Jazz Magazine n°684 - juin 2016
The color purple
Frédéric Goaty
Quelques heures après l’annonce de la mort de Prince, Susan Scofi eld, la femme du grand guitariste que l’on croisera souvent dans les festivals d’été – comme en témoigne le guide qui accompagne
ce numéro –, postait cette anecdote sur sa page Facebook : « Il y a longtemps, j’étais encore jeune maman et, comme d’habitude, je passais de la musique dans notre appartement new-yorkais.
Le téléphone se mit à sonner. C’était Miles. “Allô, John est là ?” Non Miles, il est sorti. “Qu’est-ce que tu écoutes là ?” Toi, lui répondis-je. “Laisse-moi écouter un peu.” J’ai donc posé le téléphone une
minute, puis il m’a demandé : “Qui est le batteur ?” Philly Joe Jones Miles… “Mais pourquoi
écoutes-tu une merde pareille ?! Écoute Prince !” Et comme d’habitude, il a raccroché. Repose en paix, Prince. »
Le 30 septembre 1991, deux jours après la mort de Miles Davis, Prince enregistrait en duo avec
son batteur Michael Bland un instrumental intitulé Letter 4 Miles, qui fait partie des innombrables titres inédits du chanteur, auteur, compositeur et multi-instrumentiste qui savait si bien brasser les styles. Si John L. Nelon, son jazzman de père, n’avait pas laissé son piano dans l’appartement familial après avoir divorcé, Prince Rogers Nelson – c’était son vrai nom – n’aurait sans doute pas, dès son plus jeune âge, regardé les touches noires et blanches en rêvant de mélodies d’une autre couleur. De fil en aiguille, il fi nit par changer le cours de l’histoire de la musique populaire, tout en se permettant le luxe, un soir de décembre 1987 à Minneapolis, d’inviter Miles Davis à le rejoindre sur scène pour jouer à ses côtés.
Mais même si la mort rôde plus que de raison ces derniers temps, la vie continue, et chacun à sa
manière, Gregory Porter, Robert Glasper, Cory Henry, Mark Guiliana, Claude Tchamitchian ou encore Fabrice Martinez incarnent le présent et l’avenir de la musique créative, d’un jazz qui brasse
les styles avec autant de naturel que Prince.