Jazz live
Publié le 7 Fév 2025

Zool, le retour

Zool… Fleischer, inutile de préciser. Ça fait vingt ans qu’il se faisait attendre. Il jouait à guichets fermés hier au Sunside, entouré de Marc Bertaux et Franck Agulhon, devant les micros de TSF Jazz.

C’est une vieille histoire, en pointillés, et je n’ai plus en tête que quelques-uns de ces pointillés : au printemps 1980 dans une MJC de Carrières-sur-Seine en trio avec Christian Gentet et Richard Portier, puis, ce même printemps, avec les mêmes à Paris au Cardinal Paf rejoints par Jean-Pierre Debarbat… Déjà, il y avait là un compositeur qui intriguait. Arrive son quintette au milieu des années 1980 : d’abord avec Charles Schneider qui finit par céder sa place à Alain Debiossat au saxophone, Lionel Benhamou à la guitare, Marc Bertaux (qui passait de la basse électrique à la contrebasse) et Tony Rabeson. Le Sunside n’existe pas encore, le rez-de-chaussée faisant encore office de restaurant. Au sous-sol, le bar du Sunset s’étire le long du mur gauche de la cave, au-delà du bar actuel, jusqu’à un énorme pilier de pierre, majestueux mais fort encombrant (et depuis remplacé), contre lequel je vois encore Jack DeJohnette collé pour écouter au plus près cet étourdissant répertoire, et demandant à prendre les baguettes de Rabeson le temps d’un morceau. Je revois aussi Claude Carrière et Jean Delmas installé vers l’entrée pour la diffusion de leur Jazz Club, dithyrambiques sur ce qu’ils entendaient. Mais mon imagination m’égare peut-être, car cet enregistrement officieux que j’écoute en rédigeant cette chronique, daté du 7 mars 1986 au Stand By (loin du Sunset, dans le 5e), n’est-ce pas la captation de Carrière et Delmas? Ou peut-être y en a-t-il eu plusieurs ? 1986 : c’est l’année où le quintette enregistre son unique album, “Picnic Tragic”. Pas mal comme titre d’album : et les titres des autres morceaux : La Vaisselle peut attendre, Matoutou, Passage au chinois, Miaou… Je me souviens des titres de 1986, même ceux qui ne figurent pas sur ce disque (Retour de manivelle…) mais pas de ceux d’hier, sauf à me reporter au CD du nouveau trio “The Fab Three” qu’il célébrait hier au Sunside après vingt ans d’absence. Je ne me souviens pas d’avoir jamais constaté une telle affluence que la foule qui se pressait hier à l’entrée du Sunside, où tout le monde avait l’air de se connaître et où, ma mémoire en déroute ne reconnaissais plus personne.

Bon, mais qu’est-ce qu’il a donc de si particulier ce compositeur, à part ses titres. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, là où s’inscrit sa pratique de pianiste même si, parmi les pointillés qui m’ont échappé, j’aperçois sur sa fiche wikipedia quelques collaborations comme sideman. Et après tout, c’est bien de son piano et de son partenariat avec Bertaux et aujourd’hui Agulhon qu’il fait naître la motricité irrésistible de ces morceaux que je qualifierais d’“en forme de poires”, facilité trompeuse car je ne vois pas ce que Satie vient faire ici, sinon pour un certaine solidarité au-delà des seuls titres, dans l’esprit de facétie et ici-là de douce amertume. Un blues, puisque c’est par là qu’il commence son concert, n’a rien d’un blues tout en gardant la couleur et, m’a-t-il semblé, la forme. M’a-t-il semblé, car on oublie vite la question de la forme pour celle de flux qui vous entraine, cette motricité (hélas, mon placement dans le coin gauche extrême du piano me privait de la partie de contrebasse, couverte par un excès d’un grosse caisse néanmoins pertinente), cette motricité donc en tension permanente avec des lignes mélodiques qui tantôt retiennent le tempo, tantôt s’en évadent parfois jusqu’à l’apesanteur, tout cela générant allégresse de l’âme et du corps ainsi aspiré dans ces courants contraires et pourtant moteurs. Alors, puisque ce que ne sait pas dire le critique, il va souvent le chercher du côté des influences, alors nous vient en aide ce titre : Horace, entre autres hommages (Scarlatti, Ivan lins, Billy Strayhorn et Burt Bacharach), qui me renvoie aux premiers trios d’Horace Silver. Ecaroh, Safari, Yeah ! Mais “À la Zool”. Franck Bergerot