Blaser plus conjoint, voir hyper conjoint lorsqu’il fonce tout droit à travers les slaloms spéciaux, puis soudain bondissant comme en snowboard à tort à travers des lignes droites. “Spang” avec une furia peu coltranienne, peut-être hendersonienne (il pourrait en avoir le son, lui que par le passé je qualifiais toujours de gordonien, lorsque je ne savais pas comment lui dire mon admiration), avec des phrases courtes d’une énergie presque texane, traversées de traits à la célérité chicagoane, des tendresses soudaines et quelques belles contribution à la flûte.
Au fil des morceaux, la musique semble s’ouvrir, déborder de ses cadres, gagner en ambiguïté (lorsque l’on invoque Hancock qui à l’époque de ce répertoire, quittait le second quintette de Miles, c’est bien le moins), une ouverture culminant avec une belle introduction “a capella” des deux cuivres en duo, le tout porté par François Laizeau dont le large vocabulaire fluidifie l’énergie déployée par la contrebasse, avec un bonheur
constant qui se lit dans la décontraction de ses gestes. Franck Bergerot