Jazz Magazine n°681 - février 2016
Corps et âme par Frédéric Goaty
Dès les premières lignes de son livre, Une colère noire, le journaliste afro-américain Ta-Neshi Oates fait référence à la difficulté de vivre « avec un corps noir dans un pays perdu dans le Rêve », ce corps que les forces de police ont le pouvoir de détruire à tout instant.
Son corps sculpté pour la danse – taillé dans le Rêve ? –, Michael Jackson n’a pas attendu qu’il soit brutalisé ou détruit. Dès que son aura fut planétaire, son visage, notamment – on pourrait aussi évoquer la robotisation de sa gestuelle – commença de subir les effets ravageurs de cette quête obsessionnelle de la séduction globale, pour devenir l’emblème invisible de la difficulté, voire de l’impossibilité d’être perçu autrement que comme un Noir ayant réussi à devenir aussi populaire que Frank Sinatra
et Elvis Presley. Dans Michael Jackson’s Journey From Motown To Off The Wall, le documentaire qu’il vient de consacrer à son irrésistible ascension, Spike Lee rappelle que les pontes de la maison de disques du chanteur lui avaient rétorqué, quand celui-ci avait manifesté le désir de travailler avec Quincy Jones : « Mais c’est un jazzman ! Il ne saura pas produire un disque pour la danse… » On connaît la suite : “Off The Wall”, monument de perfection métissée dont le jazz est la clé de voûte, est un appel à la danse, une célébration décomplexée du corps, de tous les corps.
« Pour mieux combattre la haine, j’ai toujours utilisé les deux armes qui sont en ma possession, et ce sont elles qui nous unissent, pas notre couleur de peau : la création et la liberté d’expression », rappelle Alain Mabanckou dans sa préface d’Une colère noire. Cette création et cette liberté d’expression sont au cœur du jazz, cette musique haute en couleurs qui se joue corps et âme, body and soul, ou qui ne se joue pas.